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Date : 20211109


Dossier : A-138-21

Référence : 2021 CAF 217

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Présente : la juge Monaghan

ENTRE :

DORA BERENGUER

appelante

et

SATA INTERNACIONAL – AZORES AIRLINES, S.A.

intimée

Requêtes jugées sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2021.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE MONAGHAN

 


Date : 20211109


Dossier : A-138-21

Référence : 2021 CAF 217

Présente: la juge Monaghan

ENTRE :

DORA BERENGUER

appelante

et

SATA INTERNACIONAL – AZORES AIRLINES, S.A.

intimée

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE MONAGHAN

[1] L’appelante a présenté deux requêtes dans le cadre de son appel interjeté à l’encontre de l’ordonnance de la Cour fédérale dans la décision Berenguer c. SATA Internacional – Azores Airlines, S. A., 2021 CF 394 (le juge Lafrenière) [Berenguer]. En vertu de cette ordonnance, la requête de l’appelante visant à certifier son action comme un recours collectif a été rejetée et la requête de l’intimée visant à rejeter l’action au motif qu’elle ne relevait pas de la compétence légale de la Cour fédérale a été accueillie. L’appelante a fait appel des deux aspects de l’ordonnance.

I. Requête en vue de déterminer le contenu du dossier d’appel

[2] Aux termes de la Règle 343(3) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, l’appelante doit présenter une requête pour que la Cour détermine le contenu du dossier d’appel si les parties ne se sont pas entendues sur le contenu dans le délai prescrit.

[3] Les parties au présent appel ne se sont pas entendues. Le différend porte sur deux affidavits qui faisaient partie du dossier de requête à la Cour fédérale. Selon la positon de l’appelante, aucun des deux affidavits ne devrait être inclus, bien qu’elle s’y oppose pour des raisons différentes. Selon l’intimée, les deux affidavits devraient être inclus dans le dossier d’appel.

[4] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que les deux affidavits devraient être inclus dans le dossier d’appel.

A. L’affidavit de M. De Oliveira

[5] Un affidavit souscrit par Rodrigo Vasconcelos De Oliveira (l’affidavit de M. De Oliveira) faisait partie du dossier de requête de l’intimée à la Cour fédérale. L’intimée a engagé M. De Oliveira comme expert en matière de droit étranger. À la Cour fédérale, l’appelante s’est opposée à l’affidavit de M. De Oliveira pour le motif que l’expert était partial et que la preuve n’était pas pertinente. La Cour fédérale a conclu que l’affidavit de M. De Oliveira ne satisfaisait pas aux exigences minimales d’admissibilité et qu’il ne devait donc pas être pris en compte.

1) Les positions des parties

[6] Selon l’appelante, l’intimée n’a pas interjeté appel de la décision de la Cour fédérale selon laquelle l’affidavit de M. De Oliveira ne satisfaisait pas aux exigences minimales d’admissibilité. De plus, une fois que l’appelante a interjeté appel, l’intimée n’a pas introduit d’appel incident. N’ayant pas interjeté appel de la décision de la Cour fédérale sur l’affidavit de M. De Oliveira et n’ayant pas déposé d’appel incident, l’intimée ne peut pas utiliser l’affidavit en appel.

[7] L’intimée fait valoir que, puisque sa requête en irrecevabilité a été accueillie et que la requête en certification de l’appelante ne l’a pas été, elle n’avait aucune raison d’interjeter appel. Elle est d’accord avec l’ordonnance de la Cour fédérale en ce qui concerne les deux requêtes. Bien que la Cour fédérale ait décidé qu’elle ne devait pas tenir compte de l’affidavit de M. De Oliveira, cette décision n’a pas eu pour effet de retirer l’affidavit du dossier de requête. L’appelante n’a pas présenté de requête pour faire retirer l’affidavit de M. De Oliveira du dossier, comme elle avait le droit de le faire aux termes de la Règle 74. Ainsi, l’affidavit de M. De Oliveira fait toujours partie du dossier.

