Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20230726


Dossier : A-188-22

Référence : 2023 CAF 168

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE LOCKE

LA JUGE ROUSSEL

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

BENJAMIN MOORE & CO.

intimée

et

L’INSTITUT DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA, L’ASSOCIATION CANADIENNE DES COMPAGNIES D’ASSURANCES DE PERSONNES ET LE BUREAU D’ASSURANCE DU CANADA

intervenants

Audience tenue à Montréal (Québec), le 16 février 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE ROUSSEL

 


Date : 20230726


Dossier : A-188-22

Référence : 2023 CAF 168

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE LOCKE

LA JUGE ROUSSEL

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

BENJAMIN MOORE & CO.

intimée

et

L’INSTITUT DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA, L’ASSOCIATION CANADIENNE DES COMPAGNIES D’ASSURANCES DE PERSONNES ET LE BUREAU D’ASSURANCE DU CANADA

intervenants

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GAUTHIER

[1] La commissaire aux brevets a refusé d’accorder à Benjamin Moore & Co. (BM) les brevets que cette dernière sollicitait dans les demandes de brevets canadiens no 2 695 130 (la demande de brevet 130) et no 2 695 146 (la demande de brevet 146) qui concernent chacune un système de sélection de couleur. La commissaire a rejeté les demandes au motif que les revendications qui y étaient énoncées visaient un objet non brevetable aux termes de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 (la Loi) et, dès lors, ne respectaient pas l’article 2 de la Loi. Elle est arrivée à cette décision sur le seul fondement que les éléments essentiels des revendications, selon son interprétation, étaient ceux qui fournissent la solution au problème pratique révélé dans les deux demandes et ne comprenaient pas l’ordinateur (« controller » en anglais ou unité de commande) et d’autres composantes connexes conventionnelles.

[2] BM a interjeté appel des décisions de la commissaire devant la Cour fédérale en vertu de l’article 41 de la Loi. Les appels ont été réunis et entendus ensemble. L’Institut de la propriété intellectuelle du Canada (IPIC) a été autorisé à intervenir dans les appels réunis. La situation a de quoi étonner, car le procureur général (PG), ayant concédé que la commissaire avait appliqué le mauvais critère à l’interprétation des revendications, avait convenu que les décisions devaient être annulées, et les demandes renvoyées à la commissaire pour nouvel examen. Les parties avaient même discuté la forme du jugement sur consentement qu’elles envisageaient de proposer à la Cour.

[3] L’IPIC, si elle souscrivait généralement à la thèse de BM quant à la méthode d’interprétation des revendications utilisée par la commissaire en l’espèce, a poussé le débat d’un cran. Elle a demandé à la Cour d’adopter un cadre révisé impératif pour l’évaluation de la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur après l’interprétation téléologique des revendications.

[4] Au moment où les appels ont été entendus par la Cour fédérale, les parties s’entendaient pour dire que cette cour ne devrait pas ordonner à la commissaire de délivrer les brevets ou déterminer la brevetabilité de l’objet des demandes en question, mesures que BM sollicitait dans l’avis d’appel. Ce dernier ne comportait qu’une autre demande : faire renvoyer l’affaire à la commissaire pour nouvel examen. Le seul désaccord entre les participants (parties et intervenants) concernait la question de savoir si cette cour devrait énoncer des instructions impératives et, auquel cas, lesquelles.

[5] La Cour fédérale a accueilli les appels (2022 CF 923, motifs de la CF). Elle était d’avis que, comme le PG l’avait concédé, la commissaire n’avait pas appliqué le bon critère pour déterminer les éléments essentiels des revendications énoncées dans les demandes. Elle avait plutôt opté pour la démarche décrite dans la section 13.05.01 (aujourd’hui 12.02.01) (la version qui est reproduite au paragraphe 10 de la décision de la CF est essentiellement celle qui a servi de fondement aux décisions de la commissaire) du Recueil des pratiques du Bureau des brevets (RPBB) publié par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) qui a depuis été modifié par suite de la décision que la Cour fédérale venait de rendre dans l’affaire Choueifaty c. Canada (Procureur général), 2020 FC 837 (Choueifaty). Dans cette affaire, la Cour fédérale a rejeté une décision de la commissaire, au motif que la démarche d’interprétation des revendications énumérées dans la demande de brevet en question, énoncée à la section 13.05.02(c) du RPBB (aujourd’hui 12.02.02(e)), n’était pas conforme aux principes d’interprétation téléologique reconnus dans les arrêts Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66 (Free World Trust) et Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67 (Whirlpool).

[6] La Cour fédérale a également signalé que la commissaire avait procédé à tort à une analyse relative à la nouveauté dans sa détermination des éléments essentiels des revendications. Une telle démarche est contraire à celle qu’énoncent les arrêts Free World Trust et Whirlpool, qui appelle l’interprétation des revendications avant l’analyse relative à la nouveauté (motifs de la CF, para. 36).

[7] Il appert que la raison pour laquelle BM ne demandait plus à la Cour fédérale d’ordonner la délivrance des brevets était que cela aurait soulevé une question quant à la compétence de cette cour dans l’appel dont elle était saisie. La Cour fédérale convenait qu’il n’était pas judicieux pour elle de se prononcer sur la brevetabilité de l’objet de ces demandes et qu’il était préférable de renvoyer les demandes à la commissaire pour nouvel examen. Or, elle a accepté, à la demande de l’IPIC, d’énoncer dans son jugement des instructions précises à l’intention de la commissaire sous la forme d’un test à appliquer impérativement lorsqu’il s’agit de déterminer la brevetabilité de ces inventions, et présumément d’autres, mises en œuvre par ordinateur. BM et l’IPIC réfèrent à ce test comme étant le « test BM », qui, de leur avis, précise le droit en matière d’inventions mises en œuvre par ordinateur en général (motifs de la CF, para. 33 et 53).

[8] Le test énoncé par la Cour fédérale dans son jugement est ainsi rédigé :

3. Lors de l’examen des demandes visant le brevet 130 et le brevet 146, la commissaire aux brevets doit :

a. interpréter la revendication de manière téléologique;

b. se demander si, dans son ensemble, la revendication interprétée consiste uniquement en un simple principe scientifique ou en une simple conception théorique, ou si elle comprend une application pratique d’un principe scientifique ou d’une conception théorique;

c. si la revendication interprétée comprend une application pratique, évaluer la revendication interprétée en fonction des autres critères de brevetabilité, à savoir les catégories et les exclusions prévues par la loi, ainsi que les aspects nouveaux, le caractère évident et l’utilité.

[9] Devant nous, le PG interjette appel de la décision de la Cour fédérale. L’appel porte uniquement sur le test énoncé au paragraphe 3 du jugement de cette cour. BM a déposé une requête pour faire rejeter l’appel au motif que le PG interjetait appel des motifs et non du jugement comme tel. Le juge Rennie a rejeté la requête (2022 CAF 194) et affirmé que le paragraphe 3 du jugement de la Cour fédérale constituait une directive expresse assimilée à un jugement déclaratoire. La situation n’a rien à voir avec celle où le tribunal renvoie généralement à ses motifs du jugement, qui ne font alors pas partie du dispositif du jugement. Par la suite, l’IPIC, l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) et le Bureau d’assurance du Canada (BAC) ont été autorisés à intervenir dans l’appel.

[10] Tous conviennent que la présente instance est inusitée, et ce pour plusieurs raisons exposées plus loin. D’une part, la commissaire ne veut pas être déclarée coupable d’outrage au tribunal pour son application d’un test qui, selon elle, est ambigu et fait fi de certains arrêts pertinents de notre Cour qui n’ont pas été mentionnés par la Cour fédérale. D’autre part, BM, qui était l’appelante devant la Cour fédérale et a semblé plus que disposée à collaborer avec l’IPIC pour solliciter des instructions, invoque le préjudice qu’elle prétend subir – le temps que le bien-fondé d’un test qu’elle n’a jamais demandé est débattu – pour demander l’instruction accélérée du présent appel.

[11] En outre, la Cour est essentiellement appelée à se prononcer sur l’application de la jurisprudence canadienne actuelle qui porte généralement sur la brevetabilité pour en tirer une démarche que l’on qualifie de « simplifiée » pour déterminer la brevetabilité d’inventions mises en œuvre par ordinateur. Non seulement il s’agit d’un sujet très complexe qui a fait l’objet de débats devant les plus hautes juridictions des États-Unis et d’Australie, mais la jurisprudence canadienne en matière d’inventions mises en œuvre par ordinateur, tout particulièrement lorsqu’il s’agit d’appliquer des exclusions judiciaires ou légales, n’est pas très élaborée et ne compte qu’une poignée de décisions. Qui plus est, la plupart des participants qui ont plaidé devant nous ont critiqué telle ou telle décision, pourtant pertinente dans l’exercice, ou ont tenté de les distinguer de la présente instance tout en affirmant que notre Cour n’était pas appelée à rompre avec la jurisprudence antérieure en application du critère énoncé dans l’arrêt Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370 au paragraphe 10, ni à créer de nouvelles règles de droit.

[12] Enfin, je signale que, malgré la prétention de l’IPIC selon laquelle notre Cour ou la Cour fédérale connaissent rarement d’instances portant sur la brevetabilité d’inventions mises en œuvre par ordinateur, la Cour fédérale est à l’heure actuelle saisie d’un tel dossier (T-657-22). Dans cette affaire, la commissaire a examiné le RPBB révisé suivant la décision Choueifaty par le biais d’une directive intitulée « objet brevetable en vertu de la Loi sur les brevets » (PN-2020-04), qui fait état de la pratique actuelle de l’OPIC. L’instruction de ce dossier a été suspendue jusqu’à l’issue du présent appel. Autrement, la Cour fédérale, dans cette affaire, aurait eu à prendre en compte le test énoncé par la Cour fédérale en l’espèce.

[13] Comme il est expliqué ci-après, j’estime que la Cour fédérale a fait erreur, et ce pour plusieurs raisons, en énonçant le test au paragraphe 3 de son jugement. J’estime également qu’il serait prématuré, voire non judicieux, de tenter de trancher des questions qui n’ont pas encore été examinées en bonne et due forme par les tribunaux canadiens et dont les participants n’ont pas traité adéquatement devant nous. Ainsi, j’accueillerais l’appel, mais seulement en ce qui concerne la radiation du paragraphe 3 du jugement de la Cour fédérale reproduit plus haut. En outre, j’ajouterais comme directive que la commissaire procède selon un calendrier accéléré au réexamen de ces demandes, à la lumière de la version la plus récente du RPBB et des présents motifs.

