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Date : 20221220


Dossiers : A-287-20 (dossier principal)

A-82-21

Référence : 2022 CAF 221

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

BRIAN SMITH et MICHELLE SMITH

appelants

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 14 décembre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20221220


Dossiers : A-287-20 (dossier principal)

A-82-21

Référence : 2022 CAF 221

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

BRIAN SMITH et MICHELLE SMITH

appelants

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LOCKE

I. Contexte

[1] Il s’agit d’un appel d’une décision de la Cour fédérale (la juge Glennys L. McVeigh, 2020 CF 996), qui a rejeté les demandes de contrôle judiciaire des appelants (les époux Brian et Michelle Smith) concernant deux décisions de Service Canada. Les décisions de Service Canada portaient sur les efforts des appelants pour obtenir certaines prestations en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9 (la Loi), qui ont été perdues en raison de la date à laquelle elles ont été demandées. Plus précisément, alors que M. Smith a demandé une prestation de la sécurité de la vieillesse (SV) le 29 mars 2017 qui a été versée rétroactivement à partir du mois d’avril 2016 (le montant maximal autorisé de 11 mois), les demandes connexes des appelants pour le supplément de revenu garanti (SRG) et les prestations d’allocation de la SV n’ont été déposées que le 2 août 2017. Dans un premier temps, ces prestations ont été accordées et versées rétroactivement à partir de septembre 2016 (pareillement, le montant maximal autorisé de 11 mois).

[2] Insatisfaits de la perte des prestations du SRG et des prestations d’allocation pour la période allant d’avril 2016 (date de début de la prestation de la SV) à septembre 2016, et estimant que cette perte était le résultat d’un avis erroné ou d’une erreur administrative dans l’application de la Loi, les appelants ont alors chacun demandé l’application de l’article 32 de la Loi pour remédier à la situation. Cet article est rédigé comme suit :

32 S’il est convaincu qu’une personne s’est vu refuser tout ou partie d’une prestation à laquelle elle avait droit par suite d’un avis erroné ou d’une erreur administrative survenus dans le cadre de la présente loi, le ministre prend les mesures qu’il juge de nature à replacer l’intéressé dans la situation où il serait s’il n’y avait pas eu faute de l’administration.

32 Where the Minister is satisfied that, as a result of erroneous advice or administrative error in the administration of this Act, any person has been denied a benefit, or a portion of a benefit, to which that person would have been entitled under this Act, the Minister shall take such remedial action as the Minister considers appropriate to place the person in the position that the person would be in under this Act had the erroneous advice not been given or the administrative error not been made.

[3] Les appelants affirment qu’ils n’ont jamais été informés, en lisant les documents écrits fournis par Service Canada (les appelants invoquent le site Web de Service Canada, les formulaires de demande et certains feuillets d’information – ci-après, les documents) qu’ils pouvaient éviter la perte des prestations rétroactives du SRG et des prestations d’allocation en présentant une demande pour ces prestations en même temps que la demande de prestations de la SV de M. Smith. Ils ont fait valoir que les documents les ont amenés à croire qu’ils devaient attendre que la demande de prestations de la SV soit accordée avant de demander les prestations connexes. Ce n’est que plusieurs mois plus tard, lors d’une conversation avec un employé de Service Canada, qu’ils ont été informés que ce n’était pas le cas.

[4] Service Canada a conclu dans ses décisions qui sont en litige (i) qu’il y avait eu une erreur administrative dans la mesure où Service Canada n’avait pas respecté sa politique consistant à fournir immédiatement les formulaires nécessaires pour demander les prestations du SRG et les prestations d’allocation dans les cas où un demandeur de prestations de la SV a indiqué son désir de demander ces prestations, et (ii) que si cette erreur administrative n’avait pas eu lieu, les appelants auraient pu faire une demande en avril 2017, un mois après avoir présenté la demande de prestations de la SV. Par conséquent, dans ses deux décisions similaires, Service Canada a respectivement accordé aux appelants les prestations du SRG et les prestations d’allocation avec une rétroactivité de 11 mois à partir de mai 2016 au lieu de septembre 2016. Dans ses décisions, Service Canada a également conclu qu’il n’y avait pas eu d’avis erroné :


 

[TRADUCTION]

Il n’est pas établi que des avis erronés vous ont été donnés par un employé de Service Canada, ce qui aurait retardé la réception de votre demande de [prestation de SRG ou de prestations d’allocation, selon le cas]. Votre interprétation des feuillets d’information et du site Web de Service Canada est à l’origine du retard et cela n’est pas considéré comme un avis erroné.

