Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20230614


Dossier : A-89-21

Référence : 2023 CAF 139

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE ROUSSEL

 

 

ENTRE :

GABRIEL ROULEAU-HALPIN

appelant

et

BELL SOLUTIONS TECHNIQUES INC.

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 24 novembre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 juin 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE ROUSSEL

 


Date : 20230614


Dossier : A-89-21

Référence : 2023 CAF 139

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE ROUSSEL

 

 

ENTRE :

GABRIEL ROULEAU-HALPIN

appelant

et

BELL SOLUTIONS TECHNIQUES INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

I. Introduction

[1] Notre Cour est saisie d’un appel de la décision rendue par la juge St-Louis de la Cour fédérale par laquelle elle a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’appelant visant la décision rendue par l’arbitre nommé en application du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, dans sa version en vigueur le 9 octobre 2019 (le Code), qui a rejeté la plainte de congédiement injuste de l’appelant. L’arbitre a conclu que le congédiement de l’appelant était visé par l’exception énoncée à l’alinéa 242(3.1)a) du Code, qui prive un plaignant des réparations pour congédiement injuste si le plaignant « a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste ».

[2] Dans ses motifs, dont la référence est 2021 CF 177, la Cour fédérale a conclu, au paragraphe 68, que l’appelant ne l’avait pas convaincue « que les conclusions de l’Arbitre revêtent un caractère irrationnel ou arbitraire et que la décision de l’Arbitre est déraisonnable selon les principes établis ». Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel avec dépens.

II. Les faits et les textes législatifs

[3] Au cours de la deuxième moitié de 2018, l’intimée Bell Solutions Techniques Inc. (BST) a reçu de sa compagnie-mère, BCE Inc., la consigne de réduire ses effectifs pour des motifs économiques. On a donc demandé à la direction de déterminer quels postes de supervision pouvaient être supprimés. L’appelant était superviseur dans la région de Laval, un parmi plusieurs qui chapeautaient 26 techniciens, qui installaient des équipements de télécommunications (télévision, Internet et téléphones fixes) chez les clients.

[4] La sélection des postes à supprimer a été faite par la direction régionale. Le chef des finances de la division, M. Pathak, a mené une analyse, laquelle l’a amené à croire que trois postes pouvaient être supprimés dans la région de Laval, où travaillait l’appelant. Le directeur régional, M. Jean-Luc Riverin, a procédé à sa propre analyse, laquelle a montré que seuls deux postes pouvaient être supprimés et l’objectif a été modifié en conséquence. Le directeur régional a décidé que le poste de l’appelant serait un des postes supprimés, en s’appuyant sur la note donnée à l’appelant pour le critère du leadership dans la grille d’évaluation. Dans son évaluation de mi-année en juin 2018, l’appelant a obtenu la note la plus faible quant à ce critère (« réalisé en partie ») parmi les superviseurs de la région de Laval. Le directeur général a retenu ce critère parce que la direction avait l’intention, après la restructuration, de faire passer de 26 à 28 le nombre de techniciens supervisés par chacun des superviseurs restants.

[5] L’arbitre a commencé son analyse en présentant les dispositions législatives pertinentes du Code :

240 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur si :

240 (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,

may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

242 (3) Sous réserve du paragraphe (3.1), le Conseil, une fois saisi d’une plainte:

242(3) Subject to subsection (3.1), the Board, after a complaint has been referred to it, shall

a) décide si le congédiement était injuste;

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l’appui, à chaque partie ainsi qu’au ministre.

(b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.

(3.1) Le Conseil ne peut procéder à l’instruction de la plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants :

242(3.1) No complaint shall be considered by the Board under subsection (3) in respect of a person if

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste;

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function; or

[…]

[…]

[6] L’arbitre a ensuite noté que, lorsqu’un employeur invoque l’exception prévue au paragraphe 242(3.1), il faut procéder à une analyse en deux volets. Dans le premier volet, l’arbitre doit vérifier que l’on a réellement procédé à une réduction des effectifs. Dans le deuxième volet, l’arbitre doit déterminer si le processus suivi pour choisir les postes à supprimer était raisonnable et ne constituait pas simplement une stratégie de mauvaise foi pour se débarrasser d’un employé en particulier.

