Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20211230


Dossier : A-42-21

Référence : 2021 CAF 245

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE MACTAVISH

 

ENTRE :

NIKOTA BANGLOY

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 22 novembre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 décembre 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 


Date : 20211230


Dossier : A-42-21

Référence : 2021 CAF 245

CORAM :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE MACTAVISH

 

ENTRE :

NIKOTA BANGLOY

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE RIVOALEN

I. Introduction

[1] Nikota Bangloy interjette appel du jugement prononcé par la Cour fédérale (2021 CF 60) (motifs de la Cour fédérale) qui a rejeté sa demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) rendue le 1er novembre 2019 (2019 TCDP 45) (la décision du Tribunal). La décision du Tribunal porte sur des plaintes déposées par l’appelante, pour son propre compte et pour celui de ses deux enfants mineurs, ainsi que sur des plaintes déposées par la mère de l’appelante, Joyce Beattie (les plaignants) auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. L’appelante a allégué que l’intimé devait verser aux plaignants des annuités et financer l’éducation de ses enfants, au titre de leurs droits reconnus par le Traité no 11. Plus précisément, elle a déclaré que l’intimé était coupable d’actes discriminatoires définis à l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H-6 (la Loi) qui étaient fondés sur leur race, leur origine nationale ou ethnique, et qui constituaient des motifs de distinction illicite, au sens de l’article 3 de la Loi. Ces actes ont été les suivants :

  1. l’intimé a refusé de rembourser les frais de scolarité que l’appelante a payés pour ses enfants;

  2. l’intimé a refusé de verser des annuités aux plaignants, car leurs noms n’étaient pas inscrits sur une liste de bande tenue par l’intimé.

2. l’intimé a refusé de fournir des renseignements à propos du financement de l’éducation de ses enfants qui fréquentaient une école privée;

[2] En outre, l’appelante a affirmé que les actes de l’intimé décrits ci-dessus et son refus d’inscrire le nom des plaignants sur la liste de la bande des Loucheux no 6 constituaient des représailles aux termes de l’article 14.1 de la Loi, car Mme Beattie avait déjà déposé une plainte en matière de droits de la personne contre l’intimé.

[3] L’aperçu et le contexte fournis par la Cour fédérale, aux paragraphes 1 à 14 de ses motifs, nous permettent de connaître certains des faits importants et j’en soulignerai simplement quelques-uns dans les présents motifs.

[4] Les ancêtres de l’appelante étaient des signataires du Traité no 11 et, à un moment, Joyce Beattie avait été inscrite en tant que membre sur la liste de la bande de Fort Good Hope qui était une bande signataire du Traité no 11. À l’heure actuelle, l’appelante et Mme Beattie ont le droit de s’inscrire sur la liste d’une autre bande signataire du Traité no 11, la liste de la bande Gwichya Gwich’in, mais elles ont choisi de ne pas le faire. Elles ne sont plus inscrites sur la liste d’une bande particulière signataire du Traité no 11, mais l’intimé les a inscrites sur la liste de bande générale des Territoires du Nord-Ouest.

[5] L’appelante est une Autochtone selon la définition donnée à ce terme au paragraphe 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11. Elle est inscrite en tant qu’Indienne aux termes de l’article 6 de la Loi sur les Indiens, L.R.C., 1985, ch. I-5 et elle affirme qu’elle détient des droits ancestraux que lui garantit la Loi constitutionnelle de 1982 et les droits issus du Traité no 11.

[6] Pendant de nombreuses années, Mme Beattie a tenté de faire reconnaître par le Tribunal et les Cours fédérales ses droits issus du Traité no 11, de même que ceux détenus par ses enfants et petits-enfants. Bien que Mme Beattie ne soit pas une partie au présent appel, elle a participé aux débats du Tribunal en question. De plus, elle était une partie dans de précédentes instances, devant le Tribunal et les Cours fédérales, dans le cadre desquelles certains de ses droits ancestraux et ceux de ses descendants ont été établis. Ces décisions fournissent un contexte important pour mes motifs. C’est pourquoi je résumerai une partie de cet historique des contentieux avant d’examiner la décision du Tribunal.

II. Faits et historique des contentieux

A. Traité no 11

[7] Le Traité no 11 a été conclu en 1921 entre diverses Premières Nations et le gouvernement canadien. L’article 6 du Traité no 11 définit les terres précises que les Premières Nations ont cédées. Le Traité couvre une vaste partie de la région géographique qui correspond aujourd’hui en partie aux Territoires du Nord-Ouest et des petites parties du Yukon et du Nunavut actuels, ce qui comprend un territoire de près de 372 000 milles carrés. L’article 7 du Traité no 11 précise « ET AUSSI tous leurs droits, titres et privilèges quelconques à toutes autres terres situées dans les Territoires du Nord-Ouest et du Yukon ou dans toute autre partie du Canada ».

[8] Dans le présent appel, l’appelante invoque deux engagements pris par le Canada dans le Traité no 11, qui sont les suivants :

  1. le paiement de certains frais d’éducation aux Premières Nations qui habitent les terres visées par le Traité no 11 ainsi décrit : « EN OUTRE, Sa Majesté s’engage à payer le salaire des maîtres d’écoles que son gouvernement du Canada jugera nécessaires pour instruire les enfants des Indiens »;

[9] le versement d’annuités aux membres des Premières Nations qui habitent les terres visées par le Traité no 11, ainsi décrit : « SA MAJESTÉ convient aussi que l’an prochain et toutes les années subséquentes pour toujours, il fera payer aux dits Indiens en argent […], et à chaque autre Indien de tout âge, cinq dollars; ces montants devront être payés au chef de famille pour tous ceux qui en font partie ».

