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Date : 20230413


Dossier : A-109-21

Référence : 2023 CAF 78

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

LA JUGE GOYETTE

 

ENTRE :

EMERGIS INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 12 décembre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 avril 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE GOYETTE

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20230413


Dossier : A-109-21

Référence : 2023 CAF 78

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

LA JUGE GOYETTE

 

ENTRE :

EMERGIS INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Webb et la juge Goyette

[1] Le présent appel aborde la question de l’interprétation du paragraphe 20(12) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la LIR) relativement aux impôts payés au gouvernement des États-Unis sur des intérêts payés par une société de personnes à une société résidant au Canada. En l’espèce, Emergis Inc. (Emergis) est la société qui a payé des retenues d’impôt en 2000 et en 2001 sur des paiements d’intérêts que lui a versés une société de personne. Emergis a demandé une déduction pour ces retenues d’impôt. Le ministre du Revenu national (le ministre) a refusé la déduction et la Cour de l’impôt a rejeté l’appel d’Emergis (2021 CCI 23).

[2] Pour les motifs suivants, nous accueillerions l’appel.

I. Les faits

[3] Emergis a mis en œuvre la structure suivante (qualifiée de « structure étagée ») afin d’acquérir une société américaine (UP&UP);

  • une société en nom collectif a été formée en vertu des lois du Delaware (USGP) dont Emergis détient une participation de 99,9 % et une filiale d’Emergis (Cansubco) détenait la participation restante de 0,1 %;

  • USGP a constitué en société une société à responsabilité illimitée en Nouvelle-Écosse (NSULC) et USGP en était l’unique actionnaire;

  • USGPet NSULC ont constitué une société à responsabilité limitée selon les lois du Delaware (la SRL);

  • Emergis a constitué une société du Delaware (US Holdco);

  • US Holdco a acquis des actions d’Acquisitionco. US Holdco a également acquis les actions de Jetco Inc. (une société constituée par Emergis selon les lois du Delaware) de la part d’Emergis pour ensuite les transférer à Acquisitionco.

[4] Le financement pour l’acquisition d’UP&UP provenait d’Emergis au moyen de la structure, de la façon suivante :

  • Emergis (et Cansubco, au moyen de fonds reçus d’Emergis) a effectué des contributions en capital d’environ 33 millions de dollars US à USGP;

  • Emergis a prêté environ 267 millions de dollars US à USGP (le prêt d’Emergis). Des intérêts étaient payables sur le prêt d’Emergis;

  • USGP a utilisé les fonds (environ 300 millions de dollars US) pour souscrire à des actions de NSULC;

  • USGP a aussi souscrit à 1 action de la SRL en échange de 100 $ US et NSULC a souscrit à des actions de la SRL pour environ 300 millions de dollars US;

  • La SRL a prêté environ 300 millions de dollars US à Acquisitionco. Des intérêts étaient payables sur ce prêt;

  • Emergis a souscrit à des actions de US Holdco pour environ 242 millions de dollars US;

  • US Holdco a souscrit à des actions d’Acquisitionco pour environ 242 millions de dollars US.

[5] Jetco a fusionné avec UP&UP. La compagnie fusionnée a ensuite fusionné avec Acquisitionco pour former US Amalco. Par conséquent, US Amalco devait à la SRL la somme d’environ 300 millions de dollars US.

[6] Les opérations qui ont mené au présent appel sont les suivantes :

  • US Amalco a payé des intérêts sur sa dette envers la SRL;

  • La SRL a versé des dividendes à NSULC;

  • NSULC a versé des dividendes à USGP;

  • USGP a payé des intérêts à Emergis sur le prêt d’Emergis.

[7] Pour l’application de la LIR, NSULC a inclus les dividendes qu’elle a reçus de la SRL à son revenu et demandé une déduction en vertu du paragraphe 113(1) de la LIR correspondant au montant des dividendes, car ils avaient été versés à même les surplus exonérés. USGP (une société de personnes pour l’application de la LIR) a attribué son revenu net (qui comptait les dividendes reçus de NSULC et une charge pour les intérêts sur le prêt d’Emergis) à ses associés en proportion de leurs participations à la société de personnes. Emergis a déclaré le revenu net qu’USGP lui avait attribué et a demandé une déduction au titre du paragraphe 112(1) de la LIR correspondant au montant des dividendes qui lui avaient été attribués. Emergis a aussi inclus au revenu l’intérêt payé par USGP sur le prêt d’Emergis et a demandé une déduction aux termes du paragraphe 20(12) de la LIR pour les retenues d’impôt versées au gouvernement américain sur cet intérêt.

