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Date : 20220201


Dossier : A-194-20

Référence : 2022 CAF 17

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE WOODS

LA JUGE MONAGHAN

 

ENTRE :

THE NATIONAL BENEFIT AUTHORITY CORPORATION

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 3 novembre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er février 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE MONAGHAN

 


Date : 20220201


Dossier : A-194-20

Référence : 2022 CAF 17

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE WOODS

LA JUGE MONAGHAN

 

ENTRE :

THE NATIONAL BENEFIT AUTHORITY CORPORATION

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE WOODS

[1] L’appelante, The National Benefit Authority Corporation, est une société qui assiste les personnes qui présentent des demandes de crédit d’impôt pour personnes handicapées (CIPH). Dans le cadre de ces services, l’appelante se charge des appels interjetés auprès de la Cour canadienne de l’impôt, dans les cas où le ministre du Revenu national a rejeté une demande de CIPH.

[2] Un employé de l’appelante, qui n’est pas un avocat, a comparu devant la Cour de l’impôt dans le cadre de ces appels liés à des demandes de CIPH. Un représentant qui n’est pas un avocat n’est autorisé à représenter une partie que si l’appel est interjeté sous le régime de la procédure informelle (art. 17.1 et 18.14 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. 1985, ch. T-2 [Loi sur la CCI]).

[3] L’appelante interjette appel auprès de notre Cour d’une ordonnance rendue le 6 août 2020 par la Cour canadienne de l’impôt, qui a disposé d’une requête par laquelle l’appelante demandait notamment que la Cour de l’impôt reconnaisse qu’elle avait qualité pour représenter ses clients (les appelants ayant interjeté appel de décisions visant un CIPH) dans leurs appels auprès de la Cour de l’impôt. Le juge chargé de la gestion de l’instance, le juge en chef Rossiter, a rejeté la demande en formulant des motifs détaillés qui ne semblent pas avoir été publiés.

[4] Dans son mémoire des faits et du droit présenté à notre Cour, l’appelante a déclaré que l’appel visait un jugement définitif de la Cour de l’impôt, à l’égard duquel notre Cour a compétence aux termes du paragraphe 27(1.2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 (la Loi sur les CF). Cette déclaration n’a pas été discutée à l’audience. À la suite de l’audience, les parties ont, à la demande de la Cour, présenté des observations écrites sur la compétence de la Cour dans le présent appel.

[5] Les deux parties prétendent que notre Cour a compétence pour entendre l’appel. Cependant, cette entente entre les parties ne confère pas compétence à la Cour (Hillier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 44, para. 4, 431 D.L.R. (4th) 556).

[6] Je ne souscris pas aux observations des parties sur cette question. L’ordonnance rendue par la Cour de l’impôt est interlocutoire et ne constitue pas un jugement définitif aux fins du paragraphe 27(1.2) de la Loi sur les CF. L’expression « jugement définitif » est définie comme suit au paragraphe 2(1) :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2. (1) In this Act,

[...]

« jugement définitif » Jugement ou autre décision qui statue au fond, en tout ou en partie, sur un droit d’une ou plusieurs des parties à une instance.

“final judgment” means any judgment or other decision that determines in whole or in part any substantive right of any of the parties in controversy in any judicial proceeding;

[7] Les principes généraux du droit qui doivent être appliqués pour déterminer si une ordonnance est interlocutoire ou définitive aux fins de l’article 27 sont énoncés dans la décision de notre Cour intitulée Ontario Federation of Anglers and Hunters c. Bande indienne d’Alderville, 2014 CAF 145, 461 N.R. 327, autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada refusée, 36035 (12 mars 2015) (arrêt Alderville). L’une des questions en litige dans l’arrêt Alderville était de savoir si l’intervenante proposée (l’Ontario Federation of Anglers and Hunters) avait respecté le délai prescrit pour interjeter appel auprès de notre Cour d’une décision de la Cour fédérale qui avait rejeté la requête en intervention de la fédération. Il s’agissait de déterminer si l’ordonnance de la Cour fédérale était interlocutoire ou définitive. Bien que ce contexte diffère considérablement de celui dans lequel le présent appel est soulevé, la Cour dans l’arrêt Alderville a énoncé des principes généraux utiles, qui s’appliquent en l’espèce.

[8] Dans l’arrêt Alderville (aux paras 21 et 22), le juge Stratas a analysé la définition de l’expression « jugement définitif » énoncée au paragraphe 2(1) et a jugé que, pour que le jugement soit définitif, il faut que l’ordonnance « statue au fond, en tout ou en partie, sur un droit d’une ou de plusieurs des parties à une instance ». Il a conclu que le terme « instance », tel qu’il est utilisé dans l’ensemble de la Loi sur les CF, désigne « l’affaire dont la Cour est saisie – notamment, une action ou une demande – et non un volet de l’affaire tel qu’une requête ».

[9] Le juge Stratas a ensuite déclaré que la question en litige soulevée dans la requête devant l’instance inférieure (quant à savoir s’il fallait accorder le statut d’intervenant) ne mettait pas en cause un droit matériel. Il s’agissait plutôt d’un droit procédural de formuler des observations, dans une instance où les droits matériels d’autres personnes n’avaient pas encore été reconnus (arrêt Alderville, aux paras. 23 et 24).

