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Date : 20230330


Dossier : A-176-22

Référence : 2023 CAF 73

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

PATRICK LAWLOR

intimé

Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 22 mars 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 mars 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 


Date : 20230330


Dossier : A-176-22

Référence : 2023 CAF 73

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

PATRICK LAWLOR

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE BOIVIN

[1] L’appelant, le procureur général du Canada, interjette appel du jugement de la juge Heneghan de la Cour fédérale (la juge), rendu le 3 juin 2022 (2022 CF 821). Dans cette décision, la juge a fait droit à la demande de contrôle judiciaire introduite par l’intimé, M. Lawlor, concernant une décision de classification des emplois.

[2] L’intimé est un employé civil de la Marine royale canadienne, qui agit depuis le 15 février 2010 à titre d’analyste des risques. Ce poste a été classé au niveau AS‑04. En 2011, de nouvelles responsabilités ont été ajoutées au poste de l’intimé, notamment la gestion des risques liés à l’information. En 2018, le responsable de l’intimé a demandé que le poste de ce dernier soit rétrospectivement reclassé au niveau AS‑05, à compter de 2011, afin que les responsabilités supplémentaires soient prises en compte.

[3] La demande de reclassement du poste de l’intimé a été examinée et évaluée à deux reprises. Chaque fois, elle a été rejetée en faveur du maintien de la classification au niveau AS‑04.

[4] L’intimé a alors déposé un grief auprès du comité de règlement des griefs de classification (le comité). Ce comité a pour rôle d’évaluer la classification des emplois de novo, conformément à la Directive sur les griefs de classification et à la norme de classification pertinente, en se fondant sur les documents dont il dispose, tels que les descriptions d’emploi comparable, le contexte organisationnel, les observations orales ou écrites du plaignant et les documents ainsi que les renseignements recueillis auprès de la direction (dossier d’appel, vol. 3, p. 596 à 598). À l’issue de l’audition du grief de l’intimé, le rapport du comité a recommandé que le poste demeure classé au niveau AS‑04. La décision finale a été prise par un haut fonctionnaire, en l’occurrence, la directrice générale de la Gestion du milieu de travail, au ministère de la Défense nationale, laquelle a adopté la recommandation du rapport du comité et a communiqué ce résultat à l’intimé dans une lettre datée du 19 janvier 2021 (dossier d’appel, vol. 3, p. 546 à 560).

[5] Insatisfait de ce résultat, l’intimé a déposé devant la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision de la directrice générale, en vertu du paragraphe 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, ch. 22, art. 2. Devant la juge, l’intimé a soulevé plusieurs motifs de révision, alléguant que la décision était à la fois inéquitable sur le plan procédural et déraisonnable.

[6] La juge a rejeté les arguments de l’intimé concernant l’équité procédurale, mais a estimé que le comité avait effectué une comparaison déraisonnable du résumé général des fonctions de l’intimé et du résumé général des postes repères figurant dans la Norme de classification du groupe Services administratifs était déraisonnable. Plus précisément, la juge a estimé que l’analyse du comité aurait dû se limiter aux facteurs « Connaissances » et « Décisions » des postes repères et non pas prendre en compte les résumés généraux du poste de l’intimé et des postes repères. La juge a estimé que la comparaison des résumés généraux par le comité était déraisonnable, car elle ajoutait une « [traduction] “précaution” supplémentaire » (décision de la juge, au para. 71). Par conséquent, la juge a accueilli la demande de contrôle judiciaire.

[7] Il convient de signaler que l’intimé a soulevé la question de l’équité procédurale dans son mémoire des faits et du droit (aux para. 56 à 87) sans toutefois déposer d’appel incident concernant cette question. En conséquence, la seule question en litige en l’espèce est la conclusion de la juge en ce qui concerne le caractère raisonnable.