[8] L’intimée déclare qu’en appel, elle souhaite avancer un argument supplémentaire à l’appui de la décision de la Cour fédérale concernant la requête en certification. L’affidavit de M. De Oliveira est pertinent à l’égard de cet argument supplémentaire. En outre, les déclarations figurant dans les motifs de la Cour fédérale tiennent compte des renseignements qui se trouvent dans l’affidavit de M. De Oliveira et dont la Cour fédérale n’était pas saisie par ailleurs. Ainsi, selon l’intimée, la Cour fédérale a dû s’appuyer dans une certaine mesure sur l’affidavit de M. De Oliveira.

2) Analyse

[9] Avant que la Cour fédérale ne rende son ordonnance, l’intimée n’était pas autorisée à interjeter appel de la décision en matière de preuve. Si elle l’avait fait, elle aurait été aux prises avec la perspective que l’appel soit prématuré : Saint John Shipbuilding & Dry Dock Co. Ltd. c. Kingsland Maritime Corp, [1978] 1 CF 523, 24 N.R. 377 (C.A.), et les décisions qui renvoient à cet arrêt, y compris la récente décision de notre Cour intitulée Munchkin, Inc. c. Angelcare Canada Inc., 2021 CAF 169.

[10] Une fois que la Cour fédérale a rendu son ordonnance, l’intimée n’avait aucune raison ni aucun besoin d’en appeler de la décision en matière de preuve. Elle a eu gain de cause quant aux deux requêtes. Bien que l’intimée puisse contester la façon dont la Cour fédérale a traité l’affidavit de M. De Oliveira, elle ne cherche pas à obtenir une ordonnance différente de celle que la Cour fédérale a rendue. Elle ne conteste pas le résultat des deux requêtes.

[11] C’est également la raison pour laquelle un appel incident n’est pas approprié. Un avis d’appel incident est préférable lorsque l’intimée « entend demander la réformation de l’ordonnance portée en appel » : Règle 341(1)b). L’intimée cherche à faire confirmer l’ordonnance contestée, et non à obtenir une décision différente à son sujet : Froom c. Canada (Ministre de la Justice), 2004 CAF 352, [2005] 2 R.C.F. 195 au para. 11, autorisation d’interjeter appel devant la CSC refusée, 2005 CarswellNat 685 (CSC) [Froom]; Kligman c. Ministre du Revenu national, 2004 CAF 152, [2004] 4 R.C.F. 477 au para. 10; et Teva Canada Limitée c. Canada (Santé), 2012 CAF 106, [2013] 4 R.C.F. 391 aux para. 43 à 47.

[12] La décision de la Cour fédérale selon laquelle l’affidavit de M. De Oliveira ne devrait pas être pris en compte signifie-t-elle qu’il ne devrait pas être inclus dans le dossier d’appel?

[13] La Règle 343(2) limite ce qui peut être inclus dans un dossier d’appel aux documents nécessaires pour disposer des questions en litige faisant l’objet de l’appel. Comme l’a déjà fait remarquer notre Cour, il est difficile pour un juge des requêtes d’évaluer ce qui pourrait être pertinent et important pour les questions en appel : West Vancouver (District) c. Colombie-Britannique, 2005 CAF 281 [West Vancouver] au para. 4. En cas de doute sur la pertinence, il est préférable d’inclure les documents et de demander au tribunal qui instruit l’appel d’en déterminer la pertinence : Loba Limited c. Canada (Revenu national), 2007 CAF 317, [2008] 2 C.T.C 38 au para. 5.

[14] En ce qui concerne la requête en certification, l’intimée a fait valoir qu’il existe deux moyens privilégiés pour traiter les demandes du groupe : un organisme d’exécution spécialement désigné au Portugal (ANAC) et les processus de facilitation et d’arbitrage de l’Office des transports du Canada (OTC). La Cour fédérale n’a pas considéré la procédure de l’ANAC comme préférable, mais a convenu que la procédure de l’OTC l’était. En appel, l’appelante conteste cette conclusion. L’intimée cherche à favoriser l’ANAC comme solution de rechange dans l’éventualité où notre Cour conviendrait que la procédure de l’OTC n’est pas préférable. Il lui est possible de le faire : Froom au para. 11, et TPG Technology Consulting Ltd c. Canada, 2016 CAF 279 au para. 30.

