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Date : 20230713


Dossier : A-79-23

Référence : 2023 CAF 159

CORAM : LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

Dossier : A-79-23

ENTRE :

GÉRALD MCNICHOLS TÉTREAULT

appelant

et

VILLE DE BOISBRIAND, LE QUARTIERFORESTIA INC. et INVESTISSEMENTS KANATA INC.

intimées

Requête écrite décidée sans comparution des parties

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2023.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20230713


Dossier : A-79-23

Référence : 2023 CAF 159

CORAM: LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

Dossier : A-79-23

ENTRE :

GÉRALD MCNICHOLS TÉTREAULT

appelant

et

VILLE DE BOISBRIAND, LE QUARTIERFORESTIA INC. et INVESTISSEMENTS KANATA INC.

intimées

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE DE MONTIGNY

[1] Les intimées ont présenté une requête en radiation de l’avis d’appel interjeté par l’appelant à l’encontre d’une décision rendue par la Cour fédérale (l’Honorable juge Vanessa Rochester) le 6 février 2023 (2023 CF 168). Les intimées soutiennent que le recours de l’appelant est dépourvu de fondement juridique, et par conséquent voué à l’échec.

[2] L’appelant a intenté une action le 3 mars 2020, réclamant initialement une somme de 26 000 000$ (qu’il a éventuellement amendée au montant de 15 836 724$) pour violation des droits d’auteur qu’il allègue avoir en lien avec le développement des plans pour un projet immobilier intitulé « Écopolis du Boisbriand ». Quelques semaines plus tard, les trois intimées ont déposé des requêtes en radiation sous l’autorité de la Règle 221(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. La juge adjointe Alexandra Steele a fait droit à ces requêtes, et a refusé d’autoriser la demande présentée par l’appelant pour modifier sa Déclaration. Dans ses motifs, la juge adjointe Steele a conclu que la Déclaration amendée constituait plutôt une réponse aux défenses et aux requêtes en radiation des intimées, qu’elle n’était ni utile ni proportionnelle, qu’elle était tardive, qu’elle démontrait un manque de sérieux et qu’elle était contraire à l’intérêt de la justice : voir Ordonnance en date du 3 mars 2022 dans le dossier T-326-20 aux paragraphes 15-17

[3] S’agissant des requêtes en radiation, la juge adjointe Steele a tenu pour avérés les faits contenus dans la Déclaration et s’est dite satisfaite que l’appelant avait plaidé l’existence d’une œuvre littéraire et artistique, qu’il était titulaire des droits d’auteur dans cette œuvre, et qu’il n’avait pas autorisé ou consenti à ce que les intimées reproduisent tout ou partie de son œuvre. Elle s’est cependant dite d’avis que l’appelant n’avait pas allégué que les intimées avaient reproduit tout ou une partie substantielle de l’œuvre protégée par le droit d’auteur. Elle ajoute que même si l’on accepte que les intimées avaient en main (ou emprunté) l’œuvre Écopolis du Boisbriand, il n’y aucun fait substantiel soutenant qu’elles auraient reproduit ou plagié l’œuvre en cause, ni même posé un geste équivalent à copier ou autoriser la copie de cette œuvre. En fait, ce que l’appelant reproche aux intimées, c’est de s’être approprié une idée et non son expression, ce qui ne peut constituer le fondement d’une action en violation du droit d’auteur. Ce constat est au cœur même des motifs de la juge adjointe Steele.

[4] En appel devant la Cour fédérale, l’appelant a invoqué la partialité de la juge adjointe Steele et a repris pour l’essentiel les arguments qu’il avait fait valoir initialement. Après avoir rappelé que les juges gestionnaires d’instance ont droit à une très grande déférence étant donné leur connaissance approfondie des faits et des circonstances du dossier dont ils sont saisis, la juge Rochester a réitéré qu’une allégation de partialité ne peut être faite à la légère dans la mesure où elle remet en question les fondements même de notre système judiciaire. S’appuyant sur les décisions de la Cour suprême dans les affaires Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369 et Cojocaru c. British Columbia Women’s Hospital and Health Centre, 2013 CSC 30, elle a conclu que l’appelant n’avait produit aucun élément de preuve susceptible de rencontrer le fardeau élevé qui lui incombait pour réfuter la présomption d’intégrité et d’impartialité judiciaire.