[8] Lorsqu’elle est saisie d’un appel interjeté à l’encontre d’une demande de contrôle judiciaire qui a été rejetée par la Cour fédérale, notre Cour doit se mettre à la place de la Cour fédérale et se concentrer sur la décision administrative en litige (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 (Agraira), au para. 46). En l’espèce, notre Cour doit donc se concentrer sur le rapport du comité, qui va dans le même sens que la décision de la directrice générale et établir si, en l’examinant, la juge a choisi la norme de contrôle adéquate et si elle l’a appliquée correctement (Agraira, au para. 47).

[9] Je conclus que la juge a choisi la bonne norme de contrôle, soit la norme de contrôle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653). Toutefois, je suis d’avis que la juge a commis une erreur en estimant que la décision du comité était déraisonnable. J’accueillerais donc l’appel.

[10] Dans le présent appel, l’intimé demande essentiellement à notre Cour de conclure qu’il suffit d’examiner les descriptions des facteurs des postes repères de manière isolée. Je ne peux souscrire à ce raisonnement. Les exigences énoncées dans la Directive sur les griefs de classification, la Norme de classification du groupe Services administratifs ainsi que les notes à l’intention des appréciateurs démontrent le contraire.

[11] Premièrement, d’un point de vue général, la Directive sur les griefs de classification semble indiquer que le contexte organisationnel dans son ensemble est une considération pertinente pour les travaux du comité :

4.4.2 déterminer la classification appropriée (c’est‑à‑dire le groupe professionnel et le sous‑groupe [s’il y a lieu], le niveau et les cotes) du poste faisant l’objet du grief, en fonction des éléments suivants :

[...]

4.4.2.2 le contexte organisationnel,

[Dossier d’appel, vol. 3, p. 590.]

A.2.19 En ce qui concerne les exigences énoncées au paragraphe 4.4.2 de la directive, le comité de règlement des griefs de classification déterminera la classification appropriée de la façon suivante :

[...]

A.2.19.3 en évaluant le travail attribué au poste et décrit dans la description d’emploi, en fonction de la norme d’évaluation des emplois pertinente, tout en tenant compte du contexte organisationnel;

[Dossier d’appel, vol. 3, p. 596.]

[12] Deuxièmement, et plus précisément, la Norme de classification du groupe Services administratifs décrit six opérations pour son application et indique clairement que le poste évalué doit être comparé « dans son ensemble » — par opposition aux facteurs pris isolément — aux postes de comparaison, en particulier aux étapes 2 et 6 :

1. On confirme que le poste appartient à la catégorie et au groupe en se reportant aux définitions et aux descriptions des postes inclus et exclus.

2. On étudie la description du poste afin de s’assurer que l’on comprend bien les fonctions du poste dans l’ensemble et chacun des facteurs qui entrent en ligne de compte. On étudie aussi le rapport qui existe entre le poste dont on est à établir la cote et les postes supérieurs et inférieurs dans l’organisation.

3. On établit provisoirement les divers degrés de chacun des facteurs qui entrent en ligne de compte dans l’évaluation du poste en comparant les définitions des degrés qui sont données dans les échelles de notation. Pour appliquer de façon uniforme les définitions des degrés, il faut se reporter souvent aux descriptions des facteurs et aux notes préparées à l’intention des appréciateurs.

4. On fait la comparaison entre la description du facteur de chacun des postes-repères servant d'exemples pour le degré établi provisoirement et la description du facteur s’appliquant au poste qu’il s’agit d’évaluer. On fait aussi des comparaisons avec les descriptions du facteur des postes-repères indiqués pour les degrés supérieur et inférieur au degré provisoirement établi.

5. On détermine provisoirement la cote numérique globale en additionnant les valeurs numériques établies pour tous les facteurs.

6. On compare dans l’ensemble le poste qu’il s'agit d’évaluer avec les postes auxquels on a attribué la même valeur numérique globale pour vérifier si la cote globale est juste.