[8] Aux fins de l’impôt américain, la SRL et NSULC étaient des entités dont il était fait abstraction; par conséquent, les opérations décrites au paragraphe 6 étaient traitées comme un paiement d’intérêt d’US Amalco à USGP. USGP était traitée comme une société aux fins de l’impôt américain et a versé des impôts sur son revenu au gouvernement américain. Ces impôts payés par USGP au gouvernement américain sur son revenu net ne sont pas les impôts payés à un gouvernement étranger qui sont en litige dans le présent appel.

[9] La seule question litigieuse dans le présent appel est plutôt de savoir si les retenues d’impôt américain payées par Emergis sur les paiements d’intérêts sur le prêt d’Emergis sont déductibles dans le calcul du revenu d’Emergis.

II. Le paragraphe 20(12) de la LIR

[10] En 2000 et en 2001 (les années d’imposition en question dans le présent appel), le paragraphe 20(12) de la LIR était formulé de la façon suivante :

Est déductible dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition tiré d’une entreprise ou d’un bien le montant que le contribuable demande, ne dépassant pas l’impôt sur le revenu ne provenant pas d’une entreprise (au sens de la définition de «impôt sur le revenu ne provenant pas d’une entreprise» au paragraphe 126(7), compte non tenu des alinéas c) et e) de celle-ci) qu’il a payé pour l’année à un pays étranger au titre de ce revenu, à l’exception de tout ou partie d’un tel impôt qu’il est raisonnable de considérer comme payé par une société à l’égard du revenu tiré d’une action du capital-actions d’une société étrangère affiliée de la société.

In computing a taxpayer’s income for a taxation year from a business or property, there may be deducted such amount as the taxpayer claims not exceeding the non-business income tax paid by the taxpayer for the year to the government of a country other than Canada (within the meaning assigned by subsection 126(7) read without reference to paragraphs (c) and (e) of the definition “non-business-income tax” in that subsection) in respect of that income, other than any such tax, or part thereof, that can reasonably be regarded as having been paid by a corporation in respect of income from a share of the capital stock of a foreign affiliate of the corporation.

[11] Personne ne conteste que les retenues d’impôt en litige étaient de l’impôt sur le revenu ne provenant pas d’une entreprise qu’Emergis a payé au gouvernement américain. La seule question en litige consiste à savoir si l’exception prévue au paragraphe 20(12) de la LIR s’applique :

[…] à l’exception de tout ou partie d’un tel impôt qu’il est raisonnable de considérer comme payé par une société à l’égard du revenu tiré d’une action du capital-actions d’une société étrangère affiliée de la société.

III. Décision de la Cour canadienne de l’impôt

[12] Le juge de la Cour de l’impôt a examiné le texte, le contexte et l’objet du paragraphe 20(12) de la LIR pour déterminer qu’Emergis n’avait pas droit à une déduction dans le calcul de son revenu pour les impôts qu’elle a payés au gouvernement américain. La Couronne a soutenu devant la Cour de l’impôt que la décision de notre Cour intitulée FLSmidth Ltd. c. La Reine, 2013 CAF 160 (arrêt FLSmidth) était déterminante pour l’appel d’Emergis. Cependant, le juge de la Cour de l’impôt a noté que, même si la structure et les opérations dans l’arrêt FLSmidth ressemblaient à celles qu’Emergis avait mises en œuvre, les impôts qui sont en litige dans le présent appel ne sont pas ceux payés par la société de personnes (lesquels étaient ceux en litige dans l’arrêt FLSmidth), et que l’arrêt FLSmidth est un précédent qui peut être écarté. Par conséquent, il a conclu que les décisions de la Cour de l’impôt et de notre Cour dans l’arrêt FLSmidth n’étaient pas déterminantes pour le résultat de l’affaire dont il était saisi. Nous sommes du même avis.

