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Date : 20221121


Dossier : A-175-22

Référence : 2022 CAF 199

CORAM:

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

LE JUGE LEBLANC

 

ENTRE :

TONY DOUSSOT

appelant

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

Décidé sans comparution des parties sur la base du dossier écrit.

Ordonnance rendue à Ottawa, le 21 novembre 2022.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LEBLANC

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20221121


Dossier : A-175-22

Référence : 2022 CAF 199

CORAM:

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

LE JUGE LEBLANC

 

ENTRE :

TONY DOUSSOT

appelant

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE LEBLANC

[1] La Cour est saisie d’une requête en rejet et en annulation de l’appel logé par l’appelant à l’encontre d’un avis qu’il a reçu, par la voie d’une lettre signée par un agent de greffe de la Cour canadienne de l’impôt (la CCI), daté du 24 août 2022, à l’effet que la demande de réouverture de son dossier à la CCI avait été rejetée (la Lettre).

[2] L’intimé soutient que la Lettre n’est ni un jugement, ni une ordonnance, définitif ou interlocutoire, au sens des paragraphes 27(1.1) et (1.2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7 (la Loi) et que dès lors, elle ne peut faire l’objet d’un appel.

[3] Ce sont des avis de nouvelle cotisation émis pour le compte de l’intimé par la ministre du Revenu national (la Ministre), pour les années fiscales 2016, 2017 et 2018, qui sont à l’origine de la présente affaire. L’appelant s’y est opposé sans succès et s’est ensuite adressé à la CCI pour contester le bien-fondé de la décision de la Ministre. En mars 2022, les parties ont signé une entente, sous forme d’un consentement à jugement, en vue de régler leur différend. Le 28 mars 2022, la CCI a accueilli l’appel de l’appelant et déféré l’affaire à la Ministre « pour un nouvel examen et nouvelles cotisations, selon les termes du consentement à jugement ci-joint ».

[4] Le 22 avril 2022, l’appelant, après avoir reçu les avis de nouvelle cotisation consécutifs au consentement à jugement, s’y est opposé, soutenant que ces nouveaux avis ne reflétaient pas l’entente intervenue avec la Ministre. Il a demandé du même souffle à ce que la CCI procède à la réouverture de son dossier.

[5] Le 26 avril 2022, une agente du greffe de la CCI a invité la Ministre à soumettre des observations et commentaires sur la demande de réouverture de dossier de l’appelant, ce que la Ministre a fait le 12 mai 2022, arguant qu’il y avait chose jugée, le consentement à jugement ayant été entériné par la CCI. De plus, la Ministre a soutenu que dans un tel contexte, suivant la décision de cette Cour dans Mailloux c. Canada, 2012 CAF 331 au para. 8 (Mailloux), il ne pouvait y avoir réouverture du dossier en l’absence de circonstances exceptionnelles, un fardeau que l’appelant n’avait pas rencontré. À titre subsidiaire, la Ministre a plaidé que les critères prévus à l’alinéa 172(2)a) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS-90/688a (les Règles), justifiant l’annulation ou la modification d’un jugement de la CCI – soit la fraude ou la découverte de faits survenus ou découverts après que le jugement ait été rendu - n’étaient pas satisfaits en l’espèce.

[6] Tel que mentionné d’entrée de jeu, le 24 août 2022, un agent du greffe de la CCI a informé l’appelant « que la Cour a rejeté votre application du 22 avril 2022 pour rouvrir votre dossier à la Cour Canadien (sic) de l’impôt ». Aucun jugement ni aucune ordonnance provenant d’un-e juge de la CCI n’accompagnait la Lettre.

[7] Quelques jours auparavant, soit le 15 août 2022, l’appelant était avisé par la Ministre que son avis d’opposition aux avis de nouvelle cotisation pour les années en cause, soit 2016, 2017 et 2018, émis suite au consentement à jugement, était irrecevable au motif qu’ayant signé ce consentement, il « n’av[ait] plus aucun droit d’opposition pour ces années d’imposition ».

