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Date : 20220414


Dossier : A-452-19

Référence : 2022 CAF 66

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LA JUGE GLEASON

LA JUGE MONAGHAN

 

ENTRE :

MICHELLE KUFSKY

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 13 octobre 2021.

Observations écrites supplémentaires déposées le 21 février 2022, le 2 mars 2022 et 14 mars 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 avril 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y A SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

MOTIFS CONCOURANTS :

LA JUGE MONAGHAN

 


Date : 20220414


Dossier : A-452-19

Référence : 2022 CAF 66

CORAM :

LE JUGE WEBB

LA JUGE GLEASON

LA JUGE MONAGHAN

 

ENTRE :

MICHELLE KUFSKY

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1] Le ministre du Revenu national (le ministre) a établi une cotisation à l’égard de l’appelante en application de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi). Cette disposition, de façon générale, permet au ministre d’établir une cotisation à l’égard d’une personne (le bénéficiaire) pour la totalité ou une partie de la dette fiscale d’une autre personne (le débiteur fiscal), si le débiteur fiscal transfère des biens au bénéficiaire et qu’il y a un lien de dépendance entre eux.

[2] En l’espèce, la société de l’appelante, Mon Refuge Décor Inc. (la société), avait une dette fiscale et, selon le ministre, a versé à l’appelante des dividendes qui excédaient le montant de la dette fiscale de la société. Par conséquent, l’appelante a fait l’objet d’une cotisation établie sur le fondement de la dette fiscale de la société. Elle a interjeté appel de cette cotisation devant la Cour canadienne de l’impôt, laquelle a rejeté son appel (2019 CCI 254).

[3] Les questions soulevées par l’appelante sont les suivantes à savoir si:

  • a) les sommes versées sontdes dividendes pour l’application de l’article 160 de la Loi étant donné que, selon l’appelante, la société n’a pas respecté le droit des sociétés applicable et que ce droit applicable interdisait le versement de dividendes par une société insolvable;

  • b) les sommes ont effectivement été versées à l’appelante;

  • c) les paiements, s’ils ont été effectués, constituaient le remboursement de sommes dues à l’appelante ou furent versés à titre de salaire ou d’honoraires de gestion; et

  • d) dans l’éventualité où les sommes versées étaient des dividendes, l’impôt que doit l’appelante à la suite du paiement des dividendes devrait être pris en compte dans le calcul de la somme pouvant faire l’objet d’une cotisation en application de l’article 160 de la Loi.

[4] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais le présent appel.

I. Contexte

[5] L’appelante est l’unique actionnaire de la société. Il existe des éléments de preuve contradictoires sur la question de savoir si l’appelante était l’unique administratrice de la société ou si elle et son époux étaient administrateurs. Quoi qu’il en soit, l’issue du présent appel ne repose en rien sur la question de savoir si l’appelante était l’unique administratrice ou si elle et son époux étaient tous deux administrateurs.

[6] La société offrait des conseils et des produits de décoration et d’aménagement intérieurs, principalement pour des copropriétés situées dans la région de Mont-Tremblant. À la suite de la crise financière de 2008, les affaires de la société ont décliné et celle-ci a cessé ses activités. La société avait cumulé une importante dette fiscale à l’égard de ses années d’imposition 2008 et 2010.

[7] Lorsque l’appelante a produit ses déclarations de revenus pour les années 2009, 2010 et 2011, elle n’a pas déclaré de dividendes. Comme l’a observé l’appelante dans son mémoire (au paragraphe 13), elle a déclaré les revenus suivants :

2009 – nul

2010 – Revenus d’entreprise – 20 000 $

Revenus d’intérêts – 4 $

2011 – Revenus d’intérêts – 4,13 $

[8] L’appelante a témoigné que ses frais de subsistance personnels étaient portés sur la carte de crédit de la société et que, chaque année, les comptables lui attribuaient des dépenses personnelles. Ses comptables ont aussi préparé et déposé ses déclarations de revenus.

[9] Les comptables de la société (qui étaient aussi les comptables de l’appelante) ont rempli des demandes de redressement d’une T1 en juillet 2012 pour indiquer que les dividendes suivants avaient été versés par la société à l’appelante :

2009 – 35 000 $

2010 – 15 000 $

2011 – 35 000 $

[10] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt, au paragraphe 6 de ses motifs, a formulé les observations suivantes :

[6] De 2009 à 2011, la société a produit des feuillets T5 sur lesquels il était indiqué que les dividendes suivants avaient été versés à [l’appelante] :

2009 : 35 000 $

2010 : 15 000 $

2011 : 35 000 $

[11] Cependant, rien dans le dossier ne permet de conclure que la société a produit ces feuillets T5 au cours de ces années. L’hypothèse formulée par le ministre dans la réponse déposée auprès de la Cour canadienne de l’impôt suppose seulement que la société avait produit les feuillets T5, c’est-à-dire qu’il n’y avait aucune indication de la date à laquelle la société avait produit ces feuillets. Seuls deux témoins ont été entendus à l’audience de la Cour canadienne de l’impôt (l’appelante et son époux) et ni l’un ni l’autre n’a parlé des feuillets T5, encore moins de la date à laquelle ces feuillets avaient été produits. Le dossier comprend des T5 sommaires et des feuillets T5 pour les trois dividendes en litige. Chaque T5 sommaire est daté du 7 juillet 2012. Par conséquent, rien ne permet de conclure que la société a produit les feuillets T5 entre 2009 et 2011; ces feuillets ont plutôt été préparés et produits en même temps que les demandes de redressement d’une T1.

[12] L’appelante n’a pas signé les demandes de redressement d’une T1 et elle ne se rappelait pas avoir signé de documents, avant juillet 2012, autorisant le versement des dividendes. Néanmoins, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante afin de calculer l’impôt en fonction des sommes, telles qu’indiquées au paragraphe 9, qui lui ont été versées à titre de dividendes par la société au cours de ces années. Bien qu’elle soutienne que les comptables n’auraient pas dû produire ces demandes de redressement d’une T1 et que les dividendes n’ont pas été autorisés par l’administratrice (ou les administrateurs) de la société, elle a payé le montant d’impôt indiqué dans la cotisation (paragraphe 20 du mémoire de l’appelante). L’appelante n’a pas déposé d’avis d’opposition à l’égard de ces nouvelles cotisations. La validité de ces nouvelles cotisations n’est pas en cause dans le présent appel.

[13] Le 7 juin 2013, l’appelante a fait l’objet d’une cotisation en application de l’article 160 de la Loi, calculée sur le fondement de la dette fiscale de la société parce que le montant total des dividendes qui lui avaient été versés dépassait celui de la dette fiscale à payer. Elle s’est opposée à cette nouvelle cotisation. À la suite du dépôt des déclarations de revenus T2 modifiées de la société, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante, en application de l’article 160 de la Loi afin de tenir compte de la dette fiscale révisée de la société établie à un montant de 68 616 $. L’appelante s’est opposée à cette nouvelle cotisation. Par voie d’avis de confirmation daté du 21 avril 2017, le ministre a confirmé la nouvelle cotisation. L’appelante a interjeté appel à la Cour canadienne de l’impôt.

II. La décision de la Cour canadienne de l’impôt

[14] Devant la Cour canadienne de l’impôt, l’appelante a fait valoir plusieurs arguments. L’appelante a soutenu qu’une contrepartie avait été fournie pour les dividendes, que les sommes versées n’étaient pas des dividendes parce que la société n’avait pas respecté le droit des sociétés de la province applicable et qu’une partie des dividendes étaient des remboursements de prêts.

