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Date : 20211201


Dossier : A-317-21

Référence : 2021 CAF 235

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de madame la juge Gleason

ENTRE :

FIBROGEN, INC.

appelante

et

AKEBIA THERAPEUTICS, INC. et OTSUKA CANADA PHARMACEUTICAL INC.

intimées

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2021.

Ordonnance prononcée à Vancouver (Colombie-Britannique), le 1er décembre 2021.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20211201


Dossier : A-317-21

Référence : 2021 CAF 235

En présence de madame la juge Gleason

ENTRE :

FIBROGEN, INC.

appelante

et

AKEBIA THERAPEUTICS, INC. et OTSUKA CANADA PHARMACEUTICAL INC.

intimées

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE GLEASON

[1] L’appelante a interjeté appel de l’ordonnance du juge Barnes de la Cour fédérale, prononcée avec motifs à l’appui le 4 novembre 2021 dans l’affaire Akebia Therapeutics, Inc. c. FibroGen, Inc., 2021 CF 1179, et a déposé une requête demandant un sursis à l’exécution de cette ordonnance en attendant l’issue de l’appel ainsi que d’autres mesures, dont un sursis provisoire valable jusqu’à ce que la requête en sursis de l’appelante soit tranchée. Les présents motifs portent uniquement sur le sursis provisoire à l’exécution de l’ordonnance de la Cour fédérale qui serait valable jusqu’à ce que la requête en sursis à l’exécution de cette ordonnance en attendant l’issue de l’appel soit tranchée.

[2] Compte tenu des faits uniques de la présente affaire et de l’urgence de la situation, le sursis provisoire est accordé pour les motifs énoncés ci-dessous, lesquels, vu les circonstances, sont nécessairement brefs.

[3] Dans l’ordonnance faisant l’objet de l’appel, la Cour fédérale a ordonné la levée des scellés protégeant les documents de requête déposés devant cette cour par les intimées dans les 30 jours (c’est-à-dire le 6 décembre 2021), à moins qu’une version publique expurgée de ces documents ne soit déposée entre-temps. La Cour fédérale a également conclu que seules certaines parties de la déclaration d’un des témoins de l’appelante, le Dr Volkmar Guenzler-Pukall, datée du 25 janvier 2021, et de l’affidavit d’un autre témoin, le Dr Todd Seeley, daté du 22 janvier 2021 (collectivement, les déclarations des témoins des faits), étaient confidentielles et assujetties à des restrictions concernant leur divulgation aux termes d’une entente de confidentialité signée par les parties en lien avec le litige en matière de brevet devant la Cour fédérale.

[4] Les déclarations des témoins des faits ont été fournies aux intimées par l’appelante durant le processus de divulgation préalable au procès devant la Cour fédérale. Elles ont également été désignées comme étant confidentielles par l’appelante conformément à l’entente de confidentialité. Sauf ordonnance contraire de la Cour fédérale, cette désignation empêchait également que les déclarations des témoins des faits soient utilisées à des fins autres que le litige devant la Cour fédérale. Les modalités de l’entente de confidentialité prévoient que les différends sur la question de savoir s’il était justifié que des documents soient désignés comme étant confidentiels seraient entendus par la Cour fédérale.

[5] En appel et devant la Cour fédérale, l’appelante soutient et a soutenu que les déclarations des témoins des faits sont assujetties à la règle de l’engagement implicite. L’appelante soutient également en appel que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que les déclarations des témoins des faits n’étaient pas à l’abri de la divulgation au titre de l’entente de confidentialité conclue par les parties pour plusieurs motifs, notamment parce qu’à ce moment, la question était devenue théorique puisque les parties avaient réglé leur action en matière de brevet devant la Cour fédérale.

[6] Deux mois après le règlement, les intimées ont déposé une requête afin d’obtenir une déclaration selon laquelle de grandes parties des déclarations des témoins des faits avaient été désignées à tort comme étant confidentielles au titre de l’entente de confidentialité signée par les parties, dans l’idée de pouvoir utiliser ces déclarations dans un litige américain en instance entre les parties. En lien avec cette requête, les intimées ont déposé les versions non expurgées des déclarations des témoins des faits devant la Cour fédérale. Conformément aux modalités de l’entente de confidentialité conclue entre les parties, elles ont été déposées sous scellé. Devant la Cour fédérale, les parties ont convenu que seules certaines parties des déclarations des témoins des faits seraient protégées contre une divulgation, conformément aux principes établis dans l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] 2 R.C.S. 522, et ont précisé quelles seraient ces parties.