[10] Aucune réserve ne se trouve sur les terres visées par le Traité no 11. Lorsque le Tribunal a rendu sa décision, l’appelante et ses enfants ne vivaient pas sur une réserve ou à l’intérieur de la région géographique décrite à l’article 6 du Traité no 11. En outre, ils n’étaient inscrits sur la liste d’aucune bande précise.

B. Beattie c Canada [1998] 1 C.F. 104 [Beattie 1998 CF]

[11] En 1997, alors qu’elle habitait en Colombie-Britannique, Mme Beattie a demandé à la Cour fédérale d’établir si l’intimé devait lui rembourser les dépenses encourues liées à ses enfants (y compris l’appelante) qui fréquentaient une école privée et une école publique qui n’étaient pas situées dans le territoire visé par le Traité no 11. Mme Beattie a affirmé qu’en application de la disposition relative à l’éducation énoncée dans le Traité no 11, décrite au paragraphe 8(1) précité, elle avait le droit de recevoir ces fonds. Bien que l’intimé ait versé à Mme Beattie une somme d’argent équivalant aux frais de scolarité indiqués dans la British Columbia Master Tuition Agreement, cette somme ne couvrait pas tous les frais de scolarité et les dépenses connexes de l’appelante.

[12] La Cour fédérale a décidé que les dispositions relatives à l’éducation du Traité no 11 ne s’appliquaient pas à Mme Beattie et à ses enfants, car à ce moment-là, ils n’habitaient pas dans le territoire visé par le Traité no 11 et les écoles que les enfants fréquentaient n’étaient pas non plus établies à l’intérieur de ce territoire. Au paragraphe 42, elle a conclu qu’aux termes du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, [les enfants] bénéficient d’une garantie constitutionnelle quant au droit à l’éducation gratuite. La Cour fédérale a établi que la garantie constitutionnelle est la suivante : 1) les enfants ont accès à l’éducation gratuite; 2) cependant, cet accès se limite au territoire défini à l’article 6 du Traité; 3) l’éducation gratuite offerte dans les écoles établies dans le territoire en question doit être semblable ou équivalente à celle qui est offerte aux enfants non autochtones dans le réseau d’écoles publiques. La Cour fédérale a conclu, au paragraphe 44, que la réclamation de Mme Beattie au sujet du remboursement d’autres dépenses en matière d’études doit échouer, car la disposition relative à l’éducation du Traité no 11 ne s’appliquait pas au-delà des limites du territoire visé par le Traité.

[13] Il n’y a pas eu appel de cette décision.

C. Beattie c. Affaires indiennes et du Nord Canada (2014 TCDP 1) [Beattie 2014 TCDP]

[14] En 2014, Mme Beattie a comparu devant le Tribunal et a allégué qu’elle a été victime de discrimination, du fait de sa race, de son origine nationale ou ethnique, de la part de l’intimé, lorsque ce dernier a refusé, pendant deux ans et demi, de lui fournir certains services. Le Tribunal a souscrit à cette prétention. Il a conclu que le refus par l’intimé de reconnaître l’adoption de Mme Beattie selon les coutumes autochtones, de modifier sa catégorie d’inscription aux termes de l’article 6 de la Loi sur les Indiens et de retirer son nom de la liste de la bande de Fort Good Hope, qui reposait sur des interprétations juridiques erronées au sujet de l’adoption selon la coutume autochtone, revenait à priver la plaignante d’un service au sens de la Loi.

[15] La décision de ce Tribunal est instructive, car elle fournit quelques éléments au sujet du vécu de Mme Beattie et des modifications qui ont été apportées à son statut sur le plan de l’inscription, en application de l’article 6 de la Loi sur les Indiens, à la suite de l’adoption de la Loi sur l’équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens, L.C. 2010, ch. 18 et de la reconnaissance de son adoption selon la coutume autochtone. Le Tribunal mentionne également que Mme Beattie et ses enfants ont le droit d’être inscrits sur la liste d’une autre bande signataire du Traité no 11, qui est la bande Gwichya Gwich’in, connue auparavant sous le nom de Loucheux no 6. Mme Beattie et ses enfants choisissent que leurs noms ne figurent pas dans cette liste.

[16] Il est important de noter que la décision de ce Tribunal correspond à la plainte antérieure relative aux droits de la personne mentionnée par l’appelante dans le présent appel.

D. Beattie c. Canada [2001] 2 C.N.L.R. 26 [Beattie 2001 CF]

[17] En 2001, Mme Beattie a comparu devant la Cour fédérale et a revendiqué un droit à l’aide agricole conféré par le Traité no 11, du fait qu’elle a déployé des efforts pour établir une ferme de ginseng en Colombie-Britannique. Au paragraphe 29 de sa décision, la Cour fédérale a défini la région géographique visée par le Traité no 11 comme la région qui « s’étend à peu près du 60e parallèle à l’océan Arctique, en suivant approximativement le fleuve MacKenzie et son Delta ». La Cour fédérale a décidé, au paragraphe 33, que, comme les signataires du Traité no 11 à l’époque étaient vraisemblablement rattachés à leur terre, il était peu probable que les droits issus du Traité étaient destinés à leur permettre de quitter la région visée par le Traité. Enfin, la Cour fédérale a conclu, au paragraphe 39 de ses motifs, que l’arrêt Corbière c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) ([1999] 2 R.C.S. 203) [Corbière] rendu par la Cour suprême du Canada ne s’appliquait pas à Mme Beattie. Contrairement à ce qu’il en était dans Corbière, le droit de Mme Beattie à l’aide agricole dépendait de l’emplacement de sa ferme, et non du lieu de sa résidence. La Cour fédérale a conclu que la ferme était située à l’extérieur de la région géographique visée par le Traité no 11 et que l’emplacement d’une ferme ne constitue pas une caractéristique immuable.