[15] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu qu’aucune contrepartie n’avait été fournie pour les dividendes, que les sommes en question demeuraient des dividendes pour l’application de la Loi même si la société n’avait pas respecté la législation sur les sociétés applicable et qu’aucune partie des dividendes n’était des remboursements de prêts.

[16] Par conséquent, la Cour canadienne de l’impôt a rejeté l’appel de l’appelante.

III. Les dispositions législatives pertinentes

[17] L’appelante a fait l’objet d’une cotisation (et par la suite d’une nouvelle cotisation) en application du paragraphe 160(2) de la Loi, au motif que les conditions énoncées au paragraphe 160(1) de la Loi étaient remplies. Les paragraphes 160(1) et (2) sont libellés ainsi :

160 (1) Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

160 (1) Where a person has, on or after May 1, 1951, transferred property, either directly or indirectly, by means of a trust or by any other means whatever, to

a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

(a) the person’s spouse or common-law partner or a person who has since become the person’s spouse or common-law partner,

b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

(b) a person who was under 18 years of age, or

c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

(c) a person with whom the person was not dealing at arm’s length,

les règles suivantes s’appliquent :

the following rules apply:

d) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d’une partie de l’impôt de l’auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d’imposition égale à l’excédent de l’impôt pour l’année sur ce que cet impôt aurait été sans l’application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l’article 74 de la Loi de l’impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts révisés du Canada de 1952, à l’égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l’égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

(d) the transferee and transferor are jointly and severally, or solidarily, liable to pay a part of the transferor’s tax under this Part for each taxation year equal to the amount by which the tax for the year is greater than it would have been if it were not for the operation of sections 74.1 to 75.1 of this Act and section 74 of the Income Tax Act, chapter 148 of the Revised Statutes of Canada, 1952, in respect of any income from, or gain from the disposition of, the property so transferred or property substituted for it, and

e) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(e) the transferee and transferor are jointly and severally, or solidarily, liable to pay under this Act an amount equal to the lesser of

(i) l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(i) the amount, if any, by which the fair market value of the property at the time it was transferred exceeds the fair market value at that time of the consideration given for the property, and

(ii) le total des montants représentant chacun un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi (notamment un montant ayant ou non fait l’objet d’une cotisation en application du paragraphe (2) qu’il doit payer en vertu du présent article) au cours de l’année d’imposition où les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années.

(ii) the total of all amounts each of which is an amount that the transferor is liable to pay under this Act (including, for greater certainty, an amount that the transferor is liable to pay under this section, regardless of whether the Minister has made an assessment under subsection (2) for that amount) in or in respect of the taxation year in which the property was transferred or any preceding taxation year,

Toutefois, le présent paragraphe n’a pas pour effet de limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi ni celle du bénéficiaire du transfert quant aux intérêts dont il est redevable en vertu de la présente loi sur une cotisation établie à l’égard du montant qu’il doit payer par l’effet du présent paragraphe.

but nothing in this subsection limits the liability of the transferor under any other provision of this Act or of the transferee for the interest that the transferee is liable to pay under this Act on an assessment in respect of the amount that the transferee is liable to pay because of this subsection.

[…]

(2) Le ministre peut, en tout temps, établir une cotisation à l’égard d’un contribuable pour toute somme à payer en vertu du présent article. Par ailleurs, les dispositions de la présente section, notamment celles portant sur les intérêts à payer, s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, aux cotisations établies en vertu du présent article comme si elles avaient été établies en vertu de l’article 152 relativement aux impôts à payer en vertu de la présente partie.

(2) The Minister may at any time assess a taxpayer in respect of any amount payable because of this section, and the provisions of this Division (including, for greater certainty, the provisions in respect of interest payable) apply, with any modifications that the circumstances require, in respect of an assessment made under this section as though it had been made under section 152 in respect of taxes payable under this Part.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[18] Dans le présent appel, l’appelante ne fait plus valoir que, si les sommes ont été versées comme des dividendes, une contrepartie pour les dividendes a été fournie. Toutefois, elle fait encore valoir les arguments suivants :

  • a) les sommes ne sont pas des dividendes pour l’application de la Loi parce que la société n’ pas respecté le droit des sociétés applicable relativement à la déclaration et au paiement des dividendes, puisque l’administratrice (ou les administrateurs) de la société n’avait pas approuvé le paiement des dividendes et que la loi applicable régissant la société interdisait le versement de dividendes lorsque la société est insolvable;

  • b) les sommes en litige n’ont pas été versées à l’appelante;

  • c) si la société a effectivement versé les sommes en litige à l’appelante, les paiements étaient, en partie, le remboursement d’une somme due à l’appelante ou des versements de salaire ou d’honoraires de gestion.

[19] La question visée à l’alinéa c) ci-dessus ne se posera que si les sommes ont été payées et que ces sommes ne sont pas des dividendes pour l’application de la Loi.

[20] L’appelante a également fait valoir un argument supplémentaire ayant été soulevé devant la Cour canadienne de l’impôt, mais que cette dernière n’a pas examiné. L’appelante a soutenu que, si les sommes payées étaient des dividendes, leur juste valeur marchande, pour l’application de l’article 160 de la Loi, devrait être réduite du montant d’impôt que l’appelante aurait à payer à la suite du paiement de ces dividendes.

[21] La norme de contrôle applicable à l’égard des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit est celle de l’erreur manifeste et dominante et, à l’égard des questions de droit, celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

V. Analyse

[22] Il n’est pas contesté que l’appelante était l’unique actionnaire de la société et qu’elle était donc réputée avoir un lien de dépendance avec la société tout au long de la période en cause dans le présent appel (alinéa 251(1)a) et sous-alinéa 251(2)b)(i) de la Loi). Il n’est pas non plus contesté que la société avait une dette fiscale pour ses années d’imposition 2008 et 2010 de 68 616 $ au total.

[23] Le premier point qui sera examiné est la position de l’appelante selon laquelle, en raison d’un manquement au droit des sociétés applicable, les sommes, si elles ont été versées, ne constituent pas des dividendes pour l’application de la Loi.

A. Le manquement au droit des sociétés applicable

[24] L’appelante fait valoir deux arguments relatifs au droit des sociétés applicable. Selon le premier argument, la société n’a pas suivi la procédure appropriée pour la déclaration et le paiement des dividendes parce que l’administratrice (ou les administrateurs) n’avait pas approuvé la déclaration et le paiement des dividendes. Selon le deuxième argument, le paragraphe 38(3) de la Loi sur les sociétés par actions, L.R.O. 1990, ch. B-16, interdit le paiement d’un dividende par une société s’il existe des motifs raisonnables de croire que la société ne peut (ou, après le paiement du dividende, ne pourrait) acquitter son passif. L’appelante soutient que la société était insolvable lorsque les dividendes auraient été versés.

[25] Le juge de la Cour de l’impôt s’est appuyé sur l’arrêt de notre Cour dans l’affaire 2753-1359 Québec Inc. c. Canada, 2010 CAF 32 (appelé Larouche c. Canada dans les motifs du juge de la Cour canadienne de l’impôt et qui est appelé ci-après Larouche) pour faire observer qu’« un dividende déclaré demeure valide à des fins fiscales, même s’il n’est pas conforme aux lois provinciales » (paragraphe 23 des motifs de la Cour canadienne de l’impôt).

[26] Les paragraphes suivants de l’arrêt Larouche sont cités à l’appui :

[9] Les dividendes sont des biens au sens de la Loi : voir le paragraphe 248(1). Selon la jurisprudence, il ne fait pas de doute que le versement de ces dividendes constitue un transfert de biens sans contrepartie au sens de l’article 160.

