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Date : 20230531


Dossier : A-13-22

Référence : 2023 CAF 119

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

JILL ANDREWS

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 29 mai 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 mai 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE MACTAVISH

 


Date : 20230531


Dossier : A-13-22

Référence : 2023 CAF 119

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

JILL ANDREWS

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LASKIN

  • [1]La demanderesse, Mme Andrews, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (2021 CRTESPF 137). Dans sa décision, la Commission a rejeté sa demande présentée en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, DORS/2005-79, en vue d’obtenir une prorogation de délai pour le dépôt d’un grief contestant son licenciement. L’alinéa 61b) autorise la Commission à accorder une prorogation de délai « par souci d’équité ».

  • [2]La convention collective de la demanderesse prévoit un délai de 25 jours pour déposer un grief, lequel, dans son cas, courait à compter du 31 janvier 2020. La demanderesse a présenté une demande de prorogation de délai à la Commission le 4 mai 2021, près de 15 mois après la date limite.

  • [3]La demanderesse a fondé sa demande sur ce que la Commission a appelé les « critères bien connus » établis dans la décision Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, par. 75, pour faire valoir que la Commission devrait exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’alinéa 61b). Ces critères sont les suivants : 1) le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes; 2) la durée du retard; 3) la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé; 4) l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée; et 5) les chances de succès du grief.

  • [4]Pour les quatre premiers critères, le principal facteur sur lequel la demanderesse s’est appuyée est qu’« [il lui avait] fallu plus de deux ans (du 18 mars 2019 au 28 avril 2021) pour faire un examen complet des 1 975 pages de documents relatifs à [s]on dossier d’emploi et préparer des documents électroniques complets ». Pour une raison ou une autre, elle avait mal compris le processus et croyait à tort que ces étapes étaient nécessaires avant qu’un grief puisse être déposé. Elle a également allégué ne pas savoir qu’il y avait une date limite pour déposer le grief.

  • [5]La Commission a tranché la demande à l’aide des documents écrits déposés, sans tenir d’audience, comme l’autorise l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, L.C. 2013, ch. 40, art. 365. Dans ses motifs, elle a examiné les observations des parties sur chacun des critères de la décision Schenkman. Avant cela, elle a mentionné un passage de Martin c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2015 CRTEFP 39, par. 70, qui indique que l’importance accordée à chacun de ces critères n’est pas nécessairement la même et que la valeur probante des facteurs est situationnelle, selon les faits en l’espèce. La Commission a conclu, en soupesant les critères énoncés dans la décision Schenkman, qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’équité d’accorder une prorogation. La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

  • [6]Devant notre Cour, elle demande également l’admission de nouveaux éléments de preuve pour étayer sa demande, soit 40 documents supplémentaires. Elle reconnaît que la Commission ne disposait pas de ces documents. Toutefois, elle fait valoir que la Commission avait en main une partie de l’information que contiennent les documents.

  • [7]Notre Cour a résumé le droit régissant l’admission de nouveaux éléments de preuve en contrôle judiciaire dans sa décision relative à la demande connexe présentée par la demanderesse, Andrews c. Alliance de la fonction publique, 2022 CAF 159, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 2023 CanLII 10480 (CSC), dans laquelle elle conteste le rejet, par la Commission, de son allégation selon laquelle son agent négociateur avait manqué à son devoir de représentation équitable. Comme la Cour l’a indiqué (aux paragraphes 18 à 21), la règle générale, sous réserve de quelques exceptions, est que les seuls éléments de preuve pouvant être pris en considération en contrôle judiciaire sont ceux dont disposait le décideur administratif. En l’espèce, la demanderesse s’appuie sur l’exception relative aux « renseignements généraux », soit, selon la jurisprudence, les éléments de preuve qui offrent des renseignements généraux susceptibles d’aider le tribunal à comprendre les questions à examiner dans le contrôle judiciaire, mais qui ne sont pas de nouveaux éléments de preuve sur le fond.

  • [8]À mon avis, les éléments de preuve que la demanderesse souhaite présenter en l’espèce ne tombent pas sous le coup de l’exception relative aux « renseignements généraux ». La requête en production des 40 documents équivaut plutôt à une tentative de reconstituer les détails des interactions et des communications de la demanderesse avec son employeur et avec son agent négociateur, de façon à étayer sa cause sur le fond. Je mentionne par ailleurs qu’elle disposait de tous ces documents lorsqu’elle a déposé sa demande et sa réponse à la Commission. La requête de la demanderesse en production de nouveaux éléments de preuve devrait être rejetée, et les nouveaux éléments de preuve proposés devraient être radiés du dossier.

  • [9]La demanderesse prétend également que la Commission a commis un manquement à son obligation d’équité procédurale et à la justice naturelle, et que la décision est par conséquent susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. À cet égard, elle affirme que, même si la Commission avait eu raison d’utiliser les critères énoncés dans la décision Schenkman pour déterminer s’il y avait lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder une prorogation de délai, la Commission [traduction] « a omis de prendre dûment en compte l’ensemble des circonstances en l’espèce, ce qui a influencé son évaluation et son application des critères énoncés dans la décision Schenkman aux faits de l’affaire », et que, [traduction] « si la Commission avait bien examiné la totalité des circonstances, elle aurait dû accueillir [sa demande] » (mémoire des faits et du droit de la demanderesse, par. 62 et 63).

  • [10]À proprement parler, ces observations ne concernent pas l’équité procédurale et la justice naturelle, mais le bien-fondé de la décision de la Commission. La norme de contrôle qui doit s’appliquer à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission d’autoriser une prorogation en application de l’alinéa 61b) est celle de la décision raisonnable : Popov c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 177, par. 10.

  • [11]La norme de la décision raisonnable est une norme déférente. Elle ne permet pas à la cour de révision d’apprécier de nouveau la preuve dont le décideur disposait, ce que la demanderesse demande à notre Cour. Notre rôle se limite plutôt à analyser la décision rendue pour déterminer si elle est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et « est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, par. 85.

  • [12]Comme le reconnaît la demanderesse, la Commission a appliqué le critère approprié pour examiner sa demande de prorogation de délai. Ce faisant, elle a examiné les faits qui lui ont été présentés, et a expliqué son évaluation de chaque critère et sa conclusion générale dans ses motifs. À la lumière du processus suivi par la Commission et de ses motifs, je ne peux souscrire à l’opinion de la demanderesse selon laquelle sa décision était déraisonnable.

  • [13]Par conséquent, je rejetterais la demande. À l’audience, le défendeur a retiré la demande de dépens de son mémoire. Il s’ensuit qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés.

  • [14]Lorsque la présente demande a été déposée, l’intitulé de la cause désignait l’« Administrateur général – ministère des Pêches et des Océans » à titre de défendeur. Les parties conviennent que, compte tenu des paragraphes 303(1) et (2) des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106, le défendeur devrait être le procureur général du Canada. L’intitulé de la cause devrait être modifié en conséquence, comme le reflètent les présents motifs et le jugement de notre Cour.

« J.B. Laskin »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Anne L. Mactavish, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Sébastien D’Auteuil, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-13-22

 

INTITULÉ :

JILL ANDREWS c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 mai 2023

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :

Le 31 mai 2023

COMPARUTIONS :

Jill Andrews

POUR SON PROPRE COMPTE

Chris Hutchison

Pour LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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