[5] De fait, les appelants ont obtenu partiellement gain de cause. Ils ont reçu des prestations supplémentaires au titre du SRG et des prestations d’allocation, mais pas pour le mois d’avril 2016. Ce sont les prestations de ce mois qui sont en cause dans le présent appel.

[6] Les appelants ont saisi la Cour fédérale d’une demande de contrôle judiciaire des décisions de Service Canada. Comme indiqué ci-dessus, leurs demandes ont été rejetées dans une décision commune. Ils interjettent maintenant appel de la décision de la Cour fédérale devant la Cour.

II. Norme de contrôle

[7] Les parties conviennent que la norme de contrôle que la Cour doit appliquer en cas d’appel d’une décision relative à une demande de contrôle judiciaire est celle envisagée dans Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, para. 45, et confirmée dans l’arrêt Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, para. 12 : la Cour doit déterminer si le tribunal inférieur a opté pour la bonne norme de contrôle applicable au contrôle judiciaire et, dans l’affirmative, s’il l’a correctement appliquée. En effet, la Cour se met à la place du tribunal inférieur et se concentre sur la décision administrative. Bien que la Cour ne doive pas faire abstraction des motifs donnés par la Cour fédérale, elle n’a pas à faire preuve de déférence envers ceux-ci.

[8] Il n’existe aucun argument selon lequel la Cour fédérale a commis une erreur en établissant la norme de contrôle applicable. Le différend porte plutôt sur la question de savoir si la norme de contrôle a été correctement appliquée.

[9] Pour la plupart des questions, il s’agit de savoir si les décisions de Service Canada étaient raisonnables. Cependant, pour des questions d’équité procédurale, la question consiste à savoir si la procédure était, en fait, équitable. Enfin, pour les questions sur lesquelles la Cour fédérale a tiré des conclusions originales de droit ou de fait, la norme de contrôle en appel, telle qu’elle est énoncée dans Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (Housen), s’applique. Housen indique que les questions de droit sont examinées selon la norme de la décision correcte et que les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit dans lesquelles il n’y a pas de question de droit extrinsèque sont examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.

III. Analyse

[10] En raison de mes conclusions ci-dessous, il n’est pas nécessaire d’examiner toutes les questions en litige soulevées par les appelants. Il suffit d’affirmer ce qui suit. Les appelants ont interprété la conclusion selon laquelle il n’y a pas eu d’avis erroné (reproduit au paragraphe 4 ci-dessus) comme une interprétation de la part de Service Canada selon laquelle les renseignements transmis par écrit, et non dans le contexte d’une conversation bilatérale, ne relèvent pas du terme « avis » tel qu’il est utilisé à l’article 32 de la Loi. Les appelants affirment que cette conclusion est le résultat d’une interprétation déraisonnable de cette disposition.

[11] À mon avis, il n’est pas clair que les décisions de Service Canada étaient fondées sur une interprétation du mot « avis » qui exclut les documents. Il est vrai que la première phrase des brefs motifs fournis par Service Canada renvoie au fait qu’aucun avis erroné n’a été fourni par [traduction] « un employé de Service Canada », mais il s’agit simplement d’une déclaration de fait – un fait qui n’est pas contesté. La conclusion des appelants selon laquelle cette phrase indique une interprétation étroite du mot « avis » n’est qu’une interprétation possible. La deuxième phrase indique que le retard dans les demandes de prestations du SRG et de prestations d’allocation des appelants était le résultat de leur interprétation des documents. Cette phrase laisse entendre clairement qu’une interprétation différente des documents par les appelants aurait permis d’éviter le retard. On peut supposer qu’une interprétation aussi différente aurait permis d’éviter le retard, car elle aurait conduit les appelants à demander les prestations du SRG et des prestations d’allocation en même temps que les prestations de la SV, évitant ainsi la perte. J’en déduis que Service Canada a estimé que les documents n’étaient pas erronés. Les appelants affirment que les derniers mots de la deuxième phrase, [traduction] « et cela n’est pas considéré comme un avis erroné », indiquent là encore que Service Canada a interprété le mot « avis » de façon étroite. Je ne suis pas de cet avis. Ces mots ne changent rien à mon opinion selon laquelle Service Canada a conclu que les documents n’étaient pas erronés. Je trouve plutôt qu’ils confirment ma compréhension de la deuxième phrase.