E. Beattie c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) 2002 CAF 105 [Beattie 2002 CAF]

[18] En 2002, notre Cour a confirmé la décision Beattie 2001 CF et l’interprétation de l’expression « aide agricole » figurant dans le Traité no 11. Au paragraphe 3 des motifs, la région visée par le Traité est ainsi décrite :

Le traité définit soigneusement la parcelle de terrain à laquelle il devait s’appliquer, soit un territoire presque entièrement situé dans les Territoires du Nord-Ouest (T. N.-O.), borné au sud par la frontière nord du territoire du Traité 8 (le 60e parallèle), à l’ouest en majeure partie par la frontière entre le Yukon et les T. N.-O., au nord par l’océan Arctique allant vers l’est jusqu’à la rivière Coppermine, et à l’est par une ligne oblique reliant diverses étendues d’eau en direction sud-est et aboutissant près du Grand lac des Esclaves. Ce territoire englobe le fleuve Mackenzie et son delta.

[19] Plus loin, au paragraphe 16 des motifs, notre Cour a indiqué que la référence à l’article 7 du Traité no 11 « à toutes autres terres situées dans les Territoires du Nord-Ouest et du Yukon ou dans toute autre partie du Canada » est tellement vague qu’elle est pratiquement dépourvue de sens.

[20] En gardant à l’esprit cet historique des contentieux, j’examinerai maintenant la décision du Tribunal qui fait l’objet du contrôle.

III. Décision du Tribunal : Beattie et Bangloy c. Affaires autochtones et du Nord Canada (2019 TCDP 45) [Bangloy 2019 TCDP]

[21] Mme Beattie et l’appelante ont demandé que l’intimé continue de payer aux plaignants les annuités et qu’il continue de financer les frais d’éducation des enfants, conformément au Traité no 11. Elles ont affirmé que l’intimé devait leur verser des annuités et financer l’éducation des enfants en raison de leur race ou de leur origine nationale ou ethnique, qui sont des motifs de distinction illicite énumérés à l’article 3 de la Loi.

[22] Plus précisément, les plaignants ont allégué que la conduite de l’intimé était un acte discriminatoire du fait qu’il exigeait, pour gérer le paiement des annuités découlant du Traité, qu’ils soient membres d’une bande, et qu’il n’a pas payé les dépenses liées à la scolarité des enfants dans une école privée, ce qui était contraire au Traité no 11. Les plaignants ont affirmé que l’intimé leur a refusé ces biens et services en raison de leur race ou origine nationale ou ethnique, en contravention de l’article 5 de la Loi. Ils ont également allégué que le refus de service de l’intimé constituait des représailles à leur endroit, en contravention de l’article 14.1 de la Loi, en raison de Beattie 2014 TCDP.

[23] Dans sa décision, le Tribunal a traité les questions préliminaires de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et du caractère théorique soulevées par l’intimé. Au sujet de la question de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, le Tribunal était d’accord avec l’intimé et a conclu que la Cour fédérale avait déjà traité la question du droit de l’appelante au financement de l’éducation dans Beattie 1998 CF. Le Tribunal a appliqué le critère à trois volets énoncé dans l’arrêt Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S., 47 D.L.R. (3d) 544. 248, pour décider si la question de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’appliquait. Il a estimé que les trois conditions en matière de préclusion étaient réunies et il a conclu que la plainte relative au financement de l’éducation des plaignants devrait être rejetée sur le fondement de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de l’abus de la procédure. Il a aussi conclu qu’il serait injuste d’appliquer la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée à l’instance. Par conséquent, il a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’examiner les arguments des plaignants quant aux raisons pour lesquelles les dispositions du Traité no 11 appuient leur demande de remboursement des frais d’éducation des enfants (décision du Tribunal, para. 73 à 85).

[24] En ce qui concerne la question du caractère théorique, l’intimé a affirmé que le versement des annuités n’était plus une question d’actualité, car à la veille de l’audience, il avait accepté de verser les annuités qui étaient dues aux plaignants. Sur cette question, le Tribunal n’a pas retenu l’argument de l’intimé. Il a conclu que la question de la responsabilité éventuelle de l’intimé et que celle des réparations appropriées à propos du refus de verser des annuités se posaient toujours (décision du Tribunal, para. 52 à 57).

[25] Le Tribunal s’est penché sur l’argument de la plaignante selon lequel ils ont été victimes de discrimination en raison de leur race ou de leur origine nationale ou ethnique, en contravention de l’article 5 de la Loi. Le Tribunal a examiné deux actes potentiellement discriminatoires commis par l’intimé : ne pas avoir fourni à l’appelante des renseignements sur la façon de recevoir le financement de l’éducation prévu par le Traité no 11 et refuser de verser aux plaignants les annuités découlant du Traité parce qu’ils ne figuraient pas sur la liste d’une bande précise.

[26] Premièrement, le Tribunal a conclu que les plaignants étaient tous admissibles à la protection contre la discrimination fondée sur la race ou l’origine nationale ou ethnique. Le Tribunal a ensuite conclu que fournir des renseignements sur les avantages en matière d’éducation conférés par le Traité no 11 est un service fourni par l’intimé et que ce dernier a privé les plaignants de ce service. Malgré ces deux conclusions, le Tribunal a établi que les plaignants n’avaient pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que ce refus de service était lié à leurs caractéristiques protégées par la Loi. Le Tribunal n’a pas non plus trouvé aucun élément de preuve selon lequel l’affiliation à une bande était exigée pour être admissible à recevoir des renseignements au sujet du financement de l’éducation au titre du Traité no 11. (Décision du Tribunal, para. 95, 96, 106, 107, 109, 111, 112.)