[5] Quant au mérite de l’appel, la juge Rochester a soigneusement examiné les arguments soulevés par l’appelant pour en arriver à la conclusion que ce dernier n’avait pas clairement identifié une erreur révisable de la part de la juge adjointe Steele. Malgré l’abondante documentation qu’il a soumise dans le cadre de sa Déclaration, l’appelant n’a pas allégué avec quelque degré de précision comment l’œuvre, ou une partie substantielle de celle-ci, aurait été reproduite. L’appelant se contente de plusieurs allégations vagues à l’effet que les intimées se seraient appropriées sa propriété intellectuelle, sans jamais indiquer quelle partie de son œuvre aurait été copiée. Tout au plus allègue-t-il que les intimées se seraient appropriées une idée, soit le concept d’une composante agricole dans leur projet, ce qui n’est pas suffisant pour constituer une violation du droit d’auteur. Il en va de même du concept de marché public retenu par les intimées dans leur projet domiciliaire : nulle part l’appelant n’a-t-il précisé en quoi ce concept est protégé par le droit d’auteur, ni comment la juge adjointe Steele aurait erré en ne reconnaissant pas une telle protection.

[6] La juge Rochester s’est également penchée sur l’argument de l’appelant à l’effet qu’il aurait pu remédier aux déficiences de sa Déclaration identifiées par la juge adjointe Steele s’il avait été autorisé à déposer sa Déclaration amendée. De l’avis de la juge Rochester, la Déclaration, même amendée, souffrait des mêmes défauts que la Déclaration originale. Elle consacre à cette question plusieurs paragraphes de ses motifs étoffés, pour conclure que l’appelant n’a jamais comparé son œuvre avec le corpus publicitaire entourant le projet des intimées pour tenter d’établir que ces dernières ont plagié son œuvre. Tout au plus cette publicité reprend-elle le concept du projet de l’appelant, plutôt que son œuvre en tout ou en partie. Elle a donc conclu que l’appelant ne s’était pas déchargé de son fardeau de démontrer que la juge adjointe Steele avait erré en droit ou avait commis une erreur de fait manifeste et dominante.

[7] L’appelant se pourvoit maintenant en appel devant cette Cour, en soutenant que la juge adjointe Steele et la juge Rochester n’ont pas qualifié ce qu’il revendique comme étant une œuvre et n’ont pas reconnu son droit d’auteur. Il allègue également l’inexactitude de certains faits présentés lors de l’audience devant la juge adjointe Steele et repris par la juge Rochester, et demande essentiellement de réévaluer le contexte factuel en faisant abstraction de l’évaluation qui en a déjà été faite.

[8] Bien qu’il n’existe aucune disposition dans les Règles des Cours fédérales, autorisant le rejet sommaire d’un appel, il ne fait aucun doute que cette Cour peut, dans l’exercice de sa compétence plénière de gérer les litiges dont elle est saisie, rejeter un recours s’il est manifestement voué à l’échec à cause d’un vice fondamental ou de l’absence de bien-fondé : Bernard c. Canada (Institut professionnel de la fonction publique), 2019 CAF 236, au para. 10; Bernard c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 144, au para. 33; Fiederer c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 102, au para. 8; Dugré c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 8, aux paras. 22-23; Lee c. Canada (Service correctionnel), 2017 CAF 228, au para. 15; Lessard-Gauvin c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 147, au para. 8. Il s’agit là d’un pouvoir essentiel pour assurer l’efficacité et l’équité des procédures judiciaires, et pour favoriser l’accès à la justice.

[9] Il va de soi que la norme de contrôle applicable au recours dont on demande le rejet doit être prise en considération. Étant donné que la décision d’accueillir ou non une requête en radiation relève du pouvoir discrétionnaire d’un juge, il faut appliquer à une telle décision les normes élaborées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235. Par conséquent, les conclusions de droit de la juge adjointe Steele, reprises par la juge Rochester, sont assujetties à la norme de la décision correcte, tandis que ses conclusions de fait (ainsi que ses conclusions mixtes de fait et de droit) doivent être évaluées à l’aune de la norme de l’erreur manifeste et dominante : Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, au para. 72; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Gregory, 2021 CAF 33, au para. 7; Smith v. Canada, 2022 FCA 91, aux paras. 12-13 et 15.

