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Date : 20240528


Dossier : 23-A-44

Référence : 2024 CAF 99

Présent : LE JUGE LEBLANC

ENTRE :

ROGERS COMMUNICATIONS CANADA INC.

requérante

et

QUÉBECOR MÉDIA INC.

intimée

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 28 mai 2024.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20240528


Dossier : 23-A-44

Référence : 2024 CAF 99

Présent : LE JUGE LEBLANC

ENTRE :

ROGERS COMMUNICATIONS CANADA INC.

requérante

et

QUÉBECOR MÉDIA INC.

intimée

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE LEBLANC

[1] La Cour est saisie d’un certain nombre de requêtes informelles de la part de l’intimée, Québecor Média Inc. (QMI). Ces requêtes, au nombre de trois et produites sous forme de lettre datée du 11 mars 2024, sont présentées dans le contexte d’une demande d’autorisation d’appel logée par la requérante, Rogers Communications Canada Inc. (Rogers), aux termes du paragraphe 64(1) de la Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, c. 38. Cette demande vise une décision d’arbitrage d’offres finales prise par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le Conseil) en date du 24 juillet 2023, décision suivant laquelle le Conseil a préféré l’offre de QMI à celle de Rogers aux fins de l’établissement des tarifs d’accès de gros pour les exploitants de réseaux mobiles virtuels entre QMI et Rogers (la Décision).

[2] Les présentes requêtes ont principalement pour point de départ une demande de transmission de documents adressée par QMI au Conseil le 22 janvier 2024 en vertu des Règles 317 et 350 des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106 (les Règles), laquelle demande émane à son tour d’une Ordonnance prononcée par cette Cour le 15 décembre 2023. Aux termes de cette Ordonnance (l’Ordonnance de divulgation), la Cour ordonnait au Conseil de divulguer à Rogers les affirmations, analyses et le plan d’affaires déposés sous pli confidentiel par QMI dans le cadre de la Procédure d’arbitrage finale opposant les deux parties. Sur réception de ces documents, Rogers a présenté une requête pour permission d’amender sa demande d’autorisation d’appel (la Requête pour permission d’amender), laquelle a été accordée aux termes d’une ordonnance portant la même date que la présente ordonnance.

[3] Les présentes requêtes découlent aussi d’une Ordonnance de confidentialité prononcée par cette Cour, à la demande de Rogers, à la même date que l’Ordonnance de divulgation, soit le 15 décembre 2023 (l’Ordonnance de confidentialité).

[4] Ces requêtes visent à obtenir ce qui suit :

a) La transmission, par le Conseil, à QMI, sur une base « avocats externes et experts seulement » de certaines informations désignées confidentielles par Rogers dans le cadre de la Procédure d’arbitrage devant le Conseil;

  • b)La reformulation de l’Ordonnance de confidentialité afin d’y ajouter un troisième niveau de confidentialité et de donner accès à un représentant désigné de QMI aux informations confidentielles de Rogers advenant que la Cour en ordonne la transmission aux termes de la première requête; et

  • c)La modification de l’échéancier procédural établi par cette Cour le 7 septembre 2023 quant à la date où QMI devra produire et signifier son dossier de réponse à la demande d’autorisation d’appel amendée de Rogers suivant la survenance de l’un ou l’autre de quatre scénarios liés au succès ou au rejet des deux premières requêtes.

I. La transmission des informations confidentielles de Rogers

[5] QMI soutient que sans ces informations, que le Conseil refuse de lui transmettre sans une ordonnance de la Cour l’obligeant à le faire, elle ne sera pas en mesure de répondre adéquatement à la demande d’autorisation d’appel amendée de Rogers alors que cette dernière pourra invoquer les siennes aux fins de ladite demande, comme le lui permet l’Ordonnance de divulgation. Notamment, il ne lui sera pas possible, dit-elle, de répondre adéquatement au moyen d’appel invoqué par Rogers suivant lequel cette dernière aurait présenté une réponse différente à l’offre finale de QMI si le Conseil ne lui avait pas refusé l’accès aux informations confidentielles de QMI. Cela ne peut se faire, soutient-elle, que si elle a elle-même accès aux informations confidentielles de Rogers.

[6] Rogers soutient, pour sa part, qu’au mieux, QMI a droit à ce que lui soit divulgué la preuve et les représentions écrites confidentielles produites par Rogers en réponse à l’offre finale de QMI, et non l’ensemble de la preuve et des représentations écrites confidentielles qu’elle a produites dans le cadre de la procédure d’arbitrage, comme QMI le réclame. Elle soutient de plus que cette demande de QMI est tardive et contredit les positions antérieures prises par QMI quant à la pertinence, aux fins de la demande d’autorisation d’appel, de l’information confidentielle produite par les parties dans le cadre de la procédure d’arbitrage.