[15] À partir du dossier de la requête, je ne peux pas déterminer la source des renseignements sur l’ANAC qui ont mené la Cour fédérale à conclure que la procédure devant cet organisme n’était pas une procédure préférable. En particulier, la Cour fédérale ne semble pas fonder cette conclusion sur des éléments de preuve fournis par l’appelante, mais plutôt sur une constatation selon laquelle « les opinions de l’ANAC ne sont pas définitives ou exécutoires comme le serait une ordonnance d’un tribunal portugais » : Berenguer au para. 115. Cette phrase exacte se trouve au paragraphe 49 de l’affidavit de M. De Oliveira, qui décrit l’ANAC aux paragraphes 41 à 53. Cela peut insinuer que la Cour fédérale s’est appuyée sur cet affidavit à des fins limitées.

[16] L’appelante invoque l’arrêt Mcue Enterprises Corp. c. Entral Group International Inc., 2006 CAF 289, 354 N.R. 29 [Mcue], comme réponse complète à l’argument de l’intimée selon lequel l’affidavit de M. De Oliveira devrait figurer dans le dossier d’appel. Il faut faire une distinction entre l’espèce et l’arrêt Mcue. Le document en question dans cet arrêt ne faisait pas partie du dossier de requête déposé auprès de la Cour fédérale. De plus, la Cour l’a exclu au titre de la pertinence.

[17] On peut également écarter à titre de précédent l’arrêt West Vancouver, cité dans l’arrêt Mcue. Dans cet arrêt, l’appelante a cherché à inclure des affidavits dont n’avait pas été saisi le décideur dont la décision était contestée dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Le juge de première instance les a exclus de l’examen dans sa décision de rejeter la demande de contrôle judiciaire. L’appelante a interjeté appel de cette décision, mais pas de la décision du juge de première instance d’exclure les affidavits. La Cour a convenu qu’ils ne devaient pas être inclus dans le dossier d’appel parce que le décideur ou le juge de première instance n’en avait pas été saisi et que la Cour n’a rien vu dans les motifs ou l’avis d’appel qui soulevait les questions traitées dans les affidavits – là encore, les affidavits n’étaient pas pertinents : West Vancouver aux para. 6 et 7.

[18] Je reconnais que, dans West Vancouver, la Cour semble avoir été influencée par le fait que la décision d’exclure les affidavits n’a pas été portée en appel. Toutefois, dans cette affaire, l’appelante a cherché à inclure les affidavits tout en ne contestant pas la décision du juge de première instance de les exclure dans son avis d’appel. En l’espèce, c’est l’intimée qui cherche à inclure l’affidavit de M. De Oliveira. J’ai déjà expliqué pourquoi il ne pouvait pas interjeter appel de la décision de la Cour fédérale de le considérer comme irrecevable.

[19] Je conclus que l’affidavit de M. De Oliveira satisfait au critère de pertinence de la Règle 343(2): il est pertinent en ce qui concerne la conclusion de la Cour fédérale au sujet de l’ANAC et en ce qui concerne un argument à l’appui de l’ordonnance de la Cour fédérale que l’intimée souhaite faire valoir. Le document figurait dans le dossier de la requête de l’intimée à la Cour fédérale.

[20] La décision d’inclure un document dans un dossier d’appel ne fait pas en soi du document un élément de preuve à prendre en considération dans le cadre d’un appel. Cette décision est laissée à la discrétion du tribunal qui entend l’appel : Première Nation des Chipewyans d’Athabasca c. British Columbia Hydro & Power Authority, 2001 CAF 20, 267 N.R. 133 au para. 3. L’appelante peut faire part de ses réserves concernant l’affidavit de M. De Oliveira devant le tribunal.

[21] Par conséquent, je suis d’accord avec l’intimée que l’affidavit de M. De Oliveira devrait être inclus dans le dossier d’appel.

B. L’affidavit de Me Romano

[22] Le dossier de requête de l’intimée à la Cour fédérale comprenait un affidavit souscrit par Emma Romano (l’affidavit de Me Romano), une avocate employée par l’avocat de l’intimée dans le cadre de l’appel. L’affidavit de Me Romano contient des renseignements provenant du site internet de l’OTC.

1) Les thèses des parties

[23] L’appelante affirme que l’affidavit de Me Romano devrait être exclu parce qu’il n’était pas recevable à la Cour fédérale aux termes des Règles 82 et 334.15(5). Elle a soulevé cette objection dans une note de bas de page de son mémoire à la Cour fédérale. De plus, l’appelante indique que, puisque la Cour fédérale ne l’a pas invoqué dans ses motifs, l’affidavit de Me Romano pourrait être non pertinent et être exclu pour cette raison.