[27] Deuxièmement, le Tribunal a reconnu que le fait que les plaignants n’aient pas reçu les paiements d’annuités, entre 2014 et 2018, constituait un traitement défavorable dans la prestation de services. Le Tribunal n’a toutefois pas conclu que ce refus de service était lié à l’un des motifs de distinction illicite selon l’article 5 de la Loi. Le Tribunal a déterminé que l’exigence de figurer sur une liste de bande ne relevait pas des motifs illicites de distinction fondés sur la race ou l’origine nationale ou ethnique, étant donné que les autres personnes autochtones qui étaient inscrites sur la liste d’une bande recevaient leurs annuités découlant du Traité. Par conséquent, le Tribunal a conclu que l’appelante ne s’était pas acquittée de son fardeau de la preuve pour établir que l’intimé avait commis un acte discriminatoire à l’occasion de la fourniture d’un service, lorsqu’il a refusé de fournir aux plaignants des renseignements sur les avantages en matière d’éducation conférés par le Traité no 11 ou lorsque ceux-ci se sont vu refuser leurs annuités (décision du Tribunal, para. 119 et 123 à 125).

[28] Le Tribunal a ensuite examiné l’argument selon lequel l’intimé avait commis un acte discriminatoire lorsqu’il a exercé des représailles contre les plaignants en réaction au dépôt d’une plainte antérieure en matière de droits de la personne ayant mené à Beattie 2014 TCDP, en contravention de l’article 14.1 de la Loi. Il a exposé le droit et mentionné les décisions pertinentes qu’il devait examiner lorsqu’il devait répondre à une question de représailles au sens de la Loi (décision du Tribunal, para. 127 à 132).

[29] Le Tribunal a conclu que l’intimé n’a pas commis d’actes de représailles concernant la fourniture de renseignements sur les avantages en matière d’éducation conférés par le Traité no 11 ou le refus de rembourser l’appelante pour les dépenses encourues pour l’éducation de ses enfants (décision du Tribunal, para. 139, 149, 151 et 152).

[30] Il a également conclu que l’intimé n’a exercé aucunes représailles lorsqu’il a refusé de payer les annuités découlant du Traité pour les enfants de l’appelante, rétroactivement à compter de l’année de leur naissance respective, car il s’agissait de la politique de l’intimé depuis 2011 (décision du Tribunal, para. 181). De plus, le Tribunal a rejeté une allégation selon laquelle l’intimé a exercé des représailles en n’ajoutant pas les plaignants sur la liste de la bande des Loucheux no 6. Il a conclu que la liste de cette bande n’existe plus sous ce nom, la bande s’appelant maintenant Gwichya Gwich’in. Les plaignants avaient le droit d’être membres d’une bande, mais ils ont choisi de ne pas être inscrits sur la liste de la bande Gwichya Gwich’in (décision du Tribunal, para. 185 et 186).

[31] En revanche, le Tribunal a conclu qu’il y a eu des représailles lorsque l’intimé a refusé de verser aux plaignants les annuités découlant du Traité no 11. Le Tribunal était d’avis que la perception des plaignants selon laquelle ils ont fait l’objet de représailles après le prononcé de Beattie 2014 TCDP était raisonnable et que l’intimé n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour réfuter la conclusion de représailles prima facie, ni établi une défense contre cette allégation (décision du Tribunal, para. 174 à 176).

IV. Décision de la Cour fédérale

[32] Dans le cadre d’un contrôle judiciaire présenté à la Cour fédérale, le juge a correctement formulé les questions dont il était saisi au paragraphe 7 des motifs de la Cour fédérale. Aux paragraphes 26 et 27 des motifs de la Cour fédérale, le juge a invoqué l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, aux paragraphes 16 et 100 [Vavilov] et a conclu que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’appliquait à la décision du Tribunal. La question traitée par la Cour fédérale à l’égard de chacune des conclusions tirées par le Tribunal était de savoir si son analyse et ses conclusions satisfaisaient aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. La Cour fédérale a conclu, à juste titre, qu’il incombait à Mme Bangloy de démontrer que la décision du Tribunal était déraisonnable. Au paragraphe 42 des motifs de la Cour fédérale, le juge a conclu, après avoir mené une analyse exhaustive, que la décision du Tribunal était raisonnable.

V. Norme de contrôle

[33] Comme le présent appel a été interjeté à l’encontre d’un jugement concernant une demande de contrôle judiciaire, notre Cour doit se mettre à la place de la Cour fédérale, comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 et 46. Notre Cour doit déterminer si la Cour fédérale a retenu la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement. Récemment, dans l’arrêt Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, la Cour suprême du Canada a rejeté la demande de réexamen de Agraira et a confirmé que ses principes continuaient à s’appliquer.

[34] En l’espèce, la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée, à savoir celle de la décision raisonnable du Tribunal. Il est bien établi que la norme de la décision raisonnable s’applique à la fois à l’interprétation que fait le Tribunal de la Loi et à l’application de cette loi aux faits qui lui sont présentés : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, [2018] 2 R.C.S. 230, para. 27 à 29 [Commission canadienne des droits de la personne c. Canada].

[35] La décision du Tribunal est le point central de mon examen. Lorsque la déférence s’impose, nous devons respecter l’expertise spécialisée du décideur administratif et, en règle générale, nous abstenir de trancher nous-mêmes les questions en litige. Le rôle de notre Cour n’est pas d’effectuer notre propre analyse et de nous demander quelle décision nous aurions rendue ou de tenter de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur (Vavilov, para. 75 et 83).

[36] Bien que l’historique des contentieux décrit dans la section relative aux faits des présents motifs rapporte le contexte essentiel, il importe de préciser que l’unique question à laquelle je dois répondre est de savoir si la décision du Tribunal est raisonnable. Le Tribunal a précisé que son rôle consistait à établir si les plaintes qui lui étaient présentées concernaient l’atteinte aux droits de la personne protégés par la Loi. Je souscris à ces motifs. Ce n’était ni notre rôle ni celui du Tribunal de nous demander si l’intimé portait atteinte aux droits autochtones de l’appelante, aux termes du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 ou au titre du Traité no 11. Les observations écrites et orales de l’appelante nous invitent à procéder à un contrôle de ces droits autochtones selon la norme de la décision correcte. Or, ce n’est pas notre rôle en l’espèce. Nous ne traitons pas de questions constitutionnelles qui nécessitent des réponses selon la norme de contrôle de la décision correcte. Nous examinons la décision et les motifs d’un tribunal administratif dans le contexte de droits de la personne conférés par la Loi.

