Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20211221


Dossier : A-163-21

Référence : 2021 CAF 244

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

IRIS TECHNOLOGIES INC.

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 21 octobre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 21 décembre 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE MACTAVISH

 


Date : 20211221


Dossier : A-163-21

Référence : 2021 CAF 244

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

IRIS TECHNOLOGIES INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LASKIN

I. Aperçu

[1] Le procureur général du Canada interjette appel d’une ordonnance de la Cour fédérale (2021 CF 528, motifs du juge Southcott). Dans l’ordonnance, le juge a rejeté un appel interjeté par voie de requête en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), à l’encontre d’une ordonnance rendue par le protonotaire Aalto, chargé de la gestion de l’instance. Dans son ordonnance, le protonotaire a exigé du ministre du Revenu national qu’il transmette à l’intimée (Iris) et au greffe un dossier certifié du tribunal, comme l’a demandé Iris au titre de l’article 317 des Règles dans son avis de demande de contrôle judiciaire.

[2] Le procureur général soutient que le juge de la requête a commis une erreur en n’annulant pas l’ordonnance du protonotaire. Je suis du même avis. J’estime qu’il a commis une erreur à tout le moins en ne reconnaissant pas que, dans la demande de contrôle judiciaire présentée par Iris, cette dernière ne sollicitait qu’une ordonnance de mandamus, une catégorie de contrôle judiciaire à laquelle, conformément aux conclusions de notre Cour, et les parties en conviennent, l’article 317 des Règles ne s’applique pas.

[3] Par conséquent, j’annulerais l’ordonnance du juge de la requête et j’accueillerais l’appel de l’ordonnance du protonotaire.

II. Les faits

A. L’article 317 des Règles

[4] Le paragraphe 317(1) des Règles autorise les parties à une demande de contrôle judiciaire à demander la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents qui sont en la possession du décideur administratif dont l’ordonnance (terme qui, au sens de l’article 2 des Règles, comprend les décisions) fait l’objet de la demande.

Matériel en la possession de l’office fédéral

Material from tribunal

317 (1) Toute partie peut demander la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande, qu’elle n’a pas mais qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande, en signifiant à l’office une requête à cet effet puis en la déposant. La requête précise les documents ou les éléments matériels demandés.

317 (1) A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.

[5] Dans l’arrêt Alberta Wilderness Association c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 190, par. 34 et 38 à 40, notre Cour a conclu que l’article 317 des Règles ne s’appliquait pas aux demandes d’ordonnance de mandamus. Il en est ainsi parce que l’ordonnance de mandamus vise à forcer le décideur à rendre une décision qu’il n’a pas rendue ou qu’il a refusé de rendre. Le recours au mandamus n’est ouvert que lorsqu’aucune décision n’a encore été rendue. Si aucune décision n’a encore été rendue, il ne peut y avoir de décision qui « fait l’objet de la demande ».

[6] Le demandeur qui sollicite une ordonnance de mandamus doit, par conséquent, se fonder sur un affidavit ou un autre élément de preuve pour établir qu’il satisfait au critère énoncé dans l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742, 1993 CanLII 3004 (C.A.F.), conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100.

B. La demande de contrôle judiciaire présentée par Iris

[7] Iris est une entreprise canadienne de télécommunications. Elle a produit des déclarations de TPS/TVH auprès du ministre du Revenu national et a demandé des remboursements de taxe nette pour des périodes de déclaration commençant le 1er septembre 2019.

[8] Le paragraphe 229(1) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 dispose que, lorsqu’un remboursement est dû, le ministre le verse « avec diligence » une fois la déclaration produite. Toutefois, cette obligation n’a pas « préséance sur l’obligation du ministre de vérifier que le remboursement est effectivement payable » : Iris Technologies Inc. c. Canada (Revenu national), 2020 CAF 117, par. 38 à 43, renvoyant à la décision Express Gold Refining Ltd. c. Canada (Revenu national), 2020 CF 614.

[9] Lorsque le ministre a retenu le versement des remboursements demandés par Iris en attendant la conclusion d’une vérification, Iris a présenté une demande de contrôle judiciaire.

[10] L’article 301 des Règles des Cours fédérales précise ce que doit contenir l’avis de demande de contrôle judiciaire. Il dispose notamment que l’avis de demande doit inclure « la date et les particularités de l’ordonnance qui fait l’objet de la demande » (sous-alinéa 301c)(ii)), « un énoncé précis de la réparation demandée » (alinéa 301d)) et « un énoncé complet et concis des motifs invoqués » (alinéa 301e)).

[11] Le libellé de l’article 301 des Règles est le suivant :

Avis de demande — forme et contenu

Contents of application

301 La demande est introduite par un avis de demande, établi selon la formule 301, qui contient les renseignements suivants :

301 An application shall be commenced by a notice of application in Form 301, setting out

a) le nom de la cour à laquelle la demande est adressée

(a) the name of the court to which the application is addressed;

b) les noms du demandeur et du défendeur;

(b) the names of the applicant and respondent;

c) s’il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire :

(c) where the application is an application for judicial review,

(i) le nom de l’office fédéral visé par la demande,

(i) the tribunal in respect of which the application is made, and

(ii) le cas échéant, la date et les particularités de l’ordonnance qui fait l’objet de la demande ainsi que la date de la première communication de l’ordonnance au demandeur;

(ii) the date and details of any order in respect of which judicial review is sought and the date on which it was first communicated to the applicant;

d) un énoncé précis de la réparation demandée;

(d) a precise statement of the relief sought;

e) un énoncé complet et concis des motifs invoqués, avec mention de toute disposition législative ou règle applicable;

(e) a complete and concise statement of the grounds intended to be argued, including a reference to any statutory provision or rule to be relied on; and

f) la liste des documents qui seront utilisés en preuve à l’audition de la demande.