I. Contexte

[14] Le 8 mai 2020, la commissaire a rendu les décisions par lesquelles elle a rejeté les deux demandes au motif que les revendications portaient sur des objets non brevetables et, dès lors, ne respectaient pas l’article 2 de la Loi, comme il est mentionné plus haut. C’était l’issue recommandée par la Commission d’appel des brevets. Elle a décrit les demandes en ces termes dans les deux décisions qu’elle a rendues : la demande 146 porte sur une « méthode de sélection des couleurs mise en œuvre par ordinateur » qui est axée sur « la prestation de combinaisons de couleurs appropriées compte tenu de la sélection d’un utilisateur à l’égard d’une valeur d’un seuil d’harmonie de couleur ou d’émotion de couleur ». La demande 130 concerne également une « méthode de sélection des couleurs mise en œuvre par ordinateur », mais elle permet l’obtention d’une « cote de couleur combinée de l’utilisateur (p. ex., cote d’harmonie de couleur ou d’émotion de couleur) lorsque l’utilisateur sélectionne au moins trois couleurs à partir d’un inventaire de couleurs » (Benjamin Moore & Co (Re), 2020 CACB 16, au para. 4). Ces deux décisions précèdent celle de la Cour fédérale dans l’affaire Choueifaty, rendue le 21 août 2020.

[15] Le 3 novembre 2020, l’OPIC a publié la directive PN2020-04 dans la foulée de la décision Choueifaty. Ce document, en plus de mettre à jour l’interprétation de l’OPIC quant à l’application des arrêts Free World Trust et Whirpool lorsqu’il s’agit de déterminer les éléments essentiels des revendications, a pour objet d’informer que le principe de la « solution technique à un problème technique » figurant dans divers chapitres du RPBB n’est plus applicable.

[16] Quelques jours plus tard, soit le 9 novembre 2020, BM a interjeté appel des décisions de la commissaire auprès de la Cour fédérale. Les portions les plus pertinentes de la décision de la CF, vu la seule question qui reste à trancher, concernent le test imposé à l’OPIC. Certes, la Cour fédérale a renvoyé aux observations de l’IPIC – suivant lesquelles des directives strictes s’imposaient en raison de la prétendue mauvaise application répétée du droit par l’OPIC, dont les décisions ne se conformaient pas à la jurisprudence Free World Trust, Whirlpool, Shell Oil Co. c. Commissaire des brevets, [1982] 2 R.C.S. 536, 1982 CanLII 207 (CSC) (Shell Oil) et récemment Choueifaty (motifs de la CF, para. 44) –, mais elle n’a tiré aucune conclusion à cet égard. En outre, elle n’a pas abordé la jurisprudence administrative ultérieure à la décision Choueifaty mentionnée par l’IPIC au soutien de sa thèse.

[17] La Cour fédérale a précisé que BM et l’IPIC lui demandaient, non pas de choisir une interprétation donnée des dispositions légales, mais d’ordonner à l’OPIC de « ne pas s’éloigner de la jurisprudence applicable » (motifs de la CF, para. 49). Elle a également reconnu que l’appelante devant elle n’avait sollicité qu’une ordonnance pour enjoindre à l’OPIC d’examiner à nouveau les demandes en conformité avec les principes énoncés dans les arrêts Free World Trust, Whirpool et Shell Oil et de ne pas appliquer « la méthode problème-solution » ou « la démarche de l’essentiel de l’invention » (motifs de la CF, para. 3 et 38). Selon la Cour fédérale, le PG n’a ni affirmé ni nié que le cadre proposé par l’IPIC représentait fidèlement l’état du droit. Il a simplement indiqué que cette cour devrait s’abstenir d’ordonner à la commissaire d’adopter l’interprétation de la jurisprudence privilégiée par l’appelante BM et d’ordonner à l’OPIC d’appliquer le cadre proposé (motifs de la CF, para. 45). Tout au plus, le PG a accepté que la Cour fédérale renvoie la commissaire à la décision Choueifaty pour orienter son réexamen (motifs de la CF, para. 39).

[18] L’explication la plus étoffée des motifs ayant justifié l’adoption du test proposé par l’IPIC se trouve au paragraphe 52 des motifs de la Cour fédérale. Cette dernière y fait observer que les cadres juridiques constituent des questions de droit relevant de la compétence d’un tribunal siégeant en révision. Elle ajoute ensuite simplement que le test proposé par l’IPIC et approuvé par l’appelante devant elle était conforme au raisonnement énoncé par la Cour suprême dans les arrêts Free World Trust et Shell Oil ainsi qu’avec l’invitation de notre Cour dans l’arrêt Amazon.com, Inc. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 328 (Amazon) au paragraphe 68 à adapter « notre compréhension de la nature de “l’exigence du caractère matériel” » de l’objet brevetable au fur et à mesure des progrès technologiques. La Cour fédérale fait également observer que le test proposé par l’IPIC assurerait la cohérence dans l’application des règles de droit aux demandes de brevet par l’OPIC et les tribunaux et dans le traitement des inventions mises en œuvre par ordinateur et des autres types d’inventions (motifs de la CF, para. 53).

[19] À l’instar du PG, signalons que la CF ne traite pas ni ne fait mention dans ses motifs de plusieurs décisions que la commissaire mentionne expressément dans ses décisions, mais ne semble pas avoir jugé nécessaire d’appliquer étant donné son interprétation des revendications.

[20] Je ne discerne aucune explication quant à l’utilité d’un tel test compte tenu de la pratique actuelle de l’OPIC (RPBB révisé et PN2020-04), que la Cour fédérale, dans son analyse, a jugé non pertinente dans le litige dont elle était saisie (motifs de la CF, para. 50), ce qui valait également sans doute pour la réparation à accorder. Qui plus est, cette cour indique en conclusion qu’elle « ordonne à l’OPIC d’adopter la bonne procédure pour interpréter les revendications et identifier les objets brevetables » (motifs de la CF, para. 54). Or, le test énoncé au paragraphe 3 du jugement va au-delà de ces deux éléments de l’analyse de la brevetabilité. En effet, il dicte l’ordre d’examen d’autres éléments pertinents dans l’analyse de la brevetabilité prescrits par la Loi, à savoir la nouveauté, l’évidence et l’utilité. La Cour fédérale n’a pas expliqué pourquoi il lui était loisible de faire fi de la conclusion énoncée par notre Cour au paragraphe 38 de l’arrêt Amazon – suivant laquelle, une fois qu’il est procédé à l’interprétation téléologique, l’analyse quant à l’existence d’un objet brevetable ou non brevetable, à l’évidence, à la nouveauté et à l’utilité peut se dérouler dans n’importe quel ordre.

II. Questions et normes de contrôle

[21] Le PG demande à la Cour de radier le test énoncé au paragraphe 3 du jugement de la Cour fédérale ou, subsidiairement, de le modifier afin qu’il en ressorte que les revendications doivent démontrer [traduction] « plus qu’une simple application pratique ». Ses arguments devant notre Cour invoquent le caractère erroné et l’ambiguïté du test en question. Selon les observations du PG, si le test était confirmé, le Canada se distinguerait des autres pays dans son traitement de l’objet brevetable, tout particulièrement à l’égard des inventions mises en œuvre par ordinateur. Les nouveaux intervenants (l’ACCAP et le BAC) souscrivent en général à la thèse du PG, mais soulèvent d’autres arguments. Ils affirment notamment que la décision Choueifaty a été rendue à mauvais droit et que le test adopté par la Cour fédérale aurait pour effet de modifier les règles de droit sur la brevetabilité (ou la non-brevetabilité) des méthodes d’affaires au Canada, une question d’une importance vitale pour leurs membres.

[22] Une instance somme toute simple, où les deux parties à l’appel prévu par la loi avaient convenu généralement de l’opportunité du renvoi des demandes à l’OPIC pour nouvel examen à la lumière de la décision Choueifaty – parce que la commissaire n’avait pas bien appliqué les principes d’interprétation téléologique servant à déterminer les éléments essentiels des revendications –, a dégénéré en instance que l’on pourrait qualifier de renvoi sur la brevetabilité d’une invention au sens de l’article 2 de la Loi et généralement sur l’interprétation du paragraphe 27(8).

[23] C’est pourquoi, au début de l’audience, la formation de juges a demandé aux parties de lui préciser comment elle pouvait se prononcer de manière générale, sur le fondement de la norme de la décision correcte, à l’égard de l’ensemble des questions soulevées par le test dans un dossier aussi spécifique. A priori, l’appel semblait essentiellement relever davantage du renvoi visant à obtenir un jugement purement déclaratoire sur des questions étrangères aux décisions de la commissaire, qui s’était prononcée sur ce qui appartenait aux éléments essentiels des revendications (décision sur la demande 146, para. 59 à 60; décision sur la demande 130, para. 60 à 61).

[24] À mon avis, le présent appel se résume à une seule question :

La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en énonçant le test en question au paragraphe 3 de son jugement?

[25] Je souligne que le présent appel soulève des questions quant à la nature de la réparation accordée et aux principes pouvant justifier l’octroi de cette réparation qui s’assimile à un jugement déclaratoire. Bien que non déterminantes pour l’issue de l’appel, ces questions doivent néanmoins être abordées et j’y reviens sous la rubrique intitulée « Observations générales ».

[26] Manifestement, les normes de contrôle énoncées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33 (Housen) s’appliquent en l’espèce. Selon la Cour fédérale, déterminer le cadre ou test juridique convenable ne soulevait qu’une simple question de droit assujettie à la norme de la décision correcte. Vu l’absence d’analyse, dans les motifs de la Cour fédérale, quant à la nécessité d’inclure un tel test dans le dispositif de son jugement, il est difficile de discerner en vertu de quel pouvoir la Cour se croyait habilitée à inclure un test dans le dispositif de son jugement dans le cadre d’un appel prévu par la Loi.