[10] Or, l’appelant ne fait valoir aucune erreur de droit ni aucune erreur de fait manifeste ou dominante qui pourrait justifier l’intervention de cette Cour, et ce tant dans son Avis d’appel que dans ses prétentions écrites en réponse à la requête des intimées. L’appelant se contente plutôt de reprendre l’argumentation qu’il avait mise de l’avant devant la juge adjointe Steele, et demande essentiellement à cette Cour de réévaluer les faits et le contexte pertinent en faisant abstraction des conclusions tirées par la juge adjointe. D’autre part, il reproche à cette dernière et à la juge Rochester de ne pas avoir qualifié ce qu’il revendique comme étant une œuvre, et de ne pas lui avoir reconnu un droit d’auteur sur cette œuvre. Ce faisant, l’appelant passe à côté de l’essentiel des jugements qu’il conteste.

[11] Tel que l’a établi la juge adjointe Steele et réitéré par la juge Rochester, l’appelant devait alléguer certains faits substantiels au soutien de son action en violation de droit d’auteur. Il devait non seulement plaider l’existence d’une œuvre littéraire et artistique dont il est titulaire des droits d’auteur, mais également qu’il n’avait pas autorisé les intimées à la reproduire en tout ou en partie. Tenant pour avérés les faits contenus dans la Déclaration et les répliques, la juge adjointe Steele et la juge Rochester ont reconnu que l’existence d’une œuvre littéraire et artistique avait été plaidée, de même que les droits d’auteur que posséderaient l’appelant sur cette œuvre. C’est plutôt au niveau de l’existence de l’œuvre contrefaite que la Déclaration est déficiente. Nulle part l’appelant n’allègue-t-il que les intimées ont reproduit son œuvre, en tout ou en partie. Le seul fait de référer à des communiqués de presse, à un site web ou à des reportages sur le projet des intimées dans les médias ne constitue pas une allégation de reproduction interdite d’une œuvre protégée.

[12] C’est sur cette base, et sur le fait que l’appelant reproche aux intimées de s’être appropriées son idée plutôt que l’expression de cette idée, que la juge adjointe Steele a conclu que l’action en violation de droit d’auteur intentée par l’appelant n’avait aucune chance de succès et devait être radiée. Au terme d’une analyse détaillée des arguments présentés par l’appelant, c’est également la conclusion à laquelle en est arrivée la juge Rochester :

[48] What the Plaintiff appears to fail to appreciate is that despite the very large volume of material in his Statement of Claim, Amended Statement of Claim, and attached documentation, he fails to allege with any detail how the Work, or a substantial part thereof, was reproduced. He makes numerous general allegations that “his intellectual property had been misappropriated by the Defendants”, but never states that a specific part of the Work was copied beyond a general concept or idea, namely the agricultural component.

[13] L’appelant n’est évidemment pas d’accord avec ces conclusions, et c’est son droit le plus strict. Un tel désaccord n’est cependant pas suffisant pour justifier l’intervention de cette Cour, en l’absence d’erreur de droit, de faits ou mixte de faits et de droit. L’appelant n’ayant soulevé aucune telle erreur, je suis d’avis que l’Avis d’appel doit être rejeté, avec dépens.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Richard Boivin »

« Je suis d’accord

René LeBlanc »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-79-23

INTITULÉ :

GÉRALD MCNICHOLS TÉTREAULT c. VILLE DE BOISBRIAND, LE QUARTIERFORESTIA INC. et INVESTISSEMENTS KANATA INC.

 

REQUÊTE ÉCRITE DÉCIDÉE SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

Y ONT SOUSCRIT

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 juillet 2023

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

GÉRALD MCNICHOLS TÉTREAULT

pour l’appelant

SE REPRÉSENTANT LUI-MÊME

 

MATHIEU PICHÉ-MESSIER

STÉPHANIE GASCON

POUR l’INTIMÉE INVESTISSEMENTS KANATA INC.

 

GRACE MAHONEY

POUR L’INTIMÉE VILLE DE BOISBRIAND

DENIS CLOUTIER

THOMAS DOUGHERTY

POUR L’INTIMÉE LE QUARTIERFORESTIA INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MATHIEU PICHÉ-MESSIER

STÉPHANIE GASCON

BORDEN LADNER GERVAIS S.E.N.C.R.L.,

S.R.L.

POUR L’INTIMÉE INVESTISSEMENTS KANATA INC.

 

GRACE MAHONEY

BÉLANGER SAUVÉ S.E.N.C.R.L.

POUR L’INTIMÉE VILLE DE BOISBRIAND

DENIS CLOUTIER

THOMAS DOUGHERTY

CAIN LAMARRE S.E.N.C.R.L.

POUR L’INTIMÉE LE

QUARTIERFORESTIA INC.

 

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