[13] Même si la structure utilisée dans l’arrêt FLSmidth était en grande partie identique à la structure utilisée en l’espèce, l’impôt en litige dans l’arrêt FLSmidth était l’impôt que la société de personnes a payé au gouvernement américain sur son revenu net. En l’espèce, Emergis a confirmé que USGP avait un revenu net qui, parce que USGP était traitée comme une société aux fins de l’impôt américain, était assujetti à l’impôt du gouvernement américain. Emergis ne demande toutefois aucune déduction pour les impôts que USGP a payés au gouvernement américain. Les déductions demandées en l’espèce visent plutôt les impôts qu’Emergis a payés au gouvernement américain sur l’intérêt payé par USGP sur le prêt d’Emergis.

[14] Dans le cadre de son analyse textuelle, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que, même si les mots « à l’égard de ou au titre de » ont un sens généralement large, il demeure nécessaire d’établir un lien entre l’impôt payé aux États-Unis par Emergis et le revenu de dividendes reçu par NSULC (au paragraphe 69 de ses motifs).

[15] Au paragraphe 71 de ses motifs, le juge de la Cour de l’impôt a renvoyé au libellé propre à l’exception en litige :

[71] Cependant, il ressort clairement du renvoi dans le paragraphe 20(12) à l’impôt des États-Unis « qu’il est raisonnable de considérer comme payé par une société à l’égard du revenu tiré d’une action du capital-actions d’une société étrangère affiliée de la société » que l’on doit déterminer si le revenu tiré des actions, reçu par une personne morale autre que le contribuable, peut raisonnablement être considéré comme étant le revenu à l’égard duquel l’impôt des États-Unis a été payé par le contribuable qui demande la déduction.

[16] Le juge de la Cour de l’impôt a ensuite examiné le flux de fonds utilisé pour payer l’intérêt et a conclu qu’il « existe un certain lien entre le revenu d’intérêts payé par USGP et les dividendes versés par la SRL à USGP qui ont été récupérés et déclarés par Emergis au titre de sa participation dans USGP » (paragraphe 74 de ses motifs). Même si le juge de la Cour de l’impôt a renvoyé aux « dividendes versés par la SRL à USGP », USGP n’était pas un actionnaire de la SRL. La SRL a versé les dividendes à NSULC et NSULC a ensuite versé des dividendes à USGP.

[17] Dans le cadre du contexte, le juge de la Cour de l’impôt a examiné les différentes façons par lesquelles un allègement des impôts sur le revenu étranger est accordé :

  • Une déduction dans le calcul du revenu pour certains dividendes de sociétés étrangères affiliées (article 113 de la LIR);

  • Des crédits d’impôt (article 126 de la LIR);

  • Une déduction dans le calcul du revenu pour les impôts étrangers payés (paragraphe 20(12) de la LIR).

[18] Le juge de la Cour de l’impôt a affirmé qu’un contribuable ne peut pas demander un allègement en vertu de plus d’une disposition pour tout impôt étranger payé relativement à un poste de revenu donné. Aux paragraphes 78 à 80 de ses motifs, le juge de la Cour de l’impôt a conclu qu’Emergis n’avait essentiellement pas payé d’impôt canadien sur l’intérêt payé par USGP sur le prêt d’Emergis. Même si l’intérêt payé par USGP à Emergis était un revenu pour Emergis, puisque cette dernière détient une participation de 99,9 % dans USGP, elle a aussi reçu, de fait, 99,9 % de l’avantage des charges d’intérêt déduites par USGP. Le juge de la Cour de l’impôt a également noté qu’Emergis avait reçu l’avantage d’une déduction au titre du paragraphe 112(1) de la LIR au montant des dividendes de NSULC qu’USGP a attribué à Emergis.