[7] L’arbitre a conclu que BST avait entrepris une réelle réduction des effectifs.

[8] L’arbitre a ensuite examiné le processus qui a mené au licenciement de l’appelant. Il a conclu que BST avait fondé sa décision uniquement sur le critère du leadership pour deux raisons. La première raison était que la direction avait l’intention d’augmenter le nombre de techniciens relevant de chaque superviseur et que le leadership était donc important puisqu’il avait un lien direct avec la supervision. La deuxième raison était que les autres éléments de la grille d’évaluation ne permettaient pas de départager les candidats puisqu’il y avait peu d’écart entre les superviseurs quant à ces éléments. L’arbitre a conclu que cette explication n’était pas sans fondement.

[9] L’arbitre a ensuite examiné le caractère adéquat des moyens utilisés pour évaluer les aptitudes en leadership des superviseurs régionaux et il a jugé normal que le rendement soit évalué dans une réunion de la direction où est discuté le mérite de tous les superviseurs.

[10] L’arbitre a rejeté l’observation de l’appelant selon laquelle des superviseurs intérimaires faisant partie de l’unité de négociation auraient dû être licenciés avant lui. Il a conclu que le recours à des superviseurs intérimaires permettait à l’employeur de s’adapter à l’évolution des besoins. En fait, à la fin de la restructuration, on comptait deux postes de superviseur en moins, tandis que le nombre de superviseurs intérimaires n’avait pas augmenté.

[11] L’arbitre a également jugé non pertinent le fait que deux postes soient devenus vacants dans la région de Gatineau lorsque les titulaires de ces postes ont démissionné. Il a noté qu’il devait rendre sa décision en fonction des renseignements connus lorsque la décision de licenciement a été prise, et non en fonction de renseignements qui ont fait surface par la suite. L’arbitre a fait observer que la situation n’aurait pas été la même si un processus d’embauche avait été lancé pour le poste de l’appelant quelques semaines après son licenciement.

[12] En outre, l’arbitre a conclu que, quelle que soit l’animosité qui existait entre l’appelant et sa superviseure, cette animosité n’a pas été présentée d’une manière lui permettant de conclure que l’appelant avait été injustement congédié.

[13] En fin de compte, l’arbitre a conclu que les éléments de preuve ne permettaient pas d’établir que BST avait eu recours à un simulacre de restructuration pour se débarrasser de l’appelant. Par conséquent, l’exception énoncée au paragraphe 242(3.1) du Code s’appliquait et la plainte de l’appelant a été rejetée.

III. Énoncé des questions en litige

[14] L’appelant, dans son avis d’appel, énumère plusieurs motifs d’appel qui peuvent être classés en deux grandes catégories. Premièrement, l’appelant affirme que l’arbitre a manqué à son droit à l’équité procédurale. Il soutient que l’arbitre n’a pas lu ou a mal compris la jurisprudence québécoise. Dans sa décision, l’arbitre s’est dit d’avis que cette jurisprudence n’était pas particulièrement pertinente dans l’affaire dont il était saisi. L’appelant ajoute que l’arbitre a manqué à l’équité procédurale lorsqu’il a accepté des éléments de preuve par ouï-dire sans expliquer pourquoi il rejetait l’opposition de l’appelant quant à leur admission.

[15] Deuxièmement, l’appelant soutient que la décision de l’arbitre est déraisonnable.

IV. Discussion

[16] Comme le présent appel porte sur une décision de la Cour fédérale siégeant comme cour de révision, la tâche de notre Cour consiste à décider si la Cour fédérale a employé la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 45 [Agraira]. Récemment, la Cour suprême du Canada a refusé de donner droit à une demande relative au réexamen de l’arrêt Agraira, ce qui a confirmé que cet arrêt demeure valable : Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, par. 12. Concrètement, l’arrêt Agraira a pour effet que la cour d’appel se substitue à la cour de révision et s’intéresse à la décision administrative proprement dite.

