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Date : 20221013


Dossier : A-103-21

Référence : 2022 CAF 172

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

ENID D. ODDLEIFSON

appelante

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 13 octobre 2022.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 13 octobre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20221013


Dossier : A-103-21

Référence : 2022 CAF 172

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

ENID D. ODDLEIFSON

appelante

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 13 octobre 2022.)

LE JUGE RENNIE

[1] Le ministre du Revenu national a déposé une requête devant la Cour canadienne de l’impôt en vue d’obtenir l’annulation de l’appel de l’appelante concernant la nouvelle cotisation établie par le ministre à l’égard de ses crédits d’impôt pour dons de bienfaisance, alléguant que l’appelante avait renoncé à son droit d’interjeter appel. Le juge Graham de la Cour canadienne de l’impôt (2021 CCI 26) s’est dit d’accord avec le ministre et a accueilli la requête. C’est sur cette décision que porte le présent appel.

[2] En guise de contexte, l’appelante a demandé des crédits d’impôt pour des dons qu’elle aurait versés par le truchement du programme de dons de la Global Learning Gifting Initiative (GLGI) dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2005, 2006, 2007, 2010 et 2011. Le ministre a refusé de lui accorder ces crédits, et l’appelante a déposé des avis d’opposition en réponse aux nouvelles cotisations établies. Étant donné le nombre de contribuables se trouvant dans une situation semblable, le ministre a demandé à ce que l’appelante, et les autres contribuables, soient liés par l’issue d’une série de quatre appels sélectionnés. À cette fin, le ministre a envoyé à l’appelante une lettre dans laquelle il lui a présenté quatre options pour régler son avis d’opposition (la lettre de présentation des options) :

  • 1)renoncer à ses droits d’opposition et d’appel en échange d’une renonciation à tout intérêt accumulé sur les crédits d’impôt pour des dons refusés;

  • 2)renoncer à ses droits d’opposition et d’appel et accepter d’être liée par l’issue des appels devant la Cour canadienne de l’impôt concernant des faits et des questions analogues (les causes types);

  • 3)interjeter appel directement devant la Cour canadienne de l’impôt;

  • 4)ne rien faire.

[3] Dans la lettre de présentation des options, le ministre a souligné que, si l’appelante choisissait de ne rien faire, le ministre pourrait [traduction] « demander à la [Cour canadienne de l’impôt] de lier l’opposition [de l’appelante] aux causes types, comme le lui permet la [Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi)] ». Je souligne, en passant, que ces causes n’avaient pas encore été choisies.

[4] En janvier 2015, l’appelante a signé l’acceptation d’être liée à l’issue du groupe d’appels sélectionnés (l’acceptation d’être liée). Cette acceptation contenait une clause précisant que l’appelante renonçait [traduction] « à tout droit d’opposition et d’appel concernant la question de [son] droit aux crédits d’impôt demandés pour des dons en lien avec [sa] participation au programme de dons de la Global Learning Gifting Initiative ».

[5] La Cour canadienne de l’impôt a par la suite rejeté les appels des contribuables dans deux des appels sélectionnés, et les nouvelles cotisations établies par le ministre ont été confirmées dans la décision Mariano c. La Reine, 2015 CCI 244, [2016] 1 C.T.C. 2132 au paragraphe 146, l’un des appels auxquels l’appelante a expressément accepté de se soumettre. Conformément à l’acceptation d’être liée, le ministre a ratifié les nouvelles cotisations établies à l’égard de l’appelante, dans lesquelles il a refusé les crédits d’impôt pour dons de l’appelante. L’appelante a ensuite interjeté appel des nouvelles cotisations auprès de la Cour canadienne de l’impôt. Le ministre a demandé l’annulation de l’appel au motif que l’appelante avait renoncé à son droit d’interjeter appel dans l’acceptation d’être liée.

[6] Dans son examen de l’appel de l’appelante, la Cour canadienne de l’impôt a appliqué le critère énoncé dans la décision Abdalla c. La Reine, 2017 CCI 222, 2017 D.T.C. 1140, conf. par 2019 CAF 5, 2019 D.T.C. 5004 [Abdalla]. Après avoir renvoyé au paragraphe 169(2.2) de la Loi, qui interdit à un contribuable d’interjeter appel lorsqu’il a renoncé à son droit d’appel, et à l’arrêt Saskatchewan River Bungalows Ltd. c. La Maritime, Compagnie d’assurance-vie, [1994] 2 R.C.S. 490, 1994 CanLII 100, la Cour canadienne de l’impôt a conclu, dans la décision Abdalla, que la renonciation d’un contribuable aux droits d’opposition et d’appel est valide si elle a été faite par écrit, si le contribuable a la pleine connaissance de ses droits, et si le contribuable a l’intention consciente et sans équivoque de renoncer à ces droits.

[7] En l’espèce, devant la Cour canadienne de l’impôt, seul le deuxième critère était en litige, à savoir si l’appelante avait pleine connaissance de ses droits (motifs aux para. 20 et 21). La Cour canadienne de l’impôt a reconnu qu’il incombait au ministre de démontrer que l’appelante avait pleine connaissance de ses droits (motifs au para. 22). Toutefois, la Cour canadienne de l’impôt s’est également appuyée sur la décision Abdalla pour présumer qu’une personne aurait la pleine connaissance des droits en jeu à la lecture de la lettre de présentation des options et de l’acceptation d’être liée (motifs au para. 23).