[8] À première vue, l’intimé a techniquement raison : la Lettre ne présente pas les caractéristiques d’un jugement ou d’une ordonnance émis par la CCI dans la mesure où on n’y retrouve, que ce soit dans le corps même de la Lettre ou dans un document annexé à celle-ci, aucune indication que la « décision » dont l’appelant est informé est celle d’un-e juge de la CCI. À cet égard, je suis d’accord avec le juge Graham de la CCI lorsqu’il affirme, dans l’affaire Ghaffar c. La Reine, 2015 CCI 46 au para. 2 (Ghaffar), qu’une « lettre du greffe, signée par un agent de greffe, n’est pas une ordonnance de la Cour » puisque les Règles, et plus particulièrement son paragraphe 167(2), lu en conjonction avec la définition de « jugement » à l’article 2, requièrent qu’un tel jugement ou ordonnance soit signé. En effet, suivant le paragraphe 167(2), un jugement ou une ordonnance de la CCI est « prononcé » le jour où il est signé et comme le souligne, à juste titre à mon avis, le juge Graham, il est difficile de concevoir qu’un jugement ou une ordonnance de la CCI puisse être signé par quelqu’un d’autre qu’un-e de ses juges (Ghaffar au para. 2). Les règles sont les mêmes à cet égard lorsque le jugement ou l’ordonnance est prononcé dans le cadre d’une procédure informelle (voir Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure informelle), DORS-90/688b, art. 9 (Règles informelles)).

[9] Il faut croire que le jugement du juge Graham sur ce point n’a pas eu la portée escomptée puisque nous nous retrouvons ici dans la même situation, une situation malheureuse, à mon avis, pour le justiciable puisque le véritable jugement, soit celui prononcé et signé par un-e juge de la CCI, et déposé sans délai au greffe, avec les motifs, le cas échéant, ne lui est pas communiqué. Cela me semble en porte-à-faux avec les Règles et avec ce qui devrait normalement régir la communication d’un document aussi important pour le justiciable que le jugement ou l’ordonnance qui le concerne. Je n’ai rien vu non plus dans les Avis et Directives portant sur la procédure devant la CCI, publiés sur le site Web de ladite Cour, qui avalise ce type de pratique.

[10] Quoi qu’il en soit, ce problème technique, s’il scelle, en principe, le sort du présent appel, ne scelle pas pour autant celui de la demande sous-jacente qui a donné lieu à l’émission de la Lettre, soit la demande de réouverture du dossier. Ce type de problèmes ne peut faire perdre de droits aux justiciables, comme en témoigne l’affaire Ghaffar. Autrement dit, on peut dire que cette demande n’a toujours pas été décidée et que l’appelant a droit à une décision en bonne et due forme.

[11] Toutefois, il est loin d’être acquis que l’appelant peut ici demander la réouverture du dossier de la CCI. En effet, rien dans les Règles ou les Règles informelles, n’accorde à la CCI le pouvoir de rouvrir un dossier ou une audience une fois le jugement rendu. Le texte de l’article 138 des Règles est clair à cet égard alors que les Règles informelles ne contiennent aucune disposition habilitant la CCI à rouvrir un dossier ou une audience. Aussi, bien qu’il soit possible, tel que le prévoit l’article 168 des Règles, de demander un nouvel examen d’un jugement disposant d’un appel, ce nouvel examen est limité à des considérations purement techniques, soit (i) lorsque le prononcé du jugement n’est pas en accord avec les motifs, ou (ii) le juge qui a prononcé le jugement a négligé ou accidentellement omis de traiter d’une question qui aurait dû être traitée. À l’évidence, il ne s’agit pas de cela ici, d’autant plus que le jugement en cause en l’espèce ne fait qu’entériner le consentement à jugement signé par les parties.

[12] Il est bien établi que cette Cour possède, en vertu de sa compétence plénière, le pouvoir de rejeter sommairement un appel, même de son propre chef, lorsque celui-ci est voué à l’échec (Dugré c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 8 aux paras. 19-20). C’est le cas ici puisque la CCI n’a pas le pouvoir de rouvrir un dossier ou une audience, comme le lui demande l’appelant, une fois le jugement rendu. À mon avis, cela suffit pour conclure que le présent appel est voué à l’échec et qu’il doit, en conséquence, être rejeté sommairement.

[13] Je précise ici que le critère des « circonstances exceptionnelles », avancé par l’intimé et tiré du jugement de cette Cour dans Mailloux, n’est d’aucune pertinence en l’espèce puisque cette affaire n’a pas été décidée dans le contexte d’une demande de réouverture de dossier. Elle l’a plutôt été dans le contexte d’un appel d’un jugement de la CCI rejetant l’appel du contribuable à l’encontre d’avis de nouvelle cotisation émis suite à un jugement sur consentement. La différence est importante. La question, donc, de savoir si la CCI peut rouvrir un dossier une fois le jugement rendu en est une d’habilitation, et non d’exercice de discrétion.