[19] En ce qui concerne l’objet de la disposition, le juge de la Cour de l’impôt a conclu qu’il n’y avait qu’une seule opération transfrontalière reconnue en vertu de la LIR : les dividendes que la SRL a versés à NSULC. Le juge de la Cour de l’impôt résume ses conclusions sur l’objet aux paragraphes 87 à 89 de ses motifs :

[87] L’exclusion s’applique, non pas parce que les paiements d’intérêts n’étaient pas imposables au Canada, mais parce que les dividendes de la SRL, combinés au caractère hybride de la société de personnes américaine, n’ont donné lieu qu’à une seule opération transfrontalière entrante reconnue par le Canada : les dividendes de la SRL. Autrement dit, le Canada ne reconnaît qu’une seule opération transfrontalière : les dividendes de la SRL. Le Canada exonère complètement ce revenu au titre du paragraphe 113(1). Le paiement d’intérêts transfrontalier finalement reçu par Emergis, bien qu’il s’agisse du revenu à l’égard duquel l’impôt a été payé aux États-Unis, est en partie un paiement fait par Emergis elle-même. On peut raisonnablement considérer que les dividendes de la SRL ont été la source étrangère de revenu de 99,9 % des paiements d’intérêts reçus par Emergis, de sorte que tout impôt étranger payé sur ces intérêts, le cas échéant, doit être considéré comme ayant été payé à l’égard de cette source de revenu étrangère.

[88] Il était essentiel qu’USGP soit une entité hybride pour que les intérêts ne soient pas inclus dans le revenu imposable d’Emergis. Sans la répartition des dividendes et la déduction pour intérêts demandée par la société de personnes et attribuée à Emergis, les paiements d’intérêts auraient été entièrement imposables.

[89] Le Canada subventionne déjà les revenus gagnés à l’étranger en permettant à ses résidants de déduire les intérêts sur les sommes empruntées pour gagner les dividendes exonérés. Accorder une déduction supplémentaire dans les circonstances de l’espèce, en plus de celle demandée au titre de l’alinéa 20(1)c) pour réduire à zéro le revenu tiré des paiements d’intérêts, équivaudrait, pour le Canada, à subventionner le gouvernement d’un autre pays lorsqu’il impose un impôt que le Canada ne reconnaît (en partie) même pas.

IV. Question en litige et norme de contrôle

[20] La question en litige dans le présent appel est de savoir si Emergis a droit à une déduction au titre du paragraphe 20(12) de la LIR pour les impôts payés au gouvernement américain sur l’intérêt qu’USGP a payé à Emergis. Plus précisément, la question en litige est l’interprétation de l’exception prévue à ce paragraphe :

[…] à l’exception de tout ou partie d’un tel impôt qu’il est raisonnable de considérer comme payé par une société à l’égard du revenu tiré d’une action du capital-actions d’une société étrangère affiliée de la société.

[21] Puisque l’interprétation de cette disposition est une question de droit, la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33).

V. Analyse

[22] Le présent appel porte principalement sur l’interprétation de l’exception contenue au paragraphe 20(12) de la LIR. Les questions d’interprétation législative doivent être tranchées suivant une analyse textuelle, contextuelle et téléologique.

[23] Comme l’a noté la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada c. Loblaw Financial Holdings Inc., 2021 CSC 51 :

[41] Cette question précise d’interprétation législative nous oblige à faire appel au cadre d’analyse bien établi selon lequel « l’interprétation des lois consiste à dégager l’intention du législateur en examinant les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie et l’objet de cette loi » (Michel c. Graydon, 2020 CSC 24, par. 21). Là où l’analyse se corse, c’est lorsqu’il s’agit de déterminer le poids relatif à accorder au texte, au contexte et à l’objet. Lorsque le libellé d’une loi est « précis et non équivoque », le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, par. 10). En matière fiscale, une méthode « textuelle, contextuelle et téléologique unifiée » continue de s’appliquer (Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715, par. 22, citant Trustco Canada, par. 47). Toutefois, dans l’application de cette méthode unifiée, le caractère singulier et précis de nombreuses dispositions fiscales, de même que le principe énoncé dans l’arrêt Duke of Westminster (selon lequel les contribuables sont en droit d’organiser leurs affaires pour réduire au minimum l’impôt à payer) commandent de se concentrer attentivement sur le texte et le contexte de la loi pour cerner l’objectif général du régime (Placer Dome, par. 21; Trustco Canada, par. 11). Cette méthode est particulièrement pertinente dans le cas qui nous occupe, où la disposition en cause fait partie du régime très détaillé et précis du REATB. Je tiens à rappeler qu’il ne s’agit pas d’une affaire mettant en cause une règle générale anti‐évitement. La disposition en litige fait partie d’une exception à la définition du terme « entreprise de placement » dans le cadre du régime très complexe et défini du REATB. Pour que les contribuables sachent à quoi s’en tenir dans un tel régime, il faut donner leur plein effet aux mots précis et non équivoques employés par le Parlement.