[8] Le principal argument de l’appelante devant la Cour canadienne de l’impôt, et devant notre Cour, est lié au fait qu’elle croyait que, si elle choisissait de ne rien faire, le ministre réussirait à la lier aux causes qui feraient l’objet de la demande présentée aux termes de l’article 174 de la Loi. Elle a souligné qu’en 2019, le ministre a finalement retiré sa demande qui visait à lier environ 17 000 contribuables aux causes types. Elle a précisé que le juge de la Cour canadienne de l’impôt chargé de la gestion de l’instance avait conclu que « [i]l aurait dû être clair et évident pour le ministre qu’il ne serait jamais pratique de poursuivre la demande » (M.R.N. c. McMahon, 2020 CCI 104, 2020 D.T.C. 1075 au paragraphe 41).

[9] Essentiellement, l’appelante a affirmé que le ministre aurait dû savoir que la demande présentée aux termes du paragraphe 174(1) de la Loi était vouée à l’échec, et pour cette raison, l’appelante n’était pas bien au fait de ses droits.

[10] La Cour canadienne de l’impôt a rejeté l’argument de l’appelante selon lequel le fait qu’elle ait pensé que le ministre parviendrait à la lier aux causes types invalidait sa connaissance de ses droits. La Cour canadienne de l’impôt a plutôt conclu que la reconnaissance par l’appelante de son droit de ne rien faire était suffisante pour établir la pleine connaissance de ses droits (motifs au para. 40). La Cour canadienne de l’impôt a de plus conclu qu’aucun élément de preuve ne permettait de conclure que les fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada (ARC) ont fait preuve de mauvaise foi, et encore moins que l’ARC a essayé d’induire l’appelante en erreur (motifs au para. 40). Au contraire, en déposant sa demande aux termes du paragraphe 174(1), le ministre a fait précisément ce qu’il avait dit qu’il ferait.

[11] L’appelante affirme que son affidavit démontre qu’elle pensait que le ministre parviendrait à la lier aux causes types même si elle choisissait de ne rien faire. Elle soutient que la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que sa compréhension l’a amenée à croire qu’elle ne renonçait pas vraiment à ses droits en signant l’acceptation d’être liée. La Cour canadienne de l’impôt a rejeté cet argument, affirmant que « [l’appelante] a conclu par elle-même que [le ministre] obtiendrait gain de cause » et que « le droit que [l’appelante] devait comprendre était son droit de ne rien faire » (motifs, par. 39 et 40). La Cour canadienne de l’impôt a souligné que la lettre de présentation des options n’indiquait pas que l’ARC « parviendrait » à lier l’appelante aux causes types, mais que « l’ARC envisage de demander à la [Cour canadienne de l’impôt] de lier [son] opposition aux causes types, comme le lui permet la Loi », une conclusion qu’a reconnue l’appelante dans son affidavit (affidavit de Me Oddleifson au para. 22).

[12] Notre Cour ne peut accueillir le présent appel en l’absence d’une erreur de droit ou d’une erreur manifeste et dominante sur une question de fait ou une question mixte de fait et de droit (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

[13] Nous devons par conséquent déterminer si le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur manifeste et dominante sur une question mixte de fait et de droit en tirant la conclusion que l’appelante était bien au fait de ses droits quand elle a signé l’acceptation d’être liée, et qu’elle a ainsi renoncé à son droit d’interjeter appel des nouvelles cotisations établies à son égard. La Cour doit également décider si la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur de droit en affirmant qu’il n’est pas obligatoire que le contribuable comprenne les conséquences factuelles et juridiques potentielles de l’option proposée par le ministre pour que la renonciation soit valide. Je ne relève pas d’erreur de la sorte.

[14] Aucune erreur de fait ou erreur de droit et de fait susceptible de révision n’a été démontrée dans les conclusions de la Cour canadienne de l’impôt. L’appelante peut avoir été déçue des événements et des ramifications ayant découlé de son choix d’être liée, mais la preuve montre qu’elle était consciente de son choix de ne rien faire également. Les termes employés dans la lettre de présentation des options étaient clairs à première vue. La Cour canadienne de l’impôt n’a également commis aucune erreur de droit en tirant la conclusion qu’une évaluation ou prédiction incorrecte des événements à venir ne fausse en rien la compréhension qu’a un contribuable de ses droits. La pleine connaissance est évaluée à la lumière des faits présents au moment où la renonciation a été signée. Elle n’ouvre pas la voie à des conjectures concernant la manière avec laquelle les événements à venir, et leurs conséquences factuelles ou juridiques, pourraient se dérouler.

[15] L’appel sera rejeté avec dépens.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-103-21

 

INTITULÉ :

ENID D. ODDLEIFSON c. SA MAJESTÉ LE ROI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 octobre 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE RENNIE

COMPARUTIONS :

Jeff Pniowsky

Matthew Dalloo

 

Pour l’appelante

Ainslie Schroeder

Allanah Smith

 

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thompson Dorfman Sweatman LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour l’appelante

 

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimé

 

 

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