[7] Dans l’ordonnance faisant l’objet du présent appel, la Cour fédérale a refusé de se pencher sur les observations de l’appelante portant sur la règle de l’engagement implicite et, comme il est indiqué, a tranché en faveur des intimées en ce qui concerne les observations fondées sur l’entente de confidentialité.

[8] À moins d’un sursis à l’exécution de l’ordonnance de la Cour fédérale, les versions non expurgées des déclarations des témoins des faits seront placées dans le dossier public de la Cour le 6 décembre 2021, sauf si des versions expurgées sont déposées avant cette date. Dans un cas comme dans l’autre, conformément aux modalités de l’ordonnance, une grande partie des déclarations des témoins des faits seront rendues publiques le 6 décembre 2021, à moins que notre Cour ne prononce une ordonnance de sursis.

[9] Le 15 novembre 2021, l’appelante a déposé son avis d’appel et demandé le consentement des intimées à un sursis en attendant l’issue de l’appel visant l’ordonnance de la Cour fédérale. Dans les échanges subséquents entre les parties, les intimées ont indiqué qu’elles ne consentiraient pas au sursis et ont affirmé que leurs clients avaient déjà fait usage des déclarations des témoins des faits après le prononcé de l’ordonnance de la Cour fédérale. Les documents déposés à la Cour n’indiquent pas clairement ce que les intimés ont fait précisément avec les déclarations des témoins des faits.

[10] L’appelante a signifié sa requête en sursis à l’exécution de l’ordonnance en attendant l’issue de l’appel et en sursis provisoire en fin de journée le 24 novembre 2021, et j’ai indiqué qu’elle pouvait être déposée le 26 novembre 2021, même s’il restait à légaliser un affidavit. Les intimées ont déposé une lettre expliquant en détail leur position sur les points en litige le 26 novembre 2021 et, durant une conférence de gestion de l’instance organisée d’urgence le 26 novembre 2021, les avocats des parties ont présenté des observations au sujet du sursis provisoire demandé.

[11] Dans ces observations, les intimées ont indiqué qu’elles auraient besoin au minimum des 10 jours prévus dans les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, pour signifier et déposer des documents en réponse à la requête en sursis, ce qui est raisonnable compte tenu de la taille du dossier de requête en sursis de l’appelante, des questions qui y sont soulevées et des procès en instance auxquels l’avocat des intimées doit sous peu participer.

[12] Les intimées soutiennent que la demande de sursis provisoire devrait être rejetée, principalement parce que l’appel ne soulève pas de question sérieuse et que l’appelante a tardé à présenter sa demande. On a également affirmé qu’il serait inutile d’accorder le sursis provisoire demandé puisque les intimées avaient déjà communiqué les déclarations des témoins des faits, vraisemblablement pour les utiliser en lien avec le litige américain, rendant l’appel théorique. Dans leur lettre, les intimées ont également affirmé que l’appelante ne subirait aucun préjudice irréparable si le sursis était refusé et que la prépondérance des inconvénients favorisait le refus du sursis demandé.

[13] Pour que le sursis provisoire demandé soit accordé, l’appelante doit satisfaire au critère énoncé dans l’arrêt RJR-Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1994 CanLII 117 (C.S.C.), [1994] 1 R.C.S. 311, c’est-à-dire qu’elle doit établir qu’il existe une question sérieuse à trancher, qu’elle subira un préjudice irréparable en cas de refus et que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi de la suspension.

[14] Le critère relatif à la question sérieuse à trancher n’est pas très exigeant, en particulier dans les présentes circonstances. Comme l’a noté récemment le juge Nadon dans l’arrêt Western Oilfield Equipment Rentals Ltd. c. M-I L.L.C., 2020 CAF 3, au paragraphe 8 :

[8] […] le premier volet du critère […] exige des appelantes qu’elles démontrent que leur appel soulève une question sérieuse. Dans l’arrêt RJR-MacDonald, à la page 337 de ses motifs, la Cour suprême indique clairement que « [l]es exigences minimales ne sont pas élevées ». Autrement dit, dès lors que la Cour est convaincue que le recours n’est ni vexatoire ni frivole, elle examine les deuxième et troisième volets du critère. Que la Cour estime que la partie qui sollicite la suspension aura gain de cause ou non dans l’appel n’est pas pertinent. Pour citer la Cour suprême à la page 338 : « [i]l n’est en général ni nécessaire ni souhaitable de faire un examen prolongé du fond de l’affaire ».

