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Date : 20221128


Dossier : A-104-21

Référence : 2022 CAF 203

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

 

LAURA-LEE PINKERTON

 

demanderesse

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

Audience tenue par vidéoconférence en ligne organisée par le greffe, le 10 novembre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 


Date : 20221128


Dossier : A-104-21

Référence : 2022 CAF 203

CORAM :

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

 

LAURA-LEE PINKERTON

 

demanderesse

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse demande l’annulation de la décision de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (la division d’appel) (L.P. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 116), par laquelle elle a rejeté son appel à l’encontre de la décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (la division générale) (L.P. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 1146). Dans cette dernière décision, la division générale a rejeté l’appel de la demanderesse, qui souhaitait obtenir une pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8.

[2] La demanderesse souhaite également nous présenter un affidavit, auquel est jointe une lettre de son psychiatre traitant, le Dr Pityk, datée du 5 mai 2021. Cette lettre n’avait pas été soumise à la division générale ni à la division d’appel et elle semble apporter des renseignements supplémentaires en lien avec le témoignage que le Dr Pityk a fait devant la division générale.

[3] Je conviens avec le défendeur que la lettre du Dr Pityk est irrecevable, puisque, lors d’une demande de contrôle judiciaire, le dossier doit généralement se limiter aux documents dont disposait le décideur administratif, et aucune des exceptions limitées à cette règle générale ne peut s’appliquer pour permettre que soit admise la lettre du 5 mai 2021 du Dr Pityk (voir l’arrêt Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, aux paras. 13 à 28, [2015] ACF no 1396 (QL). Je trancherai donc la présente demande sans tenir compte de la lettre du 5 mai 2021 du Dr Pityk.

[4] En ce qui concerne le bien-fondé de la demande de la demanderesse, la division générale a conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à établir qu’elle satisfaisait aux critères prévus par la loi lui donnant droit à pension. Ces critères exigeaient qu’elle démontre qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2012, soit la date de fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA) établie aux termes des alinéas 44(1)b) et 44(2)a) du Régime de pensions du Canada.

[5] La division générale a évalué la preuve médicale présentée, y compris le témoignage et les rapports du Dr Pityk. La division générale a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir que la demanderesse était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date de fin de sa PMA, même s’il était manifeste qu’elle était atteinte d’une grave invalidité au moment de l’audience.

[6] La division générale a souligné à cet égard que le Dr Pityk n’avait commencé à voir la demanderesse qu’en juin 2017. Elle a aussi indiqué qu’il n’existait aucune preuve médicale entre juin 2009 et juin 2017. Même si le Dr Pityk a affirmé que la demanderesse était probablement atteinte d’une invalidité grave à la date de fin de sa PMA, la division générale n’a pas accordé beaucoup de poids à son témoignage, parce que le Dr Pityk n’avait commencé à la voir qu’en 2017, qu’il n’existait aucune preuve médicale entre 2009 et 2017, et que les médecins qui ont vu la demanderesse en 2009 avaient indiqué qu’elle était alors en mesure de travailler.

[7] La demanderesse a interjeté appel devant la division d’appel, qui a confirmé la décision de la division générale. La division d’appel a jugé que la division générale n’avait commis aucune erreur qui pourrait être visée par l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34 (la LMEDS), qui régit les appels devant la division d’appel.

[8] Plus précisément, la division d’appel a conclu que la division générale n’avait commis aucune erreur en droit puisqu’elle avait à juste titre énoncé les principes applicables à l’établissement d’un droit à une pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada. La division d’appel a également conclu que la division générale n’avait tiré aucune conclusion de fait erronée au sens de l’article 58 de la LMEDS puisque la division générale était autorisée à accorder peu de poids au témoignage du Dr Pityk concernant l’état de santé de la demanderesse à la date fin de sa PMA. La division d’appel a de plus conclu que la division générale n’avait pas mal interprété les antécédents professionnels de la demanderesse, fondé sur le témoignage de la demanderesse. La division d’appel a par conséquent conclu qu’il était loisible à la division générale de juger que la demanderesse n’avait pas réussi à établir que ses problèmes de santé étaient suffisamment graves à la fin de sa PMA pour lui donner droit à une pension d’invalidité.

[9] Il est entendu que l’article 58 de la LMEDS confère à la division d’appel le pouvoir d’intervenir dans les décisions de la division générale. Il limite les moyens d’appel aux situations où la division générale :

  • n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

  • a rendu une décision entachée d’une erreur de droit;

  • a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] Comme notre Cour l’a affirmé dans l’arrêt Garvey c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 118, au paragraphe 5, [2018] ACF no 626 (QL), le critère permettant de conclure qu’il existe une erreur de fait, tel qu’énoncé à l’article 58 de la LMEDS, est un critère « […] plus strict que la réévaluation des éléments de preuve, [et] oblige la division d’appel à décider si les conclusions de fait tirées par la division générale étaient déraisonnables, et non si elles étaient inexactes ».