[10] Ces commentaires s’appliquent dans le présent appel. Aux fins du présent appel, la requête en litige n’est pas l’« instance ». Les instances en cause sont les appels visant des demandes de CIPH. Il importe peu que la requête ait été déposée devant la Cour de l’impôt et qu’elle soit assujettie aux règles de cette cour.

[11] De plus, le droit matériel sur lequel il sera statué dans les instances – à savoir les appels visant des demandes de CIPH – constitue l’objet de ces instances (Hendrickson v. Kallio, [1932] 4 D.L.R. 580, p. 583 et 584, [1932] O.R. 675 (C.A.)). L’objet des appels visant des demandes de CIPH porte sur le droit des appelants à un CIPH. La requête n’a pas tranché ce droit matériel. Elle a tranché un droit procédural accessoire. Par conséquent, il importe peu que l’appelante soit désignée à titre de partie, en plus des appelants ayant interjeté appel de décisions visant un CIPH. L’ordonnance est interlocutoire.

[12] Dans ses observations, l’appelante a invoqué une décision de la Cour d’appel de l’Ontario, qui a conclu qu’une ordonnance rendue dans le cadre d’une contestation entre une partie à l’action et quelqu’un qui n’est pas partie à cette action constitue une ordonnance définitive si elle tranche de manière définitive les droits des parties à l’égard des questions qui les opposent (Smerchanski v. Lewis (1980), 117 D.L.R. (3d) 716, 30 O.R. (2d) 370 (C.A.)).

[13] Ce principe n’a toutefois pas été appliqué lorsque la question en litige portait sur le retrait d’un avocat agissant en qualité de représentant. Les cours de justice de l’Ontario ont clairement établi qu’une telle question est interlocutoire et non définitive (Edgeworth v. Shapira, 2020 ONCA 374, 320 A.C.W.S. (3d) 357, para. 5). La question en litige dans le présent appel est analogue, car elle concerne la représentation des appelants ayant interjeté appel de décisions visant un CIPH. Il s’agit d’une question interlocutoire.

[14] L’appelante propose, subsidiairement, que la requête soit régie par la procédure générale et donc que l’appel interjeté auprès de notre Cour ne soit pas limité par le paragraphe 27(1.2) de la Loi sur les CF. L’appelante invoque à l’appui un commentaire formulé par le juge Graham dans la décision Shannon, 2016 CCI 255, 2016 D.T.C. 1204. Dans la décision Shannon, la Cour de l’impôt, de sa propre initiative, a jugé qu’il devrait être interdit à un mandataire ayant comparu dans un appel interjeté sous le régime de la procédure informelle de représenter des parties devant la Cour de l’impôt sans obtenir l’autorisation de la Cour.

[15] Je ne souscris pas à cet argument. La disposition pertinente est énoncée au paragraphe 27(1.1) de la Loi sur les CF. Ce paragraphe dispose qu’il peut être interjeté appel devant notre Cour de tout jugement de la Cour de l’impôt, sauf s’il s’agit d’un jugement « portant sur un appel visé [par la procédure informelle] ». En l’espèce, les parties à la requête étaient l’appelante, les appelants ayant interjeté appel de décisions visant un CIPH et la Couronne. L’ordonnance s’inscrit sous le régime de la procédure informelle, puisqu’elle s’applique aux appelants ayant interjeté appel de décisions visant un CIPH.

[16] Enfin, selon l’appelante, notre Cour a compétence aux termes du paragraphe 27(4) de la Loi sur les CF. Cette disposition est ainsi rédigée :

27. (4) Pour l’application du présent article, est assimilé au jugement définitif le jugement qui statue au fond sur un droit, à l’exception des questions renvoyées à l’arbitrage par le jugement.

27. (4) For the purposes of this section, a final judgment includes a judgment that determines a substantive right except as to any question to be determined by a referee pursuant to the judgment.

[17] Cette observation indique, aux fins de l’article 27 de la Loi sur les CF, que le paragraphe 27(4) vise à annuler les restrictions imposées par la définition générale de l’expression « jugement définitif » au paragraphe 2(1). Cet argument repose entièrement sur une interprétation littérale du paragraphe 27(4) et ne tient pas compte de son contexte. Quoi qu’il en soit, le paragraphe 27(4) n’aide pas la cause de l’appelante, car il exige qu’un droit matériel soit en litige. Or, comme je l’ai mentionné précédemment, aucun droit matériel n’est en litige dans la requête.

[18] Par conséquent, je rejetterais le présent appel. Comme les parties s’entendent sur la question portant sur la compétence, je proposerais que chacune assume ses frais et dépens.

« Judith Woods »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

« K.A. Siobhan Monaghan, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-194-20

 

 

INTITULÉ :

THE NATIONAL BENEFIT AUTHORITY CORPORATION c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 novembre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE MONAGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er février 2022

 

COMPARUTIONS :

Domenic Marciano

 

Pour l’appelante

 

Sandra K.S. Tsui

Mike Chen

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marciano Beckenstein LLP

Concord (Ontario)

 

Pour l’appelante

 

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimée

 

 

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