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Date : 20220519


Dossiers : A-197-20

A-196-20

A-200-20

Référence : 2022 CAF 89

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

Dossier : A-197-20

ENTRE :

ALGOMA TUBES INC., PRUDENTIAL STEEL ULC, TENARIS GLOBAL SERVICES (CANADA) INC. et HYDRIL CANADIAN COMPANY LP (COLLECTIVEMENT « TENARIS CANADA »)

demanderesses

et

HYUNDAI STEEL COMPANY, BORUSAN MANNESMANN BORU SANAYI VE TIҪARET A.Ş., EVRAZ INC. NA CANADA, WELDED TUBE OF CANADA CORPORATION et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

Dossier : A-196-20

ET ENTRE :

EVRAZ INC. NA CANADA et WELDED TUBE OF CANADA CORPORATION

demanderesses

et

HYUNDAI STEEL COMPANY, BORUSAN MANNESMANN BORU SANAYI VE TIҪARET A.Ş., ALGOMA TUBES INC., PRUDENTIAL STEEL ULC, HYDRIL CANADIAN COMPANY LP et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

Dossier : A-200-20

ET ENTRE :

ALGOMA STEEL INC.

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et HYUNDAI STEEL COMPANY

défendeurs

Audience par vidéoconférence organisée par le greffe, le 19 mai 2022.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 19 mai 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20220519


Dossiers : A-197-20

A-196-20

A-200-20

Référence : 2022 CAF 89

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

Dossier : A-197-20

ENTRE :

ALGOMA TUBES INC., PRUDENTIAL STEEL ULC, TENARIS GLOBAL SERVICES (CANADA) INC. et HYDRIL CANADIAN COMPANY LP (COLLECTIVEMENT « TENARIS CANADA »)

demanderesses

et

HYUNDAI STEEL COMPANY, BORUSAN MANNESMANN BORU SANAYI VE TIҪARET A.Ş., EVRAZ INC. NA CANADA, WELDED TUBE OF CANADA CORPORATION et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

Dossier : A-196-20

ET ENTRE :

EVRAZ INC. NA CANADA

et WELDED TUBE OF CANADA CORPORATION

demanderesses

et

HYUNDAI STEEL COMPANY, BORUSAN MANNESMANN BORU SANAYI VE TIҪARET A.Ş., ALGOMA TUBES INC., PRUDENTIAL STEEL ULC, HYDRIL CANADIAN COMPANY LP et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

Dossier : A-200-20

ET ENTRE :

ALGOMA STEEL INC.

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et HYUNDAI STEEL COMPANY

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 19 mai 2022.)

LE JUGE STRATAS

[1] En 2014 et 2015, le président de l’Agence des services frontaliers du Canada a rendu des décisions définitives de dumping en application de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, L.R.C. (1985), ch. S-15. Aux termes du paragraphe 41(1) de la Loi dans sa version en vigueur à l’époque, tous les exportateurs d’un pays faisaient l’objet d’une décision définitive de dumping, à moins que l’enquête sur le dumping ne soit close pour l’ensemble du pays.

[2] De l’avis de l’Organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (l’Organe de règlement des différends), le paragraphe 41(1) et les dispositions connexes étaient contraires aux règles du commerce international. Par conséquent, le Canada a modifié la Loi afin de prévoir la clôture d’une enquête sur le dumping pour tout exportateur individuel dont la marge de dumping est négligeable. Cette modification, sans plus, ne s’appliquait pas automatiquement aux décisions définitives antérieures : Loi no 1 d’exécution du budget de 2017, L.C. 2017, ch. 20; Nova Tube Inc./Nova Steel Inc. c. Conares Metal Supply Ltd, 2019 CAF 52.