[11] Dans l’arrêt Walls c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 47 [arrêt Walls], notre Cour a expliqué plus en détail le critère pour conclure qu’il existe une erreur de fait selon l’article 58 de la LMEDS, en affirmant ce qui suit au paragraphe 41 :

Notre Cour a estimé qu’une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire est une conclusion qui contredit carrément les éléments de preuve ou qui n’est pas étayée par ces derniers (Garvey c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 118, [2018] A.C.F. no 626 (QL) au para. 6). Dans la décision récente intitulée Canada (Procureur général) c. Best Buy Canada Ltd., 2021 CAF 161 aux paragraphes 122 et 123, en renvoyant à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7 et à l’arrêt Rohm & Haas Canada Limited v. Canada (Anti-Dumping Tribunal) (1978), 1978 CanLII 2028 (FCA), 22 N.R. 175, 91 D.L.R. (3e) 212, notre Cour s’est penchée sur le sens de l’expression « tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance » dans un contexte similaire à la détermination de l’existence d’un fondement pour justifier une intervention par rapport à des conclusions factuelles erronées d’un décideur administratif. Dans ce passage, notre Cour explique que le critère de « l’absurdité » a été interprété comme le fait d’« avoir sciemment statué à l’opposé de la preuve ». Le critère du « caractère arbitraire » ou de la constatation des faits sans tenir compte des éléments de preuve comprendrait les circonstances « où la conclusion n’était rationnellement étayée d’aucun élément de preuve […] ou celles où le décideur a omis de tenir raisonnablement compte d’éléments de preuve importants qui étaient contraires à sa conclusion. »

[12] Devant notre Cour, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (voir, p. ex., l’arrêt Walls, au para. 7; Canada (Procureur général) c. Burke, 2022 CAF 44, au para. 25. Par conséquent, nous ne pouvons intervenir à moins que la décision ou les motifs de la division d’appel ne soient déraisonnables.

[13] Les conclusions de fait de tribunaux administratifs ne sont déraisonnables que si elles sont tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve, comme il est précisé à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au para. 72, [2009] ACS no 12 (QL); et Canada (Procureur général) c. Best Buy Canada Ltd., 2021 CAF 161, au para. 122, [2021] ACF no 848 (QL). Il s’agit exactement du même critère que celui énoncé à l’article 58 de la LMEDS. Par conséquent, lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, comme c’est le cas en l’espèce, notre Cour n’a pas à soupeser à nouveau les éléments de preuve présentés ou à remettre en question l’évaluation faite par la division générale ou la division d’appel.

[14] Devant nous, tous les arguments présentés par la demanderesse visent à contester la conclusion de fait tirée par la division générale concernant la gravité de son invalidité à la fin de sa PMA. La demanderesse affirme plus précisément que la division générale aurait dû accorder plus de poids au témoignage du Dr Pityk et que la division d’appel a commis une erreur en n’arrivant pas à cette conclusion.

[15] Toutefois, comme nous l’avons souligné, un désaccord quant au poids accordé à un élément de preuve n’équivaut pas à une décision déraisonnable. Les décideurs administratifs, comme la division générale, bénéficient d’une large marge d’appréciation à l’égard de leurs conclusions de fait, lesquelles ne sauront être annulées lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’il existe des éléments de preuve pouvant étayer les conclusions tirées par le décideur.

[16] En l’espèce, il existait amplement d’éléments de preuve pour soutenir la décision de la division générale de ne pas accorder beaucoup de poids au témoignage du Dr Pityk quant aux problèmes de santé de la demanderesse à la fin de sa PMA, parce qu’il n’avait pas une connaissance directe de ces problèmes. En fait, dans sa lettre du 1er juin 2020 sur laquelle s’appuie la demanderesse, le Dr Pityk affirme qu’il n’avait [traduction] « […] pas de preuve précise indiquant comment allait [la demanderesse] entre 2009 et 2017 […] ». Même si le Dr Pityk semble avoir affirmé devant la division générale qu’il pensait que les médecins de la demanderesse lui avaient dit en 2009 qu’elle ne devrait pas travailler, il n’a pas donné la source de cette information à la division générale. Contrairement à ce qu’affirme devant nous la demanderesse, il ne revenait pas à la division générale de demander au Dr Pityk quelle était la source de cette information. Il incombait à la demanderesse d’établir, devant la division générale, qu’elle avait droit à une pension d’invalidité.

[17] Étant donné la déclaration qui précède du Dr Pityk, dans sa lettre du 1er juin 2020, les opinions des médecins qui ont vu la demanderesse en 2009, de même que le fait que le Dr Pityk n’a commencé à traiter la demanderesse qu’en 2017, il était loisible à la division générale d’en arriver à la conclusion à laquelle elle en est arrivée, et à la division d’appel de refuser d’intervenir dans cette conclusion. La décision de la division d’appel est par conséquent raisonnable.

[18] Je rejetterais donc la présente demande, sans dépens puisque, à juste titre, le défendeur n’en a pas demandé.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

John B. Laskin, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

Anne L. Mactavish, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-104-21

INTITULÉ :

LAURA-LEE PINKERTON c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 novembre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :

Le 28 novembre 2022

COMPARUTIONS :

Laura-Lee Pinkerton

Pour la demanderesse

POUR SON PROPRE COMPTE

Jordan Fine

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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