[24] L’intimée soutient que la Cour fédérale n’a pas exclu l’affidavit de Me Romano. De plus, les deux dispositions des Règles invoquées par l’appelante n’ont pas l’effet suggéré par cette dernière. La Règle 82 ne constitue pas une interdiction absolue pour un avocat de déposer un affidavit; les renseignements contenus dans l’affidavit de Me Romano ne sont pas controversés. Quant à la Règle 334.15(5), l’intimée convient que les exigences qui y sont prévues doivent être respectées, mais pas dans chaque affidavit. L’intimée s’est conformée à ces exigences dans les affidavits souscrits par ses employés et a donc satisfait aux exigences de la Règle 334.15(5).

2) Analyse

[25] La position de l’appelante selon laquelle l’affidavit de Me Romano devrait être exclu est assez surprenante, étant donné sa thèse selon laquelle l’affidavit de M. De Oliveira devrait être exclu parce que l’intimée n’a pas interjeté appel de la décision de la Cour fédérale sur sa recevabilité. Elle cherche à exclure l’affidavit de Me Romano bien que la Cour fédérale ne l’ait pas jugé irrecevable et que l’avis d’appel de l’appelante ne conteste pas expressément la recevabilité de l’affidavit de Me Romano.

[26] L’appelante indique en outre que l’affidavit de Me Romano devrait être écarté parce qu’il n’est pas manifestement pertinent. Je ne suis pas de cet avis. L’un des motifs d’appel de l’appelante est qu’il n’y avait [traduction] « aucun fondement probatoire permettant à la Cour fédérale de conclure que l’OTC pourrait être une solution de rechange viable pour résoudre les questions communes ou [...] qu’elle pourrait ou voudrait effectivement enquêter sur les réclamations ». L’affidavit de Me Romano contient des renseignements provenant du site internet de l’OTC, qui pourraient avoir constitué le fondement probatoire de la conclusion de la Cour fédérale. Comment peut-on dire que l’affidavit de Me Romano n’est pas pertinent pour les questions en appel? Bien que la Cour fédérale n’invoque pas expressément l’affidavit de MRomano, son invocation ne détermine pas sa pertinence par rapport aux questions en appel et l’affidavit de Me Romano était un élément de preuve déposé à la Cour fédérale.

[27] Mes commentaires sur l’affidavit de M. De Oliveira s’appliquent également ici – son inclusion dans le dossier d’appel ne détermine pas sa recevabilité. L’appelante peut soulever toute réserve concernant l’affidavit de Me Romano devant le tribunal qui instruit l’appel.

[28] Par conséquent, je suis d’accord avec l’intimée que l’affidavit de Me Romano devrait être inclus dans le dossier d’appel.

II. La requête en recevabilité de nouveaux éléments de preuve

[29] L’appelante cherche à présenter en preuve deux éléments qui n’ont pas été présentés à la Cour fédérale (la nouvelle preuve) : un article du site internet de la Société Radio-Canada (SRC) daté du 31 mai 2020 (l’article de la SRC) et un document décrit comme la [traduction] « réponse de l’OTC du 25 mai 2020 à un feuilleton déposé par un député, qui détaille et décrit le nombre de plaintes reçues » par l’OTC (la réponse de l’OTC). Le fondement de l’article de la SRC semble être la réponse de l’OTC.

[30] Les parties conviennent que les critères pertinents pour la recevabilité de nouveaux éléments de preuve découlent de l’arrêt Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759, 106 D.L.R. (3d) 212 au para. 22 :

(1) On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, à condition de ne pas appliquer ce principe général de manière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles.

(2) La déposition doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès.

(3) La déposition doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi.

(4) Elle doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.

1) La position des parties

[31] L’appelante affirme que la nouvelle preuve répond aux critères de l’arrêt Palmer. Elle fait valoir qu’étant donné qu’elle n’existait pas à la fin de l’audience, il [traduction] « serait invraisemblable d’exiger de l’appelante qu’elle fasse preuve de diligence raisonnable pour trouver une pièce inexistante ».