[10] En outre, il est difficile de voir en quoi le traitement juridique d’un dividende par le droit corporatif et le droit civil empêcherait le législateur d’en faire, à des fins fiscales, un transfert de biens sans contrepartie lorsqu’effectué entre personnes liées.

[27] Dans l’affaire Larouche, il n’était pas contesté que le versement constituait un dividende. Notre Cour a exposé la question en litige au paragraphe 3 de son arrêt :

[3] L’appel devant nous ne porte que sur la question suivante : le versement de dividendes aux appelants constitue-t-il un transfert de biens sans contrepartie au sens de l’article 160 de la Loi?

[28] Les observations au paragraphe 10 de l’arrêt Larouche, cité ci-dessus, doivent être examinées à la lumière de la question en litige telle que notre Cour l’avait formulée et des arguments qui avaient été présentés par les appelants, lesquels sont énoncés aux paragraphes 4 à 7 :

[4] Firent l’objet d’un transfert de la part de la société 9039-0618 Québec Inc. (le cédant) des dividendes au montant de 141 250 $ à l’appelant Christian Larouche et de 41 980 $ à l’appelante 2753-1359 Québec Inc. Au moment du transfert, le cédant devait au ministère du Revenu fédéral des impôts, des intérêts et des montants de pénalité.

[5] Il n’est pas contesté qu’il y a eu transfert et que celui-ci fut fait entre personnes liées. Mais les appelants soutiennent que le versement d’un dividende ne devrait pas être considéré comme un transfert sans contrepartie visé par l’article 160. Les deux raisonnements suivants sous-tendent cette prétention.

[6] Premièrement, la propriété juridique d’un dividende doit s’apprécier en fonction des principes du droit corporatif et du droit civil du Québec. Le droit corporatif détermine les règles applicables lorsqu’un dividende est illégal. Et l’article 910 du Code civil du Québec stipule qu’un dividende distribué constitue un revenu généré par le capital investi dans l’entreprise.

[7] Deuxièmement, le paiement de dividendes, s’il constitue un transfert au sens de l’article 160, n’est pas sans contrepartie. Soit que la déclaration d’un dividende fait naître une dette envers l’actionnaire, auquel cas l’extinction de la dette et la quittance donnée par l’actionnaire constituent la contrepartie. Soit que le dividende a été effectué en contrepartie d’une réduction correspondante de la valeur des actions détenues par l’actionnaire. Soit qu’il représente un revenu versé en contrepartie du capital fourni par l’actionnaire à l’usage de la corporation.

[29] Il n’était pas contesté dans l’affaire Larouche que les sommes en cause étaient des dividendes. L’observation au paragraphe 10 de l’arrêt Larouche signifiait simplement que le droit des sociétés et le droit civil applicables ne changeaient pas le traitement du dividende pour l’application de la Loi; il demeurait un transfert de propriété sans contrepartie pour l’application de la Loi.

[30] Devant la Cour canadienne de l’impôt, les appelants dans l’affaire Larouche avaient fait valoir deux arguments : le dividende n’était pas un transfert de biens et, subsidiairement, s’il s’agissait d’un transfert de biens, une contrepartie avait été donnée pour le dividende (2008 CCI 448). Dans cette affaire, les appelants n’avaient soulevé ni devant la Cour canadienne de l’impôt ni devant notre Cour la question de savoir si une somme prétendument versée sous forme de dividende n’était pas un dividende pour l’application de la Loi parce que la société n’avait pas respecté le droit des sociétés applicable ou parce que le droit des sociétés applicable interdisait le versement de dividendes par cette société.

[31] L’arrêt Larouche n’étaye pas l’observation formulée par le juge de la Cour canadienne de l’impôt en l’espèce.

[32] Bien que la Couronne, au paragraphe 20 de son mémoire, renvoie à deux précédents supplémentaires (Banque Royale du Canada c. Sa Majesté la Reine, 2005 CCI 802, et Boisvert c. Sa Majesté La Reine, 2016 CCI 195) à l’appui de l’argument selon lequel les dividendes déclarés doivent quand même être traités comme étant dividendes pour l’application de la Loi, indépendamment du manquement au droit des sociétés applicable, ni l’une ni l’autre de ces affaires ne concernait des dividendes déclarés qui n’étaient pas conformes au droit des sociétés applicable.

[33] Par conséquent, aucune des décisions citées par le juge de la Cour canadienne de l’impôt ou la Couronne n’examine la question de savoir si une somme déclarée comme dividende sera traitée comme un dividende pour l’application de la Loi si la société n’a pas respecté le droit des sociétés applicable ou si le droit des sociétés applicable interdisait le versement de dividendes par la société. Quoi qu’il en soit, à mon avis, il n’est pas approprié d’examiner cette question dans le présent appel.

[34] Comme je l’ai noté, l’appelante n’a déclaré aucun dividende lorsqu’elle a produit ses déclarations de revenus de 2009, de 2010 ou de 2011. Ses comptables ont préparé des demandes de redressement d’une T1 sur le fondement que les dividendes en cause lui avaient été versés pendant ces années. Les dividendes sont imposables dans l’année au cours de laquelle ils sont reçus (article 82 de la Loi). L’appelante a fait l’objet de nouvelles cotisations établissant l’impôt pour chacune de ses années d’imposition 2009, 2010 et 2011 sur le fondement qu’elle avait reçu ces sommes à titre de dividendes au cours de ces années. Si l’appelante n’était pas d’accord que des dividendes lui avaient été versés en 2009, 2010 et 2011, elle aurait pu déposer des avis d’opposition à ces nouvelles cotisations. Cependant, elle a payé l’impôt supplémentaire découlant des nouvelles cotisations, sans déposer d’avis d’opposition à ces nouvelles cotisations.

[35] À mon avis, cela tranche la question de savoir si, pour l’application de la Loi, l’appelante avait reçu des dividendes au cours de ces années. Permettre à l’appelante de contester maintenant que ces sommes étaient des dividendes serait une contestation indirecte des nouvelles cotisations antérieures établissant l’impôt sur le fondement des sommes qu’elle avait reçues à titre de dividendes en 2009, 2010 et 2011. Puisqu’elle ne s’est pas opposée à ces nouvelles cotisations, mais qu’elle a plutôt payé l’impôt supplémentaire découlant de ces nouvelles cotisations, elle a reconnu, pour l’établissement de son impôt à payer pour les années 2009, 2010 et 2011, avoir reçu au cours de ces années des dividendes de 35 000 $, de 15 000 $ et de 35 000 $, respectivement.

[36] Comme je le fais observer plus loin, dans l’examen de la question de savoir si les dividendes ont été versés à l’appelante, ces dividendes ont réduit la somme qu’elle devait à la société. Par conséquent, elle a tiré un avantage du versement de ces dividendes, puisqu’ils ont réduit sa dette envers la société et la somme qui sinon serait incluse dans son revenu au titre du paragraphe 15(2) de la Loi. Le montant d’impôt à payer en application de la Loi, établi sur le fondement que l’appelante a reçu les dividendes, serait inférieur au montant d’impôt qu’elle aurait été tenue de payer si elle avait reçu les mêmes sommes sous forme d’autres revenus, comme un salaire ou des frais de gestion, ou si les sommes avaient été incluses dans son revenu à titre de dettes envers la société (Chan c. La Reine, 2012 CCI 168 au para. 15). Par conséquent, l’appelante a tiré un avantage du fait qu’elle a payé moins d’impôt que si les sommes avaient été incluses dans son revenu en application du paragraphe 15(2) de la Loi et aussi, comme nous le verrons plus loin, du report de l’impôt dû pour les années au cours desquelles ses dettes envers la société ont été contractées à l’année au cours de laquelle les dividendes ont été versés.