[24] Dans l’interprétation du paragraphe 20(12) de la LIR, il est important de mettre l’accent sur les mots choisis par le législateur. La première partie de ce paragraphe détermine que la déduction en litige est « l’impôt sur le revenu ne provenant pas d’une entreprise […] que [le contribuable] a payé pour l’année à un pays étranger ». Il faut donc déterminer l’impôt étranger concerné, ce qui mène à la question de l’opération ou de l’événement qui a donné lieu à cet impôt étranger.

[25] La deuxième partie du paragraphe 20(12) de la LIR, qui énonce l’exception, prévoit qu’elle s’applique à « tout ou partie d’un tel impôt qu’il est raisonnable de considérer comme payé par une société à l’égard du revenu tiré d’une action du capital-actions d’une société étrangère affiliée de la société ».

[26] Par conséquent, voici les questions auxquelles il faut répondre dans le présent appel :

  1. Quel impôt Emergis a-t-elle payé au gouvernement américain?

  2. Est-il raisonnable de conclure que cet impôt était au titre du revenu provenant d’une action du capital-actions d’une société étrangère affiliée d’Emergis?

[27] Personne ne conteste que les impôts pertinents sont les retenues d’impôt levées par le gouvernement américain sur l’intérêt payé par USGP à Emergis. Personne ne conteste non plus que la société étrangère affiliée pertinente d’Emergis est la SRL.

[28] Il est clair, du point de vue du pays qui a levé les impôts en litige, qu’il ne serait pas raisonnable de considérer que le gouvernement américain lève un impôt à l’égard du revenu tiré des actions de la SRL, car le gouvernement américain n’a pas reconnu l’existence distincte de la SRL. Le gouvernement américain considérait la partie de la structure qui comprenait NSULC et la SRL comme un groupe.

[29] Puisque la structure n’était pas considérée comme un groupe aux fins de la LIR, une analyse plus approfondie s’impose pour déterminer s’il est raisonnable, compte tenu de la façon dont les opérations étaient perçues aux fins de la LIR, de considérer les impôts payés par Emergis comme des impôts payés à l’égard du revenu provenant des actions de la SRL.

[30] Pour l’application de la LIR, NSULC et la SRL étaient traités comme des entités juridiques distinctes. Les dividendes payés par la SRL à NSULC étaient inclus au revenu de NSULC. Puisque NSULC avait le droit de demander une déduction au titre du paragraphe 113(1) de la LIR pour le même montant que les dividendes, aucun impôt n’a été payé sur ces dividendes.

[31] Le juge de la Cour de l’impôt, au paragraphe 71 de ses motifs, a conclu que le libellé du paragraphe 20(12) de la LIR indiquait clairement que l’on peut raisonnablement considérer le revenu reçu d’une société (qui serait NSULC en l’espèce) comme le revenu au titre duquel une autre société (Emergis en l’espèce) a payé les impôts au gouvernement étranger :

[71] Cependant, il ressort clairement du renvoi dans le paragraphe 20(12) à l’impôt des États-Unis « qu’il est raisonnable de considérer comme payé par une société à l’égard du revenu tiré d’une action du capital-actions d’une société étrangère affiliée de la société » que l’on doit déterminer si le revenu tiré des actions, reçu par une personne morale autre que le contribuable, peut raisonnablement être considéré comme étant le revenu à l’égard duquel l’impôt des États-Unis a été payé par le contribuable qui demande la déduction.

