Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20240617


Dossiers : A-122-23 (dossier principal)

A-123-23

A-124-23

Référence : 2024 CAF 110

CORAM :

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 

 

ENTRE :

 

 

MINISTRE DU PATRIMOINE CANADIEN

 

 

appelant (intimé incident)

 

 

et

 

 

9616934 CANADA INC.

 

 

9501894 CANADA INC.

 

 

9849262 CANADA INC.

 

 

intimées (appelantes incidentes)

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 23 avril 2024.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 juin 2024.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GOYETTE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE ROUSSEL

 


Date : 20240617


Dossiers : A-122-23 (dossier principal)

A-123-23

A-124-23)

Référence : 2024 CAF 110

CORAM :

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 

 

ENTRE :

 

 

MINISTRE DU PATRIMOINE CANADIEN

 

 

appelant (intimé incident)

 

 

et

 

 

9616934 CANADA INC.

 

 

9501894 CANADA INC.

 

 

9849262 CANADA INC.

 

 

intimées (appelantes incidentes)

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GOYETTE

[1] Le présent appel porte sur le crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne que réclament les sociétés intimées (productrices) à l’égard de trois productions audiovisuelles : Croisière de rêves 4, Soleil tout inclus 8 et Soleil tout inclus 9. Considérant qu’elles constituent de la publicité, le ministre du Patrimoine canadien a refusé de délivrer le certificat ouvrant droit au crédit pour chacune des productions. Les productrices ont chacune présenté une demande de contrôle judiciaire de ce refus à la Cour fédérale. Cette dernière a accueilli les demandes des productrices, annulé les avis de refus et retourné les dossiers au ministre pour nouvelle détermination : 9616934 Canada Inc. c. Canada (Patrimoine), 2023 CF 432.

[2] En appel, le ministre demande à cette Cour d’infirmer la décision de la Cour fédérale et de rejeter les demandes de contrôle judiciaire. Par voie d’appel incident, les productrices demandent à cette Cour de déclarer ultra vires des pouvoirs du ministre et, par conséquent, nulles et sans effet les définitions de « publicité » prévues aux lignes directrices sur la base desquelles la décision contestée a été prise.

[3] Pour les motifs exposés ci-après, j’accueillerais l’appel du ministre et rejetterais l’appel incident. Même si un aspect des lignes directrices pose problème, la décision du ministre est néanmoins raisonnable, et il n’y a pas lieu de déclarer ultra vires les définitions de « publicité » prévues aux lignes directrices.

I. Contexte

A. Contexte législatif et règlementaire

[4] Sauf indication contraire, les dispositions législatives citées réfèrent à la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl) [Loi].

[5] Le crédit dont il est ici question procure aux productions admissibles un crédit d'impôt pleinement remboursable, correspondant à 25% de la dépense de main-d'œuvre admissible : paragraphe 125.4(3). Pour être admissible, une production doit être accompagnée d’un « certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne » délivré par le ministre : paragraphes 125.4(1), (3); paragraphe 1106(4) du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., c. 945 [Règlement]. Pour qu’il délivre le certificat, le ministre doit considérer que la production satisfait aux exigences prévues au paragraphe 1106(4) du Règlement, notamment l’exigence de ne pas constituer une « production exclue » au sens de l’alinéa 1106(1)b) du Règlement, soit une production qui est, selon le cas :

(i) une émission d’information, d’actualités ou d’affaires publiques ou une émission qui comprend des bulletins sur la météo ou les marchés boursiers,

(ii) [Abrogé, DORS/2016-262, art. 1]

(iii) une production comportant un jeu, un questionnaire ou un concours, sauf celle qui s’adresse principalement aux personnes mineures,

(iv) la présentation d’une activité ou d’un événement sportif,

(v) la présentation d’un gala ou d’une remise de prix,

(vi) une production visant à lever des fonds,

(vii) de la télévision vérité,

(viii) de la pornographie,

(ix) de la publicité,

(x) une production produite principalement à des fins industrielles ou institutionnelles,