[37] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel sans dépens. À mon avis, la décision du Tribunal est raisonnable.

VI. Position de l’appelante et analyse

A. Financement de l’éducation prévu par le Traité no 11 – En concluant que le fait de refuser des biens et des services ne constituait pas un acte discriminatoire en contravention de l’alinéa 5a) de la Loi fondé sur les motifs de distinction illicite que sont la race ou l’origine nationale ou ethnique en contravention du paragraphe 3(1) de la Loi, la décision du Tribunal était-elle raisonnable?

[38] L’appelante a allégué devant le Tribunal que le fait que l’intimé n’ait pas fourni des renseignements sur le financement de l’éducation et qu’il ait refusé de lui rembourser les frais de scolarité de ses enfants, selon son interprétation du Traité no 11, revenait à lui refuser des biens et des services en raison de sa race ou de son origine nationale ou ethnique, en contravention de l’article 5 de la Loi.

[39] L’argument principal présenté par l’appelante à notre Cour est que la décision du Tribunal traduit une interprétation déraisonnable de l’étendue de la région géographique visée par les obligations en matière d’éducation prévues par le Traité no 11 du Canada. L’appelante fait valoir que le Tribunal a mal interprété l’étendue de la région géographique dans laquelle les droits prévus par le Traité no 11 s’appliquent et elle s’appuie sur le libellé de l’article 7 du Traité no 11 pour affirmer qu’ils s’appliquent « à toutes autres terres situées dans les Territoires du Nord-Ouest et du Yukon ou dans toute autre partie du Canada ». Elle affirme qu’au paragraphe 37 de Beattie 1998 CF, la Cour fédérale a précisément inclus cette région. Ainsi, selon l’appelante, même si elle habite en Alberta et que ses enfants fréquentent une école dans cette province, elle devrait avoir le droit de recevoir le financement de l’éducation prévu par le Traité no 11, car Alberta se trouve dans une autre partie du Canada. L’appelante fait valoir que le Tribunal a manifestement commis une erreur lorsqu’il a omis de tenir compte des conclusions tirées dans Beattie 1998 CF de la Cour fédérale et qu’il n’aurait pas dû rejeter les plaintes à propos du financement de l’éducation.

[40] L’intimé affirme que le Tribunal, en concluant que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et l’abus de procédure s’appliquaient à la question sur les obligations de l’intimé de fournir des renseignements sur le financement de l’éducation ou de rembourser l’appelante pour les frais d’éducation de ses enfants, a rendu une décision raisonnable. Par conséquent, la conclusion du Tribunal, selon laquelle la question sur les droits de l’appelante au financement de l’éducation, au titre du Traité no 11, avait déjà été tranchée dans Beattie 1998 CF, était raisonnable.

Analyse

[41] En ce qui concerne les arguments de l’appelante, j’estime que la décision du Tribunal de rejeter les plaintes de l’appelante concernant le financement de l’éducation, sur le fondement de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de l’abus de la procédure, était raisonnable.

[42] En rendant sa décision, le Tribunal a choisi les critères juridiques appropriés qui s’appliquent aux questions de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de l’abus de procédure. Il a soigneusement analysé ces critères juridiques, les a appliqués aux faits et questions qui lui ont été présentés, puis il les a comparés aux questions soulevées et tranchées dans Beattie 1998 CF. Les conclusions du Tribunal dans cette décision étaient raisonnables.

[43] En outre, notre Cour a déjà traité l’argument selon lequel les droits découlant du Traité no 11 s’étendaient au-delà du territoire géographique décrit à l’article 6 du Traité dans l’arrêt Beattie 2002 CAF, au paragraphe 16 de ses motifs. Notre Cour a estimé que le libellé de l’article 7 du Traité no 11 « à toutes autres terres situées » était tellement vague qu’il était pratiquement dépourvu de sens. Selon moi, cela veut dire que les droits et les avantages que confère le Traité no 11 s’appliquent uniquement aux terres qui couvrent une vaste partie du territoire géographique qui correspond aujourd’hui en partie aux Territoires du Nord-Ouest et des petites parties du Yukon et du Nunavut actuels, ce qui comprend un territoire de près de 372 000 milles carrés, comme l’a conclu la Cour fédérale dans Beattie 2001 CF, une décision qui a été confirmée par notre Cour dans Beattie 2002 CAF.

[44] La décision du Tribunal d’écarter cet argument et de ne pas accepter la plainte concernant le refus de financement de l’éducation au titre du Traité no 11 pour cause de préclusion découlant d’une question déjà tranchée et d’abus de procédure était donc raisonnable (décision du Tribunal, para. 64 à 85). La conclusion du Tribunal, selon laquelle l’instance de la Cour fédérale intitulée Beattie 1998 CF avait pour objet de déterminer si l’intimé était tenu, aux termes du Traité no 11, de payer les frais d’éducation, y compris les droits de scolarité d’écoles privées, encourus par les plaignants à l’extérieur de la région visée par le Traité, était raisonnable. Le Tribunal a souligné à juste titre que les plaintes en matière de droits de la personne qui lui étaient présentées visaient la question de savoir si l’intimé avait fait preuve de discrimination à l’endroit des plaignants en interprétant le Traité no 11, parce qu’il n’avait pas payé les frais de scolarité encourus des enfants qui fréquentaient une école privée située à l’extérieur de la région visée par le Traité no 11 (décision du Tribunal, para. 82). Le Tribunal a conclu que les deux instances ne différaient pas grandement sur le plan de l’objet, du processus ou des enjeux et il ne voyait aucune iniquité dans l’application de la doctrine de la préclusion et de celle de l’abus de la procédure pour empêcher la poursuite de l’instruction de la plainte. Il a rejeté la plainte concernant le financement de l’éducation (décision du Tribunal, para. 84 et 85).