[15] Je conclus que l’appelante a soulevé des questions suffisamment sérieuses, particulièrement en ce qui concerne la violation alléguée de la règle de l’engagement implicite et le caractère théorique, qui justifient que soit accordé un sursis provisoire jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la requête en sursis à l’exécution de l’ordonnance en attendant l’issue de l’appel, puisqu’au point où nous en sommes, on ne peut affirmer que ces questions sont frivoles ou vexatoires. En résumé, je ne suis pas convaincue que les questions touchant au caractère théorique de l’affaire et à la violation alléguée de la règle de l’engagement implicite sont si dénuées de mérite qu’elles justifient le rejet de la demande de sursis provisoire, qui rendrait inopérant l’appel de l’appelante.

[16] Toutefois, je veux qu’il soit clair qu’en rendant cette décision, j’ai examiné ces questions uniquement dans le contexte d’un court sursis provisoire, lequel vise, dans la mesure du possible, à préserver le statu quo jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la requête en sursis à l’exécution de l’ordonnance en attendant l’issue de l’appel. Par conséquent, ma conclusion à l’égard de la question sérieuse ne tranche pas cet aspect de l’appel de manière définitive et, à mon avis, il demeure loisible au juge qui entendra la requête en sursis à l’exécution de l’ordonnance en attendant l’issue de l’appel d’en arriver à une conclusion différente sur la question de savoir si les questions soulevées dans l’appel sont suffisamment sérieuses pour justifier l’octroi d’un sursis plus long en attendant l’issue de l’appel.

[17] En ce qui concerne la question du préjudice irréparable, refuser le sursis demandé rendrait inopérant l’appel de l’appelante. Comme dans l’arrêt Double Diamond Distribution Ltd. c. Crocs Canada, Inc., 2019 CAF 243, au paragraphe 10, il s’agit là d’un motif suffisant pour conclure à l’existence d’un préjudice irréparable, surtout en l’absence de toute indication de la part des intimées quant à la nécessité qu’elles utilisent encore les documents jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la requête en sursis en attendant l’issue de l’appel.

[18] Compte tenu de ce qui précède, la prépondérance des inconvénients favorise également l’octroi du sursis provisoire, surtout étant donné les conséquences que le refus aurait sur l’appel de l’appelante et la courte durée du sursis provisoire.

[19] En ce qui a trait au retard allégué de l’appelante, j’estime que le temps que l’appelante a pris pour porter ces questions à l’attention de notre Cour ne justifie pas que soit refusé le sursis demandé. En fait, à mon avis, l’appelante a agi rapidement et a informé les intimées dans les dix jours suivant la date de l’ordonnance de la Cour fédérale de son intention de demander un sursis. Je ne vois pas en quoi le temps que l’appelante a pris avant de déposer la présente requête devant notre Cour a causé un préjudice aux intimées, d’autant plus que les intimées conserveront leurs pleins droits de présenter dans leurs documents en réponse leurs observations concernant le bien-fondé de la requête en sursis à l’exécution de l’ordonnance en attendant l’issue de l’appel.

[20] Sur ce point, je pense qu’il serait juste que les intimées aient jusqu’au 14 janvier 2022, si elles le souhaitent, pour déposer leurs documents en réponse, compte tenu du nombre de pages des documents à l’appui de la requête de l’appelante et de la nature des questions soulevées dans la requête en sursis.

[21] Finalement, en ce qui concerne l’observation selon laquelle ces questions sont théoriques parce que les déclarations des témoins des faits ont déjà été divulguées, la Cour ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure en ce sens et, quoi qu’il en soit, je répugnerais à fonder le refus du sursis provisoire sur une violation alléguée de la règle de l’engagement implicite.

[22] Par conséquent, j’accorderai le sursis provisoire demandé par l’appelante dans son avis de requête et je confierai la question des dépens relatifs à la présente requête au juge qui sera saisi de la requête en sursis à l’exécution de l’ordonnance en attendant l’issue de l’appel.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-317-21

 

INTITULÉ :

FIBROGEN, INC. c. AKEBIA THERAPEUTICS, INC. et OTSUKA CANADA PHARMACEUTICAL INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 novembre 2021

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er décembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Brian Daley

David Yi

 

Pour l’appelante

 

Sarit E. Batner

Michael Burgess

 

Pour les intimées

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

Pour l’appelante

 

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour les intimées

 

 

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