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Date : 20221121


Dossier : A-343-19

Référence : 2022 CAF 198

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE STRATAS

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

CRISPIN KEMP

appelant

et

MINISTÈRE DES FINANCES CANADA

intimé

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 3 novembre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20221121


Dossier : A-343-19

Référence : 2022 CAF 198

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE STRATAS

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

CRISPIN KEMP

appelant

et

MINISTÈRE DES FINANCES CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

I. Introduction

[1] M. Kemp interjette appel d’une décision de la Cour fédérale (le juge Grammond) rejetant sa demande de prorogation du délai pour déposer un avis de demande dans lequel il conteste la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission). Dans sa décision rendue en date du 28 juin 2019, la Commission a décidé de ne pas statuer sur la plainte de M. Kemp selon laquelle il avait subi de la discrimination en raison de son âge.

II. Faits

[2] Comme beaucoup de Canadiens prudents, M. Kemp a épargné en vue de sa retraite en versant une partie de ses revenus dans un régime enregistré d’épargne retraite (REER). Toutefois, en 2018, les plans de M. Kemp ont été perturbés, l’amenant à déposer une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, dans laquelle il a déclaré ce qui suit :

[traduction]
Je suis citoyen canadien, je travaille à temps plein, je suis né le 8 janvier 1946. Je ne prévois pas prendre ma retraite avant l’âge de 75 ans. J’ai économisé sous une forme ou une autre, en mettant de l’argent de côté pour ma retraite.

À la fin de ma 71e année, le 1er janvier 2018, le gouvernement fédéral, par l’intermédiaire de l’Agence du revenu du Canada, exige qu’un montant d’argent prescrit de mes économies en vue de ma retraite soit retiré annuellement et ajouté à mon revenu d’emploi.

Cette mesure prise le gouvernement fédéral constitue de la discrimination flagrante fondée uniquement sur mon âge.

[3] À ce stade-ci, il sera peut-être utile au lecteur d’avoir en main les passages pertinents de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi). La partie I de la Loi porte sur les motifs de distinction illicite, qui sont énoncés à l’article 3 :

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience.

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, gender identity or expression, marital status, family status, genetic characteristics, disability and conviction for an offence for which a pardon has been granted or in respect of which a record suspension has been ordered.

[4] Les motifs de distinction illicite s’inscrivent dans la définition d’« acte discriminatoire » dont il est question aux articles 5 à 14.1 de la Loi. Ces actes discriminatoires visent tous la discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite (énoncés à l’article 3) dans le cadre de certaines activités, à savoir la fourniture de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public (art. 5), la fourniture de locaux commerciaux ou de logements (art. 6), l’emploi (art. 7), les demandes d’emploi, la publicité, les politiques, les pratiques, les ententes et les salaires (art. 8, 10 et 11), l’adhésion aux organisations syndicales (art. 9), la publication ou l’exposition d’affiches, d’écriteaux, d’insignes, d’emblèmes, de symboles ou d’autres représentations (art. 12) et le harcèlement (art. 14).

[5] En l’espèce, l’acte discriminatoire pertinent est énoncé à l’article 5 reproduit ci-dessous :

5. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public :

5. It is a discriminatory practice in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public

a) d’en priver un individu;

(a) to deny, or to deny access to, any such good, service, facility or accommodation to any individual, or

b) de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

(b) to differentiate adversely in relation to any individual,

on a prohibited ground of discrimination.

[6] L’article 4 de la Loi, qui est libellé comme suit, est crucial quant à l’issue de la présente affaire :

4. Les actes discriminatoires prévus aux articles 5 à 14.1 peuvent faire l’objet d’une plainte en vertu de la partie III et toute personne reconnue coupable de ces actes peut faire l’objet des ordonnances prévues à l’article 53.

4. A discriminatory practice, as described in sections 5 to 14.1, may be the subject of a complaint under Part III and anyone found to be engaging or to have engaged in a discriminatory practice may be made subject to an order as provided in section 53.

[7] L’article 4 est important en ce qu’il définit ce qui peut faire l’objet d’une plainte, à savoir un acte discriminatoire. L’article 40 le confirme :

40. (1) Sous réserve des paragraphes (5) et (7), un individu ou un groupe d’individus ayant des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire peut déposer une plainte devant la Commission en la forme acceptable pour cette dernière.

40. (1) Subject to subsections (5) and (7), any individual or group of individuals having reasonable grounds for believing that a person is engaging or has engaged in a discriminatory practice may file with the Commission a complaint in a form acceptable to the Commission.