[45] L’analyse et les conclusions du Tribunal étaient justifiées, intelligibles et transparentes et sa décision de rejeter l’élément de la plainte de l’appelante relatif au financement de l’éducation sur ce fondement était raisonnable.

B. Financement de l’éducation au titre du Traité no 11 – En concluant que le refus de services ne constituait pas des représailles contre les plaignants en contravention de l’article 14.1 de la Loi, la décision du Tribunal était-elle raisonnable?

[46] Comme elle l’a fait devant le Tribunal, l’appelante a présenté deux allégations de représailles liées aux avantages en matière d’éducation conférés par le Traité no 11 : l’intimé a exercé des représailles contre elle en ne la renseignant pas sur la façon de recevoir les avantages en matière d’éducation prévus par le Traité et en ne lui remboursant pas les frais d’éducation de ses enfants.

Analyse

[47] Le Tribunal a rejeté les deux allégations en concluant qu’il n’y avait aucun élément de preuve permettant d’établir l’existence d’un lien entre le traitement défavorable allégué et les représailles après le prononcé de Beattie 2014 TCDP. À mon avis, il était raisonnable pour le Tribunal de conclure que la non-réponse de l’intimé aux demandes de renseignements sur la façon de recevoir des avantages en matière d’éducation conférés par le Traité et son refus de payer des frais d’éducation n’étaient pas liés à la plainte antérieure dont il était question dans Beattie 2014 TCDP, mais qu’il s’agissait plutôt d’actes (ou d’inactions) de la part de l’intimé qui découlaient de son interprétation des responsabilités qu’il assumait à l’égard des plaignants, à la lumière de Beattie 1998 CF.

[48] Je ne vois aucune erreur susceptible de révision.

C. Plaintes portant sur les annuités découlant du Traité no 11 – En concluant que le fait de refuser des biens (versement des annuités) ne contrevenait pas à l’alinéa 5a) de la Loi, sur la base de motifs de distinction illicite que sont la race ou l’origine nationale ou ethnique en contravention du paragraphe 3(1) de la Loi, la décision du Tribunal était-elle raisonnable?

[49] L’appelante a soutenu devant le Tribunal qu’elle a fait l’objet de discrimination fondée sur la race ou l’origine nationale ou ethnique, en contravention de l’article 5 de la Loi, du fait que l’intimé a exigé, pour l’administration des paiements d’annuités découlant du Traité no 11, qu’elle soit membre d’une bande. Le Tribunal a rejeté cette plainte, en concluant que l’appelant n’avait pas réussi à établir la preuve de discrimination prima facie.

[50] Devant notre Cour, l’appelante soulève d’abord l’argument selon lequel le fait que l’intimé exige, pour l’administration des paiements d’annuités découlant du Traité no 11, qu’elle soit membre d’une bande constituait un acte discriminatoire en contravention de l’alinéa 5a) de la Loi. Comme elle l’a fait devant le Tribunal, elle invoque le libellé de la disposition sur les annuités du Traité no 11 et affirme [traduction] « qu’il permet clairement à chaque Indien visé par le Traité no 11 de percevoir cinq dollars par an ». En outre, il était bien établi que, jusque peu avant la veille de l’audience devant le Tribunal en décembre 2018, lorsque l’intimé a changé de position par écrit, celui-ci n’avait pas versé les annuités dues à l’appelante ou à ses enfants. Établissant alors que les plaignants étaient visés par une exception à la politique de l’intimé sur les annuités découlant du Traité, celui-ci a proposé de régler cette question en versant les annuités impayées. L’appelante affirme que c’est son origine raciale ou ethnique, et non son affiliation à une bande, qui lui donne le droit d’être un membre d’une bande visée par le Traité no 11 ou de recevoir des annuités au titre de ce traité. Elle soutient que son affiliation à une bande n’a jamais été pertinente en ce qui concerne les obligations dont devait s’acquitter le Canada aux termes du Traité no 11.

Analyse

[51] Le Tribunal a analysé de façon raisonnable la question de la discrimination fondée sur les motifs de distinction illicite que sont la race ou l’origine nationale ou ethnique. Se fondant sur le critère exposé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, [2012] 3 R.C.S. 360, para. 33, il a entrepris de déterminer si l’appelante avait été en mesure d’établir une preuve prima facie de discrimination. Le Tribunal a examiné les éléments de preuve dont il disposait et a conclu que l’appelante avait établi qu’elle possédait une caractéristique protégée par la Loi contre la discrimination, au paragraphe 3(1) (race ou origine nationale ou ethnique) et qu’elle a subi un traitement défavorable (l’intimé ne leur a pas versé les annuités). Le Tribunal n’était toutefois pas convaincu que ces caractéristiques protégées ont constitué un facteur dans la manifestation du traitement défavorable. Il a donc conclu qu’une preuve prima facie de discrimination n’a pas été établie (décision du Tribunal, para. 123 à 125). Je suis d’avis qu’à la lumière du dossier qui lui a été présenté, la conclusion que le Tribunal a tirée était raisonnable.

[52] La décision du Tribunal au paragraphe 123 confirme que les plaignants se sont vus refuser leurs annuités uniquement parce qu’ils ont choisi de ne pas être inscrits sur la liste d’une bande précise, et non en raison de leur race ou de leur origine nationale ou ethnique. Par conséquent, le Tribunal a conclu qu’ils n’ont pas subi de la part de l’intimé un traitement qui était en contravention de l’article 5 de la Loi.