[Mon soulignement; dossier d’appel, vol. 3, p. 606 et 607.]

[13] Bien que le processus de classification en six opérations indique clairement qu’il faut « compar[er] dans l’ensemble le poste qu’il s’agit d’évaluer », la juge semble avoir limité son analyse à la quatrième étape et a conclu que la « procédure de règlement des griefs de classification en six étapes ne fait pas mention de ce type de comparaison » (décision de la juge, aux para. 64 et 65, 71).

[14] Troisièmement, les notes à l’intention des appréciateurs contenues dans la Norme de classification du groupe Services administratifs indiquent qu’une analyse holistique et comparative est nécessaire pour évaluer les différents facteurs. Par exemple, sous le facteur « Décisions », les notes à l’intention des appréciateurs font également référence à « tout le contexte » et indiquent que « [l’]occupation, dans son ensemble, doit alors [être] comparée aux descriptions des postes-repères » (dossier d’appel, vol. 3, p. 616).

[15] Là encore, malgré le libellé clair des notes à l’intention des appréciateurs, la juge a estimé que « les [traduction] “remarques à l’intention des évaluateurs” n’exigent pas que l’on compare chaque facteur au résumé des fonctions du poste repère » (décision de la juge, au para. 71).

[16] À l’appui de sa thèse, l’intimé invoque également l’arrêt Wilkinson c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 223, 455 D.L.R. (4th) 693 (Wilkinson). Toutefois, il faut faire une distinction entre les circonstances de cette affaire et celles de la présente espèce. Dans l’affaire Wilkinson, le décideur final, l’administrateur général, avait rejeté la recommandation du comité de règlement des griefs de classification. Notre Cour a estimé que les raisons invoquées par l’administrateur général n’étaient pas suffisantes et que la décision était donc déraisonnable (Wilkinson, aux para. 50 à 56). Contrairement à l’affaire Wilkinson, la directrice générale a adopté le rapport et la recommandation du comité, qui répondaient aux exigences de la Directive sur les griefs de classification et de la Norme de classification du groupe Services administratifs.

[17] Par conséquent, et malgré les arguments convaincants de l’intimé, j’estime que le rapport du comité, qui va dans le même sens que la décision de la directrice générale, est transparent, intelligible et justifié par rapport aux contraintes factuelles et juridiques en l’espèce. Une lecture honnête du rapport du comité révèle une évaluation systématique et détaillée de chaque facteur ainsi qu’une comparaison du poste de l’intimé avec les postes repères pertinents dans leur ensemble. Dans ce contexte, la juge a commis une erreur en substituant son propre point de vue et en concluant que « le comité de règlement des griefs de classification a effectué une comparaison déraisonnable entre le résumé général des fonctions du demandeur et le résumé général des fonctions du poste repère » et qu’« il était déraisonnable que le comité prenne cette [traduction] “précaution” supplémentaire » (décision de la juge, au para. 71).

[18] Pour ces motifs, j’accueillerais par conséquent l’appel, j’annulerais la décision de la Cour fédérale rendue le 3 juin 2022, dans le dossier T-273-21 (2022 CF 821), je rejetterais la demande de contrôle judiciaire, et je rétablirais la décision de la directrice générale de la Gestion du milieu de travail, au ministère de la Défense nationale, rendue le 19 janvier 2021, qui approuvait la recommandation du comité de règlement des griefs de classification. Lors de l’audience, l’appelant n’a pas demandé de dépens et je n’en accorderais donc pas.

« Richard Boivin »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Sylvie E. Roussel, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Nathalie Goyette, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-176-22

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. PATRICK LAWLOR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 mars 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE ROUSSEL

LA JUGE GOYETTE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 mars 2023

 

COMPARUTIONS :

Joel Stelpstra

 

Pour l’appelant

 

Patrick Lawlor

L’INTIMÉ

(se représentant lui-même)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’appelant

 

 

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