Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20221115


Dossier : A-140-21

Référence : 2022 CAF 197

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

ALEXANDRU-IOAN BURLACU

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2022.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20221115


Dossier : A-140-21

Référence : 2022 CAF 197

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

ALEXANDRU-IOAN BURLACU

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2022.)

LE JUGE STRATAS

[1] L’appelant, un employé de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’Agence), interjette appel du jugement rendu par la Cour fédérale le 19 avril 2021 : 2021 CF 339 (le juge Norris). La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’appelant. L’appelant sollicitait le contrôle judiciaire du rejet d’un grief qu’il avait déposé.

[2] Dans son grief, l’appelant se plaignait d’avoir fait l’objet de harcèlement en milieu de travail de la part de deux collègues qui occupaient des postes supérieurs au sein de l’Agence. L’Agence a refusé de faire enquête sur la plainte, car le comportement reproché ne constituait pas du harcèlement en milieu de travail selon la politique du Conseil du Trésor. L’appelant a contesté cette décision par voie de grief. Le décideur a finalement rejeté le grief. Bien qu’il soit regrettable que les motifs invoqués par le décideur soient si peu étoffés, leur lecture au vu du dossier montre que le décideur était d’avis que le comportement reproché ne constituait pas du harcèlement.

[3] Dans son appel interjeté auprès de notre Cour, l’appelant conteste le rejet par la Cour fédérale de sa demande de contrôle judiciaire. Il demande à notre Cour d’infirmer ce rejet, d’annuler la décision rendue sur le grief et d’ordonner un réexamen.

[4] La Cour fédérale a déterminé, à juste titre, que la norme qui devait s’appliquer était celle de la décision raisonnable et elle l’a appliquée correctement. Elle a conclu, à juste titre, que la décision qui faisait l’objet du contrôle, plus précisément la conclusion formulée au paragraphe 58 selon laquelle le comportement reproché ne constituait pas du harcèlement, était raisonnable. Par conséquent, nous rejetterons l’appel, essentiellement pour les mêmes motifs que ceux invoqués par la Cour fédérale. Ce faisant, nous réitérons l’insatisfaction exprimée par la Cour fédérale à l’égard des motifs invoqués par le décideur saisi du grief. Bien qu’il soit possible de dégager le fondement de la décision rendue sur le grief, il aurait été préférable que les motifs offrent à l’appelant une explication plus détaillée.

[5] L’appelant affirme que le décideur saisi du grief n’a pas examiné les manquements invoqués au Code de valeurs et d’éthique (le Code) qui régit le comportement des employés du lieu de travail en cause et qui faisaient partie de son grief. L’appelant affirme que le processus utilisé pour le règlement du grief témoigne d’un manque [traduction] « de respect » et [traduction] « d’équité ». L’intimé rétorque que cette vague allégation ne peut être corroborée : le Code n’établit pas d’attentes exécutoires précises en matière de comportement; il ne fait qu’énoncer les valeurs générales du milieu de travail.

[6] Le décideur saisi du grief a bel et bien examiné cette question – brièvement, il faut en convenir – à l’avant-dernier paragraphe de ses motifs. Malheureusement, les motifs sont, là encore, brefs et péremptoires. Cependant, lorsque nous tenons compte de l’ensemble du dossier qui a été présenté au décideur, nous convenons avec l’intimé que le décideur ne pouvait pas raisonnablement conclure que les violations du Code alléguées étaient sanctionnables dans le présent contexte et dans les circonstances particulières de l’espèce. L’allégation de manque de respect et d’équité durant le processus était très vague et manquait de détails : cahier d’appel aux pp. 163 et 164. De plus, comme l’a mentionné la Cour fédérale, les lacunes dans le processus de règlement des griefs n’ont eu aucune incidence sur le résultat : le décideur a raisonnablement conclu qu’aucun comportement ne correspondait à la définition de harcèlement et que le harcèlement était l’élément dominant du grief déposé par l’appelant.