(xi) une production, sauf un documentaire, qui consiste en totalité ou en presque totalité en métrage d’archives. (excluded production) [Je souligne]

[6] En l’espèce, le ministre considère que les productions en cause constituent de la publicité au sens du sous-alinéa 1106(1)b)(ix) du Règlement. Ni la Loi, ni le Règlement ne définissent le mot « publicité ». Pour conclure à la présence de publicité, le ministre s’est fondé sur la définition de ce mot qui se retrouve dans des lignes directrices qu’il a publiées en vertu du paragraphe 125.4(7). Ce paragraphe se lit ainsi :

(7) Le ministre du Patrimoine canadien publie des lignes directrices sur les circonstances dans lesquelles les conditions énoncées dans la définition de certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne au paragraphe (1) sont remplies. Il est entendu que ces lignes directrices ne sont pas des textes réglementaires au sens de la Loi sur les textes réglementaires.

[7] Deux versions de ces lignes directrices sont pertinentes pour les fins du présent appel. Premièrement, les lignes directrices du 2 avril 2012 prévoient que la publicité est, entre autres, une production qui comprend « [l]es infopublicités, vidéos promotionnelles et d’entreprise dont la durée excède 12 minutes et qui offrent du divertissement ou de l’information combinés à la vente ou à la promotion de biens ou de services dans un ensemble presque indiscernable ». Deuxièmement, l’Avis public du 6 mars 2017 (lignes directrices de 2017) prévoit une définition « révisée » ou « nouvelle » selon laquelle la publicité est, entre autres, une production « dont plus de 15% de la durée consiste à […] vanter les mérites d’un ou de plusieurs produits, services, événements, organisations ou entreprises, et/ou […] afficher des logos ou d’autres images de marque ».

[8] Avant d’examiner le contexte factuel, il importe de souligner que, bien qu’il incombe au ministre d’émettre le certificat et, par le fait même, de déterminer si une production est admissible au crédit, cette détermination s’effectue sur la base de renseignements que lui fournit le producteur. Cette détermination s’effectue aussi sur la base de la recommandation du Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens, une unité du ministère du Patrimoine canadien spécialisée dans la mise en œuvre de crédits d’impôt comme celui en cause : Canada (Procureur général) c. Zone 3-XXXVI Inc., 2016 CAF 242 au para. 6 [Zone 3].

B. Contexte factuel

[9] En juin 2016, donc avant la publication des lignes directrices de 2017, les productrices présentent une demande de certification à l’égard de deux productions : Croisières de rêve 4 et Soleil tout inclus 8. Après la publication des lignes directrices de 2017, en avril 2017, elles présentent une demande de certification de la troisième production : Soleil tout inclus 9.

[10] En décembre 2017, le Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens transmet aux productrices des préavis de refus de certification à l’égard des productions Soleil tout inclus 8 et Soleil tout inclus 9. Dans les préavis, le Bureau fait référence aux dispositions législatives et règlementaires pertinentes et aux lignes directrices de 2017. Le Bureau fait aussi référence aux lignes directrices de 2012 parce qu’il s’agit de celles « qui étaient disponibles » au moment où les productrices ont entrepris la production de Soleil tout inclus 8 et 9. De l’avis du Bureau, les productions sont de la publicité au sens des lignes directrices de 2017, car plus que 15% de leur durée consiste à vanter les complexes hôteliers et destinations touristiques qui sont les sujets des productions. Les productions sont aussi de la publicité au sens des lignes directrices de 2012 parce que ces productions « offre[nt] du divertissement ou de l’information combinés à la vente ou à la promotion de biens ou de services dans un ensemble presque indiscernable ». Le Bureau souligne que le ministre ne peut émettre de certificat aux productions qui ne répondent pas aux exigences de la Loi et du Règlement. Enfin, le Bureau invite les productrices à soumettre tout nouveau renseignement qui pourrait influer sur l’évaluation de leurs dossiers.

