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Date : 20230524


Dossier : A-265-21

Référence : 2023 CAF 111

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 

 

ENTRE :

L'ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

demanderesse

et

LE SÉNAT DU CANADA

défendeur

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 16 mai 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 mai 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 


Date : 20230524


Dossier : A-265-21

Référence : 2023 CAF 111

CORAM :

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 

 

ENTRE :

L'ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

demanderesse

et

LE SÉNAT DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE RIVOALEN

[1] Notre Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire de la décision arbitrale (2021 CRTESPF 103) que la Commission des relations de travail et de l'emploi dans le secteur public fédéral (la Commission) a rendue le 9 septembre 2021 au titre de l'article 50 de la Loi sur les relations de travail au Parlement, L.R.C. 1985, c. 33 (2e suppl.) (la Loi).

[2] Dans sa décision, la Commission a rejeté la proposition de la demanderesse qui sollicitait l'ajout d'une annexe à la convention collective conclue entre l'unité de négociation composée de tous les employés de la section des Services des immeubles et de la section de la Gestion et logistique du matériel (l'unité de négociation) et le Sénat du Canada. L'ajout proposé était un protocole d'entente prévoyant le versement d'un paiement forfaitaire de 2 500 $ à chaque membre de l'unité de négociation à titre de dommages‑intérêts généraux pour le stress, l'exaspération, la douleur et la souffrance en raison de la mise en œuvre, par l'employeur, du système de paye Phénix. La demanderesse a justifié cette proposition en affirmant vouloir une entente identique à celle conclue entre des dizaines de milliers de fonctionnaires de l'administration publique centrale et le Conseil du Trésor (l'entente de 2020 concernant le système Phénix).

[3] Les parties conviennent que la norme de contrôle qui s'applique à la décision de la Commission est celle de la décision raisonnable. Notre Cour doit déterminer si la décision arbitrale était raisonnable au sens de l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 (Vavilov).

[4] La demanderesse prétend que la décision arbitrale est déraisonnable et qu'elle doit être annulée. La demanderesse affirme que la Commission a rejeté sa proposition de versement d'un paiement forfaitaire de 2 500 $ en concluant, à tort, qu'elle n'était pas convaincue que les problèmes de mise en œuvre du système, lorsqu'on les comparait à ceux des fonctionnaires de l'administration publique centrale, étaient suffisamment répandus parmi les membres au service du Sénat du Canada pour justifier l'octroi de dommages‑intérêts.

[5] La demanderesse fait valoir quatre arguments principaux.

[6] D'abord, la demanderesse prétend que la Commission n'a pas saisi la différence avec l'entente de 2020 concernant le système Phénix conclue entre le Conseil du Trésor et la demanderesse, qui n'exigeait pas que les membres de la demanderesse fassent la preuve qu'ils avaient subi du stress, de l'exaspération, de la douleur et de la souffrance en raison d'un problème précis lié au système de paye Phénix pour être admissibles aux dommages‑intérêts généraux de 2 500 $. Selon la demanderesse, bien que les employés travaillant au Sénat du Canada n'aient pas connu des problèmes aussi graves ou aussi répandus que ceux qu'ont éprouvés les fonctionnaires de l'administration publique centrale, ils ont néanmoins subi du stress et devraient avoir droit aux mêmes dommages‑intérêts.

[7] La demanderesse prétend ensuite que la Commission a fait une analyse rétrospective des données dont elle disposait. Elle fait valoir que la Commission disposait, au moment pertinent, d'éléments de preuve selon lesquels des employés du Sénat du Canada avaient éprouvé des problèmes de paye et que les membres de l'unité de négociation ne pouvaient pas savoir si ces problèmes étaient ou non associés au système de paye Phénix.

