Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230308


Dossier : A-124-22

Référence : 2023 CAF 49

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

LAURA JOHNSON

défenderesse

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 7 mars 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 mars 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 


Date : 20230308


Dossier : A-124-22

Référence : 2023 CAF 49

CORAM :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

LAURA JOHNSON

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MONAGHAN

[1] Laura Johnson a présenté une demande de prestations parentales au titre de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, le 4 mars 2021. Dans sa demande, elle a choisi de recevoir les prestations parentales prolongées, et a reçu le premier versement en juillet 2021 après avoir reçu des prestations de maternité pendant 15 semaines.

[2] La Loi sur l’assurance-emploi dispose que le prestataire de prestations parentales « choisit » le nombre maximal de semaines de prestations, soit 35 semaines pour les prestations parentales standards et 61 semaines pour les prestations parentales prolongées, et que le choix est irrévocable dès que des prestations sont versées : par. 23(1.1) et (1.2).

[3] En octobre 2021, Mme Johnson a appris de son comptable que son choix la pénalisait financièrement. Elle a alors communiqué avec la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) et lui a demandé de modifier son choix pour obtenir des prestations parentales standards. La Commission a rejeté cette demande et a informé Mme Johnson que le choix à l’égard du type de prestations est irrévocable lorsque des prestations sont versées. Mme Johnson a demandé un réexamen de cette décision, mais la Commission n’a pas modifié sa décision.

[4] Mme Johnson a interjeté appel avec succès de cette décision à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a décrit la question en litige comme étant celle de savoir quel type de prestations parentales souhaitait recevoir Mme Johnson au moment d’exercer son choix dans sa demande. De l’avis de la division générale, bien que le choix que Mme Johnson a exercé dans sa demande importe, ce n’était pas le seul élément à examiner. Mme Johnson a affirmé avoir parlé avec un employé de la Commission qui lui a dit que, si elle souhaitait recevoir des prestations pendant 54 semaines, elle devait choisir les prestations prolongées. Mme Johnson a mentionné que la demande portait à confusion et qu’elle ne comprenait pas que les prestations parentales n’incluent pas les prestations de maternité.

[5] La division générale a conclu que Mme Johnson voulait choisir les prestations parentales standards parce qu’elle avait toujours eu l’intention de prendre un congé d’un an, et que l’ajout de 35 semaines de prestations parentales standards à ses prestations de maternité était conforme à ce plan. Parce que, de l’avis de la division générale, c’est ce qu’elle voulait faire, Mme Johnson a choisi les prestations parentales standards. Selon la division générale, il n’était pas pertinent que Mme Johnson choisisse 54 et non 52 semaines, et qu’elle n’ait pas communiqué avec la Commission avant octobre, au moment où son comptable l’a informée que les prestations parentales prolongées la pénalisaient financièrement.

[6] La Commission a porté cette décision en appel devant la division d’appel du Tribunal, faisant valoir que la division générale avait fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées et qu’elle avait commis une erreur en ne tenant pas compte de la décision Karval c. Canada (Procureur général), 2021 CF 395 [Karval], une décision invoquée par la Commission devant la division générale à l’appui de sa position. La Commission a également affirmé que la division générale avait agi contrairement aux dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi en modifiant effectivement le choix de Mme Johnson après le début du versement de ses prestations.

[7] La division d’appel a déterminé que la division générale avait commis une erreur de droit en ne se demandant pas si la Commission avait induit Mme Johnson en erreur [traduction] « malgré la façon dont la Cour fédérale a souligné cette question dans la décision Karval ». Elle a néanmoins rejeté l’appel de la Commission parce qu’elle était d’accord avec le résultat, en concluant qu’en raison du fait que Mme Johnson avait été induite en erreur, son choix n’était pas valide et qu’une réparation était possible si elle choisissait de recevoir des prestations standards.

[8] Les deux parties ont convenu que, si la division d’appel déterminait que la division générale avait commis une erreur de droit, la division d’appel pouvait rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Par conséquent, dans une décision datée du 10 mai 2022 (dossier no AD-22-30), la division d’appel a annulé la décision de la Commission de verser des prestations parentales prolongées à Mme Johnson, et a rejeté l’appel.

[9] Le procureur général du Canada sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision. La seule question dont nous sommes saisis est de savoir si la décision de la division d’appel est raisonnable : Stavropoulos c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 109, par. 11; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, par. 83 et 86 [arrêt Vavilov]; Stojanovic c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 6, par. 34. Si elle l’est, nous devons alors rejeter la demande de contrôle judiciaire.