[11] En juin 2018, le Bureau transmet un préavis de refus de certification à l’égard de la production Croisières de rêve 4. Le préavis reprend les éléments sur lesquels se fondent les préavis des productions Soleil tout inclus 8 et 9. Le Bureau ajoute un élément non discuté précédemment : la décision alors récente de la Cour fédérale Serdy Vidéo II Inc. c. Canada (Patrimoine), 2018 CF 413 [Serdy]. Selon le Bureau, Serdy valide l’approche du Bureau qui consiste à considérer comme de la publicité les « images vidéo combinées à de la narration descriptive très détaillée et élogieuse, accompagnée de détails quant aux services inclus ».

[12] En réponse aux préavis, les productrices soumettent des représentations faisant valoir que, dans le passé, le ministre a accordé le crédit à des productions dont le contenu publicitaire dépassait le seuil de 15%. Les productrices font aussi valoir que la situation dans Serdy diffère de la leur en ce que les productions examinées dans Serdy avaient un contenu publicitaire dépassant 50% de leur durée. Enfin, les productrices plaident que l’objectif des dispositions législatives et règlementaires pertinentes est d’éviter que le crédit soit accordé à une production dont les coûts sont entièrement payés par un commanditaire ou par le fournisseur des produits ou services dont traite la production. Ce n’est pas le cas des productions en cause puisque les productrices sont des producteurs indépendants.

[13] Considérant que les représentations des productrices n’étayent pas la conclusion selon laquelle leurs productions ne constituent pas de la publicité, le Bureau recommande au ministre de refuser de certifier les productions en cause. C’est ce que le ministre fait par lettres datées du 21 décembre 2018. Le ministre explique que sa décision repose sur les représentations des productrices ainsi que sur l’analyse et la recommandation du Bureau. Le ministre indique qu’à son avis, les productions en cause offrent « du divertissement ou de l’information combinés à la vente ou à la promotion de biens et de services dans un ensemble presque indiscernable ». Il ajoute que bien au-delà de 15% de la durée des productions est constituée de logos et de segments vantant les services produits et services dont traitent les productions.

II. Jugement de première instance

[14] La Cour fédérale conclut que la décision du ministre est déraisonnable pour deux raisons.

[15] Premièrement, la Cour fédérale considère que le seuil de 15% n’est pas justifié à la lumière des faits et du droit qui contraignent la discrétion du ministre. Il faut donner un sens aux mots qualifiant les productions exclues au paragraphe 1106(1) du Règlement. Par exemple, le sous-alinéa 1106(1)b)(iii) parle d’une « production comportant un jeu »; le sous-alinéa (x) réfère à une « production produite principalement à des fins industrielles »; et le sous-alinéa (xi) parle d’une production « qui consiste en totalité ou en presque totalité en métrage d’archives ». Ces qualificatifs sont déterminants. Ainsi, dans la décision Zone 3, la référence à une « production comportant un jeu » a mené la Cour d’appel fédérale à conclure qu’une production est exclue dès qu’elle comporte un aspect de jeu, même si cet aspect n’est pas important. À l’opposé, en faisant simplement référence à « de la publicité », le sous-alinéa 1106(1)b)(ix) n’utilise pas un adjectif ou un terme qui permettrait de considérer qu’une seule partie d’une production fasse de celle-ci de la publicité. Dans ce contexte, le seuil de 15% n’appartient pas aux issues possibles pouvant se justifier au regard du texte du Règlement.