[32] Dans l’arrêt Envision Credit Union c. Canada, 2013 CSC 48, la Cour suprême du Canada a indiqué que, lorsque la LIR considère les actifs détenus par une société comme les actifs détenus par les actionnaires, elle l’indique explicitement :

[…] Il existe une règle fondamentale en droit des sociétés selon laquelle les actionnaires ne sont pas propriétaires des actifs de la société : voir, p. ex., Wotherspoon c. Canadien Pacifique Ltée, [1987] 1 R.C.S. 952, p. 1033. Bien que certaines dispositions de la LIR prévoient des règles de « transparence » permettant de se soustraire à l’application de cette règle fondamentale aux fins d’imposition, de telles dispositions sont rédigées en termes exprès : voir, p. ex., le par. 256(1.2), qui prévoit que les actions (biens) d’une société sont réputées être contrôlées par les actionnaires de cette société.

[33] Tout comme la LIR indique explicitement quand il est possible d’ignorer la règle selon laquelle les actionnaires ne sont pas propriétaires des actifs de la société, la LIR indique explicitement quand il est possible d’ignorer l’existence distincte de la société à l’égard du revenu gagné par une société, et donc, quand il est possible d’examiner l’ensemble d’une société et de traiter le revenu de la société comme étant le revenu de ses actionnaires. Par exemple, le paragraphe 91(1) de la LIR exige explicitement qu’un actionnaire qui est résident canadien inclue dans son revenu sa participation proportionnelle du revenu étranger accumulé, tiré de biens de sa société étrangère affiliée contrôlée :

91 (1) Dans le calcul du revenu pour une année d’imposition d’un contribuable résidant au Canada, il doit être inclus, relativement à chaque action qui lui appartient dans le capital-actions d’une société étrangère affiliée contrôlée du contribuable, à titre de revenu tiré de l’action, le pourcentage du revenu étranger accumulé, tiré de biens, de toute société étrangère affiliée contrôlée du contribuable, pour chaque année d’imposition de la société affiliée qui se termine au cours de l’année d’imposition du contribuable, égal au pourcentage de participation de cette action, afférent à la société affiliée et déterminé à la fin de chaque telle année d’imposition de cette dernière.

91 (1) In computing the income for a taxation year of a taxpayer resident in Canada, there shall be included, in respect of each share owned by the taxpayer of the capital stock of a controlled foreign affiliate of the taxpayer, as income from the share, the percentage of the foreign accrual property income of any controlled foreign affiliate of the taxpayer, for each taxation year of the affiliate ending in the taxation year of the taxpayer, equal to that share’s participating percentage in respect of the affiliate, determined at the end of each such taxation year of the affiliate.

[34] Le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que, selon la formulation du paragraphe 20(12) de la LIR, « il ressort clairement […] que l’on doit déterminer si le revenu tiré des actions, reçu par une personne morale autre que le contribuable, peut raisonnablement être considéré comme étant le revenu à l’égard duquel l’impôt des États-Unis a été payé par le contribuable qui demande la déduction ». Comme je l’ai indiqué plus haut, l’exception en litige énonce :

[…] à l’exception de tout ou partie d’un tel impôt qu’il est raisonnable de considérer comme payé par une société à l’égard du revenu tiré d’une action du capital-actions d’une société étrangère affiliée de la société.

[35] Emergis a payé les impôts en litige dans le présent appel. La SRL est la société étrangère affiliée concernée d’Emergis. Le revenu tiré des actions de la SRL a été payé à NSULC. Rien dans la formulation de cette disposition ne prévoit explicitement que l’existence distincte des deux sociétés (Emergis et NSULC) doive être ignorée et que le revenu de NSULC doive être considéré comme le revenu d’Emergis. Le libellé du paragraphe 20(12) de la LIR n’indique pas de façon suffisamment explicite que la règle générale voulant que les actifs et le revenu d’une société ne sont pas les actifs et le revenu de ses actionnaires ne s’applique pas.

[36] Par conséquent, il n’existe aucun fondement pour conclure que le paragraphe 20(12) de la LIR prévoit explicitement (ou comme l’affirme le juge de la Cour de l’impôt, qu’il en ressort « clairement ») que le revenu de NSULC tiré de ses actions dans la SRL devrait être traité comme le revenu d’Emergis, et par conséquent comme le revenu sur lequel Emergis a payé les impôts au gouvernement américain.