[27] Même si l’on présume qu’il était effectivement loisible à la Cour fédérale, en l’espèce, de donner des instructions précises à la commissaire sur la démarche générale d’examen des demandes de brevets relatives à des inventions mises en œuvre par ordinateur, notre Cour est néanmoins appelée à décider si cette cour a commis une erreur en exerçant un tel pouvoir discrétionnaire dans les circonstances. Cette question est assujettie à la norme de l’erreur manifeste et dominante, à moins que la Cour fédérale ait commis une erreur de principe qu’il est possible d’isoler, auquel cas la question serait assujettie à la norme de la décision correcte (Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, para. 79 (Hospira)).

III. Analyse

[28] Dans l’arrêt Amazon, notre Cour fournit des précisions qui sont pertinentes pour l’examen de plusieurs des questions soulevées dans l’appel. Dans cette affaire, elle disposait de la décision rendue par la commissaire et comptant 197 paragraphes ainsi que de l’analyse très détaillée de la Cour fédérale (2010 CF 1011). Ayant décidé que la Cour fédérale avait commis une erreur en procédant à sa propre interprétation téléologique des revendications, notre Cour n’a manifestement pas jugé bon d’énoncer un test de la nature de celui que la Cour fédérale a adopté en l’espèce. Les précisions de notre Cour à l’égard de la détermination de l’objet brevetable étaient fondées sur les éléments mentionnés et analysés par la commissaire, qui a ultimement rejeté la demande présentée par Amazon, et dont la Cour fédérale a également expressément traité. À mon avis, notre Cour ne pouvait tout simplement pas aller plus loin, vu la nature singulière et complexe du dossier factuel et compte tenu du fait que la commissaire n’avait pas encore procédé à l’interprétation en bonne et due forme des revendications. Toutefois, plusieurs passages de l’arrêt Amazon et d’autres affaires invoquées par BM et l’IPIC me convainquent que la Cour fédérale a commis une erreur en adoptant le test en l’espèce.

[29] À en juger par l’absence d’analyse détaillée dans les motifs de la CF, la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle la version actuelle du RPBB (modifié par PN2020-04) n’était pas pertinente et son examen lacunaire de la jurisprudence applicable, il me semble que cette cour, en incluant le test dans son jugement plutôt que dans ses motifs, n’a fait que « parachuter » le test à notre Cour. Une telle démarche, qui se distingue de la situation où le tribunal traite dans des remarques incidentes d’une question qui n’est pas essentielle au règlement du litige dont il est saisi, est déplacée. Ce n’est pas faire preuve de [traduction] « courage judiciaire », comme l’a affirmé l’IPIC devant la Cour fédérale (transcription de l’audience à la CF, T-1340-20, dossier d’appel, vol. 1, onglet 4, p. 105).

[30] Mon analyse commence par des observations générales sur le bien-fondé de la décision de la Cour fédérale d’énoncer un test, qui n’était pas sollicité dans l’avis d’appel de BM, comme si elle rendait un jugement déclaratoire, et ce sans examiner l’affaire au regard du critère relatif aux jugements déclaratoires. J’examine par la suite la teneur du test énoncé au paragraphe 3 du jugement de la Cour fédérale.

A. Observations générales

[31] Comme je l’indique plus haut, les réparations sollicitées par BM à la Cour fédérale n’ont cessé de changer. Dans l’avis d’appel, BM indique qu’elle sollicite une ordonnance portant annulation des décisions de la commissaire, enjoignant à cette dernière d’accueillir les demandes et d’accorder les brevets en question ou de déclarer que les demandes divulguent des inventions au sens de l’article 2 de la Loi et, subsidiairement, une ordonnance enjoignant à la commissaire de réexaminer les demandes. Toutefois, comme il est mentionné plus haut, BM a renoncé à l’audience aux deux premières réparations. Il restait donc seulement l’ordonnance de réexamen. Dans le paragraphe de son mémoire qui traite des ordonnances sollicitées, BM demande une ordonnance enjoignant à l’OPIC d’appliquer le critère relatif à l’interprétation téléologique énoncé dans les arrêts Free World Trust et Whirlpool, ainsi qu’une ordonnance enjoignant à l’OPIC d’écarter la méthode problème-solution ou la démarche de l’invention réelle (dossier d’appel, vol. 1, onglet 7, p. 229, para. 93). Au paragraphe 87 de son mémoire, BM indique que les instructions devraient indiquer qu’il faut appliquer, outre Free World Trust et Whirlpool, l’arrêt Shell Oil. Par conséquent, même si l’arrêt Shell Oil a été mentionné, il n’était pas inclus dans les réparations sollicitées. Dans ses observations principales à l’audience, BM a effectivement dit qu’elle « approuvait » le test proposé par l’IPIC, qu’elle estimait bien-fondé en droit.

[32] Dans la conclusion de sa plaidoirie, le PG a précisé que l’avis d’appel ne comprenait aucune demande quant à l’adoption d’un nouveau cadre juridique comme celui que proposait l’IPIC (transcription de l’audience devant la CF, T-1340-20, dossier d’appel, vol. 1, onglet 4, p. 131). Manifestement, BM savait alors qu’il lui fallait aborder le sujet. En réponse, elle a commencé par rappeler à la cour que l’IPIC n’était pas la partie appelante et qu’à titre d’intervenant, son rôle se limitait à aider la cour à se familiariser avec les questions. Et pourtant, le gros de l’audience avait été consacré à débattre des arguments présentés par l’IPIC (transcription de l’audience devant la CF, T-1340-20, dossier d’appel, vol. 1, onglet 4, p. 133). Force est de reconnaître que BM a raison, vu la définition du terme « partie » prévue aux Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Il est bien établi en droit que les intervenants ne sont pas habilités à demander une réparation que les parties elles-mêmes n’ont pas sollicitée (Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 174, para. 54 à 55; Zak c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 80, para. 4).

[33] Les observations présentées en réponse par BM relativement à la nature de la réparation sollicitée sont nébuleuses. Il en ressort clairement que BM, tout au plus, convenait qu’il était loisible à la Cour fédérale de préciser les règles de droit applicables et d’accepter le cadre juridique proposé par l’IPIC si elle était d’avis qu’il traduisait fidèlement le droit en la matière. Or, BM n'a pas demandé la modification dans son avis d’appel des réparations recherchées.

[34] L’alinéa 337c) des Règles, qui traite des éléments que doit comporter l’avis d’appel, dispose qu’un énoncé précis de la réparation recherchée doit y figurer. Un libellé équivalent figure à l’alinéa 301d) des Règles, qui porte sur la teneur de l’avis de demande. Tel qu’il est mentionné au paragraphe 51 de l’arrêt Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, il nous faut interpréter les actes introductifs d’instance afin de donner une « appréciation réaliste » de leur « nature essentielle » en nous « employant à en faire une lecture globale et pratique, sans [nous] attacher aux questions de forme » (voir également JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, para. 50). Néanmoins, il demeure qu’à moins que l’avis d’appel ne mentionne expressément l’adoption d’un test précis visant l’ensemble des inventions mises en œuvre par ordinateur comme réparation recherchée, une telle mesure ne devrait pas, à quelques exceptions près, être envisagée (Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada Limited, 2016 CAF 218, para. 21 à 22; Boubala c. Khwaja, 2023 CF 658, para. 27; Hendrikx c. Canada (Sécurité publique), 2022 CF 1068, para. 27) (je ne sous-entend pas que la Cour doive acquiescer à cette demande). Je doute sérieusement que les exceptions strictes à ce principe général s’appliquent en l’espèce, vu la portée du test adopté. Il faut prendre garde de ne pas vider de tout sens l’alinéa 337c) des Règles en élargissant l’application de ces exceptions strictes, étant donné tout particulièrement que le PG n’a pas abordé le bien-fondé du test, comme le mentionne la Cour fédérale en l’espèce.

[35] Mentionnons également que la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985) ch. F‑7 ne compte pas de disposition, comme les articles 18.1 (compétences des Cours fédérales en matière de contrôle judiciaire) et 52 (compétence de la Cour d’appel fédérale en matière d’appels) qui habilite expressément la Cour fédérale à donner ce genre d’instructions générales dans le cadre d’un appel prévu à la Loi comme celui dont il est question en l’espèce. Toutefois, l’article 64 des Règles s’applique à toute instance et prévoit le pouvoir des Cours fédérales de prononcer un jugement déclaratoire, lequel, comme toute autre réparation, doit avoir été demandé en bonne et due forme. Or, le tribunal ne peut exercer le pouvoir discrétionnaire qui permet d’accorder une telle mesure qu’après avoir appliqué le critère à quatre volets énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Ewert c. Canada, 2018 CSC 30, au paragraphe 81. En l’espèce, rien ne permet de penser que la Cour fédérale a examiné ce critère. Invoquant les arrêts Steel c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 153, et Construction de défense Canada c. Ucanu Manufacturing Corp., 2017 CAF 133 (Construction de défense), l’IPIC soutenait simplement que le pouvoir discrétionnaire de la Cour fédérale n’était pas limité et que le minimalisme judiciaire ne devait pas être appliqué à la présente affaire.

[36] Toutefois, ces deux décisions traitent de la pratique des cours qui consiste à trancher uniquement les questions dont elles sont saisies et qui sont nécessaires au règlement du litige et à s’abstenir en règle générale de se prononcer sur d’autres questions en obiter, même si elles en ont été saisies régulièrement. Voilà en quoi consiste le minimalisme judiciaire. Je signale que notre Cour, dans l’arrêt Construction de la défense, a refusé de trancher en obiter la prétendue question de droit générale dont elle avait néanmoins été régulièrement saisie par l’appelante au motif que trop peu de décisions en avaient traité, que tous les aspects pertinents de la question n’avaient pas été abordés, que le sujet était complexe et qu’il y avait des considérations importantes de part et d’autre.

[37] En règle générale, faire fi du critère à quatre volets relatif aux jugements déclaratoires en l’espèce constituerait une erreur de principe qui justifierait notre intervention.

[38] Cela dit, comme la formation de juges n’a pas soulevé ces questions à l’audience et n’a donc pas donné l’occasion aux parties d’y répondre, et comme elles ne sont pas essentielles, je me limite à ces observations générales, qui ne jouent pas sur l’issue de l’appel.

B. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en énonçant le test au paragraphe 3 de son jugement?

(a) Interprétation téléologique

[39] Devant la Cour fédérale, le débat a porté sur le fait que la commissaire avait négligé d’appliquer les enseignements de la décision Choueifaty pour déterminer les éléments essentiels des revendications, et sur la teneur de la décision de la Cour fédérale dans cette affaire. Pourtant, cette cour n’a pas donné de précisions à cet égard dans ses motifs ou dans le premier volet du test qu’elle a énoncé. Il n’y avait probablement pas grand-chose à ajouter à la jurisprudence Choueifaty et Amazon sur la démarche d’interprétation téléologique des revendications. Puisque notre Cour n’est pas saisie de l’appel de la décision Choueifaty et que la Cour fédérale en l’espèce devait appliquer la jurisprudence Amazon ainsi que les principes généraux relatifs à l’interprétation téléologique énoncés par la Cour suprême, je n’en dirai pas davantage non plus. Or, je signale que l’erreur commise par la commissaire dans l’affaire Choueifaty et en l’espèce était, non pas qu’elle avait adopté la méthode problème-solution dans le cadre de son évaluation générale de la portée des revendications à la lumière des demandes dans leur ensemble, mais qu’elle avait déterminé les éléments essentiels des revendications sur ce fondement uniquement.

[40] Comme l’affirme sans équivoque la Cour fédérale dans la décision Wenzel Downhole Tools Ltd. c. National-Oilwell Canada Ltd., 2011 CF 1323 (conf. 2012 CAF 333) au paragraphe 61 :

Pour donner une interprétation téléologique aux revendications d’un brevet, il me semble qu’il faudrait comprendre l’objet de l’invention et le problème que l’invention vise à résoudre. La plupart des inventeurs mettent au point des inventions brevetables dans le but de résoudre un problème. Quel problème le brevet 630 visait-il à résoudre?

[41] Un tel énoncé n’a rien de révolutionnaire; les lettres patentes étant assimilées à un règlement au sens du paragraphe 2(1) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985) ch. I‑21. Il est bien établi en droit que l’objet d’un texte législatif et le méfait auquel il est censé remédier sont des considérations pertinentes dans l’interprétation d’un règlement. Or, s’il est pertinent de déterminer le problème et sa solution dans l’interprétation des revendications, il ne s’agit pas du seul aspect ou de l’aspect prédominant dans la détermination de leurs éléments essentiels.

[42] Une compréhension de l’objectif, du problème et de sa solution peut également se révéler utile lorsqu’il s’agit de déterminer à qui le brevet s’adresse. Par exemple, si l’auteur de la demande en l’espèce est une société de peinture, il semble (du moins à mon avis,) que le monopole revendiqué pourrait viser le recours à un système mis en œuvre par ordinateur permettant des choix de couleurs par des artistes, des paysagistes – pour le choix des fleurs –, des fabricants de mobilier ou quiconque procède à la réorganisation d’une garde-robe.

[43] L’interprétation téléologique constitue un exercice difficile, même pour les juges, qui semblent de plus en plus partir du principe que tous les éléments d’une revendication sont essentiels, à moins que le breveté ou le demandeur ne démontre que ce n’est pas le cas. Ainsi, il en a résulté une situation que la Cour suprême n’avait peut-être pas envisagée quand elle s’est prononcée dans les arrêts Free World Trust et Whirlpool, selon notamment les auteurs d’un article récent intitulé « Protection Against Infringement of Patents in Canada » (Ronald E. Dimock et al, « Protection Against Infringement of Patents in Canada » (2021) 36 CIPR 58). Il me semble que s’il y a effectivement recours excessif à tel principe, on accorde ainsi une grande importance à la formulation des revendications et néglige un peu, au moins à l’étape de l’examen de la demande, le fait mentionné dans l’arrêt Amazon suivant lequel les revendications peuvent être exprimées dans des termes trompeurs par leur auteur, par inadvertance ou de manière délibérée (Amazon, para. 44).

[44] Quoi qu’il en soit, j’estime qu’il est exagéré de conclure qu’un décideur administratif spécialisé comme la commissaire refuse d’appliquer la jurisprudence des Cours fédérales et de la Cour suprême en matière d’interprétation téléologique. À mon avis, l’OPIC et la commissaire n’ont tout simplement pas compris toutes les nuances de cet exercice difficile. Il se peut que l’affirmation de notre Cour qui figure au paragraphe 42 de l’arrêt Amazon, suivant laquelle il est pertinent de déterminer « ce que l’inventeur a réellement inventé » eu égard à différents aspects de la brevetabilité, y compris celle de l’objet brevetable en soi, soit au cœur du problème. Comme le fait remarquer le PG, la commissaire n’a pas interjeté appel de la décision Choueifaty, car cette dernière a dissipé la confusion relative à l’interprétation téléologique, notamment le sens du paragraphe 55 de l’arrêt Free World Trust (Choueifaty, para. 38) et la pertinence de nos jours de la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Genencor International Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets), 2008 CF 608 (Choueifaty, para. 34 à 35).

[45] À l’égard du premier volet du test, comme il est mentionné plus haut, je signale que ce dernier ne fournit aucune précision sur la démarche d’interprétation téléologique, mais se limite à indiquer que l’interprétation téléologique est impérative. Personne n’avait dit le contraire.

(b) Objet brevetable

[46] Les dispositions pertinentes de la Loi et de sa version de 1970 mentionnées ci-après sont reproduites à l’annexe des présents motifs.

[47] Le jugement de la Cour fédérale traite de l’objet brevetable aux alinéas 3b et 3c. Dans le premier, en employant les mots « ou si », la Cour fédérale crée une dichotomie entre, d’une part, les exceptions prévues au paragraphe 27(8) de la Loi et, d’autre part, une partie du raisonnement énoncé dans les arrêts Shell Oil et Amazon (nouvelles connaissances qui doivent avoir une application pratique) afin de déterminer si un objet est brevetable comme « réalisation » au sens de la définition d’invention prévue à l’article 2 de la Loi. Ensuite, ce n’est qu’à l’alinéa 3c que la commissaire est invitée à tenir compte des catégories énumérées à la définition prévue à l’article 2 de la Loi (outre la « réalisation » en toute probabilité, pour éviter la redondance), ainsi que les exceptions relatives aux objets brevetables issues de la jurisprudence. Il appert que le test appelle la commissaire à examiner la nouveauté, l’évidence et l’utilité en dernier lieu.

[48] Comme il est mentionné plus haut, la Cour fédérale a commis une première erreur, qui ressort a priori du test, en dictant l’ordre d’analyse de la commissaire et en contredisant ainsi l’affirmation de notre Cour dans l’arrêt Amazon selon laquelle ces éléments relatifs à la brevetabilité peuvent être examinés dans n’importe quel ordre (Amazon, para. 38). Il s’agit d’une erreur fondamentale, car la Cour fédérale a affirmé clairement qu’en adoptant le test, elle suivait simplement la jurisprudence applicable et n’énonçait rien de nouveau.

[49] La deuxième erreur porte sur l’ordre même des volets du test énoncé par la Cour fédérale. Si cette dernière entendait favoriser l’uniformité, elle n’a pas expliqué, ni examiné on dirait, l’ordre des étapes suivies à l’heure actuelle par la commissaire à l’égard d’inventions qui ne sont pas mises en œuvre par ordinateur. En général, l’évaluation de la brevetabilité commence par la détermination de la catégorie d’invention prévue dans la définition de ce terme à l’article 2 de la Loi à laquelle l’objet du brevet appartient.

[50] Les inventions mises en œuvre par ordinateur ne constituent pas une catégorie distincte prévue à l’article 2 de la Loi. Selon la nature de l’invention, cette dernière peut appartenir à l’une ou l’autre catégorie. Un procédé de fabrication peut faire appel à un ordinateur. Il se peut qu’un appareil électroménager perfectionné comporte un élément informatique et qu’un logiciel en améliore le fonctionnement. L’on ne saurait présumer que toutes les inventions mises en œuvre par ordinateur appartiennent à la catégorie « réalisation », non plus que l’on doive donner à ce terme une définition qui inclut toutes les autres catégories énumérées à l’article 2.

[51] Il n’est pas facile de comprendre pourquoi la commissaire devrait examiner les exceptions prévues au paragraphe 27(8) avant de déterminer si l’objet est une invention au sens de l’article 2 de la Loi. Pour des raisons pratiques, il se peut que cette démarche convienne à la commissaire dans certaines circonstances, mais point n’est besoin de l’énoncer dans un test juridique. La juxtaposition des éléments à l’alinéa 3b sous-entend également une interprétation du paragraphe 27(8) de la Loi qui, de fait, fait fi des « exceptions » qui y sont prévues, en exigeant simplement que l’objet tombe sous le coup d’une « réalisation » au sens où l’entend l’article 2 de la Loi.

[52] Devant nous, l’IPIC et BM ont plaidé leur interprétation du paragraphe 27(8), qui s’articule autour de la signification du mot « simples » qui y figure. Toutefois, ils ne s’appuient pas sur des sources portant sur l’interprétation de cette disposition de la Loi. En réponse à une question de la formation de juges, BM a reconnu que ce mot (mere dans la version anglaise) serait équivalent à l’expression « as such » (qui figure dans des exceptions légales en droit anglais et a fait l’objet de plusieurs arrêts de principe). De l’avis de BM, cette exception était censée reproduire les exceptions issues de vieilles décisions de common law. Or, BM n’a pas traité de l’interprétation de ces exceptions dans d’autres pays de common law, comme l’Australie, qui ont appliqué cette jurisprudence ancestrale de common law.

[53] Dans l’arrêt Amazon, notre Cour renvoie au paragraphe 27(8) sans toutefois tenter de l’interpréter. Au paragraphe 60, elle souligne simplement le fait qu’aucun jugement canadien n’a établi de manière concluante que les méthodes commerciales ne constituent pas des objets brevetables. On ne saurait affirmer que sa conclusion quant aux applications pratiques qui satisferaient à la définition prévue à l’article 2 est fondée sur une interprétation du paragraphe 27(8).