[16] Deuxièmement, la Cour fédérale est d’avis que la décision du ministre manque de justification en ce sens que les motifs du ministre ne tiennent pas compte d’une préoccupation centrale soulevée par les productrices : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 au para. 127 [Vavilov]. Tel que mentionné, les productrices ont argumenté auprès du Bureau que l’objectif législatif et règlementaire sous-tendant les genres de productions exclues au paragraphe 1106(1) du Règlement est d’éviter que le crédit soit accordé à des productions dont les coûts sont entièrement payés par le commanditaire ou fournisseur de services ou produits. Or, la Cour fédérale constate que ni les préavis de refus ni les lettres du ministre ne répondent à cet argument. Selon la Cour fédérale, cette lacune rend la décision du ministre insuffisamment justifiée et, par conséquent, déraisonnable.

III. Questions en litige

[17] L’appel soulève la question de la raisonnabilité de la décision du ministre de refuser de certifier les productions des productrices. Comme il s’agit d’un appel d’un contrôle judiciaire, notre Cour doit « se met[tre] à la place » de la Cour fédérale pour réviser la décision du ministre et décider si celle-ci est raisonnable : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au para. 46.

[18] L’appel incident, pour sa part, soulève la question de savoir si la Cour fédérale aurait dû émettre une déclaration selon laquelle les définitions de « publicité », prévues aux lignes directrices de 2012 et 2017, sont ultra vires des pouvoirs du ministre.

IV. Analyse

A. L’appel

[19] Le ministre plaide que sa décision est raisonnable : elle fait référence aux dispositions législatives et règlementaires pertinentes; le seuil de 15% sur lequel elle s’appuie est conforme au sens commun du mot « publicité »; et elle s’appuie sur d’autres éléments que le seuil de 15%. De plus, le ministre soutient qu’il n’avait pas à répondre à tous les arguments soulevés par les productrices.

[20] Pour les raisons exprimées ci-dessous, je suis d’opinion que la décision du ministre est raisonnable.

(1) Le ministre a aussi fondé sa décision sur les lignes directrices de 2012

[21] Une lecture globale et contextuelle des motifs du ministre révèle que celui-ci a fondé sa décision sur les lignes directrices de 2012, pas seulement sur celles de 2017. En effet, tel que mentionné au paragraphe [13] ci-dessus, les motifs du ministre indiquent que les productions en litige constituent de la publicité parce qu’elles « offre[nt] du divertissement ou de l’information combinés à la vente ou à la promotion de biens ou de services dans un ensemble presque indiscernable ».

[22] Les représentations des productrices ne contiennent aucun argument qui me mènerait à conclure que cette définition prévue aux lignes directrices de 2012 n’est pas justifiée à la lumière des faits et du droit qui contraignent la discrétion du ministre. Par conséquent, je suis d’avis que le recours à cette définition de « publicité » par le ministre ne rend pas sa décision déraisonnable.

(2) La justification de la décision

[23] Selon les productrices, la décision du ministre est aussi déraisonnable parce qu’elle ne répond pas à leur argument quant à l’objet sous-tendant le paragraphe 1106(1) du Règlement. Le ministre prétend qu’il a répondu à cet argument dans les lignes directrices de 2017. En effet, les paragraphes 8 à 11 des lignes directrices de 2017 portent sur la question de savoir si la présence d’un niveau élevé de financement de la part d’un annonceur ou commanditaire devrait mener à la conclusion qu’une production constitue de la publicité. Les lignes directrices énoncent que, parce qu’un financement ne se traduit pas nécessairement par un contenu promotionnel explicite dans une production, ce critère du financement ne peut constituer un facteur déterminant lorsqu’on décide si une production est de la publicité ou non.

[24] En tenant compte des paragraphes 8 à 11 des lignes directrices de 2017, je suis d’avis que le ministre n’a pas failli à son obligation de justifier sa décision. Une cour de révision doit lire les motifs d’un décideur administratif de façon globale et contextuelle, eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif, ce qui inclut « les politiques ou lignes directrices accessibles au public » : Alexion Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 157 au para. 15 [Alexion] citant Vavilov aux para. 94, 97, 103, 122. En l’espèce, une telle lecture mène à la conclusion que le ministre s’est attardé à cet argument principal.