[12] En raison de ma conclusion que les décisions de Service Canada ne dépendent pas d’une interprétation étroite du mot « avis », il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments des appelants sur les questions suivantes :

  1. Le caractère raisonnable d’une interprétation étroite du mot « avis »;

  2. L’équité d’une telle interprétation compte tenu des arguments qui ont été présentés à Service Canada;

  3. Le bien-fondé de la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle l’argument relatif à l’interprétation du mot « avis » n’avait pas été soulevé devant Service Canada et ne constituait donc pas une question appropriée à examiner dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[13] Après avoir conclu que Service Canada a estimé que les documents n’étaient pas erronés, l’étape suivante consiste à examiner l’argument des appelants selon lequel cette conclusion était déraisonnable. Les appelants affirment que les documents n’indiquent pas aux personnes qui demandent des prestations du SRG et des prestations d’allocation de faire leur demande en même temps qu’elles demandent la prestation de la SV, et indiquent qu’elles doivent attendre que la prestation de la SV soit accordée. Les appelants soulignent plusieurs parties de l’article qui sont sans doute ambiguës et qui ne soulignent pas l’importance de demander rapidement les prestations du SRG et les prestations d’allocation pour éviter la perte de la rétroactivité.

[14] À mon avis, les arguments des appelants se résument principalement à des critiques de ce que les documents ne disent pas plutôt que de ce qu’ils disent. Bien que les documents auraient pu être plus détaillés et plus précis (et il semble que des changements aient été apportés par la suite par Service Canada pour clarifier la façon dont les demandeurs doivent procéder), je ne vois rien qui puisse induire en erreur au point qu’un demandeur qui se trouve dans une situation où le temps presse ne se renseignerait pas auprès d’un employé de Service Canada sur sa situation particulière. Les commentaires suivants dans Mauchel c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 202, para. 15, dans le contexte d’un argument selon lequel le site Web d’aide aux demandeurs d’assurance-emploi était trompeur, sont pertinents dans le présent appel :

Puisque le site Web n’est pas censé répondre à tous les cas particuliers, les prestataires ne peuvent pas raisonnablement considérer les renseignements qui y figurent comme des renseignements personnalisés offerts par un agent en réponse à leurs demandes d’information quant à leur admissibilité.

[15] Je ne suis pas convaincu qu’il était déraisonnable pour Service Canada de conclure que les documents n’étaient pas erronés. Je dois noter que, pour parvenir à cette conclusion, il n’est pas nécessaire de commenter l’analyse de la Cour fédérale à cet égard ou les arguments de l’intimé à ce sujet à la Cour fédérale.

[16] Compte tenu des conclusions ci-dessus, l’argument des appelants selon lequel il y a eu une erreur administrative antérieure (à laquelle l’article 32 de la Loi s’appliquerait) dans la création du processus de demande qui a entraîné la perte des prestations par les appelants doit également être rejeté. Service Canada a raisonnablement conclu que la perte des prestations résultait de l’interprétation des documents par les appelants (et apparemment de leur omission de demander des conseils particuliers à leur situation), et non d’une quelconque faille dans le processus de demande.

IV. Conclusion

[17] Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel. L’intimé n’a pas demandé les dépens, et je n’en adjugerais aucuns.

[18] Avant de conclure, j’ai deux derniers commentaires à formuler. Tout d’abord, je souhaite remercier les appelants, qui agissaient pour leur propre compte, pour leurs observations écrites et orales qui, bien qu’elles n’aient pas abouti, ont été utiles pour définir les questions en litige. Deuxièmement, bien que j’aie jugé inutile de commenter certains aspects des motifs de la Cour fédérale, mon silence à ce sujet ne doit pas être considéré comme une approbation.

« George R. Locke »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Yves de Montigny, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

René LeBlanc, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

A-287-20 (dossier principal), A-82-21

 

INTITULÉ :

BRIAN SMITH et MICHELLE SMITH c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 DÉCEMBRE 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 décembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Brian Smith

Michelle Smith

Pour les appelants

(POUR LEUR PROPRE COMPTE)

 

Andrew Kirk

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimé

 

 

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