[54] Par conséquent, on peut difficilement comprendre comment la Cour fédérale peut affirmer que le volet du test qu’elle a énoncé au paragraphe 3b n’appelle pas d’exercice d’interprétation (motifs de la CF, para. 49), tout simplement parce qu’il reprend le libellé du paragraphe 27(8). En insérant les mots « simple » (« only ») et « ou si » (« or whether »), elle sous-entend une interprétation de cette disposition et crée une dichotomie qui n’est fondée sur aucune jurisprudence ayant interprété la disposition en question de manière définitive.

[55] Quant à l’alinéa 3c du jugement de la Cour fédérale, je ne vois pas pourquoi la commissaire serait tenue d’examiner les exceptions reconnues issues de la jurisprudence seulement à cette étape de l’analyse. Il se peut que ces exceptions s’appliquent aux inventions mises en œuvre par ordinateur, y compris par exemple celles qui relèvent du domaine de la compétence professionnelle (Tennessee Eastman Co. et al. v. Commissioner of Patents, (1970) 62 C.P.R. 117 (C. de l’É.), conf. par [1974] R.C.S. 111 et Lawson v. Commissioner of Patents, [1970] 62 C.P.R. 101) (C. de l’É.). BM reconnaît que, selon la jurisprudence, un objet appartenant à un domaine de compétence professionnelle n’est pas brevetable, mais soutient tout de même qu’une invention mise en œuvre par ordinateur qui a trait à un domaine de compétence professionnelle pourrait l’être si elle [traduction] « comprend une application pratique [qui y fait appel] » (alinéa 3b du jugement de la CF). Il s’agit d’un exemple d’exception issue de la jurisprudence reconnue au Canada (voir l’énumération dans l’arrêt Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, para. 133) qui, à l’instar d’autres exceptions semblables, ont été jugées pertinentes dans d’autres ressorts de common law, comme les États-Unis et l’Australie, lorsqu’il s’agit d’évaluer des inventions mises en œuvre par ordinateur, mais n’ont pas encore été examinées par les tribunaux canadiens.

[56] En ce qui a trait à la dernière partie de l’alinéa 3c de son jugement, la Cour fédérale a jugé bon d’inclure, dans le test qu’elle a imposé, d’autres éléments de la brevetabilité, à savoir la nouveauté, l’évidence et l’utilité, et ce même si la commissaire n’a jamais procédé à l’exercice qu’appellent les articles 28.2 et 28.3 de la Loi (ayant trait, respectivement, à la nouveauté et à l’évidence) dans les décisions dont il est fait appel. La Cour fédérale estimait que la commissaire, qui avait interprété les revendications « en ne définissant que les aspects nouveaux de l’invention », avait en fait procédé à une analyse de la nouveauté (voir le paragraphe 6 plus haut). Par conséquent, il ressort de son choix d’inclure ces éléments dans le test qu’elle jugeait qu’il n’était pas approprié de prendre en compte de quelque façon la nouveauté ou l’ingéniosité dans l’analyse de ce qui constitue une « invention » au sens de l’article 2. Autrement dit, une telle formulation implique que l’on ne doit aborder la nouveauté et l’ingéniosité que dans le cadre des analyses que commandent les articles 28.2 et 28.3 de la Loi. C’est ce qu’avaient soutenu BM et l’IPIC. Or, rappelons que cette question importante, qui a fait l’objet de beaucoup de débats aux États-Unis et en Australie, n’a jamais été examinée par les tribunaux canadiens.

[57] Je tiens à ouvrir une parenthèse expliquant pourquoi je fais allusion à d’autres ressorts de common law dans certaines de mes remarques. Je souscris aux observations de la Cour dans l’arrêt Amazon pour dire qu’il ne serait pas utile de tenter d’expliquer ce qu’il est advenu des demandes de brevet correspondantes présentées par BM dans d’autres pays. D’autant plus que, si des demandes correspondant à la demande de brevet 130 ont été accueillies dans plusieurs pays, seuls les États-Unis ont accordé un brevet à l’égard de la demande correspondant à la demande de brevet 146. Je conviens également que le fait qu’un brevet a été accordé dans un pays à l’égard d’une invention donnée ne démontre pas en soi que cette dernière vise un objet brevetable au Canada. Chaque pays dispose de ses propres règles de droit et pratiques administratives en matière de brevets, qui peuvent se contredire d’un ressort à l’autre sur des aspects importants, tout particulièrement en Europe.

[58] Toutefois, sur le plan du droit strict, les questions relatives à l’interprétation des définitions de ce qui constitue une « invention » dans d’autres ressorts de common law ainsi qu’à l’application des exceptions reconnues issues de la jurisprudence ancestrale de common law ont un rôle à jouer. Par conséquent, la partie qui en connaît l’existence devrait au moins les mentionner au tribunal appelé à trancher. Autrement, c’est risquer de s’aventurer dans une forêt sans savoir quels dangers guettent.

[59] Je ne dis pas qu’il faudrait faire nôtres les solutions adoptées ailleurs, mais j’estime plutôt qu’il serait sage, avant d’énoncer un test impératif, de veiller à ce que nos tribunaux aient eu l’occasion d’examiner de façon appropriée tous les aspects d’une question.

[60] Cela dit, je reviens à la jurisprudence canadienne pour examiner certains aspects des motifs de la Cour suprême dans l’affaire Shell Oil dont notre Cour discute dans l’arrêt Progressive Games, Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets), 2000 CanLII 16577 (CAF) (Progressive Games). Dans cette affaire, la Cour indique qu’il se peut que la nouveauté ou l’ingéniosité importent dans l’interprétation de ce qui constitue une « invention » au sens de l’article 2, contrairement à ce que l’alinéa 3c du jugement de la Cour fédérale semble disposer.

[61] Dans l’affaire Shell Oil, la principale question soumise à la Cour suprême était celle de savoir si l’application pratique de compositions connues à une nouvelle utilisation constituait une « invention » au sens de l’article 2 de la Loi. L’affaire ne portait pas du tout sur l’analyse de la « nouveauté » prévue dans une autre disposition de la Loi, ni sur les exceptions applicables aux objets brevetables, issues de la jurisprudence ou de la Loi.

[62] Les revendications en litige dans cette affaire appartenaient à une catégorie très courante, à savoir elles décrivaient des compositions chimiques fabriquées à partir de composés chimiques mélangés à un adjuvant, qui relèvent généralement de la catégorie des « compositions de matières ». Il ressortait clairement de la demande de brevet, et l’auteur de celle-ci le reconnaissait, que les composés chimiques et l’adjuvant étaient d’usage courant et étaient généralement connus et qu’« il n’y a pas d’innovation » à les mélanger (Shell Oil, p. 538). La seule « découverte » dans ce cas était que les composés chimiques connus présentaient des propriétés utiles comme régulateurs de croissance végétale qui étaient jusqu’alors inconnues (Shell Oil, p. 551 à 552). La jurisprudence examinée par la Cour suprême fournissait certes le contexte général sur le plan du droit, mais comme cette dernière le signale, cette jurisprudence était muette sur la question de savoir si la découverte d’une « utilisation nouvelle » constituait une « réalisation [...] présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité » et donc, une « invention » au sens de l’article 2 de la Loi (Shell Oil, p. 548-549).

[63] Dans cette affaire, la Cour suprême fait de cette question cruciale une analyse qui compte une douzaine de paragraphes. Je souligne ce fait en raison des critiques soulevées à l’audience à propos d’autres jugements qui, selon certains participants, n’étaient pas assez détaillés pour qu’on leur accorde un poids important. La valeur des précédents ne se compte pas au nombre de mots. Aussi, dans chaque cas, il convient d’examiner les faits et la manière dont les parties ont présenté le débat.

[64] Selon la Cour suprême, un « nouvel usage » était présenté comme élément « nouveau », et l’« invention » au sens de l’article 2 consistait en l’application de cette « nouvelle connaissance » pour obtenir le résultat souhaité (Shell Oil, p. 548 à 549). Elle souligne que cette « connaissance » a augmenté le bagage de connaissances au sujet des composés en question en reconnaissant leurs « propriétés jusqu’alors inconnues » en tant que régulateurs de croissance végétale, qui peuvent être exploitées par une application pratique, en l’occurrence les compositions mêmes (Shell Oil, p. 549). Elle ajoute que point n’est besoin que le mélange (la composition même) soit nouveau en soi, sauf dans la mesure où cela est nécessaire pour la réalisation de la découverte, à savoir cet usage particulier du composé chimique (Shell Oil, p. 549). Mentionnons que, contrairement au terme anglais « art », le terme « réalisation » sous-entend une mise en application pratique. Le dictionnaire Larousse le définit en ces termes : « [a]ction de réaliser quelque chose, de le faire passer du stade de la conception à celui de la chose existante; fait de se réaliser, d’être réalisé ». Ce sens se distingue de celui qui est attribué au mot « art » dans les autres parties de la Loi.

[65] Dans l’arrêt Amazon, notre Cour signale que la démarche adoptée dans l’arrêt Shell Oil n’est pas étrangère à celle qui est appliquée dans les arrêts Free World et Whirlpool et que la juge Wilson y procède en fait à une analyse téléologique des revendications (Amazon, para. 46). Pourtant, la Cour suprême ne s’est pas sentie contrainte par le fait que l’article 28 et suivants de la loi de 1970 (article 28.2 de la loi actuelle) prévoyaient une analyse particulière de la nouveauté; elle estime clairement que la nouveauté et l’ingéniosité sont des concepts pertinents lorsqu’il s’agit de décider si un ajout à la connaissance humaine constitue une « invention » au sens de l’article 2, qui exige que toute invention « présent[e] le caractère de la nouveauté et de l’utilité ». Il appert aussi que, selon la Cour suprême, pour qu’un enseignement ou une connaissance constitue une « réalisation », elle doit ajouter au savoir humain sur le sujet.

[66] C’est pourquoi notre Cour, dans l’arrêt Progressive Games, qui concerne uniquement l’absence d’objet brevetable, affirme que la façon de jouer au poker à l’égard de laquelle le monopole était sollicité ne constitue pas « une méthode nouvelle et innovatrice qui sert à appliquer des connaissances ou des compétences selon le sens donné à ces mots dans l’arrêt Shell Oil ». La Cour, comme dans l’arrêt Shell Oil, y examine les modifications apportées à la façon de jouer au poker par rapport aux règles du jeu classiques. Elle confirme la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle, même si les modifications portent sur la manipulation des cartes (présentée comme une réalisation pratique), elles ne suffisent pas à en faire une invention, car elles « ne constituaient pas un apport ou un ajout à l’ensemble des connaissances sur le sujet du jeu » comme l’entend l’arrêt Shell Oil.