B. L’appel incident

[25] À mon avis, bien qu’il y ait un problème avec la définition de « publicité » prévue aux lignes directrices de 2017, il n’y a pas lieu de déclarer cette définition et celle des lignes directrices de 2012 comme étant ultra vires des pouvoirs du ministre. Je m’explique.

(1) Le seuil de 15% n’est pas raisonnable

[26] Je considère que le seuil de 15% contenu dans la définition de « publicité » des lignes directrices de 2017 n’est pas justifié à la lumière des faits et du droit qui contraignent la discrétion du ministre. À cet égard, je suis d’accord avec les motifs exprimés par la Cour fédérale et j’ajouterais les motifs suivants.

[27] Je comprends que l’établissement d’un seuil ou pourcentage puisse faciliter la tâche du ministre ainsi que celle des producteurs lorsqu’il est question de déterminer si une production est exclue ou non. Je suis aussi consciente qu’en rédigeant les lignes directrices sur les circonstances qui satisfont aux conditions énoncées dans la définition de certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne au paragraphe 125.4(1), le ministre jouit d’une discrétion étendue en vertu du paragraphe 125.4(7).

[28] Cela dit, cette discrétion n’est pas infinie : Safe Food Matters Inc. c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 19 au para. 47. Comme notre Cour l’a déjà expliqué, « un pouvoir discrétionnaire est toujours soumis aux limites imposées par le sens véritable du texte législatif qui le prévoit et il doit toujours demeurer strictement dans ces limites » : Alexion au para. 40; voir aussi Jozipovic v. British Columbia (Workers’ Compensation Board), 2012 BCCA 174 aux para. 91–105. En l’espèce, le seuil de 15% outrepasse les limites de la discrétion conférée au ministre puisqu’en faisant référence à une « production qui est […] de la publicité » (mon soulignement), le sous-alinéa 1106(1)b)(ix) du Règlement indique que la question de savoir si une production constitue « de la publicité » n’en est pas une de pourcentage. Le contexte du sous-alinéa 1106(1)b)(ix) appuie cette conclusion. En effet, lorsque l’alinéa 1106(1)b) du Règlement exclut une production sur la base d’un pourcentage de son contenu, il utilise un langage qui fait appel à l’idée d’un pourcentage. C’est le cas du qualificatif « en totalité ou presque », qu’on retrouve au sous-alinéa (xi), et qui a été interprété comme signifiant plus de 90% : Weaver c. Canada, 2008 CAF 238 au para. 18 [Weaver]; Canada c. Adams (C.A.), 1998 CanLII 9058 (CAF), [1998] 3 CF 365 à la p. 377. C’est aussi le cas du qualificatif « principalement », qu’on retrouve aux sous-alinéas (iii) et (x), et qui a été interprété comme signifiant plus de 50% : Burger King Restaurants of Canada Inc. c. Canada, 2000 CanLII 14854 (CAF), 2000 CarswellNat 4726 aux para. 9–21; Weaver au para. 18; Ville de Magog c. Canada, 2001 CAF 210 au para. 30. Par ailleurs, en faisant référence à « de la publicité » sans aucun qualificatif, le sous-alinéa 1106(1)b)(ix) du Règlement indique qu’il ne peut s’agir d’une production ayant un simple lien avec de la publicité. Il en serait autrement si le qualificatif « comportant » (in respect of) avait été utilisé comme il l’est au sous-alinéa (iii) : Zone 3 au para. 32; Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29 à la p. 39; Blanchard (E.J.) v. Canada, 1995 CanLII 18940 (FCA), [1995] 2 CTC 262 à la p. 264. Dans ce contexte, le seuil de 15% m’apparaît trop faible pour faire partie des issues possibles pouvant se justifier au regard du texte du Règlement.