[37] L’intérêt payé par USGP a été payé sur le prêt d’Emergis conformément aux modalités de ce prêt. Les fonds empruntés, jumelés aux fonds reçus à titre de contribution en capital, ont servi à acheter des actions de NSULC. À son tour, NSULC a utilisé ces fonds pour acheter des actions de la SRL. Même si les dividendes payés par la SRL à NSULC et ensuite par NSUCL à USGP, ont financé les paiements d’intérêt à Emergis, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’il est raisonnable que les impôts qu’Emergis a payés au gouvernement américain soient considérés comme ayant été payés à l’égard du dividende payé par la SRL à NSULC.

[38] Emergis a payé les impôts en litige sur l’intérêt payé par USGP. USGP a payé ces intérêts conformément à son obligation de payer des intérêts sur le prêt d’Emergis. L’intérêt était payable au taux de 12,25 % (réduit à 12,127 % après le 1er octobre 2000) du montant de la dette en souffrance. Le montant des intérêts n’était pas fondé sur le revenu provenant des actions de la SRL. L’intérêt n’était pas une distribution ou une répartition du revenu gagné directement ou indirectement par Emergis à même les actions de la SRL.

[39] Le libellé du paragraphe 20(12) de la LIR n’appuie pas la conclusion tirée par le juge de la Cour de l’impôt. Le libellé de cette disposition appuie plutôt une conclusion que les impôts payés par Emergis au gouvernement américain ne peuvent pas raisonnablement être considérés comme étant les impôts payés par Emergis à l’égard du revenu des actions de la SRL.

[40] Le contexte du paragraphe 20(12) n’appuie pas la conclusion tirée par le juge de la Cour de l’impôt.

[41] Premièrement, dans l’arrêt FLSmidth, notre Cour a rejeté l’argument qu’une déduction en application du paragraphe 20(12) de la LIR n’est disponible que s’il n’y a pas eu de déduction à l’égard des dividendes. Dans l’arrêt FLSmidth, la déduction avait été demandée en vertu du paragraphe 113(1) de la LIR, et notre Cour a conclu que « les dispositions concernant les sociétés étrangères affiliées ne contiennent rien qui exclut expressément l’application du paragraphe 20(12) » (arrêt FLSmidth, par. 51). De même, les dispositions concernant le calcul du revenu ou du revenu imposable d’une société ne contiennent aucune telle exclusion.

[42] Deuxièmement, ce qui importe le plus, c’est qu’Emergis a deux sources de revenus aux fins de la LIR qui sont pertinentes dans le présent appel : les actions dans NSULC (détenues par USGP) et le prêt d’Emergis. Emergis a inclus à son revenu les dividendes de NSULC qu’USGP lui avait attribués en application de l’alinéa 96(1)f), du paragraphe 82(1) et de l’alinéa 12(1)j) de la LIR, et l’intérêt sur le prêt d’Emergis en application de l’alinéa 12(1)c) et du paragraphe 12(3) de la LIR. Emergis a demandé une déduction en application du paragraphe 112(1) à l’égard des dividendes de NSULC qu’USGP lui avait attribués, et non à l’égard des intérêts payés sur le prêt d’Emergis. Par conséquent, la conclusion du juge de la Cour de l’impôt qu’Emergis demande des déductions à la fois au titre du paragraphe 112(1) et du paragraphe 20(12) à l’égard du même « élément » de revenu n’est pas fondée. Il est irréfutable que la déduction des intérêts demandée par USGP dans le calcul de son revenu a réduit le revenu qu’USGP avait attribué à Emergis. Cela étant dit, le revenu attribué à Emergis, qui comprenait les dividendes payés par NSULC à USGP, se distingue des paiements d’intérêt qui a donné lieu aux impôts payés au gouvernement américain qui sont en litige dans le présent appel.

[43] Il s’ensuit que rien dans le contexte du paragraphe 20(12) de la LIR ne s’oppose au fait que la déduction prévue au paragraphe 20(12) soit disponible à Emergis.