[37] Dans l’arrêt Wolofsky c. Canada, 2001 CAF 119, notre Cour a énoncé le principe suivant en se fondant sur son arrêt antérieur The Dominion of Canada General Insurance Company c. La Reine, 86 D.T.C. 6154, [1986] 1 C.T.C. 423 (CAF) :

[29] Tel qu’il se conçoit, le principe dégagé par l’arrêt Dominion of Canada dispose qu’un contribuable qui s’est prévalu de la déduction d’un montant pour une année au motif qu’il a été régulièrement déduit ne peut pas prétendre que ce montant n’a pas été régulièrement déduit dans le but d’éviter son inclusion dans le calcul du revenu pour l’année suivante.

[38] À la suite de l’audience sur le présent appel, notre Cour a demandé aux parties leurs observations sur ce passage de l’arrêt Wolofsky. Les deux parties ont déposé des observations écrites supplémentaires à notre Cour.

[39] L’appelante a soutenu que, vu l’arrêt de notre Cour Canada c. Imperial Oil Ltd., 2003 CAF 289, rien ne l’empêche de faire valoir, relativement à la cotisation établie en vertu de l’article 160 de la Loi, que les sommes n’étaient pas dividendes. Cependant, dans l’arrêt Imperial Oil, les contribuables (Imperial Oil Limited et Inco Limited) contestaient les cotisations établissant l’impôt à payer pour les années d’imposition en litige au motif que, contrairement à ce qu’elles avaient inscrit dans leurs propres déclarations, le montant de l’impôt véritablement à payer devait être inférieur au montant déclaré. Notre Cour a conclu que les contribuables n’étaient pas liées par les positions qu’elles avaient adoptées dans leurs déclarations et qu’elles pouvaient contester les cotisations d’impôt à payer pour des années données sur le fondement que les positions qu’elles avaient adoptées dans leurs déclarations étaient erronées. Ce précédent aurait été applicable si l’appelante s’était opposée aux nouvelles cotisations établies pour les années 2009, 2010 et 2011 qui établissaient l’impôt sur le fondement qu’elle avait reçu des dividendes au cours de ces années. Cependant, puisqu’il ne s’agit pas d’un appel des nouvelles cotisations établissant l’impôt sur le fondement qu’elle avait reçu des dividendes, soit 35 000 $ en 2009, 15 000 $ en 2010 et 35 000 $ en 2011, la décision de notre Cour dans l’affaire Imperial Oil n’est pas applicable.

[40] L’appelante a noté que la question découlant de l’observation dans l’arrêt Wolofsky n’a pas été soulevée dans les actes de procédure devant la Cour canadienne de l’impôt, mais elle a également reconnu que la « préclusion par assertion de fait » était sous-entendue dans les observations de la Couronne. Hormis cette mention des actes de procédure et des observations orales, l’appelante n’a pas présenté d’autres observations sur ce point.

[41] L’appelante a également mentionné la divulgation volontaire datée du 6 août 2013, qui a été déposée relativement à son année d’imposition 2010. Dans ses observations, l’appelante déclare qu’en faisant la divulgation volontaire, elle a répudié la position qu’elle avait adoptée dans sa déclaration selon laquelle des dividendes lui avaient été versés en 2009, 2010 et 2011. Cependant, les documents au dossier contredisent cette déclaration.

[42] La divulgation volontaire consiste en une lettre de présentation, une demande de redressement d’une T1 et une annexe indiquant les sommes dues à l’actionnaire (ou que doit l’actionnaire). Dans la lettre de présentation, l’avocat de l’appelante écrit :

[traduction]

[...] Elle joint à la présente lettre une demande de redressement d’une T1, afin d’ajouter 83 482 $ en frais de gestion à son revenu de 2010. Elle inclut en outre les registres de la société justifiant cette somme.

[43] La lettre ne porte que sur l’ajout de frais de gestion de 83 482 $ au revenu de 2010 de l’appelante. Il n’est a aucunement indiqué que ces frais de gestion remplacent ou retirent des dividendes de son revenu.

[44] La demande de redressement d’une T1 n’indique qu’un seul redressement : une somme supplémentaire de 83 482 $ à inclure dans les autres revenus (à la ligne 130). L’explication suivante est fournie dans le formulaire : [traduction] « Le contribuable a des frais de gestion liés à un prêt à un actionnaire en 2010. »

[45] L’annexe incluse dans la divulgation volontaire énumère les écritures au compte des prêts à un actionnaire commençant le 3 février 2009 et se terminant le 31 janvier 2010 (pour correspondre à l’année d’imposition de la société). Il y a une écriture datée du 31 janvier 2010 qui indique un dividende versé de 15 000 $. L’annexe indique une réduction de la somme à payer par l’appelante à la société, à la suite du versement de ce dividende. Le solde dû par l’actionnaire (qui tient compte du dividende, mais non des frais de gestion indiqués dans la divulgation volontaire) est de 83 482 $ – soit le montant des frais de gestion indiqués dans la divulgation volontaire. Ainsi, les frais de gestion de 83 482 $ indiqués dans la divulgation volontaire ont été utilisés pour régler ce qui restait de la dette de l’appelante envers la société, alors que le dividende avait déjà réduit de 15 000 $ le solde dû par l’appelante à la société. Si le dividende n’avait pas été versé, le solde qui aurait été dû par l’appelante (avant la prise en compte des frais de gestion) aurait été de 98 482 $.

[46] L’annexe jointe à la divulgation volontaire n’inclut pas le dividende payé en 2009. Ce dividende ne figure pas dans l’annexe parce qu’il a été versé le 31 janvier 2009 et que la première écriture figurant dans l’annexe est datée du 3 février 2009. Le solde d’ouverture de l’annexe jointe à la divulgation volontaire indique une somme à payer à l’appelante de 638 $. Cette somme est égale au solde de clôture indiqué dans l’annexe sur les prêts à un actionnaire qui a été déposée séparément par l’appelante, lors de l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt, à l’égard de l’exercice financier 2009 de la société. Cette somme (638 $ à payer à l’appelante) a été établie en tenant compte du dividende de 35 000 $ versé le 31 janvier 2009. Si aucun dividende n’avait été versé le 31 janvier 2009, l’appelante, à cette date, aurait eu une dette de 34 362 $ envers la société.

[47] Par conséquent, l’annexe déposée dans le cadre de la divulgation volontaire ne répudie pas le versement des dividendes en 2009 et 2010, mais confirme plutôt directement ou indirectement le versement de dividendes de 35 000 $ en 2009 et de 15 000 $ en 2010.

[48] Étant donné que l’annexe déposée dans le cadre de la divulgation volontaire n’indique que les transactions qui ont été effectuées entre le 3 février 2009 et le 31 janvier 2010, elle ne vise pas la période où le dividende de 35 000 $ aurait été payé, le 31 janvier 2011.

[49] Les documents au dossier contredisent directement les observations de l’appelante relatives à la divulgation volontaire.

[50] Dans ses observations écrites, la Couronne a déclaré qu’elle n’avait subi aucun préjudice à la suite des déclarations de l’appelante selon lesquelles elle avait reçu des dividendes en 2009, 2010 et 2011. La Couronne n’a fourni aucune explication à l’appui de cette déclaration. Cette déclaration, dans les circonstances de la présente affaire, laisse perplexe.

[51] À l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt, l’appelante et son époux ont témoigné que la carte de crédit de la société avait servi à payer des dépenses d’entreprise ainsi que des dépenses personnelles. Les sommes facturées sur la carte de crédit étaient ensuite classées en dépenses d’entreprise et en dépenses personnelles par le commis aux écritures et le comptable. M. Kufsky a déclaré dans son témoignage que le comptable [traduction] « nous disait essentiellement comment nous devions faire les déclarations au gouvernement » (à la page 58, lignes 4 et 5 de la transcription de l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt).