[10] En se fondant principalement sur l’arrêt de notre Cour intitulé Canada (Procureur général) c. Hull, 2022 CAF 82 [Hull], le procureur général affirme que la décision n’est pas raisonnable. Selon Mme Johnson, la décision est raisonnable et la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

[11] Pour être raisonnable, une décision doit « se justifier au regard des faits et du droit ;le « régime législatif applicable servira toujours à circonscrire les actes ainsi que les pouvoirs des décideurs administratifs » : [Vavilov], par. 86 et 68.

[12] Dans la décision Karval, la Cour fédérale a conclu que la prestataire ne pouvait plus changer son choix de recevoir des prestations parentales standards pour des prestations parentales prolongées en vertu du paragraphe 23(1.2) de la Loi sur l’assurance-emploi : [Karval], par. 16. Toutefois, dans une remarque incidente, la Cour fédérale a indiqué que, si un prestataire « est réellement induit en erreur parce qu’il s’est fié à des renseignements officiels et erronés, la doctrine des attentes raisonnables lui offre certains recours juridiques » : [Karval], par. 14. Les remarques incidentes sont des expressions d’opinion qui ne sont pas nécessaires pour trancher l’affaire et qui ne sont pas contraignantes.

[13] Je ne peux faire que deux commentaires sur la remarque incidente formulée dans la décision Karval. Tout d’abord, la doctrine des attentes raisonnables (ou plus souvent légitimes) est surtout associée aux questions d’équité procédurale plutôt qu’aux droits fondamentaux. Les conditions applicables sont énoncées dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, par. 68. En outre, même si un recours juridique pouvait être exercé, dans la décision Karval, la Cour fédérale n’a pas indiqué que ce recours comprendrait le fait d’enjoindre à la Commission, ou même de lui permettre de modifier le type de prestations parentales choisies par le prestataire.

[14] Dans l’arrêt Hull, notre Cour a expliqué pourquoi il n’était pas possible que les paragraphes 23(1.2) et 23(1.2) de la Loi sur l’assurance-emploi ne permettent qu’une seule interprétation. Le terme « choisit » s’entend « du choix que la prestataire indique dans le formulaire de demande » et « aussitôt qu’une prestataire a indiqué dans son formulaire de demande le type de prestations parentales et le nombre de semaines pendant lesquelles elle souhaite recevoir ces prestations et que les prestations commencent à être versées, il est impossible pour la prestataire, la Commission, la division générale ou la division d’appel de révoquer, de modifier ou de changer ce choix » : [Hull], par. 62 à 64.

[15] En vertu de la loi applicable, ni la Commission ni le Tribunal de la sécurité sociale n’ont compétence pour se prononcer sur la validité d’un choix ou pour modifier un choix une fois qu’il est fait et que les prestations parentales ont été versées. L’objet de cette restriction est expliqué dans l’arrêt Hull, aux paragraphes 57 à 59. Il s’agit d’assurer la certitude et l’efficacité pour la Commission une fois que les versements des prestations parentales ont commencé, et d’assurer aux autres parties pouvant être touchées par ce choix, la certitude et l’efficacité de leur planification financière.

[16] Bien que la division d’appel ait rendu sa décision avant la décision de notre Cour dans l’arrêt Hull, cette décision est néanmoins déraisonnable pour les motifs énoncés dans l’arrêt Hull. Une fois que Mme Johnson a indiqué son choix dans le formulaire de demande et que les prestations ont été payées, le régime législatif applicable l’empêchait, ainsi que la Commission ou le Tribunal de la sécurité sociale, de modifier son choix.

[17] Pour ces motifs, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire. Même s’il est vrai que les cours de justice devraient généralement respecter l’intention du législateur de confier l’affaire à un décideur administratif, la décision de ne pas renvoyer une affaire au décideur administratif peut également être appropriée lorsqu’il devient évident pour la Cour qu’une issue particulière est inévitable : Canada (Procureur général) c. Burke, 2022 CAF 44, par. 115 à 117.

[18] À mon avis, compte tenu du droit et des conclusions de fait en l’espèce, il ne serait d’aucune utilité de renvoyer l’affaire à la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale pour un nouvel examen, parce qu’elle ne pourrait tirer qu’une seule conclusion raisonnable. L’avocat du demandeur est du même avis. Par conséquent, j’annulerais la décision de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale datée du 10 mai 2022 et, rendant l’ordonnance qu’elle aurait dû rendre, j’accueillerais l’appel interjeté par la Commission de la décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, le tout sans dépens.

« K.A. Siobhan Monaghan »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

J.B. Laskin, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

Anne L. Mactavish, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UNE DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE (DIVISION D’APPEL) DATÉE DU 10 MAI 2022, DOSSIER NO AD-22-30)

DOSSIER :

A-124-22

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. LAURA JOHNSON

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 mars 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :

Le 8 mars 2023

 

COMPARUTIONS :

Marcus Dirnberger

Pour le demandeur

Laura Johnson, assistée de Justin Johnson

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Pour le demandeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.