[53] Il faut garder à l’esprit que mon rôle n’est pas de me demander quelle décision j’aurais rendue ou de tenter de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur (Vavilov, para. 83). À mon avis, la conclusion du Tribunal selon laquelle le refus de leur accorder des annuités a découlé du choix des plaignants de ne pas être inscrits sur la liste d’une bande précise, et non de leur race ou de leur origine nationale ou ethnique était raisonnable. Le Tribunal, dans sa décision aux paragraphes 123 à 125, a conclu que le bien-fondé de l’allégation de discrimination au sens de l’article 5 de la Loi n’a pas été établi en raison de ce choix.

[54] Je suis d’avis qu’à la lumière du dossier qui lui a été présenté, la conclusion que le Tribunal a tirée était raisonnable. L’appelante est admissible à l’inscription sur la liste de la bande Gwichya Gwich’in, mais elle choisit de ne pas figurer sur cette liste. Cela demeure son choix.

D. Plaintes portant sur les annuités découlant du Traité no 11 – En ne retenant pas tous les arguments de l’appelante, selon lesquels le refus de verser des annuités, qui a commencé en 2014, constituait des représailles en contravention de l’article 14.1 de la Loi, fondées sur les motifs de distinction illicite que sont la race ou l’origine nationale ou ethnique, en contravention du paragraphe 3(1) de la Loi, la décision du Tribunal était-elle raisonnable?

[55] J’examinerai maintenant les arguments de l’appelante selon lesquels le refus par l’intimé de verser des annuités en 2014, jusqu’à la veille de l’audience devant le Tribunal en 2018, constituait une forme de représailles contre les plaignants en contravention de l’article 14.1 de la Loi.

[56] L’appelante souligne qu’à la veille de l’audience devant le Tribunal en 2013, qui a donné lieu à Beattie 2014 TCDP, l’intimé a changé de position et a versé les annuités découlant du Traité qu’il devait aux plaignants jusqu’au début de l’audience. Cependant, lorsque Beattie 2014 TCDP a été rendue, l’intimé a cessé de verser aux plaignants les annuités, faisant valoir désormais qu’ils devaient être inscrits sur la liste d’une bande précise pour être admissibles à ces annuités. Personne ne conteste le fait que, dans la décision du Tribunal qui nous est présentée, l’intimé, comme il l’a fait dans Beattie 2014 TCDP, est revenu sur sa position concernant le versement des annuités à la veille de l’audience devant le Tribunal en 2018. Il a versé les annuités découlant du Traité qu’il devait aux plaignants, de janvier 2015 à novembre 2018.

[57] Ainsi, l’appelante pense qu’il était déraisonnable que le Tribunal juge que l’arrêt du versement des annuités ne constituait pas des représailles en réaction à Beattie 2014 TCDP. Il était déraisonnable de la part du Tribunal d’invoquer le fait que l’intimé suivait simplement sa politique exigeant l’affiliation à une bande précise, comme par le passé, lorsque les plaignants étaient inscrits sur la liste de la bande Fort Good Hope.

[58] Avant d’analyser cette question, je présenterai la dernière plainte de représailles en contravention de l’article 14.1 de la Loi soulevée par l’appelante, puis j’examinerai les deux plaintes ensemble et je répondrai à celles-ci.

E. En concluant que le refus d’inscrire les plaignants sur la liste de la bande des Loucheux no 6 ne constituait pas des représailles en contravention de l’article 14.1 de la Loi, fondées sur les motifs de distinction illicite que sont la race ou l’origine nationale ou ethnique, en contravention du paragraphe 3(1) de la Loi, la décision du Tribunal était-elle raisonnable?

[59] Le Tribunal a également rejeté une plainte distincte concernant le refus d’inscrire le nom des plaignants sur la liste de la bande des Loucheux no 6. L’appelante a affirmé qu’il était déraisonnable que le Tribunal rejette sa plainte selon laquelle le refus par l’intimé d’accéder à leur demande d’être inscrits sur la liste de la bande des Loucheux no 6 constituait des représailles en contravention de l’article 14.1 de la Loi.

Analyse concernant les questions D et E

[60] À mon avis, le Tribunal a mené une enquête approfondie et détaillée sur les éléments de preuve et les observations des parties. Il a tenu compte de tous les éléments de preuve et a tiré des conclusions de fait raisonnables. La décision du Tribunal, aux paragraphes 127 et 128, a exposé précisément le critère permettant d’établir s’il y a eu des représailles, en faisant remarquer qu’il incombe aux plaignants de démontrer, selon la prépondérance des probabilités : 1) qu’ils ont déposé une plainte antérieure; 2) qu’ils ont subi, par suite au dépôt de leur plainte, un traitement défavorable et 3) que la plainte antérieure a constitué un facteur dans la manifestation du traitement défavorable.

[61] Le Tribunal a rejeté l’allégation de représailles liée au refus par l’intimé d’accéder à la demande des plaignants de faire inscrire leur nom sur la liste de la bande des Loucheux no 6. À mon avis, il était raisonnable que le Tribunal décide que le fait de refuser d’ajouter le nom des plaignants sur la liste de la bande des Loucheux no 6, qui n’existe plus et qui s’appelle désormais Gwichya Gwich’in, comme il a été précisé aux paragraphes 10, 43 et 109 de Beattie 2014 TCDP, ne constituait pas une forme de représailles au sens de l’article 14.1 de la Loi (décision du Tribunal, paragraphes 182 à 186).