[44] Enfin, l’analyse du juge de la Cour de l’impôt concernant l’objet du paragraphe 20(12) était faussée par son hypothèse que le paiement d’intérêt d’USGP à Emergis était un paiement par Emergis elle-même. Ce n’était pas le cas. Comme l’a affirmé notre Cour, puisque l’alinéa 96(1)c) de la LIR exige qu’une société de personnes calcule son revenu comme s’il s’agissait d’une personne distincte, le caractère juridique d’un montant payé par une société de personnes à son associé est une fonction de l’obligation juridique acquittée, et non la réalité économique de l’opération (Canada c. Pinot Holdings Ltd., 1999 CanLII 9097, par. 24). USGP a payé des intérêts, car elle a conclu le prêt d’Emergis en vertu duquel elle devait payer des intérêts à Emergis. Étant donné qu’elle a emprunté de l’argent dans le but de gagner un revenu, USGP avait droit à une déduction des intérêts dans le calcul de son revenu. En ce qui concerne Emergis, elle a inclus les intérêts à son revenu comme elle devait le faire. Puisqu’elle avait payé des retenues d’impôt au gouvernement américain sur ces intérêts, Emergis avait droit à une déduction conformément au paragraphe 20(12) à l’égard de ces impôts. Le fait d’accorder cette déduction ne signifie pas que le Canada subventionne le gouvernement américain ni qu’il va à l’encontre de l’objectif du paragraphe 20(12).

[45] Il semble que le paragraphe 20(12) de la LIR ait été promulgué pour deux raisons : a) parce que l’impôt étranger, qui n’est pas engagé pour gagner un revenu, n’est pas déductible (alinéa 18(1)a) de la LIR); et b) pour traiter des limites au paragraphe 126(1) de la LIR, l’une d’elles étant la non-disponibilité d’un crédit lorsque le revenu assujetti à l’impôt d’un gouvernement étranger n’a pas de source étrangère. Se reporter à : « Projet de loi C-56, tendant à modifier le droit fiscal et à autoriser des paiements portant sur les réductions de taxes de vente provinciales », Étude des projets de loi en comité plénier, Débats de la Chambre des communes, 30-3, no 6 (12 juin 1978), p. 6315 (l’hon. Jean Chrétien); 4145356 Canada Ltd. c. R., 2011 CCI 220 (C.C.I. [Procédure générale]) aux par. 61 à 64; Robert Couzin, « The Foreign Tax Credit » dans Report of Proceedings of the Twenty-Eighth Tax Conference, 1976 Conference Report (Toronto : Fondation canadienne de fiscalité, 1977) à la p. 70; et Douglas M. Deruchie, « 1978 Federal Income Tax Changes » dans Report of Proceedings of the Thirtieth Tax Conference, 1978 Conference Report (Toronto : Fondation canadienne de fiscalité, 1980) à la p. 267. En l’espèce, même si Emergis a payé des impôts au gouvernement américain, puisqu’elle n’avait pas de source de revenus aux États-Unis, elle ne pouvait pas se prévaloir du crédit pour impôt étranger. Lui permettre de bénéficier de la déduction du paragraphe 20(12) serait donc conforme à l’objectif de cette disposition.

VI. Conclusion

[46] Par conséquent, nous accueillerions le présent appel avec dépens et annulerions le jugement de la Cour de l’impôt. En rendant le jugement que la Cour de l’impôt aurait dû rendre, nous accueillerions l’appel d’Emergis concernant la nouvelle cotisation établie pour ses années d’imposition 2000 et 2001, le tout avec dépens devant la Cour de l’impôt, et renverrions l’affaire au ministre du Revenu national pour nouvel examen et cotisation en tenant compte du fait qu’Emergis a le droit, dans le calcul de son revenu pour 2000 et 2001, de demander une déduction pour les retenues d’impôt payées en 2000 et en 2001 au gouvernement américain sur les intérêts payés sur le prêt d’Emergis.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Nathalie Goyette »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-109-21

 

INTITULÉ :

EMERGIS INC. c.

SA MAJESTÉ LE ROI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 décembre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE GOYETTE

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

DATE DES MOTIFS :

Le 13 avril 2023

COMPARUTIONS :

David R. Davies

Ian J. Gamble

Pour l’appelante

Christa Akey

Sara Fairbridge

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thorsteinssons LLP

Toronto (Ontario)

Pour l’appelante

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

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