[3] Toutefois, l’article 76.1 de la Loi crée une exception. Il permet au ministre des Finances de demander au président de réviser les décisions antérieures ou une partie des décisions antérieures en tenant compte des décisions et des recommandations de l’Organe de règlement des différends. Dans le cadre d’un tel réexamen, la décision antérieure peut être maintenue, modifiée ou annulée selon ce que le président ou le Tribunal « estime nécessaire » – un pouvoir discrétionnaire de la part du président exprimé en termes larges.

[4] En 2020, agissant en application de l’article 76.1 de la Loi, le ministre a demandé au président de réviser les décisions de dumping de 2014 et 2015, en tenant compte de la décision rendue par l’Organe de règlement des différends. La demande du ministre était très précise. Cela tend à appuyer le point de vue du président selon lequel il ne devait pas en fait tenir une audience de novo ou réexaminer des questions qui, à son avis, ne sont pas rendues nécessaires par les changements apportés par les décisions ou les recommandations de l’Organe de règlement des différends.

[5] Les demanderesses, Algoma Steel Inc. et Evraz Inc. NA Canada, ont indiqué au président que, dans le cadre de l’examen prévu à l’article 76.1, le dossier de la preuve de la décision définitive originale devrait être ouvert de nouveau et que les nouvelles méthodologies ajoutées ultérieurement à la Loi et au Règlement devraient s’appliquer.

[6] Le président a rejeté cette observation. Le réexamen demandé par le ministre devait être effectué en fonction du dossier initial et le président ne devait pas recalculer les marges de dumping déterminées lors des enquêtes initiales. Par conséquent, le président a mis fin aux enquêtes.

[7] Depuis la décision initiale, Hyundai Steel Company est devenue le successeur dans l’intérêt de Hyundai Hysco Co., Ltd. Le président a donc appliqué sa décision à Hyundai Steel Company, entre autres.

[8] Devant la Cour, les demanderesses demandent le contrôle judiciaire en vue d’annuler la décision du président. Tous reconnaissent que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle pour les aspects substantiels de la décision du président. Bien que la norme de contrôle relative à l’équité procédurale soit mise en doute dans la jurisprudence de la Cour, l’opinion dominante est que nous devons évaluer si la procédure administrative a été équitable sur le plan procédural, sans aucune déférence.

[9] À notre avis, les demandes doivent être rejetées. La décision du président était raisonnable et équitable sur le plan procédural. De façon générale, nous sommes d’avis que tous les défendeurs, dans leurs mémoires des faits et du droit, ont essentiellement raison dans leurs observations concernant l’objet et l’effet de l’article 76.1 et le caractère raisonnable de la décision du président.

[10] Le président a raisonnablement interprété la demande du ministre comme autorisant le réexamen d’une partie seulement des décisions initiales. Après tout, l’article 76.1 autorise expressément le ministre à demander la révision d’une partie seulement d’une décision « compte tenu de la recommandation ou de la décision » de l’Organe de règlement des différends – rien d’autre – et seulement dans la mesure nécessaire compte tenu de cette recommandation ou décision. D’après les motifs du président, lus à la lumière du dossier, il est évident pour nous que le président partait de cette vision de l’article 76.1. En l’espèce, l’examen du président ne concernait que des exportateurs précis désignés par le ministre et seulement en ce qui a trait aux recommandations et aux décisions de l’Organe de règlement des différends concernant la clôture des enquêtes relatives à des exportateurs individuels ayant des marges de dumping négligeables.

[11] Le président a examiné les résultats de l’enquête initiale pour déterminer si les exportateurs concernés présentaient des marges de dumping négligeables et a tiré la seule conclusion possible selon la preuve.

[12] À la demande du ministre, le président n’était ni tenu ni autorisé à revoir les décisions définitives concernant d’autres exportateurs individuels ou à examiner d’autres questions. À notre avis, il aurait été déraisonnable de recalculer les marges de dumping ou de mener une enquête de novo, car cela aurait dépassé la portée de l’examen prévu à l’article 76.1 et de la demande du ministre, selon une interprétation raisonnable.