[8] L’article 41 de la Loi porte sur le traitement des plaintes, et était l’élément déterminant de la décision de la Commission, en l’espèce, de ne pas statuer sur la plainte de M. Kemp :

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

[…]

[9] Dans ce contexte, je reviens aux faits de la plainte de M. Kemp. La Commission a confié la plainte de M. Kemp à une agente des droits de la personne, qui a examiné la demande pour déterminer si elle relevait de l’une des circonstances énoncées à l’article 41 de la Loi, permettant à la Commission de refuser de statuer sur la plainte.

[10] L’agente des droits de la personne a qualifié la plainte de M. Kemp de discrimination fondée sur l’âge à l’encontre du ministère des Finances Canada en lien avec la fourniture d’un service aux termes de l’article 5 de la Loi. Après certaines observations préliminaires, elle a ainsi décrit la question dont elle était saisie :

[traduction]
La plainte est-elle frivole dans la mesure où la conduite alléguée n’est pas discriminatoire selon la Loi parce qu’elle ne constitue pas un acte discriminatoire décrit aux articles 5 à 14.1 de la Loi? [Non souligné dans l’original]

Dossier d’Appel, à l’onglet 1-12

[11] L’agente des droits de la personne devait considérer si les faits énoncés par M. Kemp constitueraient un acte discriminatoire au sens de l’article 5, plus précisément, un acte discriminatoire lié à la fourniture de services destinés au public. Elle a cité un arrêt de la Cour suprême du Canada (Gould c. Yukon Order of Pioneers, 1996 CanLII 231, [1996] 1 R.C.S. 571), qui établit que le « service » prescrit à l’article 5 de la Loi a une connotation transitive du fait que ce service doit passer du fournisseur de services au membre du public.

[12] L’agente des droits de la personne s’est penchée sur la question à savoir si les lois fédérales peuvent constituer un service aux termes de l’article 5 de la Loi et, par conséquent, faire l’objet d’une plainte. À ce sujet, elle a pris en considération l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, [2018] 2 R.C.S. 230, qui portait directement sur la question et qui avait force obligatoire (l’arrêt CCDP). Dans l’arrêt CCDP, la Cour suprême a confirmé la jurisprudence qui a établi que l’acte de légiférer n’a pas de connotation transitive, ce qui signifie que l’acte de légiférer ou les mesures législatives ne constituent pas un service aux termes de l’article 5 pouvant donner ouverture à un acte discriminatoire : arrêt CCDP, aux paragraphes 61 à 64. À la lumière de cet arrêt faisant autorité, l’agente des droits de la personne a conclu que l’article 5 ne permet pas de contester des effets discriminatoires lorsque ceux-ci découlent directement du texte non ambigu de lois fédérales.

[13] En se fondant sur cette analyse, l’agente des droits de la personne a conclu que les plaintes qui contestent directement des dispositions législatives n’ont aucune chance raisonnable d’être accueillies. Dans le cas de M. Kemp, elle a conclu que [traduction] « l’obligation d’encaisser les REER dès l’âge de 71 ans est déterminée par le texte non ambigu et non discrétionnaire de l’article 146 de la Loi de l’impôt sur le revenu » : Dossier d’Appel, à l’onglet 1-13. Comme la plainte était une contestation des mesures législatives et ne pouvait pas être accueillie, il s’agissait d’une plainte frivole au sens de la Loi. Par conséquent, l’agente des droits de la personne a recommandé que la Commission ne statue pas sur la plainte de M. Kemp.

[14] Le rapport de l’agente des droits de la personne (Le rapport sur les articles 40 et 41) a été transmis à M. Kemp pour qu’il puisse y répondre. Après avoir examiné sa réponse, la Commission l’a informé qu’elle avait décidé, en application de l’alinéa 41(1)d) de la Loi, de ne pas statuer sur sa plainte en raison de son caractère frivole, et qu’elle fermait le dossier. La décision communiquée par lettre en date du 28 juin 2019 se termine par un avis informant M. Kemp de son droit de présenter une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale pour qu’elle examine la décision de la Commission, dans les 30 jours suivant la date de la réception de la décision.

[15] En raison du fait que M. Kemp était absent de chez lui pendant une partie du délai de 30 jours, il n’a pas été en mesure de déposer son avis de demande à temps, et il a donc présenté une requête en vue d’obtenir une prorogation de délai de 60 jours pour déposer son avis de demande afin de lui permettre d’exercer son recours. La Cour fédérale a rejeté sa requête.

III. Décision visée par l’appel

[16] La Cour fédérale a invoqué la décision rendue par notre Cour dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204, [2012] ACF no 880 (QL) au paragraphe 61 [Larkman], qui énonce le critère à appliquer dans une demande de prorogation de délai. Ces facteurs sont ainsi énumérés :

1) Le requérant a-t-il manifesté une intention constante de poursuivre sa demande?