[17] Le premier motif d’appel est le fait que l’arbitre a manqué à l’équité procédurale 1) en ne lisant pas la jurisprudence québécoise qui lui avait été présentée et 2) en acceptant des éléments de preuve par ouï-dire sans se pencher sur l’opposition de l’appelant quant à leur admission.

[18] Dans sa décision, bien qu’il n’ait pas nommé les précédents qui lui avaient été présentés, l’arbitre a traité cette jurisprudence de la manière suivante, au paragraphe 47 de sa sentence :

Je ne vois pas de raison de m’éloigner de ces principes, qui ont été avalisés par la jurisprudence majoritaire. Je note par ailleurs que les décisions auxquelles a référé Me Little sont moins pertinentes, puisqu’elles concernent des recours instaurés par la Loi sur les normes du travail québécoise, qui mettent en cause des textes législatifs bien différents.

[19] Au sujet de cet argument, la Cour fédérale a fait observer que l’appelant n’avait pas indiqué de quelles décisions il s’agissait ni n’avait expliqué en quoi cette jurisprudence aurait changé l’issue de l’affaire. En appel, l’appelant attire l’attention de notre Cour sur plusieurs décisions : Siemens Énergie Canada Ltd c. AIMTA, section locale 2468, district 11, 2021 CanLII 95111 (QC SAT) [Siemens], Câblage Dynamique (2008) inc. c. Kaci, 2017 CanLII 66293 (CA SA) [Câblage Dynamique 2017], Câblage Dynamique (2008) inc. c. Kaci, 2018 CanLII 65801 (CA SA) [Câblage Dynamique 2018], Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins inc., 2014 CSC 51, [2014] 2 R.C.S. 514 [Asphalte Desjardins], et Société Radio-Canada c. Association des professionnels et des superviseurs, 2018 CanLII 119223 (CA SA) [Société Radio-Canada].

[20] L’avocat de l’appelant soutient que, même si l’arbitre a écarté la jurisprudence québécoise, ce dernier avait déjà appliqué de la jurisprudence canadienne dans des affaires québécoises dont il était saisi (Siemens, par. 55) et qu’il avait déjà appliqué de la jurisprudence québécoise dans des affaires assujetties au Code (Câblage Dynamique 2018, par. 94). Bien que cela montre que l’arbitre ait manqué de constance dans son application de la jurisprudence, cela ne prouve pas qu’il ne l’a pas lue.

[21] L’avocat de l’appelant ajoute qu’il existe [traduction] « une présomption défavorable que tirent les tribunaux lorsqu’un employeur fait tout pour éviter de maintenir un lien d’emploi avec un employé » : mémoire des faits et du droit de l’appelant, par. 9. Cette affirmation est dépourvue de renvois à la décision ou aux décisions censées l’appuyer. L’examen de la jurisprudence révèle qu’une affirmation semblable à celle avancée par l’avocat se trouve dans la décision Société Radio-Canada, où l’on peut lire ce qui suit au paragraphe 117 :

La jurisprudence constante enseigne que le défaut pour un employeur d’entreprendre des démarches significatives en vue de garder à son emploi le salarié autrement exposé à un licenciement peut légitimement mener à la conclusion que ce licenciement pourrait cacher un congédiement faussement déguisé en licenciement.