[7] Selon les positions qu’elles occupent dans tout ce débat entourant la transmission des documents qui étaient devant le Conseil, les parties n’offrent pas la même perceptive de la Règle 317 et de son application. Tantôt l’on fait valoir le principe que la Règle 317 consacre, à savoir qu’il autorise à une partie à demander « la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande, qu’elle n’a pas, mais qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande » (Compagnie des chemins de fers nationaux du Canada c. Canada (Office des transports), 2019 CAF 257 au para. 12). Tantôt l’on fait valoir que la Règle 317 ne s’applique pas aux demandes d’autorisation d’appel ou de contrôle judiciaire puisque, à cette étape préalable du processus, l’appel – ou le contrôle judiciaire – n’est pas encore formé (Lukas c. Swoop Inc., 2019 CAF 145).

[8] Quoi qu’il en soit, j’estime que l’Ordonnance de divulgation est venue changer la donne en l’espèce en reconnaissant à la fois la pertinence et divulgabilité des renseignements confidentiels de QMI dont Rogers souhaitait obtenir la communication. Dans ce contexte bien particulier, il est difficile de refuser à QMI ce qui a été accordé à Rogers dans la mesure où QMI recherche la transmission de renseignements de même nature. Si elles sont pour se battre à armes égales aux fins de la demande sous-jacente en autorisation d’appel de la Décision, et ce même si le fardeau que Rogers doit rencontrer n’est pas très élevé, QMI doit donc pouvoir compter, par le biais de ses conseillers externes, sur le même type d’information que celle dont la communication à Rogers a été ordonnée par cette Cour. C’est de cette seule manière, à mon sens, que QMI sera en mesure de répondre adéquatement, toujours dans les limites du test applicable au traitement des demandes d’autorisation d’appel, à l’argument voulant que Rogers, dans sa réponse à l’offre finale de QMI, aurait été mieux en mesure de convaincre le Conseil, si elle avait eu accès à l’information confidentielle de QMI, que son offre finale était supérieure à celle de cette dernière.

[9] Ceci dit, QMI a-t-elle droit à la communication de toutes les représentations écrites, analyses et rapports d’experts soumis par Rogers au Conseil, comme elle le réclame, ou aux seuls renseignements confidentiels contenus à la réponse de Rogers à l’offre finale de QMI, comme le prétend Rogers? À mon sens, la demande de QMI parait ratisser trop large et l’offre de Rogers, pas assez puisque, selon elle, sa réponse à l’offre finale de QMI « was significantly limited ».

[10] Ce qui m’apparait le plus susceptible d’assurer une certaine équité dans le processus d’examen de la demande sous-jacente d’autorisation d’appel, dans les circonstances particulières de la présente affaire, c’est que QMI puisse avoir en mains, en plus de l’information confidentielle dont Rogers ne s’objecte pas à la transmission, des renseignements du même type que ceux obtenus par Rogers aux termes de l’Ordonnance de divulgation, à savoir les affirmations, l’analyse et, si applicable, le plan d’affaires déposés à l’appui de l’offre finale de cette dernière.

[11] Une ordonnance en ce sens sera donc émise, étant entendu, bien évidemment, que la confidentialité de ces renseignements dont la transmission sera ordonnée, sera, pour les fins de ladite demande d’autorisation, assurée par une ordonnance de confidentialité.

II. Modifications à l’Ordonnance de confidentialité

[12] Tel qu’indiqué précédemment, QMI demande aussi que soit reformulée l’Ordonnance de confidentialité afin d’y ajouter un troisième niveau de confidentialité, de manière à reproduire le modus operandi convenu entre les parties dans le cadre de la Procédure d’arbitrage. Cette demande est à l’avantage des deux parties. Rogers, d’ailleurs, ne s’y oppose pas. Il y a lieu, selon moi, d’y faire droit.

[13] QMI demande aussi, et cette question est plus délicate, à ce que l’Ordonnance de confidentialité soit modifiée de manière à ce qu’un de ses représentants, qui serait désigné d’un commun accord par les parties ou, à défaut, par la Cour, soit autorisé à avoir accès aux informations confidentielles de Rogers advenant que la Cour en ordonne la communication. QMI prétend que cet ajout à l’Ordonnance de confidentialité est nécessaire puisqu’elle n’a pas retenu les services d’un expert dans le cadre de la Procédure d’arbitrage devant le Conseil et que sans, à tout le moins, l’appui de l’expertise de ses ressources internes, elle ne pourra répondre à la preuve d’expert de Rogers.