[67] Je suis d’accord avec notre Cour lorsqu’elle affirme, au paragraphe 51 de l’arrêt Amazon, qu’en général, la définition du terme « invention » prévue à l’article 2 renvoie à des concepts qui sont aussi visés par d’autres dispositions de la Loi (articles 28.2 et 28.3). Toutefois, comme il est expliqué dans les arrêts Shell Oil et Progressive Games, il ne découle pas de ce qui précède que ces concepts sont alors superflus lorsqu’il s’agit de décider si un objet est visé ou non par la définition du terme « invention » qui est prévue à l’article 2.

[68] Dans l’arrêt Amazon, notre Cour n’examine pas précisément la question de savoir si la nouveauté et l’ingéniosité importent dans l’analyse de la brevetabilité. Elle se limite à affirmer que l’objet ne peut être déterminé « sur le seul fondement de l’idée originale » (Amazon, para. 47). Or, elle dit au paragraphe 42 que « ce que l’inventeur a inventé ou prétend avoir inventé [. . .] sont des questions pertinentes et nécessaires » lorsqu’il s’agit de déterminer si un objet est brevetable (article 2 et exceptions issues de la jurisprudence et de la loi). Cette affirmation est dans le droit fil de l’énoncé de la Cour qui figure à la page 847 de l’arrêt Schlumberger Canada Limited c. Commissaire des brevets, [1982] 1 CF 845, 1981 CanLII 4718 (C.A.F.) [Schlumberger], selon lequel « [p]our savoir si une demande révèle une invention brevetable, il échet d’examiner en premier lieu ce qui, d’après la demande, a été découvert ».

[69] Dans l’arrêt Amazon, notre Cour signale que, dans l’affaire Schlumberger, la demande de brevet avait échoué pour cause d’absence d’objet brevetable au motif que le seul aspect nouveau de l’invention revendiquée consistait en une formule mathématique (Amazon, para. 62). Elle renvoie également à cet « aspect inventif » de l’invention revendiquée au paragraphe 63.

[70] Certes, l’arrêt Amazon ne tranche pas la question de savoir si, une fois qu’elle a procédé à l’interprétation téléologique des revendications, la commissaire peut examiner les concepts de nouveauté et d’ingéniosité lorsqu’elle détermine si un objet est brevetable au titre de l’article 2. Or, à en juger par les motifs dans leur ensemble, cette jurisprudence n’exclut pas un tel exercice.

[71] Je signale également que le juge Binnie, dans l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, au paragraphe 37, mentionne que le monopole conféré par un brevet ne s’acquiert qu’au « prix de divulgations nouvelles, ingénieuses, utiles et non évidentes ». Il semble ainsi laisser entendre que l’ingéniosité se distingue de l’absence d’évidence au sens de l’article 28.3 de la Loi.

[72] Aucun tribunal n’a encore conclu qu’il n’était pas possible, après l’analyse téléologique des revendications, d’examiner ces concepts lorsqu’il s’agit de décider si un objet constitue une « invention » au sens de l’article 2 de la Loi et n’est pas visé par ailleurs par une exception. En outre, les tribunaux canadiens ne se sont pas encore prononcés expressément sur la question de savoir si l’examen de ces concepts sous le régime de l’article 2 diffère des exercices que commandent les articles 28.2 et 28.3 de la Loi.

[73] La décision récente de la Haute Cour d’Australie dans l’affaire Aristocrat Technologies Australia Pty Ltd v. Commissioner of Patents [2022] HCA 29 est pertinente à cet égard. Dans cette affaire, la Haute Cour disposait d’une preuve complète sur la manière dont la personne versée dans l’art comprendrait les revendications et sur les connaissances générales courantes pertinentes. Elle a également signalé que les revendications devaient être interprétées à la lumière de leur contexte, après l’examen du mémoire descriptif dans son ensemble. À mon avis, une telle démarche d’interprétation des revendications semble a priori très semblable à la démarche d’interprétation téléologique énoncée dans les arrêts Free World Trust et Whirlpool. En outre, la loi australienne sur les brevets a conservé la définition de ce qui constitue une invention prévue à l’article 6 de la loi de 1623 sur les monopoles (« any manner of new manufacture » ou en français « quelque nouveau produit manufacturé »). Il ressort de ce fait que la démarche australienne en matière de brevetabilité est ancrée dans les principes traditionnels du droit des brevets issus de la common law.

[74] Le contexte de cet arrêt est inusité. En effet, en raison de l’absence imprévue de l’un des sept juges de la formation, l’affaire a été tranchée par les six autres. Ils ont voté à trois contre trois, et les deux séries de motifs préconisaient des issues différentes. Or, dans les deux séries de motifs, les savants juges reconnaissent que la nouveauté et l’ingéniosité jouent dans l’analyse visant à déterminer si le monopole revendiqué vise une invention au sens de la loi australienne sur les brevets. Dans les deux camps, les juges conviennent que l’objet des revendications, pour constituer une invention au sens de la définition légale, doit présenter un minimum de nouveauté et d’inventivité, et que l’exercice se distingue de celui que commandent les autres dispositions de la loi australienne sur les brevets qui traitent des exigences relatives à la nouveauté et à l’évidence. Il n’est pas nécessaire de préciser en quoi consistait la pomme de discorde dans cette affaire, car je ne la mentionne que pour illustrer mon propos suivant lequel il y a des aspects inhérents à l’analyse de ce qui peut faire l’objet d’un brevet qui n’ont pas encore été pleinement considérés au Canada.

[75] Vu cette réalité, notre formation a demandé à BM de nous expliquer pourquoi tant de ressorts de common law, y compris les États-Unis et l’Australie, semblent tenir compte de la contribution réelle à la connaissance humaine, mais pour des raisons différentes (par exemple, en droit anglais, des exceptions légales sont précédées des mots « as such » ou en français « en tant que tel »). Sans se livrer à l’exercice, BM a simplement répondu que la législation en matière de brevets de chacun diffère de la Loi; partant cette jurisprudence n’était pas pertinente, tout particulièrement vu l’arrêt Amazon.

[76] Je ne suis pas d’accord pour dire que la démarche issue de la common law n’est pas pertinente pour la seule raison que les règles de droit en matière de brevets sont d’origine législative. Dans l’arrêt Shell Oil, la Cour suprême renvoie à d’anciennes décisions de common law fondées sur la définition qu’applique l’Australie. La Cour suprême du Canada renvoie régulièrement à la jurisprudence anglaise portant sur les brevets, et ce même quand elle a établi les principes applicables au Canada relativement à l’interprétation téléologique des revendications, à l’antériorité et à l’évidence, malgré les différences entre la loi anglaise sur les brevets et la nôtre. Manifestement, la Cour suprême estime utiles de prendre en compte des approches développées par les tribunaux anglais. À l’heure actuelle, je ne vois pas pourquoi il faudrait réserver à la jurisprudence australienne un sort différent.

[77] Incidemment, à mon avis, la description par l’IPIC des [traduction] « deux voies » de brevetabilité qui s’appliquent aux États-Unis (voir le mémoire de l’IPIC, para. 51-54) ne traduit pas complètement la situation complexe qui règne dans ce pays de telle sorte qu’on pourrait conclure que l’adoption du test proposé ferait en sorte d’aligner les règles canadiennes sur celles des États-Unis. Il ressort d’une simple lecture du Manuel of Patent Examining Procedure (MPEP) de l’United States Patent and Trademark Office (USPTO), où il tente de simplifier ou d’expliquer ce qui constitue un objet brevetable, tout particulièrement à l’égard des exceptions issues de la jurisprudence (idées abstraites, phénomènes naturels et lois de la nature), que la question est plus complexe que la description brève qu’en fait le mémoire de l’IPIC.

[78] Je suis donc d’avis que rien dans la jurisprudence canadienne actuelle ne permet de limiter l’examen par la commissaire des concepts que sont la nouveauté et l’ingéniosité aux analyses que commandent les articles 28.2 et 28.3 de la Loi, comme il est sous-entendu à l’alinéa 3c du test.

[79] Bref, j’estime qu’outre l’alinéa 3a, le test n’est pas étayé par la jurisprudence canadienne et porte entre autres sur des questions qui n’ont pas encore été examinées. Il contredit également l’arrêt Amazon rendu par notre Cour, qui lie la Cour fédérale. Ces erreurs justifient notre intervention. De plus, point n’était besoin d’inclure l’alinéa 3a dans le jugement; au moment de se présenter devant la Cour, les parties ne contestaient plus que cet énoncé traduisait l’état du droit.

C. Remarques supplémentaires

[80] Compte tenu des considérations expliquées plus haut, et notamment du fait que la jurisprudence canadienne n’a pas encore tranché de manière définitive diverses questions connexes, il ne serait pas judicieux à mon avis de modifier le test énoncé au paragraphe 3 du jugement de la Cour fédérale pour y substituer un autre test. Une telle mesure serait prématurée dans les circonstances, d’autant plus qu’un aspect fondamental, à mon avis, du litige entre les participants concerne la question de savoir si la nouveauté et l’ingéniosité entrent ou non en ligne de compte de quelque façon lorsqu’il s’agit de déterminer si un objet est brevetable. À cet égard, les participants n’ont rien fait de plus que présenter leurs thèses respectives, sans les étayer.

[81] Je me permets néanmoins quelques commentaires susceptibles de se révéler utiles pour l’instant, tant que les questions qui subsistent n’ont pas été tranchées dans une autre instance.

[82] Le PG a exprimé des réserves quant au fait que la Cour fédérale n’avait pas accordé à l’arrêt Schlumberger l’importance qui s’imposait, vu les remarques exprimées par notre Cour au paragraphe 62 de l’arrêt Amazon.

[83] Pour leur part, BM et l’IPIC affirment que la commissaire, en adoptant l’arrêt Schlumberger comme principe général, traite injustement les inventions mises en œuvre par ordinateur et n’applique pas les règles de droit d’une manière neutre sur le plan technologique.