[32] L’appelante fait également valoir que la nouvelle preuve est crédible et [traduction] « possiblement décisive pour le troisième motif d’appel ».

[33] L’intimée n’est pas de cet avis. L’intimée n’indique pas que la réponse de l’OTC n’est pas crédible, mais s’y oppose au motif qu’elle n’est pas pertinente et ne contient aucune explication sur la signification ou le sens à tirer des renseignements qu’elle contient. Son objection à l’article de la SRC va plus loin – il s’agit d’un ouï-dire et il ne peut être produit pour établir la véracité de son contenu.

[34] L’intimée fait également valoir que l’appelante n’a pas démontré qu’avec une diligence raisonnable les nouveaux éléments de preuve n’auraient pas pu être produits à la Cour fédérale. L’intimée souligne que l’appelante n’a pas expliqué comment et quand elle a découvert les nouveaux éléments de preuve. Si la Cour fédérale a instruit les requêtes en octobre 2019, elle n’a rendu son ordonnance que le 3 mai 2021. Dans l’intervalle, l’appelante a présenté d’autres observations écrites, dont une le 19 février 2021 qui avançait des raisons pour lesquelles l’OTC ne pouvait pas fournir une autre procédure raisonnable. Pourtant, ni cette observation ni une autre déposée le 2 mars 2021, n’ont fait référence aux nouveaux éléments de preuve qui ont surgi au mois de mai précédent.

[35] L’appelante soutient qu’il y a une différence entre produire de nouveaux éléments de preuve et porter de nouveaux précédents jurisprudentiels à l’attention de la Cour fédérale après l’audience et avant la décision finale; l’intimée a confondu la [traduction] « pratique courante consistant à fournir de nouvelles observations juridiques à la cour lors de la publication d’une nouvelle décision, et la présentation officielle d’une nouvelle preuve par voie de requête (ou lors d’un procès) après la fin de l’audience ».

[36] L’intimée soulève une autre objection aux nouveaux éléments de preuve. L’appelante a fait des affirmations à la Cour fédérale concernant la pertinence de l’OTC, mais n’a fourni aucune preuve pour les étayer, même si elle savait que l’intimée avait l’intention de soulever la procédure de l’OTC comme l’une des deux procédures possibles. L’intimée soutient que l’appelante cherche maintenant à produire des éléments de preuve [traduction] « pour compenser le fait qu’elle n’a produit aucune preuve relative à l’OTC lors de la présentation de la requête » à la Cour fédérale. L’intimée affirme que le fait de permettre à l’appelante de présenter de nouveaux éléments de preuve dans ces circonstances laisse entendre que les parties sont libres de continuer à chercher et à produire de nouveaux éléments de preuve après l’audience, plutôt que de faire valoir leurs arguments à l’audience.

2) Analyse

(a) Le critère de l’arrêt Palmer

[37] L’article de la SRC et la réponse de l’OTC (les nouveaux éléments de preuve) ont vu le jour presque une année entière avant l’ordonnance de la Cour fédérale rejetant la requête en certification de l’action en tant que recours collectif.

[38] Jusqu’à ce que la Cour fédérale rende son ordonnance le 3 mai 2021, la décision sur la certification n’était pas définitive. Rien n’empêchait l’appelante d’introduire une requête auprès de la Cour fédérale afin de soumettre les nouveaux éléments de preuve pour établir leur pertinence quant au caractère adéquat de la procédure de l’OTC comme solution de rechange au recours collectif. La Règle 312 permet à une partie de demander à la Cour fédérale l’autorisation de déposer des affidavits supplémentaires et un dossier complémentaire. C’est ce que l’appelante aurait pu faire entre le 1er juin 2020 et le 2 mai 2021.

[39] Bien qu’une requête visant à admettre de nouveaux éléments de preuve devant la Cour fédérale ait pu nécessiter un processus plus officiel qu’une demande d’autorisation de présenter des observations juridiques supplémentaires, l’appelante n’invoque aucune décision permettant d’affirmer que cette différence est pertinente pour respecter les critères de la diligence raisonnable. En toute honnêteté, je ne vois pas comment cela pourrait être le cas. Je conviens que [traduction] « la seule façon raisonnable d’interpréter la première partie du critère de l’arrêt Palmer est que celle-ci exige un examen de la question de savoir si la preuve proposée aurait pu, en faisant preuve de diligence raisonnable, être présentée avant le moment où le juge qui présidait fut dessaisi [...] lorsque l’ordonnance a été rendue et inscrite » : Slmsoft.Com.Inc. v. Rampart Securities Inc. 78 OR (3d) 521, [2005] O.J. No 4847, (OSCJ) au para. 56.