[29] Bien que le ministre dispose, en vertu du paragraphe 125.4(7), d’une certaine marge de manœuvre pour ajuster son application du régime règlementaire en cause à l’évolution, par exemple, des pratiques de l’industrie en matière de publicité, cette marge de manœuvre ne peut servir à dénaturer les « productions exclues » prévues au Règlement.

(2) Il n’y a pas lieu de déclarer les définitions ultra vires

[30] Malgré le constat qui précède concernant le seuil de 15%, je suis d’avis que notre Cour ne devrait pas exercer sa discrétion de déclarer que la définition de « publicité » prévue aux lignes directrices de 2017 est ultra vires des pouvoirs du ministre : Shot Both Sides c. Canada, 2024 CSC 12 au para. 67. La Cour suprême enseigne qu’un « jugement déclaratoire ne peut être rendu que s’il a une utilité pratique, c’est‑à‑dire s’il règle un “litige actuel” entre les parties » : Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12 au para. 11, citant Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342. En l’espèce, une déclaration selon laquelle le seuil de 15% est ultra vires ne règlera pas le litige actuel. En effet, étant donné ma conclusion ci-dessus selon laquelle la décision du ministre est raisonnable, le litige devrait être résolu en faveur du ministre, que notre Cour émette une déclaration ou non.

[31] Certes, une déclaration peut être émise lorsqu’elle guiderait de futures décisions gouvernementales et qu’aucun autre moyen approprié ne protégerait les droits en question : Ewert c. Canada, 2018 CSC 30 aux para. 83–84 ; Canada (Prime Minister) c. Khadr, 2010 CSC 3. En l’espèce, même en l’absence d’une déclaration, les décisions subséquentes du ministre quant au crédit devront considérer la présente affaire, notamment, la conclusion que le seuil de 15% est déraisonnable. Si le ministre fonde une décision sur ce seuil de 15%, une cour de révision annulera simplement cette décision. Conséquemment, une déclaration concernant le seuil de 15% n’est pas nécessaire pour guider de futures décisions gouvernementales et, ainsi, n’aurait aucune utilité pratique.

[32] Enfin, en l’absence d’arguments menant à la conclusion que la définition de « publicité » prévue aux lignes directrices de 2012 est déraisonnable, il n’y a pas lieu de déclarer cette définition ultra vires des pouvoirs du ministre.

V. Conclusion

[33] Pour les motifs qui précèdent, j’accueillerais l’appel du ministre, rejetterais l’appel incident, infirmerais le jugement de la Cour fédérale rendu le 3 avril 2023 dans les dossiers T-148-19, T-149-19 et T-150-19, et rejetterais les demandes de contrôle judiciaire dans ces mêmes dossiers T-148-19, T-149-19 et T-150-19. Étant donné le résultat somme toute partagé concernant le bien-fondé des arguments avancés par les parties, je n’accorderais pas de dépens devant cette Cour et mettrais de côté l’adjudication des dépens de la Cour fédérale.

« Nathalie Goyette »

j.c.a.

“Je suis d’accord.

René LeBlanc j.c.a.”

“Je suis d’accord.

Sylvie E. Roussel j.c.a.”

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

A-122-23 (DOSSIER PRINCIPAL)

A-123-23

A-124-23

 

INTITULÉ :

MINISTRE DU PATRIMOINE CANADIEN c. 9616934 CANADA INC., 9501894 CANADA INC., 9849262 CANADA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 avril 2024

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GOYETTE

 

 

Y ONT (A) SOUSCRIT :

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE ROUSSEL

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 JUIN 2024

 

 

COMPARUTIONS :

Nadine Dupuis

Amélia Couture

 

Pour l'appelant

(INTIMÉ INCIDENT)

 

Alexandre Ajami

 

Pour les intimées (APPELANTES INCIDENTES)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour l'appelant

(INTIMÉ INCIDENT)

 

Miller Thomson S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

Pour les intimées (APPELANTES INCIDENTES)

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.