[22] L’avocat de l’appelant affirme que l’arrêt de la Cour suprême Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770 [Wilson], devrait être interprété de manière à uniformiser la jurisprudence canadienne et la jurisprudence québécoise en matière de congédiement injuste. Rappelons que l’une des questions en litige dans l’affaire Wilson était de savoir si les juges pouvaient intervenir, en recourant à la norme de la décision correcte, pour sortir d’une impasse dans la jurisprudence en matière d’arbitrage sur un point précis. Dans cette affaire, la question était de savoir si le paiement du préavis obligatoire en common law signifiait qu’un congédiement n’était pas injuste et n’était donc pas susceptible d’être soumis à l’arbitrage en application du Code. La Cour suprême a conclu que, même dans ces cas, la norme de contrôle restait celle de la décision raisonnable :

Certes, une poignée d’arbitres a adopté une autre démarche d’interprétation du Code, mais comme la Cour l’a dit à maintes reprises, cela ne justifie pas que l’on s’écarte de la norme de la décision raisonnable […]

Wilson, par. 17 [renvois omis].

[23] C’est donc aux arbitres, et non aux juges, de régler les divergences dans la jurisprudence arbitrale : voir Hussey v. Bell Mobility Inc., 2022 FCA 95, 2022 A.C.W.S. 358, par. 63.

[24] Quoi qu’il en soit, la question de l’uniformité de la jurisprudence arbitrale ne se pose pas en l’espèce. Le principe énoncé dans la décision Société Radio-Canada est qu’un arbitre peut tirer une conclusion défavorable lorsque l’employeur omet d’entreprendre « des démarches significatives en vue de garder à son emploi le salarié autrement exposé à un licenciement » : Société Radio-Canada, par. 117. Comme nous le verrons, les faits sur lesquels s’appuie l’appelant ne sont pas tels qu’ils mènent à cette conclusion défavorable.

[25] Sans savoir exactement quels précédents l’appelant a invoqué, il est difficile de savoir si l’arbitre devait à l’appelant de justifier sa réticence à suivre la jurisprudence qui lui était présentée. Il est possible que la différence entre les textes législatifs ait été un motif suffisant. Le fait que l’arbitre n’a pas mentionné la jurisprudence québécoise ne prouve pas qu’il ne l’a pas lue.

[26] L’appelant affirme également que l’arbitre avait manqué à l’équité procédurale en ne souscrivant pas à l’opposition de l’appelant à l’admission de deux éléments de preuve au motif qu’il s’agissait de ouï-dire. Le premier élément de preuve était le témoignage d’un cadre de BST au sujet de l’affichage d’avis sollicitant des candidatures pour des postes de superviseur peu après que l’emploi de l’appelant a pris fin. En contre-interrogatoire, l’avocat a établi que le témoin n’avait pas demandé que l’avis soit affiché, qu’il ne l’avait pas préparé, qu’il ne savait pas quand il avait été demandé et qu’il n’avait pas pris part à la décision de procéder à son affichage.

[27] Le deuxième élément de preuve auquel l’appelant s’est opposé était le communiqué de presse publié par BCE à peu près au moment du licenciement de l’appelant pour annoncer la réduction de 4 % des postes de cadre, soit 700 postes, ce qui lui permettait de réaliser des économies annuelles d’environ 75 millions de dollars.

[28] Dans les deux cas, l’arbitre a accepté les éléments de preuve sans mentionner l’opposition de l’appelant à leur admission.

[29] Le paragraphe 242(3) prévoit que les plaintes sont entendues par le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) de sorte que les arbitres nommés en vertu de l’article 12.001 du Code sont les délégués du Conseil et que leurs décisions sont réputées être des décisions du Conseil : voir le paragraphe 12.001(3) du Code. Le paragraphe 12.001(2) dispose que les arbitres exercent, relativement à l’affaire à l’égard de laquelle ils sont nommés, toutes les attributions conférées au Conseil. L’alinéa 16c) du Code dispose que l’un des pouvoirs du Conseil est le suivant :

16 Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

16 The Board has, in relation to any proceeding before it, power:

[…]

[…]

c) accepter sous serment, par voie d’affidavit ou sous une autre forme, tous témoignages et renseignements qu’à son appréciation, il juge indiqués, qu’ils soient admissibles ou non en justice;

(c) to receive and accept such evidence and information on oath, affidavit or otherwise as the Board in its discretion sees fit, whether admissible in a court of law or not

[…]

[…];

[30] Sur le plan juridique, rien n’empêchait donc l’arbitre d’accepter des éléments de preuve par ouï-dire. En fait, il existait des garanties circonstancielles quant à la fiabilité des éléments de preuve en question.

