Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230511


Dossier : A-272-22

Référence : 2023 CAF 98

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de monsieur le juge Rennie

ENTRE :

COLLINS NJOROGE

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE

intimés

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 11 mai 2023.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20230511


Dossier : A-272-22

Référence : 2023 CAF 98

En présence de monsieur le juge Rennie

ENTRE :

COLLINS NJOROGE

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE

intimés

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE RENNIE

[1] La Cour est saisie de deux requêtes. La première est une requête présentée par le Conseil canadien de la magistrature (CCM) en vue d’être désigné à titre d’intimé en vertu de la Règle 338 ou d’obtenir l’autorisation d’intervenir en vertu de la Règle 109 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles). La deuxième est une requête présentée par l’appelant au titre de la Règle 466 visant à intenter une procédure d’outrage contre l’intimé, le procureur général du Canada (PGC), et le CCM. Le PGC demande également une ordonnance assujettissant l’affaire à une gestion de l’instance.

[2] Les présentes requêtes sont introduites dans le contexte d’un appel interjeté devant notre Cour à l’encontre d’une décision rendue par la Cour fédérale (ordonnance non publiée datée du 9 décembre 2022 dans le dossier T-1417-22, sous la plume du juge Lafrenière), qui a rejeté un appel d’une ordonnance rendue par le juge adjoint Horne (ordonnance non publiée datée du 26 septembre 2022 dans le dossier T-1417-22). Dans cette décision, le juge adjoint Horne avait rejeté la requête de l’appelant, qui demandait qu’il soit enjoint au CCM de transmettre certains documents pour les inclure dans le dossier certifié du tribunal, en vertu de la Règle 317.

[3] Je présente brièvement le contexte dans lequel s’inscrivent les présentes requêtes.

[4] L’appelant a présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale visant à infirmer une décision rendue par le directeur exécutif du CCM, lequel a conclu que le CCM ne donnerait pas suite à la plainte d’inconduite judiciaire déposée par l’appelant à l’encontre d’un juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique et de quatre juges de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Dans son avis de demande, présenté en vertu de la Règle 317, l’appelant a demandé la production du dossier dont le CCM était saisi lorsqu’il a rendu sa décision. En vertu de la Règle 318, le CCM s’est opposé à cette demande au motif que, soit l’appelant avait déjà en sa possession les documents demandés, soit les documents n’existaient pas. Le CCM a également invoqué le secret du délibéré à l’égard de l’un des documents. La requête en production de certains documents présentée par l’appelant a été rejetée par le juge adjoint Horne, essentiellement pour les motifs invoqués par le CCM. Cette décision a été confirmée par le juge Lafrenière.

[5] Après le dépôt de l’avis d’appel visant la décision rendue par le juge Lafrenière, le CCM a tenté de déposer un avis de comparution en application de la Règle 341. L’appelant s’y est opposé, faisant valoir que le CCM n’était pas partie à l’instance devant la Cour fédérale. La juge Gleason a été saisie de l’affaire et, le 19 janvier 2023, elle a donné la directive suivante :

[traduction]

Toutefois, conformément à la Règle 341, seul un intimé peut déposer un avis de comparution. Le CCM n’était pas partie à l’instance devant la Cour fédérale; par conséquent, il ne pourrait vraisemblablement pas être désigné à titre d’intimé en application de la Règle 338.

Si le CCM est d’avis qu’il a néanmoins exercé le recours approprié étant donné que la Règle 318 lui permet de s’opposer à une demande présentée en vertu de la Règle 317 et que la décision rendue sur cette demande semble faire l’objet du présent appel, il présentera une requête en application de l’article 369.2 de la Règle 369 demandant l’autorisation de déposer son avis de comparution à titre de personne qui n’est pas partie à l’instance, et indiquera dans ses documents le fondement de son droit de déposer un avis de comparution à titre de personne qui n’est pas partie à l’instance, la mesure dans laquelle il entend participer à l’instance, et l’échéancier qu’il propose à l’égard de sa participation.