[52] Les sommes indiquées par le commis aux écritures et le comptable comme des dépenses personnelles s’ajoutaient à la dette de l’appelante envers la société. En application des dispositions des paragraphes 15(2) et 15(2.6) de la Loi, toute dette de l’appelante envers la société contractée au cours d’une année civile donnée est incluse dans le revenu de l’appelante pour cette année, à moins que cette dette ne soit remboursée dans l’année qui suit la fin de l’année d’imposition de la société au cours de laquelle la dette a été contractée.

[53] Étant donné que la carte de crédit de la société était utilisée pour payer des frais de subsistance personnels, on s’attendrait à ce qu’à la fin de chaque exercice financier donné de la société, une somme ait été versée par la société à l’appelante pour compenser la dette d’un actionnaire découlant du paiement de dépenses personnelles par la société. Cependant, comme il est indiqué au paragraphe 7 ci-dessus, dans ses déclarations de revenus, l’appelante n’a déclaré aucun revenu en 2009, et elle n’a déclaré que 20 000 $ en revenus d’entreprise et 4 $ en revenus d’intérêts en 2010 et que 4 $ en revenus d’intérêts en 2011.

[54] Comme nous le verrons plus loin à propos de la question de savoir si les dividendes ont été versés à l’appelante, les annexes sur les prêts à un actionnaire déposées par l’appelante indiquent que l’appelante devait des sommes considérables à la société en date du 31 janvier 2010 et du 31 janvier 2011, même après la prise en compte des dividendes en litige. Même si l’annexe révisée sur les prêts à un actionnaire pour 2010, déposée avec la divulgation volontaire, indique que l’appelante doit une somme inférieure à la société en date du 31 janvier 2010 (après la prise en compte des dividendes de 2009 et 2010), il s’agit tout de même d’une somme importante.

[55] Les demandes de redressement d’une T1 qui ajoutaient les dividendes en litige au revenu de l’appelante ont été déposées le 30 juillet 2012. Avant de produire ces demandes de redressement d’une T1, l’appelante devait à la société, en date du 31 janvier 2009, une somme de 34 362,14 $. En juillet 2012, cette somme aurait été impayée plus d’un an après la fin de l’année d’imposition de la société qui s’est terminée le 31 janvier 2009. De même, les sommes que devait l’appelante à la société en date du 31 janvier 2010 et du 31 janvier 2011 auraient également été impayées plus d’un an après la fin de l’année d’imposition de la société au cours de laquelle ces dettes avaient été contractées.

[56] Par conséquent, n’eût été l’acceptation par le ministre des demandes de redressement d’une T1 produites le 30 juillet 2012, l’appelante aurait été tenue d’inclure les dettes en souffrance dans son revenu, conformément au paragraphe 15(2) de la Loi. Les demandes de redressement d’une T1 qui prenaient en compte les dividendes en litige ayant été acceptées, l’appelante a pu convertir ce qui aurait été imposable à titre de dette d’un actionnaire en dividendes imposables. Étant donné que les impôts que devait payer l’appelante après avoir reçu les dividendes en litige étaient inférieurs à ceux qu’elle aurait dû payer si elle avait ajouté à ses revenus une dette d’un actionnaire de la même somme, la Couronne a subi un préjudice en traitant ces sommes comme des dividendes au cours de ces années.

[57] L’appelante a également tiré un avantage du report de l’impôt dû parce que le ministre a accepté les demandes de redressement d’une T1 prenant en compte les dividendes versés en 2009, 2010 et 2011. Étant donné que l’appelante utilisait fréquemment la carte de crédit de la société pour payer ses frais de subsistance personnels, elle aurait contracté des dettes tout au long d’une année donnée. Cette situation trouve aussi confirmation dans les nombreuses écritures comportant différentes dates, telles qu’elles figurent dans les relevés des comptes de prêts à un actionnaire. Ainsi, le paiement de dividendes le 31 janvier de chaque année aurait entraîné un remboursement des dettes contractées au cours de l’année civile qui l’a immédiatement précédée (ou éventuellement dans l’année précédant cette année).

[58] En application du paragraphe 15(2) de la Loi, les dettes auraient été incluses dans les revenus de l’appelante pour l’année au cours de laquelle elles avaient été contractées. Toutefois, les dividendes qui ont servi à rembourser les dettes de l’appelante ont été inclus dans ses revenus pour l’année au cours de laquelle ils ont été versés. Ainsi, par exemple, selon le paragraphe 15(2) de la Loi, l’appelante aurait été tenue d’inclure le montant des dettes contractées en 2008 dans ses revenus de 2008, mais le dividende (qui a été versé le 31 janvier 2009 et utilisé pour rembourser ces dettes) aurait dû être inclus dans ses revenus en 2009. Le préjudice causé à la Couronne a été le report de l’impôt à payer de l’appelante de 2008 à 2009 (et donc une diminution des intérêts à payer par l’appelante). Il y a eu de tels reports pour les dettes contractées en 2009 et 2010, lesquelles ont été remboursées à la suite des paiements de dividendes le 31 janvier 2010 et le 31 janvier 2011.

[59] Par conséquent, le fait que le ministre ait accepté les demandes de redressement d’une T1 prenant en compte les dividendes versés en 2009, 2010 et 2011 a procuré un avantage à l’appelante et a causé un préjudice à la Couronne.

[60] Dans ses observations en réponse, l’appelante conteste l’opinion de la Couronne sur les éléments de preuve présentés à l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt, mais ne formule aucune observation supplémentaire sur l’application du principe tiré de l’arrêt Wolofsky.

[61] Malgré les observations des parties, j’estime que le principe tiré de l’arrêt Wolofsky est applicable en l’espèce.

[62] Dans le présent appel, le litige ne porte pas sur une déduction demandée par l’appelante pour le calcul de l’impôt qu’elle doit payer pour 2009, 2010 ou 2011. Cependant, le principe général, tel qu’il est énoncé dans l’arrêt Wolofsky et tel qu’il s’applique en l’espèce, veut que le contribuable qui a tiré un avantage de l’inclusion d’une somme dans son revenu à titre de dividende dans une année d’imposition donnée (et qui ne s’est pas opposé à la cotisation de l’impôt fondée le fait qu’il a reçu ce dividende) soit assujetti à une préclusion l’empêchant de soutenir, dans un appel ultérieur lié à l’application de l’article 160 de la Loi, que la position qu’il a adoptée dans sa déclaration antérieure était erronée.

[63] L’appelante a reconnu avoir reçu des dividendes de 35 000 $ en 2009, de 15 000 $ en 2010 et de 35 000 $ en 2011 pour le calcul de sa dette fiscale en application de la Loi. Elle a donc reconnu que ces sommes sont des dividendes pour l’application des articles 82 et 121 de la Loi pour les années 2009, 2010 et 2011. Elle a également tiré un avantage du fait d’avoir reçu ces dividendes. Elle ne peut maintenant affirmer, pour l’application de l’article 160 de la même loi, qu’elle n’a pas reçu ces mêmes sommes à titre de dividendes pour les mêmes années.

[64] Par conséquent, l’appelante ne peut plaider dans le présent appel la thèse selon laquelle les sommes en cause n’étaient pas des dividendes qu’elle a reçus en 2009, 2010 et 2011 parce que la société n’a pas respecté le droit sur les sociétés applicable ou parce que la loi sur les sociétés applicable interdisait le versement de dividendes par la société.

