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Date : 20230630


Dossier : A-172-22

Référence : 2023 CAF 153

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

BRUCE SCOTT

intimé

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 28 juin 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 juin 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE ROUSSEL

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GOYETTE

 


Date : 20230630


Dossier : A-172-22

Référence : 2023 CAF 153

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

BRUCE SCOTT

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE ROUSSEL

[1] Le procureur général du Canada (le procureur) fait appel d’un jugement de la Cour fédérale (2022 CF 832) du 6 juin 2022, accueillant la demande de contrôle judiciaire déposée par M. Scott à l’égard d’une décision d’une déléguée du ministre du Travail (la déléguée du ministre). La déléguée du ministre a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour enquêter sur la plainte pour violence en milieu de travail déposée par M. Scott.

[2] M. Scott était employé comme agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et travaillait au point d’entrée du pont Rainbow. Le 18 septembre 2019, M. Scott a déposé une plainte auprès de son employeur, alléguant qu’un incident de violence en milieu de travail s’était produit dans son lieu de travail, pendant qu’il n’était pas en service. Quelques semaines plus tard, il a reçu une lettre de son employeur l’informant que l’ASFC ne prendrait aucune autre mesure concernant sa plainte, étant d’avis qu’il était évident et manifeste que les allégations ne relevaient pas de la définition de la violence dans le lieu de travail.

[3] Insatisfait, M. Scott a déposé une plainte auprès du ministre du Travail, par l’intermédiaire du Programme du travail, fondée sur le refus de l’ASFC de nommer une personne compétente conformément à l’article 20.9 [abrogé depuis, DORS/2020-130, art. 41] du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (DORS/86-304) (le Règlement). Le 13 novembre 2019, la déléguée du ministre a [traduction] « déterminé que le Programme du travail n’a[vait] pas compétence pour enquêter sur [la] plainte, car l’objet de cette dernière rel[evait] de la mission de la Commission canadienne des droits de la personne » (dossier d’appel, p. 119).

[4] Ayant déterminé que le ministre ne dispose pas, en vertu de l’article 127.1 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, (le Code), du pouvoir discrétionnaire de refuser d’examiner une plainte au motif qu’elle relevait de la compétence d’un autre décideur administratif, la Cour fédérale a conclu que la décision de la déléguée du ministre était déraisonnable. La Cour fédérale a annulé la décision et a renvoyé l’affaire à la déléguée du ministre pour nouvel examen.

[5] Le procureur soutient que la Cour fédérale a indûment accueilli la demande de contrôle judiciaire parce qu’elle a amalgamé la responsabilité qui incombe à la déléguée du ministre d’enquêter au titre du paragraphe 127.1(9) du Code et la responsabilité qui incombe à une personne compétente d’enquêter sur une plainte relative à un cas de violence dans un de travail en application de l’article 20.9 du Règlement. Le procureur avance également que la Cour fédérale n’a pas tenu compte des conclusions de notre Cour dans l’arrêt Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 273, dans lequel il est établi que l’employeur n’est pas tenu de désigner une personne compétente s’il est évident que les allégations ne portent pas sur la violence dans le lieu de travail.

[6] Les parties conviennent que, puisque le jugement faisant l’objet du présent appel tranche une demande de contrôle judiciaire, le rôle de notre Cour est de se substituer à la Cour fédérale et de déterminer si celle-ci a sélectionné la norme de contrôle appropriée et l’a bien appliquée. Notre Cour doit en l’espèce se pencher sur la décision rendue par la déléguée du ministre (Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, par. 10 à 12; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, par. 45 à 47).

[7] Je rejetterais l’appel et j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire, mais pour des motifs différents de ceux exposés par la Cour fédérale.

[8] La question déterminante en l’espèce est de savoir si la décision rendue par la déléguée du ministre satisfait aux critères de la décision raisonnable, tels qu’énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65.

[9] À mon avis, ce n’est pas le cas.