[84] À cet égard, il est utile de répéter qu’il faut faire preuve de prudence avant d’extrapoler des principes d’instances précises tranchées sur le fondement d’un dossier factuel précis pour les appliquer à d’autres instances qui font intervenir d’autres faits et d’employer les « phrases accrocheuses, les expressions et les généralisations » (Amazon, para. 53 à 54), notamment l’expression « neutralité sur le plan technologique ». Cela vaut autant pour la commissaire et l’IPIC.

[85] Il importe que les participants gardent à l’esprit les difficultés particulières que soulève la réalisation d’un objet potentiellement non brevetable par programmation dans un ordinateur au moyen d’une formule ou d’un algorithme (idée abstraite) (Amazon, para. 61). Dans la même veine, la commissaire devrait garder l’esprit ouvert et s’abstenir de conclure hâtivement qu’un objet n’est pas brevetable pour la simple raison qu’il n’implique que le recours à une technologie informatique conventionnelle.

[86] Comme toujours, la question de la brevetabilité en est une où les faits particuliers de l’affaire sont de très haute importance. Il est impossible dans les présents motifs de tenter de définir toute la gamme des circonstances possibles selon la nature d’une invention donnée mise en œuvre par ordinateur, étant donné tout particulièrement la complexité technologique croissante et l’émergence de l’intelligence artificielle.

[87] À une extrémité de la gamme se trouve l’arrêt Schlumberger. Dans cette affaire, aux termes de la revendication, l’ordinateur ne représentait qu’un outil, certes essentiel, qui pouvait traiter les données plus vite qu’une personne humaine. C’est pourquoi notre Cour, au paragraphe 62 de l’arrêt Amazon, souligne qu’il n’y avait rien de nouveau dans l’invention revendiquée dans l’affaire Schlumberger hormis la formule mathématique. Pour reprendre les termes de la Cour suprême dans l’arrêt Shell Oil, je dirais qu’il n’y avait aucune nouvelle connaissance, outre que le recours à un ordinateur permet de traiter les données plus rapidement et efficacement qu’une personne humaine; partant, il n’y avait eu aucun ajout au bagage de connaissances à cet égard. L’invention n’a fait que traduire les données en une langue comprise par un ordinateur.

[88] En fait, il semble que c’est ainsi que la commissaire a interprété et appliqué au départ la décision Schlumberger. En effet, dans l’affaire Application for Patent of Mobil Oil Corp, Re, 1988 LNCPAT 7 (Mobil Oil), les revendications portaient sur le même domaine technologique que celles dont il était question dans l’affaire Schlumberger, et faisaient intervenir des données séismiques. Toutefois, le commissaire a conclu que la méthode revendiquée, qui consistait à filtrer plusieurs inscriptions provenant de plusieurs séismogrammes, produisait un séismogramme amélioré (Mobil Oil, para. 7, 9 et 11). Ce fait suffisait pour établir une distinction d’avec l’affaire Schlumberger. La demande portait donc sur un objet brevetable pour l’application de l’article 2.

[89] L’exemple qui précède démontre que l’aspect difficile consiste souvent à déterminer en quoi consiste la découverte, c’est-à-dire ce qui a été ajouté à la connaissance humaine, pour décider si l’invention revendiquée constitue une application pratique, pour reprendre les termes employés au paragraphe 66 de l’arrêt Amazon.

[90] Quant à l’argument relatif à la neutralité sur le plan technologique, j’estime que l’exemple suivant, qui concerne une demande de brevet relative à un livre, illustre bien mon point de vue.

[91] Prétendons que ce livre porte sur la prise de décisions importantes et qu’il vise à aider le lecteur à fonder ses décisions sur sa situation et ses caractéristiques personnelles. Chaque chapitre a pour sujet une catégorie de décisions, par exemple les décisions financières, les décisions professionnelles et les décisions commerciales, et fournit des recommandations personnalisées au lecteur. Le livre comporte un chapitre introductif qui vise à esquisser le profil général du lecteur, et ce profil servira à orienter les décisions du lecteur dans les différentes catégories visées dans les divers chapitres. Y sont décrits divers traits de personnalité et caractéristiques, fondés sur des notions psychologiques et comportementales bien connues. Le lecteur est invité à remplir un questionnaire, qui ressemble à un test de personnalité. Le résultat du questionnaire détermine le genre de recommandations que le livre offre à ce lecteur, à l’égard des catégories de décisions dont traite chaque chapitre. Les chapitres sont tous rédigés selon le même modèle que le chapitre introductif. Ils fournissent des renseignements sur divers aspects de la prise de décision dans le domaine en question, comme les considérations, démarches, critères et méthodes tirées des connaissances des professionnels du domaine (par exemple, des conseillers financiers ou des propriétaires d’entreprise).

[92] Ce livre pourrait probablement être protégé par le droit d’auteur, même s’il se limite à combiner des connaissances ou des renseignements connus, en raison de la manière dont il exprime et combine ces éléments. En revanche, si l’auteur demandait un brevet visant le livre (et l’incluait au nombre des éléments essentiels des revendications), la brevetabilité dépendrait de la nature de la découverte. Le livre en soi ne constituerait probablement pas un objet brevetable, mais la méthode proposée – qui consiste à combiner l’information de manière à obtenir le résultat souhaité, en l’occurrence les recommandations – est susceptible de l’être, pourvu qu’elle tombe sous le coup de la définition de ce qui constitue une « invention » au sens de la Loi et ne soit pas visée par une exception issue de la jurisprudence ou autre. Toutefois, si la seule nouvelle connaissance est la collecte, la combinaison et la présentation de renseignements généralement connus pour faire des recommandations par le truchement d’un livre, l’objet ne sera probablement pas jugé brevetable, car il ne s’agit vraisemblablement pas d’une « réalisation » qui présente « le caractère de la nouveauté et de l’utilité » aux termes de l’article 2.

[93] Je ne peux concevoir que cette méthode emporte un traitement différent si elle est mise en œuvre par un ordinateur, au moyen d’un algorithme. L’algorithme et le programme ne représenteraient tout simplement qu’un moyen d’organiser et d’écrire les chapitres du livre dans une langue que l’ordinateur (plutôt que le lecteur) peut comprendre et lui permettant de générer des recommandations. Cette information (les recommandations) serait sans doute ainsi générée plus rapidement que si le lecteur était contraint de lire un chapitre donné du livre et de remplir un questionnaire à la main. Cependant, si la seule découverte (la nouvelle connaissance) consiste dans le recours à un ordinateur pour la collecte, la synthèse et la présentation de renseignements généralement connus, que l’on trouverait dans les chapitres du livre, pour générer des recommandations, cette découverte, à l’instar du livre, ne satisfera probablement pas à la définition légale de ce qui constitue une « invention ». Cependant, à l’instar du livre, le logiciel pourrait être protégé par le droit d’auteur.

[94] Autrement dit, si la seule nouvelle connaissance consiste en la méthode en soi, c’est cette méthode qui constitue l’objet brevetable. Toutefois, si la nouvelle connaissance se limite au recours à un outil connu (livre ou ordinateur) comme moyen d’application pratique de la méthode, elle ne sera pas visée par la définition prévue à l’article 2 à moins de présenter une autre composante qui respecte les exigences énoncées au paragraphe 66 de l’arrêt Amazon.

[95] Il semble que la commissaire craigne également qu’un demandeur réussisse à obtenir, par le biais de revendications habilement rédigées, un monopole portant sur un objet qui n’est pas brevetable, si les concepts de la nouveauté et de l’ingéniosité ne jouent pas du tout dans l’examen de la brevetabilité de l’invention (Amazon, para. 44). Selon la commissaire, les exercices qu’appellent les articles 28.2 et 28.3 de la Loi ne permettraient pas de remédier à une telle situation. Malheureusement, à l’heure actuelle, je ne peux rien ajouter, vu les observations très générales qui nous ont été présentées.

[96] À la fin de l’audience, la formation de juges a invité la commissaire à collaborer avec l’IPIC afin de faire en sorte que les questions non encore tranchées par les tribunaux canadiens finissent par leur être soumises en bonne et due forme, en rendant une décision suivant la bonne démarche d’interprétation téléologique des revendications et en fournissant des motifs qui traitent de manière plus exhaustive ces questions.

[97] Le présent appel soulève des questions épineuses et relève d’un domaine complexe. La façon dont les questions ont été soulevées était également inusitée, ce qui n’a pas favorisé l’instruction rapide de l’instance. De ce fait, il était difficile pour la Cour d’offrir aux participants tous les conseils qu’ils souhaitaient recevoir. Enfin, comme il a été mentionné à l’audience et malgré les observations de l’IPIC à cet égard, les présents motifs devaient être rendus dans les deux langues simultanément, puisque l’IPIC a plaidé en français et vu l’importance de la décision et ses répercussions qui se feront sentir bien au-delà des intérêts des participants.

IV. Conclusion

[98] Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis d’accueillir l’appel, de radier le paragraphe 3 du jugement de la Cour fédérale et d’y substituer le paragraphe suivant :

Ce réexamen des deux demandes de brevet doit se faire de manière expéditive et à la lumière de la version la plus récente du RPBB et des présents motifs.

[99] Je n’accorderais pas de dépens.

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

« Je suis d’accord

George R. Locke j.c.a. »

« Je suis d’accord

Sylvie E. Roussel j.c.a. »


ANNEXE

Loi sur les brevets (L.R.C. (1985), ch. P-4)

[…]

[…]

Définitions

Interpretation

Définitions

Definitions

2 Sauf disposition contraire, les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 In this Act, except as otherwise provided,

invention Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité. (invention)

invention means any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement in any art, process, machine, manufacture or composition of matter; (invention)

[…]

[…]

Demandes de brevets

Application for Patents

[…]

[…]

Ce qui n’est pas brevetable

What may not be patented

27 (8) Il ne peut être octroyé de brevet pour de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques.

27(8) No patent shall be granted for any mere scientific principle or abstract theorem.