B. Les dividendes lui ont-ils été versés?

[65] L’appelante a également fait valoir que les dividendes ne lui ont pas été versés. Comme je l’ai mentionné plus haut, puisqu’elle a accepté que sa dette fiscale pour 2009, 2010 et 2011 soit établie sur le fondement qu’elle a reçu ces dividendes au cours de ces années, elle ne peut maintenant faire valoir que les dividendes ne lui ont pas été versés au cours de ces années.

[66] Il convient également de faire observer que l’appelante a joint des annexes sur les prêts à un actionnaire pour les périodes se terminant le 31 janvier 2009, le 31 janvier 2010 et le 31 janvier 2011 aux documents qu’elle a déposés à l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt. Selon ces annexes sur les prêts à un actionnaire, l’appelante devait à la société les sommes suivantes :

Date

Somme

31 janvier 2009

(638 $)

31 janvier 2010

174 185 $

31 janvier 2011

174 329 $

[67] Les états financiers de la société pour les exercices se terminant le 31 janvier 2009, le 31 janvier 2010 et le 31 janvier 2011 comportent également un renvoi aux [traduction] « Prêts en cours – parties liées », qui indiquent des sommes différentes dues à la société par des [traduction] « parties liées » :

Exercice financier se terminant le :

Somme

31 janvier 2009

38 088 $

31 janvier 2010

212 910 $

31 janvier 2011

213 055 $

[68] Aucune explication n’a été fournie quant aux différences entre les sommes à payer par l’actionnaire à la société selon les annexes sur les prêts à un actionnaire et les sommes à payer à la société par les [traduction] « parties liées » selon les états financiers. Rien n’indique non plus si les [traduction] « parties liées » incluent des personnes qui ne sont pas des actionnaires.

[69] Quoi qu’il en soit, les annexes sur les prêts à un actionnaire indiquent qu’en date du 31 janvier 2009, la société devait 638 $ à l’appelante. Cette même annexe indique un dividende de 35 000 $ qui lui a été versé pour réduire la somme qu’elle devait à la société en date du 31 janvier 2009. Si ce dividende n’avait pas été versé, l’appelante aurait alors eu envers la société une dette de 34 362 $ plutôt que ce soit la société qui ait envers l’appelante une dette de 638 $. De même, les annexes sur les prêts à un actionnaire déposées par l’appelante tiennent compte des dividendes de 15 000 $ pour la période se terminant le 31 janvier 2010 et de 35 000 $ pour la période se terminant le 31 janvier 2011. Si ces sommes n’avaient pas été versées à l’actionnaire et portées au crédit du compte de prêts à un actionnaire, la somme que l’appelante aurait due à la société aurait été considérablement plus élevée en date du 31 janvier de chaque année.

[70] L’appelante a tiré un avantage, soit la réduction de la somme qu’elle devait à la société. Comme je l’ai noté plus haut, si un actionnaire qui est un individu contracte une dette auprès de sa société au cours d’une année civile donnée et que cette dette n’est pas remboursée dans l’année suivant la fin de l’année d’imposition de la société au cours de laquelle la dette est contractée, cette dette est incluse dans les revenus de l’actionnaire pour l’année civile au cours de laquelle la dette a été contractée (paragraphes 15(2) et (2.6) de la Loi).

[71] Les états financiers de la société montrent également que ces mêmes dividendes ont été versés au cours de ces exercices. Pour chaque exercice, les sommes dues par les [traduction] « parties liées » à la société, telles qu’elles sont indiquées dans les états financiers, excèdent la somme due par l’appelante en tant qu’unique actionnaire selon les annexes sur les prêts à un actionnaire.

[72] Comme je l’ai fait observer plus haut, l’appelante ne peut pas maintenant faire valoir qu’elle n’a pas reçu les dividendes en litige. Quoi qu’il en soit, son argument selon lequel les dividendes n’ont pas été versés est également dénué de fondement, car ils ont été portés au crédit de son compte de prêts à un actionnaire pour réduire la somme qu’elle devait à la société. Les dividendes ont également été indiqués dans les états financiers de la société et ont donc diminué les [traduction] « Prêts en cours – parties liées », bien qu’ils aient été ramenés à une somme différente de celle indiquée dans les annexes sur les prêts à un actionnaire.

C. La somme payée doit-elle être traitée comme un remboursement de sommes à payer à l’appelante ou comme un salaire ou des frais de gestion?

[73] Puisque l’appelante ne peut maintenant soutenir que, pour l’application de l’article 160 de la Loi, elle n’a pas reçu les sommes en litige à titre de dividendes, ces sommes sont des dividendes pour l’application de cet article. L’appelante ne peut maintenant contester la qualification des sommes à titre de dividendes et tenter de les faire passer pour le remboursement d’une somme qu’on lui devait ou pour un salaire ou des frais de gestion pour l’application de l’article 160 de la Loi.

[74] Quoi qu’il en soit, l’argument de l’appelante selon lequel la société lui remboursait une somme qu’elle lui devait est dénué de fondement. Bien qu’elle affirme avoir été remboursée pour l’achat d’une automobile pour la société en 2010, les documents qu’elle a déposés à l’audience n’en font aucunement état. Ni les annexes sur les prêts à un actionnaire ni les états financiers n’indiquent de solde dû à l’appelante par la société au cours d’un exercice financier se terminant en 2010 ou après. Les deux documents indiquent plutôt des sommes importantes dues par l’appelante à la société le 31 janvier 2010 et le 31 janvier 2011, même après la réduction des sommes dues par l’appelante à la société en raison du versement des dividendes en litige.

D. La juste valeur marchande de la somme payée

[75] L’appelante a également soutenu que, pour l’application de l’article 160 de la Loi, les sommes versées à titre de dividendes devraient être réduites pour qu’il soit tenu compte de l’impôt qu’elle devait payer en raison des dividendes reçus. Toutefois, le sous-alinéa 160(1)e)(i) de la Loi dispose que la responsabilité du bénéficiaire est fondée sur la juste valeur marchande du bien au moment où il a été transféré. Dans l’arrêt Canada c. Gilbert, 2007 CAF 136, notre Cour a confirmé que, pour l’application de l’article 160 de la Loi, la juste valeur marchande d’un dividende versé à un actionnaire est le montant du dividende versé, sans égard aux conséquences fiscales pour le bénéficiaire du dividende. Je suis du même avis. La juste valeur marchande d’un bien pour l’application de l’article 160 de la Loi n’est pas réduite parce que le bénéficiaire est tenu de payer l’impôt à l’égard du bien reçu du débiteur fiscal. L’appelante ne peut obtenir gain de cause sur ce point.

E. L’objet de l’article 160 et le résultat des opérations de l’appelante

[76] En l’espèce, les dividendes ont été payés par soustraction du montant de ces dividendes de la somme que l’appelante devait à sa société. Cette compensation des dettes a eu le même effet que l’acquittement croisé de ces deux dettes (Eyeball Networks Inc. c. Canada, 2021 CAF 17 at para. 63). Bien que dans l’arrêt Eyeball Networks Inc. notre Cour ait conclu que « [l]e droit est sans équivoque : le règlement d’une véritable dette ne fait pas jouer le paragraphe 160(1) », la compensation dans cette affaire ne découlait pas du paiement par la société débitrice fiscale d’un dividende pour réduire la dette de l’actionnaire envers cette société débitrice fiscale.

[77] Par l’opération de compensation entre les dividendes et la somme due par l’appelante, la dette de cette dernière envers la société a été réduite et, par conséquent, les actifs dont la société aurait pu disposer pour payer ses dettes fiscales ont été réduits. La somme que devait l’appelante à sa société était son passif et l’actif de la société (une créance).