[14] Le présent appel n’a pas davantage de chance de réussir si on assimile la demande sous-jacente de l’appelant à une demande d’annulation ou de modification de jugement présentée sous l’égide de l’alinéa 172(2)a) des Règles. Comme le soutient l’intimé, une telle demande doit être faite par requête, et non, comme ici, par la voie d’un simple courriel. Il ne s’agit pas là d’un caprice procédural, mais d’une exigence incontournable, puisque pour réussir, un requérant doit prouver que l’annulation ou la modification du jugement en cause est justifiée en raison d’une fraude ou de faits survenus ou découverts après que ledit jugement ait été rendu. Cela requiert une preuve, d’où la nécessité d’une requête en bonne et due forme adressée à la CCI.

[15] En d’autres termes, l’appelant, en supposant toujours que sa demande sous-jacente en est une présentée en vertu de l’alinéa 172(2)a) des Règles, ne pouvait se contenter d’un énoncé général qu’il pourrait bonifier, preuve à l’appui, devant cette Cour car là n’est pas le rôle de cette Cour lorsqu’elle siège en appel. En somme, même suivant ce scénario et même en considérant que la Lettre est un jugement de la CCI, le présent appel ne pourrait réussir, le substrat factuel nécessaire à l’appréciation de la demande étant absent à la fois pour la CCI et, ultimement, pour cette Cour.

[16] Dans ses prétentions en réponse à la présente requête en rejet d’appel, lesquelles sont datées du 17 octobre 2022, l’appelant a transformé la portée de son avis en indiquant vouloir aussi contester le bien-fondé du jugement sur consentement prononcé le 28 mars 2022. Il s’agit en fait d’une contestation du règlement qui a donné lieu au jugement sur consentement. Le seul reproche que l’appelant semble diriger contre la CCI à cet égard est d’avoir rendu ce jugement sans audience, comme le permet par ailleurs l’alinéa 170a) des Règles. Je note qu’il n’y a aucune preuve au dossier d’une demande de la part de l’appelant pour la tenue d’une telle audience. J’ajouterais que l’appel d’un jugement sur consentement ne saurait servir de moyen détourné pour en demander l’annulation ou la modification en raison d’une fraude ou de faits survenus ou découverts après qu’il ait été rendu, une démarche qui, comme je l’ai mentionné précédemment, exige le dépôt d’une preuve. Cette démarche doit être entreprise devant la Cour qui a prononcé le jugement, et non devant notre Cour.

[17] Quoi qu’il en soit, l’ajout de ce nouveau motif d’appel, en date du 17 octobre 2022, ne pouvait se faire, comme le note l’intimé, sans que l’appelant se fasse relever du défaut de l’avoir fait en temps et lieu, soit dans les 30 jours du prononcé du jugement sur consentement, comme l’exige l’alinéa 27(2)b) de la Loi. Aucune telle demande n’a été formulée par l’appelant si bien que cet ajout ne peut, pour le moment du moins, être considéré comme un moyen d’appel validement devant cette Cour.

[18] Je terminerai en disant ceci. L’appelant, qui se représente seul, a l’impression de se trouver au milieu d’un mauvais film où toutes les avenues pour contester ce qu’il considère, à tort ou à raison, être un règlement auquel il n’a jamais consenti, lui sont fermées. Comme on l’a vu, une requête en annulation ou en modification de jugement, sans évidemment en garantir le succès, semble être une avenue possible, pourvu que l’appelant s’y prenne de la bonne façon. L’appelant voudra peut-être aussi, si ce n’est déjà fait, prendre connaissance du jugement de cette Cour dans Mailloux et voir s’il s’applique à sa situation. Quel que soit la voie de recours qu’il choisit, il lui faudra s’assurer, lorsqu’applicable, qu’il est toujours dans les délais pour y recourir ou encore qu’il se fait relever, le cas échéant, du défaut d’avoir observé ces délais. Chose certaine, on ne peut nier à l’appelant une intention constante de contester les avis de nouvelle cotisation émis consécutivement au jugement sur consentement.

[19] Pour toutes ces raisons, je propose d’accueillir la présente requête et de rejeter l’appel. L’intimé ne demande pas les dépens, ce qui est tout à fait approprié dans les circonstances bien particulières de ce dossier. J’accueillerais donc la requête sans dépens.

« René LeBlanc »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-175-22

 

INTITULÉ :

TONY DOUSSOT c. SA MAJESTÉ LE ROI

 

DECIDÉE SANS COMPARUTION DES PARTIES SUR LA BASE DU DOSSIER ECRIT

MOTIFS DE L’ORDONNANCE:

LE JUGE LEBLANC

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 novembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Tony Doussot

 

l'appelant

 

Éliane Mandeville

Julien Dubé-Sénécal

 

Pour l'intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l'intimé

 

 

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