[31] L’avis d’emploi concernait des postes de superviseur dans toutes les régions du Québec et prévoyait que les candidatures reçues seraient examinées lorsqu’un poste se libérerait. L’objectif était de créer un bassin de candidats qualifiés afin d’accélérer le processus de dotation des postes à pourvoir lorsque des postes devenaient vacants. L’arbitre a conclu que ces éléments de preuve ne contenaient rien d’intrinsèquement improbable.

[32] De même, le communiqué de presse de BCE était un document public. Nous n’avons aucun moyen de savoir ce qui a été répondu à l’avocat de l’appelant pendant l’audience lorsqu’il s’est opposé à l’admission de ces éléments de preuve, mais en temps normal, l’arbitre aurait indiqué pourquoi il ne faisait pas droit à l’objection. L’absence de motifs écrits ne signifie pas qu’aucun motif n’a été donné. Je le répète, la justice des tribunaux administratifs et celle des tribunaux judiciaires sont deux choses différentes. Quoi qu’il en soit, une décision sur l’admission d’un élément de preuve ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale.

[33] L’appelant affirme ensuite que la décision de l’arbitre était déraisonnable pour trois motifs. Premièrement, l’appelant a soutenu que l’analyse de l’arbitre s’arrêtait trois mois avant la date réelle du licenciement.

[34] Cette observation repose sur le fait que l’appelant a été informé de son licenciement le 1er octobre 2018. L’appelant affirme que la date de prise d’effet de son licenciement était le 5 janvier 2019. En fait, voici ce qui est indiqué dans la lettre de licenciement de l’appelant :

Faisant suite à notre discussion d’aujourd’hui, la présente est pour vous aviser qu’en raison de changements dans l’entreprise, votre poste est éliminé et vos services ne seront plus requis à compter d’aujourd’hui. Votre période de continuité salariale prendra fin le 5 janvier 2019 (votre “Date de fin d’emploi”).

Dossier d’appel, p. 95. [Non souligné dans l’original.]

[35] La date du licenciement est pertinente puisqu’à la fin de décembre 2018 et au début de janvier 2019, deux postes de superviseur sont devenus vacants à Gatineau. L’appelant se plaint, à l’alinéa 36k) de son affidavit, que son employeur ne lui a même pas proposé un de ces postes, bien qu’il n’indique pas s’il aurait été prêt à déménager à Gatineau si un poste lui avait été offert. D’après l’affidavit de l’appelant, l’importance de ces postes vacants réside dans le fait que l’appelant invoque le principe selon lequel le défaut d’un employeur de redéployer un employé licencié pour des motifs économiques est un indice important de congédiement déguisé.

[36] L’arbitre a pris en compte ces postes à pourvoir, mais a conclu qu’il devait examiner la conduite de l’employeur à la date de la décision de mettre fin à l’emploi de l’appelant, et non rétrospectivement. Cependant, il a ajouté que la situation aurait été différente si un poste permanent avait été proposé à quelqu’un dans la région de Laval dans les semaines qui ont suivi le licenciement de l’appelant. Il en ressort que l’arbitre ne parlait pas de la rétrospectivité, mais plutôt de l’horizon spatio-temporel. Plus le changement apporté est près du moment et du lieu du licenciement, plus il est probable qu’il soit un indice de congédiement déguisé. Ce raisonnement n’est pas déraisonnable. En l’espèce, le fait que deux postes se soient libérés à Gatineau environ deux mois plus tard n’indique pas, en l’absence d’autres facteurs, que le licenciement de l’appelant était un congédiement déguisé.