[14] Contrairement à la première demande de modification de l’Ordonnance de confidentialité, Rogers s’oppose farouchement à celle-ci. Elle plaide que QMI sait depuis les tous débuts de la Procédure d’arbitrage qu’elle a engagé les services d’un expert alors que QMI a fait le choix contraire. Elle prétend également que les mesures strictes de protection de l’information confidentielle contenues à l’Ordonnance de confidentialité, lesquelles limitent la circulation de cette information aux avocats et experts externes des deux parties, excluant par le fait même toute idée que ladite information puisse être partagée avec des représentants de l’une ou l’autre des parties, sont le fruit d’une demande commune. Elle rappelle qu’il en est ainsi en raison du milieu hautement compétitif dans lequel les parties œuvrent, milieu où la concurrence entre compétiteurs est féroce. Enfin, Rogers souligne que si QMI souhaite vraiment obtenir l’apport d’un expert pour préparer sa réponse à la demande d’autorisation d’appel amendée, elle n’a qu’à engager un expert externe.

[15] À mon avis, le statu quo établi par l’Ordonnance de confidentialité quant à ceux et celles pouvant avoir accès à l’information confidentielle doit être maintenu et le fait que Rogers amende sa demande d’autorisation d’appel ne doit pas devenir le prétexte pour avantager, sur ce plan, une partie par rapport à l’autre. Ceci dit, rien n’empêche QMI de retenir les services d’un expert externe, si ses avocats externes veulent ce type d’appui dans la préparation de la réponse à ladite demande.

[16] L’Ordonnance de confidentialité sera donc modifiée conformément aux présents motifs.

III. Modifications à l’échéancier procédural

[17] Il n’y a pas de désaccord entre les parties au sujet de cette demande et celle-ci va de soi compte tenu que la date de computation du délai de 20 jours fixé par Directive de cette Cour le 7 septembre 2023 pour le dépôt de la réponse de QMI à la demande d’autorisation d’appel de la Décision, doit être réajustée en raison des requêtes dont la Cour est présentement saisie et du fait que Rogers a été autorisée à amender cette demande.

[18] À la lumière des différents scénarios évoqués par QMI aux fins de la détermination de la date de computation dudit délai de 20 jours, la réponse de QMI à la demande d’autorisation d’appel amendée devra être signifiée et déposée dans les 20 jours de la date à laquelle les informations confidentielles de Rogers, dont la divulgation sera ordonnée dans la mesure prévue aux présents motifs, sont transmises aux avocats externes de QMI par le Conseil.

[19] Rogers demande à ce que cette échéance soit péremptoire. En toutes autres circonstances, cette demande serait justifiée, compte tenu qu’une demande d’autorisation d’appel est une procédure sommaire et que les délais encourus jusqu’à maintenant dans ce dossier, lesquels, il faut toutefois le préciser, ne sont pas attribuables uniquement à QMI, sont importants. Mon hésitation vient du fait que QMI pourrait toujours s’adjoindre les services d’un expert externe. Une certaine souplesse est donc de mise considérant les aléas possibles liés à une telle démarche, qui, il est à souhaiter, est déjà entamée.

[20] Je précise toutefois qu’advenant que QMI dise ne pas être en mesure de rencontrer cette nouvelle échéance, elle devra en demander la prorogation par requête et démontrer, pour réussir, preuve à l’appui, qu’elle a fait preuve de toute la diligence requise à la lumière de toutes les circonstances et que malgré ses meilleurs efforts, il ne lui est pas possible de rencontrer ladite échéance.

[21] Une directive en ce sens, modifiant celle du 7 septembre 2023, sera émise.

« René LeBlanc »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

23-A-44

 

INTITULÉ :

ROGERS COMMUNICATIONS CANADA INC. c. QUÉBECOR MÉDIA INC.

 

REQUÊTE ÉCRITE DÉCIDÉE SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 mai 2024

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jonathan C. Lisus

Crawford G. Smith

Matthew R. Law

John Carlo Mastrangelo

 

Pour LA REQUÉRANTE

 

Cara Cameron

Marie-Pier Cloutier

Joshua Bouzaglou

 

Pour l'intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LAX O'SULLIVAN LISUS GOTTLIEB LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour LA REQUÉRANTE

 

WOODS S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

Pour l'intimée

 

 

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