[13] Il était loisible au président de conclure que l’article 76.1 est une disposition de révision se limitant à un objectif restreint : permettre au Canada d’harmoniser certaines mesures commerciales avec les décisions et les recommandations de l’Organe de règlement des différends et de corriger les décisions antérieures qui ne sont pas conformes à ces décisions et recommandations. Elle ne fait rien de plus. Nous considérons que, dans sa décision, le président a implicitement adopté ce point de vue quant au sens de l’article 76.1, un sens raisonnablement évident d’après le texte, le contexte et l’objet de la Loi. Plus précisément, nous sommes d’accord avec l’argument du procureur général, au paragraphe 49 de son mémoire des faits et du droit, selon lequel l’article 76.1 [traduction] « n’a pas été conçu comme un levier permettant d’ouvrir des aspects d’une décision antérieure distincts des décisions et des recommandations de l’[Organe de règlement des différends] que le réexamen cherche à étudier ».

[14] Evraz Inc. NA Canada soutient que les dispositions transitoires qui modifient la loi s’appliquaient afin de créer de nouvelles dispositions de fond de la Loi s’appliquant à la décision du président. Ainsi, dit-elle, le président était tenu d’aller plus loin qu’il ne l’a fait dans son réexamen. Nous rejetons cette thèse. L’article 76.1, tel que le président l’a implicitement interprété, exclut l’effet des dispositions transitoires qu’Evraz fait valoir énergiquement. Le caractère limité de l’article 76.1 se suffit à lui-même et n’est pas élargi de manière substantielle par les dispositions transitoires. En d’autres termes, les dispositions transitoires ne transforment pas l’article 76.1 en quelque chose de plus qui s’apparente davantage à une disposition de réexamen complet. Pour récapituler, selon l’interprétation raisonnable de l’article 76.1 adoptée par le président, il ne traite que des modifications apportées par les décisions et les recommandations de l’Organe de règlement des différends et préconisées par le ministre, rien d’autre.

[15] Le caractère raisonnable de la décision du président est renforcé par une appréciation de la nature de la décision initiale en application du paragraphe 41(1) de la Loi. Comme l’a reconnu notre Cour dans les arrêts JFE Steel Corporation c. Evraz Inc. NA Canada, 2018 CAF 111, par. 49 et Angang Steel Company Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2020 CAF 67, [2020] 3 R.C.F. 179, par. 25 et 26, en application de la version originale du paragraphe 41(1), la spécification de la marge de dumping pour un exportateur et la décision définitive sont des étapes distinctes et séparables du processus décisionnel. Un examen fait aux termes de l’article 76.1 peut, à juste titre, porter sur l’une de ces étapes et non sur l’autre, surtout si, comme en l’espèce, les décisions et les recommandations de l’Organe de règlement des différends ne portent que sur l’une des deux.

[16] Le caractère raisonnable de la décision est également étayé par les problèmes pratiques qui se poseraient si l’affaire était rouverte au-delà de la demande du ministre et si de nouvelles méthodologies étaient appliquées. À cet égard, nous sommes essentiellement d’accord avec les observations du procureur général aux paragraphes 57 à 60 de son mémoire des faits et du droit. Nous sommes également d’accord pour l’essentiel avec les observations du procureur général sur l’application rétroactive ou rétrospective de la loi aux paragraphes 64 à 76 de son mémoire des faits et du droit.

[17] De nombreuses observations des demanderesses portent sur des aspects particuliers des motifs du président. À notre avis, elles se concentrent sur de prétendues lacunes et insuffisances qui ne sont que superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. À notre avis, les motifs du président fournissent aux parties et à la Cour une justification suffisante pour comprendre le fondement central de la décision et la raison pour laquelle les principaux arguments contraires ont été rejetés et, par conséquent, pour comprendre qu’ils étaient raisonnables : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4th) 1.