[7] L’appelant invoque un entretien privé au cours duquel deux cadres supérieurs l’auraient dénigré. L’appelant n’a pas assisté à cet entretien. Il affirme que les cadres supérieurs ont ainsi propagé des rumeurs à son sujet, ce qui constituait du harcèlement et allait à l’encontre du Code. L’appelant affirme en outre que l’opinion méprisante qu’ils avaient de lui a influencé leur prise de décisions et que le décideur saisi du grief aurait dû lui aussi en venir à cette conclusion. Nous sommes d’avis que le décideur saisi du grief a raisonnablement conclu que l’entretien ne constituait pas du harcèlement. Les évaluations du rendement et les évaluations des employés sont faites par les supérieurs qui se consultent constamment à ce sujet. Ces discussions, en soi et sans rien d’autre, ne peuvent raisonnablement pas satisfaire à la définition applicable de harcèlement. Un seul entretien au cours duquel des commentaires défavorables sont formulés ne peut raisonnablement pas équivaloir à la propagation de rumeurs atteignant le niveau du harcèlement. À cet égard, nous souscrivons aux commentaires formulés par la Cour fédérale au paragraphe 55 de ses motifs.

[8] L’appelant fait valoir, comme il l’a fait à la Cour fédérale, qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale lors du règlement du grief et que, par conséquent, la décision qui a été rendue doit être annulée et l’affaire doit être renvoyée aux fins de réexamen.

[9] Nous rejetons cette observation, peu importe la norme de contrôle – le cas échéant – en regard de laquelle cette question de l’équité procédurale est examinée. Comme l’a conclu la Cour fédérale, il n’y a eu qu’au plus un manquement technique et sans conséquence qui n’a fait aucune différence réelle dans les circonstances de l’espèce : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 au para. 142, renvoyant à Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, 111 D.L.R. (4th) 1 aux pp. 228 à 230; voir, aussi, notamment, Canada (Commission des droits de la personne) c. Nation crie de Saddle Lake, 2018 CAF 228 au para. 20, Gauthier c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 96 aux para. 8 et 9 et Gupta c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 50 au para. 15. Sur ce point, nous souscrivons aux motifs formulés par la Cour fédérale au paragraphe 88.

[10] La Cour fédérale a également conclu que la décision sur le grief était lacunaire, car elle n’a pas tenu compte des préoccupations exprimées par l’appelant quant au manque d’impartialité. Elle a toutefois refusé de renvoyer l’affaire pour qu’elle soit réexaminée puisque, sur le fond, le grief aurait toujours été rejeté (aux para. 64 et 65). De l’avis de la Cour fédérale, le rejet du grief était la seule décision sur le fond qui était raisonnable, eu égard aux faits et au droit.

[11] Il était loisible à la Cour fédérale d’opter pour cette réparation : arrêt Vavilov au para. 142; voir également, par exemple, Maple Lodge Farms c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2017 CAF 45, 411 D.L.R. (4th) 175, Sharif c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 205, 50 C.R. (7th) 1 aux para. 53 et 54 et Gehl v. Canada (Attorney General), 2017 ONCA 319, 138 O.R. (3d) 52 aux para. 54 et 88. Nous devons examiner les décisions de la Cour fédérale sur les mesures de réparation en regard de la norme de contrôle en appel : Canada c. Première nation de Long Plain, 2015 CAF 177, 388 D.L.R. (4th) 209 aux para. 88 et 89; Makivik Corporation c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 184. En l’espèce, ayant appliqué la norme de contrôle en appel, nous concluons que la Cour fédérale n’a commis ni d’erreur de droit ni d’erreur manifeste et dominante.

[12] En rendant ces décisions sur les mesures de réparation, la Cour fédérale s’est gardée d’y substituer ses propres décisions sur le bien-fondé du grief – cette question étant réservée au décideur saisi du grief. En d’autres termes, elle n’a d’aucune façon mené un contrôle injustifié en regard de la norme de la décision correcte. En l’espèce, la Cour fédérale s’en est plutôt tenue à son rôle de cour de révision, en menant un contrôle selon la norme qui devait s’appliquer, celle de la décision raisonnable. Elle a agi en tout temps en conformité avec les exigences définies dans l’arrêt Vavilov et les limites qui y sont imposées en matière de mesures de réparation.

[13] Par conséquent, l’appel sera rejeté, le tout avec dépens.

« David Stratas »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-140-21

APPEL DU JUGEMENT RENDU PAR LE JUGE NORRIS LE 19 AVRIL 2021, DOSSIER NO T-1529-19

INTITULÉ :

ALEXANDRU-IOAN BURLACU c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 novembre 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LA JUGE MONAGHAN

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE STRATAS

COMPARUTIONS :

Alexandru-Ioan Burlacu

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Joel Stelpstra

Noémie Fillion

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l’intimé

 

 

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