[8] De plus, lors des témoignages, la demanderesse a en outre fait référence au dossier présenté à la Cour et invoqué des éléments de preuve du Comité sénatorial permanent des finances nationales selon lesquels les répercussions du système de paye Phénix n'ont pas été les mêmes parmi les ministères composant l'administration publique centrale et certains de ces ministères ont réagi différemment aux problèmes qui se sont présentés. À titre d'exemple, le Service correctionnel du Canada a éprouvé de graves problèmes après avoir transféré ses services de paye au Centre des services de paye de Miramichi, alors que Statistique Canada a maintenu ses conseillers en rémunération en poste et a été en mesure d'atténuer les problèmes associés au système de paye Phénix.

[9] Enfin, comme elle l'a fait devant la Commission, la demanderesse souligne que des employés de l'Agence du revenu du Canada (ARC) ont reçu le paiement forfaitaire de 2 500 $ même s'ils n'avaient pas eu de problèmes de paye liés au système Phénix. La demanderesse affirme que la Commission, dans son analyse sur ce point, a considéré à tort que les dommages‑intérêts généraux faisaient partie de la rémunération globale.

[10] De plus, la demanderesse souligne maintenant que la Commission devait déterminer si la possibilité que les employés de l'unité de négociation aient de graves problèmes de paye semblables à ceux des employés de l'administration publique centrale leur avait causé le même niveau de stress, d'exaspération, de douleur et de souffrance.

[11] Je suis d'avis que les arguments de la demanderesse ne peuvent être retenus. Il n'y a selon moi aucune raison de conclure que la décision de la Commission est déraisonnable.

[12] Selon le cadre de contrôle judiciaire énoncé dans l'arrêt Vavilov, « une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para. 85). Il incombe à la partie qui conteste la décision d'en démontrer le caractère déraisonnable et d'établir que la décision souffre de lacunes graves. Par ailleurs, la cour de révision doit s'abstenir d'apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur. De plus, elle doit normalement s'abstenir de trancher elle-même la question en litige dont le décideur était saisi et elle doit respecter le rôle et l'expertise du décideur (Vavilov aux para. 75, 83, 100 et 125).

[13] En l'espèce, la Commission disposait de vastes pouvoirs, lors du processus d'arbitrage des différends, qui lui permettaient de régler les questions dont elle avait été saisie, d'établir les conditions d'emploi appropriées et d'imposer ces conditions en rendant une décision exécutoire. Notre Cour a déjà reconnu que les arbitres des différends disposent d'un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu'il s'agit d'établir les modalités de la convention collective qui lie les parties, et leurs décisions portent presque toujours sur des questions de politique et rarement sur des questions de droit. Notre Cour a en outre reconnu que l'importance du caractère définitif, qui sous‐tend la nécessité de faire preuve de déférence à l'égard des sentences arbitrales en général, est particulièrement considérable en matière d'arbitrage de différends (Administration de pilotage des Laurentides c. Corporation des pilotes du Saint-Laurent central inc., 2018 CAF 117 aux para. 60, 61 et 63).

[14] Comme on le constate de ses motifs, la Commission a tenu compte des facteurs énoncés à l'article 53 de la Loi. Elle a apprécié la preuve et pris en compte les propositions des parties. Aux paragraphes 82 à 85 de ses motifs, la Commission expose un raisonnement cohérent et rationnel pour justifier sa décision de rejeter la proposition de versement d'un paiement forfaitaire de 2 500 $ à chaque membre de l'unité de négociation. La Commission a reconnu que les employés du Sénat du Canada n'ont pu échapper à toutes les frustrations associées au système de paye Phénix, mais elle a jugé que l'employeur avait été réceptif face à la situation.

[15] Après avoir soupesé tous ces facteurs, la Commission a reconnu que la preuve dont elle disposait quant aux problèmes de paye associés au système Phénix était plus étoffée que celle dont avait disposé une formation différente de la Commission dans la décision Alliance de la fonction publique du Canada c. Chambre des communes (2021 CRTESPF 45). La Commission n'était toutefois pas disposée, dans la décision arbitrale, à établir un précédent en accordant l'entente de 2020 concernant le système Phénix. Elle n'a pas accepté qu'il convenait, pour que les indemnités soient comparables, d'adjuger les mêmes dommages‑intérêts que ceux accordés à des employés touchés par les problèmes précis qui relevaient de la compétence du Conseil du Trésor. La Commission a conclu que la demanderesse n'avait pas fourni de preuve de l'existence de problèmes d'une ampleur substantielle ou semblable à celle des problèmes observés dans l'administration publique centrale.