[78] Comme il a été observé dans l’arrêt La Reine c. Hewett, 1997 CanLII 24519 (CAF) :

Nous convenons avec le juge de la Cour canadienne de l’impôt que le but de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu est d’empêcher un contribuable de faire échec à la réclamation par le ministre des impôts non payés en transférant ses biens à son conjoint, ou à d’autres personnes, pour une contrepartie minimale ou nulle. À notre avis, cela signifie que les « biens » dont il est question dans l’article doivent être des biens du contribuable que le ministre aurait pu saisir si le transfert n’avait pas eu lieu.

[79] Les versements de dividendes par la société à l’appelante constituaient des transferts de biens sans contrepartie et réduisaient les actifs de la société (la somme due par l’appelante à la société) dont la société aurait sinon disposé pour payer sa dette fiscale.

VI. Conclusion

[80] Par conséquent, je rejetterais l’appel avec dépens.

« Wyman W. Webb »

j.c.a

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »


LA JUGE MONAGHAN (motifs concourants)

[81] J’ai lu les motifs de mon collègue le juge Webb et je suis d’accord avec lui sur de nombreux points. Je souscris à sa conclusion voulant que, pour l’application de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), la juste valeur marchande d’un dividende versé à un actionnaire n’est pas réduite par l’impôt que devra payer le bénéficiaire sur le dividende.

[82] Bien que je souscrive également aux paragraphes 24 à 33 de ses motifs, je dois m’inscrire en faux contre la thèse de l’appelante selon laquelle un dividende n’aurait pas pu être déclaré et payé, car cela aurait été un manquement au critère de la solvabilité applicable au titre des dispositions pertinentes en la matière, en l’espèce, le paragraphe 38(3) de la Loi sur les sociétés par actions, L.R.O. 1990, ch. B.16 (la LSAO). Bien que le manquement au critère de la solvabilité puisse être imprudent et avoir des conséquences pour les administrateurs, les actionnaires ou la société, cela ne signifie pas qu’un dividende n’a pas été déclaré et versé. L’article 130 de la LSAO dispose que les administrateurs qui votent pour une résolution autorisant le versement d’un dividende contrairement au critère de la solvabilité peuvent être solidairement tenus de restituer le montant du dividende à la société. Il ne dispose pas que le dividende est nul. Le manquement peut constituer une infraction passible d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement au titre de l’article 258 de la LSAO. Le manquement au critère de la solvabilité peut donner lieu à une demande de redressement pour abus : SCI Systems Inc. v. Gornitzki Thompson & Little Co., (1997), 147 D. L.R. (4th) 300, 1 C.B.R. (4th) 164, modifiée pour d’autres motifs (1998) 110 O.A.C. 160 (Cour div. Ont.). L’appelante n’a invoqué aucun précédent donnant à penser que la déclaration ou le paiement d’un dividende en violation du critère de la solvabilité annule le dividende.

[83] Quant aux paragraphes 34 à 64 des motifs du juge Webb concernant les principes de préclusion et les contestations incidentes à l’égard des cotisations de l’appelante pour 2009, 2010 et 2011, je ne suis pas certaine qu’ils s’appliquent. À mon avis, il peut être loisible à l’appelante de faire valoir que les sommes ne constituaient pas des dividendes, même si sa propre dette fiscale pour ces années d’imposition avait été établie sur le fondement qu’elle avait reçu des dividendes.

[84] Comme l’observe le juge Webb, la validité de ces cotisations n’est pas en cause dans le présent appel. Il ne fait aucun doute qu’à moins qu’elles ne soient modifiées ou annulées lors d’une opposition ou d’un appel, ou qu’une nouvelle cotisation ne soit établie, les cotisations des années d’imposition 2009, 2010 et 2011 de l’appelante sont réputées valides et exécutoires : paragraphe 152(8) de la Loi. Cependant, une cotisation établit les sommes à payer au titre de l’impôt, des intérêts et des pénalités en application de la Loi; elle n’établit pas la véracité des faits sur lesquels elle est fondée. Autrement dit, les cotisations peuvent être erronées, même si elles sont exécutoires : Canada (Procureur général) c. Abraham, 2012 CAF 266, [2012] A.C.F. no 1324 (QL) au para. 27.

[85] Le paragraphe 152(8) le reconnaît expressément en créant la présomption qu’une cotisation est valide et exécutoire « malgré toute erreur, tout vice de forme ou toute omission dans cette cotisation ». Le paragraphe 152(4.2) fait de même. Bien que le contribuable n’ait pas le droit de corriger les erreurs dans une cotisation au-delà de la période normale de nouvelle cotisation, cette disposition autorise, lorsque les circonstances le permettent, le contribuable à demander au ministre d’établir une nouvelle cotisation pour corriger des erreurs dans des cotisations qui seraient par ailleurs frappées de prescription.

[86] Bien que l’appelante ne puisse contester les cotisations de ses années d’imposition 2009, 2010 ou 2011, ce n’est pas ce qu’elle cherche à faire en l’espèce. Son objectif est de contester une cotisation différente, celle établie au titre de l’article 160, et je ne suis pas certaine qu’il existe une préclusion l’en empêchant. Cependant, je préfère laisser cette question pour une autre affaire, parce que je suis d’accord que le présent appel doit être rejeté, quoique pour des motifs différents.

[87] En établissant une cotisation à l’égard de l’appelante en application de l’article 160, le ministre a présumé que Mon Refuge Décor Inc. (la société) lui versait des dividendes. L’appelante n’est pas d’accord, affirmant qu’aucun dividende n’avait été déclaré ou payé ou ne pouvait être déclaré ou payé en raison du critère de la solvabilité. Pour les motifs qui précèdent, je ne souscris pas à cette dernière affirmation.

[88] Il ne suffit pas d’exprimer son désaccord à l’égard de l’hypothèse formulée par le ministre. Pour contester avec succès la cotisation établie en application de l’article 160, devant la Cour canadienne de l’impôt, l’appelante avait le fardeau de « démolir » cette hypothèse. Pour ce faire, elle devait au moins établir une preuve prima facie que l’hypothèse du ministre était incorrecte : Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, 1997 CanLII 357 aux para. 92 et 93 [Hickman Motors].

[89] Dans l’arrêt Amiante Spec Inc. c. Canada, 2009 CAF 139 [Amiante], notre Cour a expliqué en quoi consiste une preuve prima facie ainsi :

[23] Une preuve prima facie est celle qui est « étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la Cour doit l’accepter si elle y ajoute foi, à moins qu’elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé. Une preuve prima facie n’est pas la même chose qu’une preuve concluante, qui exclut la possibilité que toute conclusion autre que celle établie par cette preuve soit vraie » (Stewart c. Canada, [2000] T.C.J. No. 53 au paragraphe 23).

[24] Bien qu’il ne s’agisse pas d’une preuve concluante, « le fardeau de la preuve imposé au contribuable ne doit pas être renversé à la légère ou arbitrairement » considérant « qu’il s’agit de l’entreprise du contribuable » (Voitures Orly inc. c. Canada, 2005 CAF 425 au paragraphe 20).

[90] Une preuve non contestée et non contredite peut démolir les hypothèses du ministre : Hickman Motors au para. 93; House c. Canada, 2011 CAF 234 au para 31. Devant la Cour canadienne de l’impôt, les seuls éléments de preuve que l’appelante a produits pour étayer sa thèse selon laquelle aucun dividende n’avait été déclaré ou versé étaient un témoignage de vive voix et ses déclarations de revenus initiales pour les années d’imposition 2009 à 2011. Ces éléments de preuve ont été à la fois contestés et contredits.