[6] Dans sa requête présentée au titre de la Règle 466, l’appelant affirme que le PGC et le CCM sont coupables d’outrage au tribunal pour avoir omis de respecter la directive et pour avoir rejeté la proposition concernant le contenu du dossier d’appel qu’il a présentée conformément à la Règle 343.

[7] On peut facilement trancher la présente requête.

[8] La directive n’a pas pour effet d’obliger les parties à faire quoi que ce soit dans un quelconque délai et, quoi qu’il en soit, le CCM a présenté sa requête promptement afin de régulariser son statut devant notre Cour. En outre, le fait que le PGC ait rejeté la proposition de l’appelant concernant le contenu du dossier d’appel ne peut servir de fondement à une allégation d’inconduite. Les parties ne sont aucunement tenues de s’entendre sur le contenu du dossier d’appel. Si les parties opposées sont dans une impasse, il incombe à l’appelant de présenter une requête au titre du paragraphe 343(2) de la Règle 343 pour que la Cour tranche la question.

[9] Par conséquent, je rejetterais la requête de l’appelant présentée en vertu de la Règle 466, avec dépens fixés à 500 $, quelle que soit l’issue de la cause. L’outrage est une accusation sérieuse, qui ne doit pas être portée à la légère.

[10] Bien que ces seuls motifs suffisent à trancher la requête pour outrage, je tiens à formuler quelques observations sur la thèse avancée par le PGC, selon laquelle les procédures pour outrage ne peuvent découler du défaut de se conformer à une directive. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de trancher cette question, il suffit de dire que le défaut de se conformer à une directive semble constituer une conduite emportant outrage au titre de trois des motifs énumérés à la Règle 466 : l’alinéa 466b) (« désobéit à un moyen de contrainte [...] de la Cour »); l’alinéa 466c) (« agit de façon à entraver la bonne administration de la justice ») ou l’alinéa 466d) (« étant un fonctionnaire de la Cour, n’accomplit pas ses fonctions »). En fait, notre Cour a souligné qu’une constatation d’outrage peut résulter d’une foule d’agissements constituant une entrave à la justice, et non seulement lorsqu’il y a inobservation d’une ordonnance d’un tribunal administratif ou d’une cour de justice (Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Bremsak, 2013 CAF 214 au para. 44).

[11] Les directives ne sont pas de simples suggestions concernant la façon dont une affaire devrait se dérouler, mais plutôt les attentes de la Cour quant au déroulement de l’affaire. Les directives de la Cour ont tout le poids d’une décision judiciaire et entraînent des sanctions en cas de non-respect (Fibrogen, Inc. c. Akebia Therapeutics, Inc., 2022 CAF 135 au para. 57). Il existe cependant de nombreux recours, autres que l’outrage, lorsqu’une partie ne se conforme pas à une directive. Ces recours découlent de la compétence absolue de la Cour pour gérer ses propres procédures. C’est pourquoi l’outrage dans le contexte du défaut de respecter une directive se produit, forcément, très rarement.

[12] J’examine maintenant la requête présentée par le CCM en vue d’être ajouté à titre de partie en vertu de la Règle 338 ou d’obtenir l’autorisation d’intervenir en vertu de la Règle 109. L’appelant s’oppose à la requête au motif que le décideur ne devrait pas être partie à l’instance dans laquelle sa propre décision est contestée.