[37] Deuxièmement, l’appelant, s’appuyant sur l’arrêt Asphalte Desjardins, affirme qu’il était déraisonnable de la part de l’arbitre de refuser d’examiner les conséquences du préavis raisonnable. Il était question, dans cette affaire, d’un employé qui avait donné à son employeur un préavis de son intention de quitter son emploi dans un délai de trois semaines environ. L’employeur, n’étant pas parvenu à convaincre l’employé de rester, a congédié l’employé immédiatement sans lui verser d’indemnité tenant lieu de délai de congé. Comme l’a indiqué la Cour suprême, il était question dans cet arrêt de l’interaction des dispositions du Code civil du Québec, R.L.R.Q., ch. CCQ-1991, et de la Loi sur les normes du travail, R.L.R.Q., ch. N-1.1, du Québec. La Loi sur les normes du travail ne s’applique pas aux employés assujettis aux lois fédérales.

[38] L’appelant soutient que, tel qu’il a été décidé dans l’arrêt Asphalte Desjardins, la prolongation de son contrat d’emploi pendant la période de préavis nécessitait que l’arbitre tienne compte des postes vacants à Gatineau et de l’offre d’un poste de superviseur dans la région de l’appelant à cette époque. Il ressort du paragraphe 73 du mémoire des faits et du droit de BST que cette observation n’a pas été présentée à l’arbitre. Il est donc difficile de reprocher à ce dernier de ne pas s’être penché sur l’arrêt Asphalte Desjardins.

[39] La lettre de licenciement de l’appelant prévoyait également le versement d’une indemnité équivalente à six mois de salaire à la suite de sa période de continuité salariale. L’appelant considère que l’intégralité de cette période, soit 9,75 mois, constitue sa période de préavis, de sorte que les démissions survenues à Gatineau tombent dans la période de préavis. Cela dit, ceci n’aide en rien l’appelant. La continuation de la période de préavis ne rendrait pas plus convaincante l’inférence négative tirée du fait qu’un employé déclaré excédentaire n’a pas été gardé. L’appelant soutient essentiellement que l’employeur était tenu de conserver une liste de rappel pour que les employés licenciés soient les premiers à se voir offrir les postes vacants. C’est une disposition que l’on retrouve dans bon nombre de conventions collectives, mais le Code ne l’impose pas.

[40] Enfin, l’appelant affirme que la décision de l’arbitre est déraisonnable parce qu’elle ne tient pas compte de l’arrêt Wilson de la Cour suprême.

[41] L’appelant soutient que, puisque la Cour suprême a indiqué, dans l’arrêt Wilson, que le régime québécois de normes du travail présente des similitudes structurelles importantes avec le Code, l’arbitre aurait dû expliquer en quoi les dispositions en vigueur au Québec différaient des dispositions équivalentes du Code :

[traduction]
Bien que l’article 124 de la [Loi sur les normes du travail] et l’article 240 du [Code] soient effectivement formulés différemment, l’arbitre n’explique à aucun moment en quoi le texte dans son ensemble, le contexte et l’objet de ces articles sont foncièrement différents ni pourquoi on devrait les interpréter différemment, compte tenu des conclusions de la Cour suprême dans les arrêts Wilson et Rizzo Shoes.

Mémoire des faits et du droit de l’appelant, par. 32.

[42] Il a été répondu à cette observation en même temps qu’à l’observation de l’appelant concernant l’équité procédurale. La responsabilité d’interpréter de façon uniforme les textes législatifs concernant le licenciement injuste au Québec et en application du Code incombe aux arbitres qui procèdent à cette interprétation.

[43] L’observation de l’appelant selon laquelle il était déraisonnable de la part de l’arbitre de ne pas examiner l’arrêt Wilson ne tient pas.

[44] En fin de compte, on retrouve l’essentiel de la thèse de l’appelant au paragraphe 37 de son mémoire des faits et du droit :

[traduction]
L’arbitre devait également se pencher sur l’observation de l’appelant selon laquelle l’employeur ne pouvait pas simplement supprimer des postes de superviseur (occupés par des employés que l’employeur jugeait indésirables) en affirmant qu’il y avait trop de superviseurs, tout en accordant des promotions « temporaires » à des employés syndiqués (qui avaient un rendement élevé selon l’employeur) parce qu’il n’y avait pas suffisamment de superviseurs.