[16] La situation des employés de l'ARC n'a pas convaincu la Commission soulignant, au paragraphe 84 de ses motifs, que ces employés avaient reçu, pour 2020, une augmentation économique générale plus petite que celle accordée par la Commission dans sa décision arbitrale. Il était loisible à la Commission de tenir compte de la rémunération globale dans sa comparaison avec les employés de l'ARC.

[17] En réponse, le défendeur a présenté à la Commission des éléments de preuve démontrant qu'il avait mis en place des mécanismes souples et efficaces pour atténuer tout préjudice que le système de paye Phénix avait causé à ses employés.

[18] De plus, le défendeur a présenté des motifs détaillés contre la proposition de versement d'un paiement forfaitaire. Il a décrit l'histoire de la mise en œuvre du système Phénix dans l'administration publique centrale et expliqué en quoi cette histoire différait considérablement de la situation des employés du Sénat du Canada. Le défendeur souligne que, dans le rapport de juillet 2018 du Comité sénatorial permanent des finances nationales, le Bureau du vérificateur général du Canada avait noté que les sommes qu'il restait à verser aux fonctionnaires en raison des erreurs causées par le système de paye Phénix s'élevaient à plus de 520 millions de dollars en juin 2017. En janvier 2018, 633 000 demandes d'intervention de paye étaient en attente, ce qui représentait une augmentation de 28 % par rapport aux données de juin 2017.

[19] Comme je l’ai mentionné plus haut, la Commission a examiné et soupesé les propositions des deux parties, comme elle était tenue de le faire. La Commission ne disposait d'aucun élément de preuve démontrant que les membres de la demanderesse en poste au Sénat du Canada avait subi du stress, de l'exaspération, de la douleur et de la souffrance en raison des problèmes de paye liés au système Phénix, et encore moins des problèmes d'une ampleur substantielle ou semblable à celle des employés de l'administration publique centrale.

[20] Qui plus est, la Commission disposait d'éléments de preuve faisant état de griefs et d'actions en justice que des employés de l'administration publique centrale avaient déposés en raison des problèmes de paye liés au système Phénix, et qui ont mené à la conclusion de l'entente de 2020 concernant le système Phénix entre le Conseil du Trésor et la demanderesse. En concluant cette entente, la demanderesse a accepté de retirer tous les griefs connexes, notamment en raison de pratiques déloyales de travail, et tout autre litige, et a accepté de ne pas appuyer ni intenter de nouveaux litiges liés à ces questions.

[21] Aucun élément de preuve ne fait état de griefs ou d'actions en justice déposés au nom de membres au service du Sénat du Canada.

[22] Tenant compte de ce contexte et jugeant que la demanderesse ne s'est pas acquittée du fardeau qui lui incombait, je ne peux conclure que la décision arbitrale est déraisonnable.

[23] Je ne relève aucune lacune grave dans le raisonnement de la Commission au vu du dossier dont elle était saisie et des arguments présentés par les deux parties dans le différend soumis à l'arbitrage. La décision arbitrale est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle qui se justifie au regard du dossier et des pouvoirs que la Loi confère à la Commission.

[24] La demanderesse demande à notre Cour d'apprécier de nouveau la preuve dont disposait la Commission, ce qui n'est pas son rôle. Je ne vois aucune raison d'intervenir.

[25] Pour ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire avec dépens.

« Marianne Rivoalen »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

Sylvie E. Roussel, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Nathalie Goyette, j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-265-21

 

INTITULÉ :

L'ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA c. LE SÉNAT DU CANADA

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 16 mai 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 mai 2023

 

COMPARUTIONS :

Andrew Astritis

Simcha Walfish

 

Pour la demanderesse

 

Carole Piette

Jean-Michel Richardson

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Emond Harnden s.r.l.

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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