2) La demande a-t-elle un certain fondement?

3) La Couronne a-t-elle subi un préjudice en raison du retard?

4) Le requérant a-t-il une explication raisonnable pour justifier le retard?

[17] La Cour fédérale s’est immédiatement penchée sur la question du bien-fondé éventuel de la demande. Elle a expliqué que son rôle n’était pas de se prononcer sur la demande même, mais qu’il était important que les ressources limitées du système judiciaire ne soient pas consacrées à une affaire vouée à l’échec. C’est pourquoi le demandeur qui présente une demande de prorogation de délai doit établir que sa cause a « un certain fondement ». À cela j’ajouterais que, si une cause a un certain fondement, il n’incombe pas au juge des requêtes de déterminer si la demande sera finalement accueillie ou rejetée, ce que la Cour fédérale avait fort probablement à l’esprit lorsqu’elle a fait référence au fait de ne pas se prononcer sur la demande.

[18] La Cour fédérale a alors mentionné que M. Kemp n’avait fourni aucun renseignement sur la décision qu’il souhaitait contester dans sa demande. La Cour a souligné qu’il n’avait pas déposé la décision, mais que le défendeur l’avait fait. M. Kemp conteste ce fait. Quoi qu’il en soit, le document désigné comme étant la décision dans l’affidavit déposé par le défendeur n’était pas en fait la décision, mais bien le rapport sur les articles 40 et 41 préparé par l’agente des droits de la personne. Bien que notre Cour ait reconnu que ce rapport peut être considéré comme les motifs de la décision de la Commission (Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392 au par. 37; Zulkoskey c. Canada (Emploi et Développement social), 2016 CAF 268, [2016] ACF no 1339 (QL) au par. 16), la véritable décision est la lettre de la Commission datée du 28 juin 2019. Cette erreur ne tire pas à conséquence, même si M. Kemp a trouvé à redire sur le manque de soin de ceux qui ont préparé l’affidavit présentant le rapport sur les articles 40 et 41 comme étant la décision, et de ceux qui l’ont accepté comme tel.

[19] La Cour fédérale a souligné la position de la Commission selon laquelle la plainte de M. Kemp était liée au fait qu’il était tenu de commencer à « encaisser » ses REER à 71 ans, ce qui, selon M. Kemp, constitue de la discrimination fondée sur l’âge. La Cour a également fait remarquer la conclusion tirée par Commission selon laquelle cette exigence était prescrite par l’article 146 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.). Par conséquent, la Cour a souligné que la Commission avait conclu qu’elle ne pouvait pas statuer sur la plainte de M. Kemp parce qu’elle n’avait pas la compétence pour statuer sur les plaintes qui visaient uniquement la validité d’une loi. La Cour a fait remarquer que M. Kemp a nié le fait que sa plainte visait uniquement les dispositions pertinentes de la Loi de l’impôt sur le revenu, tout en concluant qu’il n’avait pas démontré que sa plainte allait au-delà de la règle voulant qu’il soit tenu de commencer à « encaisser » ses REER à 71 ans.

[20] La Cour fédérale a finalement conclu qu’elle n’était pas en mesure de faire une distinction entre la demande proposée de M. Kemp et les faits dont la Cour suprême du Canada était saisie dans l’arrêt CCDP. Comme l’a conclu la Cour, le fondement de cette affaire repose sur le fait que la Commission n’a compétence que sur les actes discriminatoires, alors que l’adoption de dispositions législatives ne peut être considérée comme un « service » et ne peut donc pas donner ouverture à un acte discriminatoire. Selon la Cour, il importe peu qu’une prorogation de délai soit accordée à M. Kemp car, en raison de ce raisonnement, sa demande est vouée à l’échec. Par conséquent, sa demande de prorogation de délai a été rejetée sans dépens.

IV. Analyse

[21] La décision visée par l’appel est une décision discrétionnaire d’un juge des requêtes. À la suite de la décision de notre Cour dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331, au paragraphe 79, la norme de contrôle est la norme applicable en appel, énoncée dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, à savoir celle de la décision correcte pour les questions de droit, et celle de l’erreur manifeste et dominante pour les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit, à moins qu’il ne soit possible de discerner une question de droit isolable.

[22] Dans sa plaidoirie, M. Kemp a fait valoir avec insistance que la Commission avait manqué à son obligation en ne cherchant pas à savoir s’il était victime de discrimination et, si tel était le cas, en ne se demandant pas si la discrimination était permise par la loi, et, dans l’affirmative, en ne prenant pas les mesures appropriées. Il souhaitait donner suite à sa demande de contrôle judiciaire afin que cette erreur soit corrigée.