[…]

[…]

Objet non divulgué

Subject-matter of claim must not be previously disclosed

28.2 (1) L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas :

28.2 (1) The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada (the “pending application”) must not have been disclosed

a) soit plus d’un an avant la date de dépôt de celle-ci, soit, si la date de la revendication est antérieure au début de cet an, avant la date de la revendication, avoir fait, de la part du demandeur ou d’un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

(a) before the one-year period immediately preceding the filing date or, if the claim date is before that period, before the claim date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant, in such a manner that the subject-matter became available to the public in Canada or elsewhere;

b) avant la date de la revendication, avoir fait, de la part d’une autre personne, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

(b) before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the subject-matter became available to the public in Canada or elsewhere;

c) avoir été divulgué dans une demande de brevet qui a été déposée au Canada par une personne autre que le demandeur et dont la date de dépôt est antérieure à la date de la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a);

(c) in an application for a patent that is filed in Canada by a person other than the applicant, and has a filing date that is before the claim date; or

d) avoir été divulgué dans une demande de brevet qui a été déposée au Canada par une personne autre que le demandeur et dont la date de dépôt correspond ou est postérieure à la date de la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a) si :

(d) in an application (the “co-pending application”) for a patent that is filed in Canada by a person other than the applicant and has a filing date that is on or after the claim date if

(i) cette personne, son agent, son représentant légal ou son prédécesseur en droit, selon le cas :

(i) the co-pending application is filed by

(A) a antérieurement déposé de façon régulière, au Canada ou pour le Canada, une demande de brevet divulguant l’objet que définit la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a),

(A) a person who has, or whose agent, legal representative or predecessor in title has, previously regularly filed in or for Canada an application for a patent disclosing the subject-matter defined by the claim, or

(B) a antérieurement déposé de façon régulière, dans un autre pays ou pour un autre pays, une demande de brevet divulguant l’objet que définit la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a), dans le cas où ce pays protège les droits de cette personne par traité ou convention, relatif aux brevets, auquel le Canada est partie, et accorde par traité, convention ou loi une protection similaire aux citoyens du Canada,

(B) a person who is entitled to protection under the terms of any treaty or convention relating to patents to which Canada is a party and who has, or whose agent, legal representative or predecessor in title has, previously regularly filed in or for any other country that by treaty, convention or law affords similar protection to citizens of Canada an application for a patent disclosing the subject-matter defined by the claim,

(ii) la date de dépôt de la demande déposée antérieurement est antérieure à la date de la revendication de la demande visée à l’alinéa a),

(ii) the filing date of the previously regularly filed application is before the claim date of the pending application,

(iii) la date de dépôt de la demande, il s’est écoulé, depuis la date de dépôt de la demande déposée antérieurement, au plus douze mois,

(iii) the filing date of the co-pending application is within twelve months after the filing date of the previously regularly filed application, and

(iv) cette personne a présenté, à l’égard de sa demande, une demande de priorité fondée sur la demande déposée antérieurement.

(iv) the applicant has, in respect of the co-pending application, made a request for priority on the basis of the previously regularly filed application.

[…]

[…]

Objet non évident

Invention must not be obvious

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

28.3 The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

a) qui a été faite, soit plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, soit, si la date de la revendication est antérieure au début de cet an, avant la date de la revendication, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

(a) information disclosed before the one-year period immediately preceding the filing date or, if the claim date is before that period, before the claim date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere.


Loi sur les brevets (L.R.C. (1985), ch. P-4) version de 1970

[…]

[…]

INTERPRÉTATION

INTERPRETATION

Définitions

Definitions

2. Dans la présente loi, ainsi que dans tout règlement ou règle établie, ou ordonnance rendue, sous son autorité,

2. In this Act, and in any rule, regulation or order made under it,

« invention » signifie toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi qu'un perfectionnement quelconque de l'un des susdits, présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité;

"invention" means any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement in any art, process, machine, manufacture or composition of matter;

[…]

[…]

DEMANDES DE BREVETS

APPLICATION FOR PATENTS

Qui peut obtenir des brevets

Who may obtain patents

28. (1) Sous réserve des dispositions subséquentes du présent article, l'auteur de toute invention ou le représentant légal de l'auteur d'une invention qui

28. (1) Subject to the subsequent provisions patents of this section, any inventor or legal representative of an inventor of an invention that was

a) n'était pas connue ou utilisée par une autre personne avant que lui-même l'ait faite

(a) not known or used by any other person before he invented it,

b) n'était pas décrite dans quelque brevet ou dans quelque publication imprimée au Canada ou dans tout autre pays plus

de deux ans avant la présentation de la pétition ci-après mentionnée,

(b) not described in any patent or in any publication printed in Canada or in any other country more than two years before presentation of the petition hereunder mentioned, and

c) n'était pas en usage public ou en vente au Canada plus de deux ans avant le dépôt de sa demande au Canada,

(c) not in public use or on sale in Canada for more than two years prior to his application in Canada,

peut, sur présentation au commissaire d'une pétition exposant les faits (ce que la présente loi indique comme « le dépôt de la demande ») et en se conformant à toutes les autres prescriptions de la présente loi, obtenir un brevet qui lui accorde l'exclusive propriété de cette invention

may, on presentation to the Commissioner of a petition setting forth the facts (in this Act termed the filing of the application) and on compliance with all other requirements of this Act, obtain a patent granting to him an exclusive property in such invention

Demandes de brevets hors du Canada

Applications for patents out of Canada

(2) Un inventeur ou représentant légal d'un inventeur, qui a fait une demande de brevet au Canada pour une invention à l'égard de laquelle une demande de brevet a été faite dans tout autre pays par cet inventeur ou par son représentant légal avant le dépôt de sa demande au Canada, n'a pas le droit d'obtenir au Canada un brevet couvrant cette invention sauf si sa demande au Canada est déposée, soit

(2) Any inventor or legal representative of patents out of Canada an inventor who applies in Canada for a patent for an invention for which application for patent has been made in any other country by such inventor or his legal representative before the filing of the application in Canada is not entitled to obtain in Canada a patent for that invention unless his application in Canada is filed, either

a) avant la délivrance de quelque brevet à cet inventeur ou à son représentant légal couvrant cette même invention dans tout autre pays, soit,

(a) before issue of any patent to such inventor or his legal representative for the same invention in any other country, or

b) si un brevet a été délivré dans un autre pays, dans un délai de douze mois à compter du dépôt de la première demande, par cet inventeur ou son représentant légal, d'un brevet pour cette invention dans tout autre pays.

(b) if a patent has issued in any other country, within twelve months after the filing of the first application by such inventor or his legal representative for patent for such invention in any other country.

Ce qui n'est pas brevetable

What may not be patented

(3) Il ne doit pas être délivré de brevet pour une invention dont l'objet est illicite, non plus que pour de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques.

(3) No patent shall issue for an invention be patented that has an illicit object in view, or for any mere scientific principle or abstract theorem.

Droits des demandeurs selon traité ou convention

Treaty or convention rights of applicants

29. (1) Une demande de brevet d'invention, déposée au Canada par quelque personne ayant le droit d'être protégée aux termes d'un traité ou d'une convention se rapportant aux brevets et auquel ou à laquelle le Canada est partie, qui a, elle-même ou par son agent ou autre représentant légal, antérieurement déposé de façon régulière une demande de brevet couvrant la même invention dans un autre pays qui, par traité, convention ou législation, procure un privilège similaire aux citoyens du Canada, a la même vigueur et le même effet qu'aurait la même demande si elle avait été déposée au Canada à la date où la demande de brevet pour la même invention a été en premier lieu déposée dans cet autre pays, si la demande au Canada est déposée dans un délai de douze mois à compter de la date la plus éloignée à laquelle une telle demande a été déposée dans cet autre pays, ou à compter du 13 juin 1923.

29. (1) An application for a patent for an invention filed in Canada by any person entitled to protection under the terms of any treaty or convention relating to patents to which Canada is a party who has, or whose agent or other legal representative has, previously regularly filed an application for a patent for the same invention in any other country that by treaty, convention or law affords similar privilege to citizens of Canada, has the same force and effect as the same application would have if filed in Canada on the date on which the application for patent for the same invention was first filed in such other country, if the application in this country is filed within twelve months from the earliest date on which any such application was filed in such other country or from the 13th day of June 1923.

Prescription de deux ans

Limitation of two years

29(2) Aucun brevet ne doit être accordé sur une demande de brevet pour une invention qui a été brevetée ou décrite dans un brevet ou dans une publication imprimée au Canada ou dans un autre pays, plus de deux ans avant la date du dépôt réel de la demande au Canada, ou qui a été d'un usage public ou en vente au Canada depuis plus de deux ans avant ce dépôt.

29(2) No patent shall be granted on an application for a patent for an invention that had been patented or described in a patent or publication printed in Canada or any other country more than two years before the date of the actual filing of the application in Canada, or had been in public use or on sale in Canada for more than two years prior to such filing.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ DATÉ DU 17 JUIN 2022 DANS LES DOSSIERS NOS T-1340-20 ET T-1341-20

DOSSIER :

A-188-22

 

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA C. BENJAMIN MOORE & CO. ET L’INSTITUT DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA, L’ASSOCIATION CANADIENNE DES COMPAGNIES D’ASSURANCES DE PERSONNES INC. ET LE BUREAU D’ASSURANCE DU CANADA

 

 

lieu de l’audience :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE de l’audience :

le 16 février 2023

 

motifs du jugement :

La juge GAUTHIER

 

Y ont souscrit :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE ROUSSEL

DATE :

le 26 Juillet 2023

 

COMPARUTIONS

Abigail Browne

Antoine Lippé

James Schneider

 

pour l’appelant

Dino P. Clarizio

 

pour l’intimée

Julie Desrosiers

Michael Shortt

Elaine Ellbogen

 

pour l’intervenant

institut de la propriété intellectuelle du Canada

 

Brian Gray

pour les intervenants

Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes INC. et Bureau d’assurance du Canada

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

pour l’appelant

 

 

Ridout & Maybee LLP

Toronto (Ontario)

 

pour l’intimée

BENJAMIN MOORE & CO.

 

Fasken Martineau DuMoulin, S.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

pour l’intervenant

INSTITUT DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA

 

Brian Gray Law

Toronto (Ontario)

 

pour les intervenants

ASSOCIATION CANADIENNE DES COMPAGNIES D’ASSURANCE DE PERSONNES INC. et BUREAU D’ASSURANCE DU CANADA

 

 

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