[40] De plus, l’affidavit de l’appelante n’explique pas comment ni quand elle a pris connaissance des nouveaux éléments de preuve. L’appelante a choisi de s’appuyer uniquement sur les nouveaux éléments de preuve apparus après les plaidoiries sur les requêtes. Cela n’est pas suffisant. Je ne dispose d’aucune information permettant de penser que l’appelante a fait preuve de diligence raisonnable ou de connaître les raisons pour lesquelles elle n’a pas porté les nouveaux éléments de preuve à l’attention de la Cour fédérale. Ainsi, l’appelante n’a pas satisfait aux critères de diligence raisonnable pour la recevabilité des nouveaux éléments de preuve.

[41] L’appelante affirme que la réponse de l’OTC constitue un facteur potentiellement déterminant en ce qui concerne son troisième motif d’appel. Je ne suis pas convaincue que cet argument soit défendable.

[42] Le troisième moyen de l’appelante est que la Cour fédérale a commis une erreur en ne concluant pas que le recours collectif était la procédure préférable pour résoudre les questions en litige communes. À l’appui de cette proposition, l’appelante fait valoir quatre arguments.

[43] Le premier est que la Cour fédérale n’a pas tenu compte de tous les facteurs pertinents aux termes de la Règle 334.16(2), mais qu’elle n’en a tenu compte que d’un seul, à savoir si l’aspect pratique ou l’efficacité des autres moyens de régler les réclamations est moindre, comme l’exige la Règle 334.16(2)d). La réponse de l’OTC n’est pas pertinente pour soutenir que les facteurs pertinents n’ont pas été pris en compte, et dans ses observations écrites sur la requête, l’appelante n’a pas indiqué qu’elle l’était.

[44] Le deuxième argument de l’appelante à l’appui du troisième motif est que l’intimée n’a pas satisfait au fardeau de la preuve requis pour présenter la procédure de l’OTC comme une procédure préférable de règlement des réclamations. Dans ses observations écrites, l’appelante fait valoir que la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le recours collectif n’était pas le meilleur recours est principalement fondée sur le fait qu’il incombe à l’appelante de prouver que sa thèse, selon laquelle l’OTC ne donnerait pas suite aux plaintes, est fondée sur des faits. L’appelante propose de faire valoir que c’est à l’intimée, et non à l’appelante, d’assumer ce fardeau. Là encore, si l’appelante a raison et que le fardeau de la preuve incombe à l’intimée, la réponse de l’OTC n’est pas pertinente. Elle n’a rien à voir avec la question de savoir à qui incombe le fardeau de la preuve.

[45] De même, la réponse de l’OTC n’est pas pertinente pour le troisième argument de l’appelante : qu’il n’y avait pas de fondement probatoire à la Cour fédérale pour conclure que l’OTC pourrait être une solution de rechange viable, et en particulier, aucune preuve que l’OTC mènerait ou pourrait mener des enquêtes sur les réclamations. Il est évident qu’un argument selon lequel il n’y avait pas de fondement probatoire pour une conclusion doit être fondé sur la preuve produite à la Cour fédérale, et non sur de nouveaux éléments de preuve que la Cour fédérale n’a jamais vus.

[46] Enfin, à l’appui du troisième motif, l’appelante fait valoir que la Cour fédérale aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire aux termes de la Règle 60 pour permettre à l’appelante de combler les lacunes éventuelles de la preuve. La Règle 60 est entièrement discrétionnaire. Rien dans le dossier de la requête ne laisse entendre que l’appelante a demandé à la Cour fédérale de lui permettre de combler les lacunes éventuelles. En effet, le dossier de la requête indique clairement que l’appelante a présenté des observations supplémentaires sur la pertinence de la procédure de l’OTC après l’audience, quoique fondées sur la jurisprudence; elle n’a pas soulevé la réponse de l’OTC. Toutefois, même si elle avait cherché à obtenir l’occasion de combler les lacunes éventuelles et que la Cour fédérale l’avait refusée, la réponse de l’OTC n’est pas pertinente pour déterminer si la Cour fédérale a commis une erreur en n’exerçant pas son pouvoir discrétionnaire.