[62] Le Tribunal est allé dans le sens de l’une des allégations de l’appelante au titre de l’article 14.1 de la Loi. Le Tribunal souligne, au paragraphe 204 de sa décision, que l’intimé a finalement accepté de payer les annuités aux plaignants, mais que le retard du versement de ces annuités durant la période allant de janvier 2015 à novembre 2018, durant laquelle le versement de ces annuités a été retardé, constituait des représailles discriminatoires. Le Tribunal a accordé des dommages-intérêts à l’appelante et à Mme Beattie pour le préjudice moral subi et il a octroyé une indemnité spéciale à Mme Beattie, à l’appelante et à ses enfants qui ont été victimes des représailles délibérées de la part de l’intimé (décision du Tribunal, paragraphes 215 à 220).

[63] À mon avis, le Tribunal a raisonnablement jaugé toutes les plaintes de représailles qui lui ont été présentées, en allant dans le sens de l’une d’elles, ce que l’intimé n’a pas contesté devant notre Cour. Le Tribunal a apprécié et évalué la preuve qui lui a été soumise et, à moins de circonstances exceptionnelles, une cour de révision ne peut pas modifier ses conclusions de fait (Vavilov, para. 125). Je ne vois pas comment le Tribunal s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte.

[64] L’appelante nous demande d’examiner ces conclusions de fait, mais je ne vois aucune circonstance exceptionnelle qui nous permette de le faire. Je ne vois aucune erreur susceptible de révision.

F. Article 1.1 de la Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne

[65] L’appelante formule son dernier argument sous la forme d’un argument général constitutionnel ou juridique, plutôt que sous la forme d’une plainte pour actes discriminatoires au sens des articles 5 ou 14.1 de la Loi. L’appelante fait valoir que la décision du Tribunal allait à l’encontre de l’article 1.1 de la Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.C. 2008, ch. 30. Elle affirme que cette disposition permet de s’assurer que les plaintes pour discrimination et les décisions « ne porte[nt] pas atteinte à la protection des droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada découlant de leur reconnaissance et de leur confirmation au titre de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ».

[66] L’appelante invoque l’article 1.1 de cette Loi pour faire valoir que le législateur ne peut pas porter atteinte aux garanties constitutionnelles offertes aux peuples autochtones, notamment les droits issus de traités. Selon l’appelante, le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu qu’il était raisonnable que l’intimé invoque ses politiques exigeant l’appartenance à une bande pour justifier sa décision de refuser de verser des annuités. Elle fait donc valoir qu’il était erroné pour le Tribunal de conclure, en invoquant les politiques et pratiques générales de l’intimé, que les actes de l’intimé ne constituaient pas des représailles. L’appelante conclut en affirmant que le Tribunal n’a pas confirmé les droits issus de traités garantis par la constitution et que la décision du Tribunal devrait, par conséquent, être annulée.

Analyse

[67] Je ne suis pas d’accord avec l’appelante lorsqu’elle invoque l’article 1.1 de la Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.C. 2008, ch. 30 et fait valoir que l’interprétation de cette disposition soulève des questions constitutionnelles exigeant l’application de la norme de contrôle de la décision correcte.

[68] La Cour fédérale a choisi la norme de la décision raisonnable comme norme de contrôle pour toutes les questions dont elle était saisie. Je souscris à ce choix. Aucune des exceptions à l’application de la norme de la décision raisonnable, qui sont reconnues dans Vavilov, ne s’applique en l’espèce.

[69] Le rôle du Tribunal est d’établir si la plainte qui lui est présentée concerne l’atteinte aux droits de la personne protégés par la Loi, et non des questions constitutionnelles concernant le non-respect par l’intimé des droits autochtones de l’appelante prévus au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Le Tribunal a à juste titre caractérisé la plainte en agissant dans son rôle d’établissement des faits et il a interprété sa loi constitutive pour définir la principale question dont il était saisi : l’appelante a-t-elle été privée d’un avantage ou d’un service en raison d’une discrimination fondée sur la race ou l’origine nationale ou ethnique ou a-t-elle fait l’objet de représailles à la suite d’une plainte antérieure présentée au Tribunal (décision du Tribunal, para. 86 à 91 et 113 à 115)?

[70] Il est bien établi que la norme de la décision raisonnable s’applique à la fois à l’interprétation que fait le Tribunal de la Loi et à l’application de cette loi aux faits qui lui sont présentés : (Commission canadienne des droits de la personne c. Canada, para. 27 à 29).

[71] La description par le Tribunal de son rôle et sa formulation des questions auxquelles il devait répondre étaient raisonnables. L’application par la Cour fédérale de la norme de la décision raisonnable à ces questions était appropriée. Aucune erreur de droit n’a été commise.

VII. Conclusion

[72] Malgré les observations valables de Mme Bangloy, cette dernière ne s’est pas acquittée du fardeau requis pour démontrer que la décision du Tribunal était déraisonnable. La Tribunal a confirmé une allégation de représailles contre l’intimé qui se rapportait à son administration des paiements d’annuités découlant du Traité, en concluant que les plaignants pouvaient penser que le retard lié au versement des annuités était lié au dépôt de leur plainte antérieure. Il était raisonnable que le Tribunal rejette les autres plaintes d’actes discriminatoires compte tenu des éléments de preuve dont il disposait. Son application des critères juridiques aux questions de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de l’abus de procédure et du caractère théorique était raisonnable. Sa conclusion concernant la discrimination et les représailles au sens de la Loi était rationnelle et logique, vu les contraintes factuelles et juridiques pertinentes en jeu. L’appelante a eu l’occasion de présenter entièrement et équitablement sa position et le Tribunal a traité dans sa décision toutes les questions et préoccupations centrales que l’appelante et Mme Beattie ont soulevées.

[73] Pour ces motifs, je serais d’avis de rejeter l’appel, sans dépens.

« Marianne Rivoalen »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Anne L. Mactavish, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-42-21

 

INTITULÉ :

NIKOTA BANGLOY c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 novembre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 décembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Nikota Bangloy

 

Pour l’appelante

(pour son propre compte)

 

Nicholas Claridge

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l’intimé

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.