[13] La Règle 338 et la jurisprudence connexe ne sont pas aussi nets que le prétend l’appelant. Le début du paragraphe 338(1) de la Règle 338 est libellé ainsi : « [s]auf ordonnance contraire de la Cour ». Le rôle que peut jouer le décideur dont la décision est contestée relève donc du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Les facteurs qui doivent être pris en compte comprennent l’étape où en est rendue la procédure (si la procédure en est rendue à la décision sur le fond ou à une étape interlocutoire sur une question de procédure, comme en l’espèce), le fond des questions soulevées en appel et la question de savoir si le tribunal comprend et respecte clairement les limites de son rôle. Le tribunal gardera aussi à l’esprit l’importance de la perception qu’a le public de son impartialité et voudra s’assurer que, quel que soit le qualificatif attribué à son rôle dans l’instance, ni son impartialité ni l’apparence de son impartialité ne sont compromises (Ontario (Commission de l’énergie) c. Ontario Power Generation Inc., 2015 CSC 44, [2015] 3 R.C.S. 147 au para. 57).

[14] Vu ces facteurs, il est présumé que les tribunaux devraient être ajoutés comme parties intervenantes (Droits des voyageurs c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 64; Lukács c. Canada (Office des transports), 2014 CAF 292 au para. 17; Canada (Procureur général) c. Quadrini, 2010 CAF 246, [2012] 2 R.C.F. 3 au para. 3). À titre d’intervenants, il arrive souvent que les tribunaux fournissent une preuve contextuelle et décrivent leur cadre législatif ainsi que leurs procédures opérationnelles, sans plus. Le rôle des tribunaux à titre d’intervenants n’est cependant pas invariable (Girouard c. Conseil canadien de la magistrature, 2019 CAF 252; Lukács c. Canada (Office des transports), 2016 CAF 103).

[15] L’objectif est d’attribuer à la partie ou à l’intervenant le statut qui correspond le plus étroitement aux principes qui limitent le rôle des tribunaux dans les demandes de contrôle judiciaire de leurs propres décisions et la nature de la question à trancher par la Cour. En l’espèce, la nature du rôle que le CCM sera autorisé à jouer en appel est la même, peu importe la façon dont il est décrit ou le qualificatif qui lui est attribué, que ce soit à titre d’intervenant ou d’intimé.

[16] En l’espèce, plusieurs facteurs militent en faveur de l’ajout du CCM à titre d’intimé. Son mémoire des faits et du droit indique clairement qu’il comprend et respecte les limites de son rôle et qu’il n’essaiera pas de défendre la décision sur le fond (bien que le présent appel, sur un point interlocutoire, ne porte pas sur le fond de la demande de contrôle judiciaire). En outre, la question centrale à trancher en appel – celle du secret du délibéré – indique que le rôle du CCM est, dans sa nature, celui d’un véritable intimé. Enfin, le fait que le CCM soit désigné à titre d’intimé présente des avantages procéduraux et des gains en efficacité; les dates de dépôt sont coordonnées avec celles de l’autre intimé, ce qui accélérera la mise en état de l’appel.

[17] Par conséquent, le CCM sera ajouté à titre d’intimé dans le présent appel.

[18] La demande visant l’assujettissement de la présente affaire à une gestion de l’instance est rejetée. L’appel n’est pas complexe, que ce soit sur le plan du nombre de questions en litige, des parties ou de la preuve, et le dossier de la Cour n’indique pas qu’il y a eu une multiplicité de procédures interlocutoires. Il semble toutefois que les parties soient dans une impasse quant au contenu du dossier d’appel. À moins que les parties ne parviennent à s’entendre sur le contenu du dossier d’appel, l’appelant présentera une requête visant à définir le contenu du dossier d’appel dans les 30 jours suivant la date des présents motifs et de l’ordonnance.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-272-22

 

INTITULÉ :

COLLINS NJOROGE c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et al.

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 11 mai 2023

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Collins Njoroge

POUR SON PROPRE COMPTE

Elizabeth Koudys

Roger Flaim

POUR L’INTIMÉ, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Christopher D. Bredt

Nadia Effendi

Veronica Sjolin

POUR L’INTIMÉ PROPOSÉ, le Conseil canadien de la magistrature

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

POUR L’INTIMÉ, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉ PROPOSÉ, LE CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.