[18] La décision du président d’examiner la succession d’entreprise de Hyundai Hysco Co., Ltd. était raisonnable, surtout à la lumière de la portée et de l’objet de cet examen particulier fondé sur l’article 76.1. Dans le cadre de cet examen, le président devait prendre une décision concernant cet exportateur particulier. La preuve que l’exportateur n’existait plus mais qu’il avait un successeur était pertinente et nécessaire à l’examen, et était essentielle à la décision définitive sur la question que le ministre a renvoyée au président.

[19] Enfin, nous ne relevons aucun manquement à l’équité procédurale. Bien que l’accès des parties au dossier confidentiel ait été retardé, le président l’a finalement accordé aux parties. Pour aider les parties, le président leur a accordé un délai supplémentaire de deux semaines. Si les parties avaient besoin d’un délai supplémentaire, elles auraient pu le demander. En l’absence d’une telle demande – et dans les observations orales, les avocats ont confirmé qu’aucune demande n’avait été faite – les parties ne peuvent pas soulever la question dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 R.C.F. 488; Affaire intéressant le Tribunal des droits de la personne et Énergie Atomique du Canada Limitée, [1986] 1 C.F. 103, p. 107, 110 et 111 (C.A.); Maritime Broadcasting System Limited c. La guilde canadienne des médias, 2014 CAF 59, 373 D.L.R. (4th) 167, par. 67 et 68. Au vu de ce dossier, nous ne constatons aucun manquement à l’équité procédurale et, là encore, sur ce point, nous souscrivons pour l’essentiel aux arguments des défendeurs dans leurs mémoires des faits et du droit.

[20] Par conséquent, nous allons rejeter les demandes de contrôle judiciaire, avec dépens. La version originale des présents motifs sera versée au dossier A-197-20, et une copie sera versée dans les dossiers A-196-20 et A-200-20.

« David Stratas »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossiers :

A-197-20, A-196-20 ET A-200-20

CONTRÔLE JUDICIAIRE DE LA DÉCISION DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA DATÉE DU 7 AOÛT 2020, NOS 4214-41 AD/1402 et 4214-43 AD/1404

DOSSIER :

A-197-20

 

 

INTITULÉ :

ALGOMA TUBES et autres c. HYUNDAI STEEL COMPANY et autres

 

 

ET DOSSIER :

A-196-20

 

 

INTITULÉ :

EVRAZ INC. NA CANADA et autre c. HYUNDAI STEEL COMPANY et autres

 

 

ET DOSSIER :

A-200-20

 

 

INTITULÉ :

ALGOMA STEEL INC. c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et autre

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ORGANISÉE PAR LE GREFFE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 mai 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE STRATAS

COMPARUTIONS :

Jonathan O’Hara

Timothy Cullen

Pour la demanderesse, Tenaris Canada

 

Christopher J. Kent

Andrew Lanouette

Jordan Lebold

 

POUR LES DEMANDERESSES, EVRAZ INC. NA CANADA et WELDED TUBE OF CANADA CORPORATION

 

Benjamin Mills

Benjamin P. Bedard

 

Pour la demanderesse, ALGOMA STEEL INC.

George W.H. Reid

Ethan Gordon

Quentin Vander Schueren

 

Pour la défenderesse, Hyundai Steel Company

Victoria Bazan

Devin Doyle

 

Pour la défenderesse, Borusan Mannesmann Boru

SanaYi ve Tiçaret A.Ş.

 

Adrian Johnston

Pour le défendeur, le procureur général du Canada

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse, Tenaris Canada

 

Cassidy Levy Kent LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES, EVRAZ INC. NA CANADA et WELDED TUBE OF CANADA CORPORATION

 

Conlin Bedard LLP

Ottawa (Ontario)

Pour la demanderesse, ALGOMA STEEL INC.

 

Bennett Jones LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse, Hyundai Steel Company

Aitken Klee LLP

Ottawa (Ontario)

Bazan Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE, BORUSAN MANNESMANN BORU

SANAYI VE TIÇARET A.Ş.

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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