[47] Il va sans dire que l’article de la SRC est moins fiable que la réponse de l’OTC car il s’agit manifestement d’une preuve par ouï-dire. Bien qu’une preuve par ouï-dire qui répond aux critères de fiabilité et de nécessité pourrait être recevable, l’article de la SRC ne répond manifestement à aucun de ces critères.

[48] L’article de la SRC rend compte de la réponse de l’OTC et contient des déclarations d’opinion sur la procédure de l’OTC faites par un petit nombre de personnes. On peut dire qu’il soulève plus de questions que de réponses. Comment les personnes dont les opinions sont exprimées ont-elles été choisies? Quelles questions ont été posées pour susciter les commentaires? D’autres enquêtes ont-elles été menées qui n’ont pas été signalées? Quels autres commentaires les personnes interrogées ont-elles faits qui pourraient être pertinents? L’article de la SRC exprime un point de vue sur la procédure de l’OTC; il n’est pas fiable au sens requis pour être recevable.

[49] Le critère de la nécessité repose sur le besoin de découvrir la vérité. Il s’agit essentiellement d’une forme de règle de la « meilleure preuve ». « Ainsi, la règle interdisant le ouï‑dire est censée accroître l’exactitude des conclusions de fait du tribunal et non entraver sa fonction de recherche de la vérité » : R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787au para. 2. Comment un article rendant compte de la réponse de l’OTC peut-il constituer la meilleure preuve de ce qui se trouve dans la réponse de l’OTC elle-même?

(b) Les nouveaux éléments de preuve devraient-ils néanmoins être recevables?

[50] Bien que je sois d’accord avec l’intimée que l’appelante n’a pas rempli les critères de l’arrêt Palmer pour la recevabilité des nouveaux éléments de preuve, cela ne met pas fin à la question. La Cour a le pouvoir discrétionnaire résiduel d’admettre les nouveaux éléments de preuve, bien qu’elle ne le fasse [traduction] « que dans les cas les plus clairs », lorsque l’intérêt de la justice l’exige : Shire Canada Inc. v. Apotex Inc., 2011 FCA 10, 414 N.R. 270 [Shire] au para. 18; et Coady c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2019 CAF 102 au para. 3.

[51] Je partage la réserve de l’intimée selon laquelle l’appelante tente d’admettre en appel des éléments de preuve qu’elle a choisi de ne pas présenter à la Cour fédérale. Le passage suivant des motifs de la Cour fédérale est instructif :

[116] En ce qui concerne la procédure de l’OTC, la demanderesse soutient ce qui suit :

[traduction]

121. En ce qui concerne l’affirmation de SATA concernant la présentation d’une plainte à l’OTC, rien n’indique non plus que l’OTC examinera les 176 vols en question, ce qui soulève encore une fois des préoccupations quant à la possibilité d’une modification des comportements efficace. Il n’y a pas non plus de preuve qu’il se prononcera sur les réclamations de tous les passagers d’un même vol, et il n’y aura pas d’accès à la justice. De plus, l’OTC n’est pas en mesure de traiter 28 000 plaintes individuelles déposées par le groupe, et il serait débordé.

[…]

[117] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu qu’un recours collectif serait préférable au processus informel de facilitation et au processus officiel d’arbitrage offerts par l’OTC.

[118] Premièrement, il incombe à la demanderesse d’étayer par un certain fondement factuel sa position selon laquelle l’OTC ne donnera pas suite aux plaintes. Elle ne peut pas se fonder sur l’absence de preuve pour prouver un fait; les faits sans preuve sont de simples affirmations. La demanderesse se livre à des conjectures lorsqu’elle prétend que l’OTC sera débordé et n’est pas en mesure de traiter un nombre important de plaintes. [Non souligné dans l’original.]