[91] Dans ses motifs, le juge Webb a examiné en profondeur le dossier de preuve dont la Cour canadienne de l’impôt disposait, ce qui me dispense de refaire l’exercice. Cependant, certains aspects du témoignage de vive voix qui n’ont pas été décrits par le juge Webb sont importants pour ma conclusion selon laquelle l’appelante n’a pas établi de preuve prima facie.

[92] Premièrement, on n’a pas demandé à l’appelante si des dividendes avaient été déclarés ou avaient fait l’objet de discussions. On lui a plutôt demandé si elle se rappelait avoir signé des documents déclarant un dividende avant les redressements d’une T1 en 2012, et elle a répondu que non. De même, on lui a demandé si elle se souvenait d’avoir eu une discussion sur les dividendes; elle ne s’en souvenait pas. En effet, l’appelante avait de la difficulté à se rappeler et à se souvenir de beaucoup de choses et à reconnaître des documents, dont sa déclaration de revenus initiale (sans les dividendes), le registre des prêts aux actionnaires, le relevé bancaire de la société et la divulgation volontaire qu’elle avait signée.

[93] À plusieurs reprises dans son témoignage, l’appelante a déclaré que son époux était chargé des aspects comptables et fiscaux. Elle ne travaillait pas avec les comptables; c’était plutôt son époux qui [traduction] « s’occupait de toute la comptabilité, mais nous présentions simplement tout au comptable et [...] [i]ls produisaient vos déclarations et essayaient de [...] vous faire payer le moins d’impôt possible ». Elle a reconnu que le comptable était autorisé à déposer leurs documents fiscaux et que c’était ce qu’ils avaient toujours fait.

[94] Son époux, Allan Kufsky, a affirmé que le comptable avait commis de nombreuses erreurs, ce qui les a amenés à embaucher un nouveau comptable et à faire dresser à nouveau les états financiers. Bien que l’ancien comptable ait poursuivi les Kufsky et la société pour des honoraires impayés et que les défendeurs aient présenté une demande reconventionnelle alléguant des erreurs commises par le comptable, ce litige a été réglé. Toutefois, l’échange ci-après, qui a eu lieu au cours de l’audience à la Cour canadienne de l’impôt entre M. Kufsky et l’avocat de l’appelante, est pertinent :

[traduction]

MAÎTRE AITKEN : Au bout du travail effectué par vos anciens comptables, y avait-il une somme due à Revenu Canada?

MONSIEUR KUFSKY : Eh bien, Revenu Canada voulait que nous remboursions tous les dividendes parce que nous n’avions pas le droit de les prendre, et parce que la société était — vraiment et honnêtement, nous n’en avions aucune idée. Nous n’étions même pas — vous savez, nous avons fait confiance à ce comptable pendant 35 ans. Il disait qu’à la fin de l’année nous attribuerions des dividendes et que nous aurions un salaire. Et j’ai parlé à d’autres personnes d’affaires. En fait — la plupart d’entre nous n’avons aucune idée de ce qu’est un dividende, si ce n’est qu’il s’agit d’un moyen plus simple, si vous possédez une entreprise, de déclarer des revenus à un niveau d’imposition inférieur. Nous ne connaissions pas les règles qui le permettent. Donc, si ce n’était pas autorisé, alors, vraiment, les comptables devraient être tenus responsables. Je sais qu’ils ne le sont pas, mais ils devraient l’être, car ce sont eux les experts. Nous comptons sur eux pour bien nous guider.

[95] M. Kufsky, comme l’appelante, reconnaît qu’il a suivi les conseils du comptable sur la façon dont les dépenses personnelles, indiquées dans le compte de l’actionnaire, devaient être traitées — comme des dividendes ou un salaire. Il reconnaît que les dividendes sont assujettis à un taux d’imposition inférieur. Il exprime son inquiétude à l’idée que les comptables aient recommandé des dividendes alors que [traduction] « ce n’était pas autorisé »; il n’affirme pas que les dividendes n’avaient pas été recommandés, ni que les Kufsky n’avaient pas accepté cette recommandation à l’époque.

[96] M. Kufsky a également nié avoir jamais vu l’annexe sur les prêts à un actionnaire, disant qu’il s’agissait d’un [traduction] « document qu’on met à la fin ». Il [traduction] « n’a regardé que les états financiers ». L’annexe sur les prêts à un actionnaire ainsi que les états financiers en preuve indiquent le versement de dividendes.

[97] Bien que les livres comptables ne créent pas la réalité, ils peuvent représenter la réalité : VanNieuwkerk c. La Reine, 2003 CCI 670 au para. Bien que M. Kufsky ait déclaré dans son témoignage que les états financiers avaient été refaits par un nouveau comptable, ces états financiers révisés n’ont pas été déposés en preuve, donc on ne sait pas s’ils montrent également qu’il y a eu versements de dividendes. On n’a posé cette question ni à M. Kufsky ni à l’appelante. Ainsi, les seuls états financiers en preuve montrent que des dividendes ont été versés, conformément à l’hypothèse de l’intimée.

[98] L’examen détaillé effectué par le juge Webb du dossier de preuve dont la Cour canadienne de l’impôt disposait démontre que les propres éléments de preuve documentaire de l’appelante, ainsi que ses actions et ses inactions, non seulement contredisent sa thèse selon laquelle des dividendes n’ont été ni déclarés ni versés, mais renforcent l’hypothèse du ministre selon laquelle la société lui a versé des dividendes. Les pièces de l’intimée, constituées des déclarations de revenus de l’appelante et de la société, contredisent également la version des faits de l’appelante et étayent l’hypothèse du ministre. Le témoignage de vive voix était au mieux ambigu. La position de l’appelante n’est pas « étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la Cour doit l’accepter si elle y ajoute foi, à moins qu’elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé » : Amiante au para. 23.

[99] Dans les présents motifs, j’ai choisi de me référer à une preuve prima facie. Cette expression a été utilisée à maintes reprises pour décrire ce que doit faire le contribuable qui conteste les hypothèses du ministre. Il existe de la doctrine selon laquelle la preuve prima facie est censée comporter une norme moins élevée que « la prépondérance des probabilités ». Je ne suis pas convaincue et je souscris à l’approche du juge Webb dans l’arrêt Sarmadi c. Canada, 2017 CAF 131, [2017] A.C.F. no 637 (QL) au para. 61 à 63, répétée dans l’arrêt Eisbrenner c. Canada, 2020 CAF 93, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 2020 C.S.C.R. no 334 (QL). Cependant, au bénéfice de l’appelante, j’ai supposé que la preuve prima facie nécessitait une norme moins élevée que celle de la prépondérance des probabilités. Malgré cela, elle n’a pu avoir gain de cause.

[100] À mon avis, les éléments de preuve qu’elle a présentés étaient loin d’être suffisants pour établir une preuve prima facie que l’hypothèse du ministre selon laquelle la société lui avait versé des dividendes était incorrecte.

[101] À mon avis, cela suffit pour que l’appel soit rejeté, et je le rejetterais avec dépens.

« K.A. Siobhan Monaghan »

j.c.a

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT

RENDU LE 7 NOVEMBRE 2019, RÉFÉRENCE NO 2019 CCI 254

DOSSIER :

A-452-19

 

INTITULÉ :

MICHELLE KUFSKY C.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 octobre 2021

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

 

Y A SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

MOTIFS CONCOURANTS :

LA JUGE MONAGHAN

DATE DES MOTIFS :

Le 14 avril 2022

COMPARUTIONS :

George Boyd Aitken

Pour l’appelante

Cédric Renaud-Lafrance

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

George Boyd Aitken Professional Corporation

Ottawa (Ontario)

Pour l’appelante

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimée

 

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