[45] L’appelant, dans son exposé du problème (abstraction faite de ses commentaires), passe sous silence le fait que BCE opérait une restructuration au cours de laquelle des employés de BST ont été licenciés. Conformément à la directive transmise par BCE et précisée par M. Pathak, chaque région devait supprimer un nombre donné de postes. L’appelant ne pouvait pas sérieusement prétendre que toute cette opération n’était qu’un subterfuge destiné à se débarrasser de lui. Au paragraphe 52 de sa sentence, l’arbitre a conclu qu’il s’agissait d’une restructuration légitime.

[46] La question était donc de décider qui licencier. L’arbitre a examiné les critères utilisés pour sélectionner les employés malchanceux et a conclu que rien ne permettait de croire que ces facteurs étaient déraisonnables.

[47] La plainte de l’appelant tient au fait qu’il a perdu son emploi alors que des superviseurs [traduction] « temporaires » ont conservé le leur. Selon l’appelant, ces superviseurs auraient dû être licenciés avant lui. Cet argument ne tient pas compte du fait que la restructuration au sein de BST visait le personnel de supervision permanent. Il revient essentiellement à faire valoir que la restructuration aurait dû se dérouler autrement. Ce n’est pas une conclusion qu’aurait pu tirer l’arbitre.

[48] L’appelant révèle, dans son affidavit, qu’il était très troublé par le fait que l’un des superviseurs temporaires avait été promu à un poste permanent en juin 2019, neuf mois environ après que l’appelant a été informé de son licenciement. Ceci l’a amené à penser que son licenciement était un congédiement déguisé. On peut comprendre pourquoi il était de cet avis, sans nécessairement convenir que son point de vue est fondé.

[49] Malheureusement, l’arbitre n’a pas examiné cette question de manière explicite. Cependant, à la lecture du paragraphe 59 de la sentence arbitrale, on constate que l’arbitre s’est fondé sur une période beaucoup plus courte que celle prise en compte par l’appelant :

La situation serait évidemment différente si l’employeur avait mis fin à l’emploi de M. Rouleau-Halpin en justifiant son geste par le besoin de réduire ses effectifs et qu’il avait ensuite procédé à des embauches pour ce type d’employés, sur le territoire de Laval, quelques semaines plus tard. Il serait en effet alors possible de deviner l’existence d’un prétexte qui illustrerait la mauvaise foi de l’employeur. [Non souligné dans l’original.]

[50] Ce passage montre assez clairement que l’arbitre, bien que réticent à tenir compte du comportement de l’employeur après le licenciement, était disposé à le faire si le comportement dénoncé par l’appelant avait eu lieu quelques semaines après la décision de licencier l’appelant et était tel que l’on pouvait conclure que l’employeur avait agi de mauvaise foi. Il ressort manifestement de ce passage que l’arbitre n’allait pas examiner un comportement survenu des mois plus tard. Étant donné que le comportement dont l’appelant se plaint en l’espèce est survenu plusieurs mois après la décision de licencier l’appelant, la réticence de l’arbitre n’était pas déraisonnable.

V. Conclusion

[51] Je conclus donc qu’il n’y a pas eu de manquement au droit à l’équité procédurale de l’appelant et que la décision de l’arbitre était raisonnable. Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel avec dépens.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Sylvie E. Roussel j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-89-21

 

 

INTITULÉ :

GABRIEL ROULEAU-HALPIN c. BELL SOLUTIONS TECHNIQUES INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 novembre 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

la juge rivoalen

LA JUGE ROUSSEL

 

DATE DES MOTIFS :

le 14 juin 2023

 

COMPARUTIONS :

Jérémy H. Little

 

Pour l’appelant

 

Maryse Tremblay

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Orenstein

Montréal (Québec)

 

Pour l’appelant

 

Borden Ladner Gervais

Montréal (Québec)

 

Pour l’intimée

 

 

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