[52] Je reconnais que l’appelante n’est pas d’accord avec l’opinion de la Cour fédérale sur le fardeau de la preuve, mais il est clair que l’appelante n’a présenté aucune preuve à l’appui de ses allégations selon lesquelles [traduction] « l’OTC n’est pas en mesure de traiter 28 000 plaintes individuelles déposées par le groupe, et il serait débordé ». Elle cherche maintenant à présenter cette preuve sous la forme d’un nouvel élément de preuve. Notre Cour a déjà refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’admettre un nouvel élément de preuve lorsque les faits allégués pour lesquels le nouvel élément de preuve est présenté ne sont pas nouveaux et lorsque l’appelante, comme c’est le cas en l’espèce, n’a fourni aucune explication quant à la raison pour laquelle elle ne pouvait pas présenter en preuve les faits allégués au moment où la requête a été présentée : Shire aux para. 18 à 22.

[53] Il ne s’agit pas d’un cas où l’intérêt de la justice justifie la recevabilité du nouvel élément de preuve.

3) Connaissance judiciaire

[54] L’appelante indique que la réponse de l’OTC est un document dont la Cour peut prendre connaissance d’office. Je ne suis pas de cet avis. La Cour suprême du Canada a décrit la théorie de la connaissance d’office dans l’arrêt R. c. Find, 2001 CSC 32, [2001] 1 R.C.S. 863 au para. 48, comme suit :

La connaissance d’office dispense de la nécessité de prouver des faits qui ne prêtent clairement pas à controverse ou qui sont à l’abri de toute contestation de la part de personnes raisonnables. Les faits admis d’office ne sont pas prouvés par voie de témoignage sous serment. Ils ne sont pas non plus vérifiés par contre-interrogatoire. Par conséquent, le seuil d’application de la connaissance d’office est strict. Un tribunal peut à juste titre prendre connaissance d’office de deux types de faits : (1) les faits qui sont notoires ou généralement admis au point de ne pas être l’objet de débats entre des personnes raisonnables; (2) ceux dont l’existence peut être démontrée immédiatement et fidèlement en ayant recours à des sources facilement accessibles dont l’exactitude est incontestable [...]

L’arrêt R. c. Spence, 2005 CSC 71, [2005] 3 R.C.S. 458, va dans le même sens (au paragraphe 65) :

J’estime que le tribunal auquel on demande de prendre connaissance d’office d’éléments [...] devrait se demander si une personne raisonnable ayant pris la peine de s’informer sur le sujet considérerait que ce « fait » échappe à toute contestation raisonnable quant à la fin à laquelle il sera invoqué, sans oublier que les exigences en matière de crédibilité et de fiabilité s’accroissent directement en fonction de la pertinence du « fait » pour le règlement de la question en litige.

[55] Dans le cas qui nous occupe, la capacité de l’OTC à traiter les plaintes est une question sur laquelle les parties ne sont pas d’accord et qui est proche des questions en litige. Elle semble donc à la fois controversée et pas généralement acceptée à un point tel que des personnes raisonnables pourraient ne pas être en désaccord. Toutefois, avant tout, la réponse de l’OTC est un document qui nécessite une explication avant que la Cour puisse l’interpréter d’une façon sûre ou d’en faire des inférences raisonnables : Bell c. Canada, 2000 CanLII 15330, 54 D.T.C. 6363 aux para. 25 et 31.

[56] Pour les motifs mentionnés ci-dessus, la requête visant à admettre les nouveaux éléments de preuve est rejetée.

III. Conclusion

[57] L’affidavit de M. De Oliveira et l’affidavit de Me Romano seront inclus dans le dossier d’appel. L’appelante déposera le dossier d’appel dans les 30 jours à compter d’aujourd’hui. La requête de l’appelante en vue d’admettre de nouveaux éléments de preuve est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés relativement aux présentes requêtes.

« K. A. Siobhan Monaghan »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-138-21

 

INTITULÉ :

DORA BERENGUER c. SATA INTERNACIONAL – AZORES AIRLINES, S.A.

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE MONAGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 novembre 2021

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Simon Lin

Jérémie John Martin

Sébastien A. Paquette

 

Pour l’appelante

 

Carlos P. Martins

Andrew MacDonald

Emma Romano

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Evolink Law Group

Burnaby (Colombie-Britannique)

Champlain Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour l’appelante

 

WeirFoulds LLP

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée

 

 

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