[23] Le problème réside dans le fait que les lois du pays qui nous lient tous exigent que la Commission effectue une analyse différente. La Loi dispose que la Commission ne statuera sur les plaintes de discrimination fondées sur des motifs de distinction illicite que si la conduite en question constitue un acte discriminatoire.

[24] Dans sa plainte, M. Kemp a invoqué un motif de distinction illicite, mais n’a pas expressément allégué un acte discriminatoire. L’agente des droits de la personne a déterminé que la fourniture de services constituait l’acte discriminatoire prescrit par la Loi qui ressemblait le plus aux faits que M. Kemp a présentés à la Commission. Cela figure à la page 2 de son rapport, à l’onglet 1-12 du Dossier d’Appel, où elle cite l’article 5 de la Loi et examine la notion de services destinés au public. Dans les circonstances, il s’agissait de la seule option dont l’agente des droits de la personne disposait de façon réaliste puisqu’il est clair que la plainte de M. Kemp ne pouvait pas être qualifiée de plainte en matière de logement ou d’emploi, ou portant sur tout autre acte discriminatoire décrit aux articles 5 à 14.1 de la Loi.

[25] Il est important de comprendre qu’en agissant comme elle l’a fait, l’agente des droits de la personne tentait de faire en sorte que la plainte de M. Kemp relève des dispositions de la Loi pour que la Commission ait compétence pour l’entendre. Malheureusement, ce qui correspond le mieux en l’espèce, soit la fourniture de « services », n’est d’aucun secours pour M. Kemp parce que, dans l’arrêt CCDP, comme je l’ai déjà mentionné, la Cour suprême a confirmé que l’« acte de légiférer » ou les mesures législatives ne constituent pas un service offert au public. La plainte de M. Kemp sur les effets discriminatoires de la Loi de l’impôt sur le revenu ne faisait donc état d’aucun acte discriminatoire.

[26] Puisque dans sa forme originale ou telle qu’elle a été reformulée par l’agente des droits de la personne, la plainte ne révélait aucun acte discriminatoire, elle était vouée à l’échec compte tenu des restrictions contenues dans la Loi. Dans la décision Hérold c. Canada (Agence du revenu), 2011 CF 544, [2011] A.C.F. no 683 (QL), le juge Rennie (avant sa nomination à la Cour d’appel fédérale) a écrit ce qui suit au paragraphe 35 :

Troisièmement, le critère à appliquer pour savoir si une plainte est ou non frivole au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi est le suivant : compte tenu de la preuve, apparaît-il manifeste et évident que la plainte est vouée à l’échec?

[27] Par conséquent, on peut affirmer qu’une demande est frivole s’il est clair qu’elle ne peut être accueillie. Lorsqu’il est employé de cette manière, le terme « frivole » concerne la demande et non le demandeur, et, dans ce contexte juridique spécialisé, il désigne une demande qui est vouée à l’échec. M. Kemp, qui n’avait pas en tête le sens juridique de ce terme, s’est senti offusqué par son emploi. Aucun élément de ce dossier n’indique que la Commission ou la Cour fédérale a cru que M. Kemp a déposé sa plainte de manière frivole, c’est-à-dire en posant un geste irréfléchi ou non sérieux. Il est évident qu’il s’agit d’une personne réfléchie et sérieuse, qui dépose honnêtement une plainte bien qu’elle soit vouée à l’échec. Le problème est que sa plainte ne peut être accueillie aux termes de la Loi, de sorte que, selon le sens technique du terme employé dans la disposition législative, cette plainte est frivole.

[28] Compte tenu des facteurs à prendre en considération pour décider d’accorder ou non une prorogation du délai pour présenter une demande, une conclusion selon laquelle la demande ne peut être accueillie porte un coup fatal à cette demande. Bien qu’il ne soit pas nécessaire que les quatre facteurs énoncés dans l’arrêt Larkman jouent en faveur de l’appelant, une conclusion selon laquelle la demande est vouée à l’échec se révèle fatale parce que le fait de laisser la demande suivre son cours entraînerait la tenue d’une audience dont l’issue est déterminée d’avance. Il s’agit là d’un gaspillage des ressources pour toutes les personnes concernées. La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en s’abstenant d’examiner les autres facteurs.

[29] Par conséquent, la décision de la Cour fédérale de refuser d’accorder à M. Kemp une prorogation du délai pour déposer sa demande de contrôle judiciaire était raisonnable et ne justifie pas notre intervention.

[30] Pour ces motifs, je rejetterais l’appel de M. Kemp, sans dépens.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-343-19

 

 

INTITULÉ :

CRISPIN KEMP c. MINISTÈRE DES FINANCES CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 novembre 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 novembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Crispin Kemp

 

Pour l’appelant

(Pour son propre compte)

 

Soniya Bhasin

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimé

 

 

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