[10] Il n’est pas nécessaire qu’une décision administrative soit longuement ou parfaitement motivée pour être raisonnable. Toutefois, la décision doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » (Vavilov, par. 85). Elle doit également posséder « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » et être « justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, par. 100).

[11] En l’espèce, la décision rendue par la déléguée du ministre ne présente pas le degré de justification, d’intelligibilité et de transparence requis.

[12] Tout d’abord, le renvoi à la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) est incompréhensible, étant donné que la plainte ne soulevait aucune question de discrimination.

[13] En outre, lorsque M. Scott a écrit à la déléguée du ministre pour demander des éclaircissements sur sa référence à la CCDP, elle a répondu que M. Scott était [traduction] « un voyageur au moment des faits et non un employé » et qu’en raison de ce fait, le Programme du travail ne pouvait rien faire de plus (dossier d’appel, p. 122). Aucune explication n’a été donnée quant à la raison pour laquelle M. Scott perdrait son statut d’employé lorsqu’il n’est pas en service.

[14] Le procureur a invité la Cour à examiner le registre des activités et le rapport narratif de mission pour le détail des motifs. Bien que je reconnaisse que les motifs doivent être interprétés « de façon globale et contextuelle » et « en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés » (Vavilov, par. 97 et 103), je considère que les extraits sur lesquels le procureur s’appuie sont des assertions non étayées, dépourvues de toute autre justification.

[15] En résumé, la décision ne contient aucune analyse expliquant pourquoi la déléguée du ministre n’avait pas compétence, et les explications données n’étaient pas suffisamment justifiées, intelligibles et transparentes pour que M. Scott, le plaignant, comprenne le raisonnement justifiant le refus de la déléguée du ministre d’examiner sa plainte (Vavilov, par. 95). L’absence d’analyse est d’autant plus gênante que la notion de « harcèlement dans le lieu de travail » est largement tributaire du contexte propre à chaque affaire.

[16] À l’audience, il a été beaucoup question du processus qui donne au ministre compétence pour traiter la plainte de M. Scott. Plus particulièrement, la Cour a voulu déterminer si la plainte avait été traitée en vertu de l’article 127.1 du Code, ou plutôt en vertu de l’article 20.9 du Règlement, ces deux articles étant en vigueur au moment du dépôt de la plainte. La Cour a cherché à savoir si les différentes étapes prévues par la loi avaient été respectées, de manière à ce que la déléguée du ministre ait compétence pour traiter la plainte. Les parties n’ayant pas soulevé cette question et la loi ayant été modifiée depuis, je ne spéculerai pas sur la question de savoir si la déléguée du ministre a été saisie de la plainte en bonne et due forme ou non.

[17] Malgré les habiles observations de l’avocat du procureur, je ne suis pas convaincue que la décision rendue par la déléguée du ministre satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence énoncées dans l’arrêt Vavilov.

[18] Par conséquent, je rejetterais l’appel parce que je suis d’accord avec la Cour fédérale, bien que ce soit pour des motifs différents, que la décision de la déléguée du ministre est déraisonnable et qu’elle doit être annulée et que l’affaire doit être renvoyée pour nouvel examen. Ce nouvel examen devra être réalisé conformément aux présents motifs et la question de la compétence de la déléguée du ministre pour traiter la plainte devra y être analysée. M. Scott a droit aux dépens, d’un montant de 4 500 $, tout compris.

« Sylvie E. Roussel »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Nathalie Goyette, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-172-22

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. BRUCE SCOTT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

28 juin 2023

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE ROUSSEL

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GOYETTE

DATE DES MOTIFS :

30 juin 2023

COMPARUTIONS :

Jena Montgomery

Alexandre Toso

Pour l’appelant

Morgan Rowe

Emily McBain-Ashfield

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’appelant

RavenLaw LLP

Ottawa (Ontario)

Pour l’intimé

 

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