(f) a list of the documentary evidence to be used at the hearing of the application.

[12] « L’énoncé “complet” des motifs englobe tous les moyens de droit et les faits essentiels qui, s’ils sont exacts, appellent l’octroi de la mesure demandée », tandis que « [l]’énoncé “concis” des motifs doit comprendre les faits essentiels propres à démontrer à la Cour qu’elle peut et doit accorder la mesure demandée » : Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, par. 38 à 40.

[13] La partie « demande » de l’avis d’Iris commence par une déclaration selon laquelle la demande porte sur l’inaction du ministre :

[traduction] IL S’AGIT D’UNE DEMANDE de contrôle judiciaire visant le défaut du ministre du Revenu national (le « ministre ») de verser les remboursements de taxe nette pour la période de déclaration commençant le 1er septembre 2019 et se terminant le 29 février 2020, ainsi que le défaut du ministre d’établir une cotisation à l’égard des déclarations de TPS/TVH de la demanderesse pour ses périodes de déclaration commençant le 1er septembre 2019 ou le défaut de continuer à la vérification.

Par conséquent, la « date et les particularités de l’ordonnance qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire » ne peuvent être fournies.

[14] La réparation demandée, hormis les dépens, est uniquement une ordonnance de mandamus. Dans l’avis de demande, les réparations demandées sont les suivantes :

[traduction]

LA DEMANDERESSE SOLLICITE une ordonnance :

1. enjoignant au ministre d’établir une cotisation à l’égard de ses déclarations de TPS/TVH pour les périodes commençant le 1er septembre 2019 et se terminant le 29 février 2020;

2. enjoignant au ministre de lui verser les remboursements de taxe nette pour les périodes de déclaration commençant le 1er septembre 2019 et se terminant le 29 février 2020 et pour toute période subséquente jusqu’à la conclusion de la vérification du ministre;

3. adjugeant les dépens, plus la TVH.

[15] La seule décision mentionnée dans les motifs invoqués dans l’avis de demande est une décision relative à une période de déclaration antérieure, à l’égard de laquelle le ministre avait d’abord retenu les remboursements, puis les avait en fin de compte versés à Iris :

[traduction]

8. Le ministre a tenu compte de l’incidence financière de la vérification de la TPS/TVH et de la décision de retenir les remboursements lors de la vérification antérieure visant la demanderesse, qui s’est terminée deux jours avant le début de la vérification en cours, et il a jugé que les remboursements retenus devaient être versés, et ils ont été versés.

[16] L’avis de demande se termine par une requête, présentée au titre de l’article 317 des Règles, demandant que le ministre fournisse les documents suivants en la possession de l’Agence du revenu du Canada :

1. tous les documents relatifs à l’examen des périodes du 1er janvier 2017 jusqu’à aujourd’hui;

2. la liste des coordonnées des employés de l’Agence ayant participé à l’examen ou à la révision de ces périodes de déclaration;

3. toutes les notes de journal, toute la correspondance interne et tous les rapports relatifs aux périodes du 1er janvier 2017 jusqu’à aujourd’hui.

C. La décision du protonotaire

[17] Le ministre s’est opposé à la requête présentée au titre de l’article 317 des Règles au motif qu’Iris cherche à forcer le ministre à agir – en d’autres mots, demande une ordonnance de mandamus – au lieu de contester une décision, de sorte que, compte tenu de l’arrêt Alberta Wilderness, cet article des Règles ne s’applique pas. Le ministre a également soutenu que la réparation demandée était trop générale.

[18] En réponse, Iris a présenté devant le protonotaire une requête en ordonnance enjoignant au ministre de se conformer à la demande fondée sur l’article 317. Elle a soutenu que le ministre avait pris une décision susceptible de contrôle lorsqu’il avait choisi de retenir le versement des remboursements en attendant la conclusion de la vérification.

[19] Le protonotaire a accordé l’ordonnance, bien qu’il ait limité la portée des documents à transmettre en raison de la portée excessive de la demande. Il a reconnu que, lorsqu’aucune décision n’a été rendue, l’article 317 des Règles ne peut s’appliquer. Cependant, alors qu’il a fait observer que les réparations sollicitées dans l’avis de demande auraient pu être plus claires, il s’est dit d’accord avec Iris que la demande visait bien une décision du ministre, soit celle de retenir le versement des remboursements en attendant la fin de la vérification, en plus de solliciter un mandamus.

[20] Pour étayer sa conclusion sur ce point, le protonotaire s’est fondé sur deux éléments de preuve et sur la décision mentionnée au paragraphe 8 des motifs de la décision (cité au paragraphe 15 ci-dessus).

[21] Le premier élément de preuve était la transcription d’un contre-interrogatoire mené par Iris de l’auteur d’un affidavit que le ministre avait déposé en réponse à une requête en mesure interlocutoire présentée par Iris. Dans ce contre-interrogatoire, l’auteur de l’affidavit qui avait témoigné pour le ministre avait souscrit à la proposition selon laquelle le ministre [traduction] « avait le choix d’établir une cotisation et de verser les remboursements pour les périodes se terminant en septembre 2019, en octobre 2019, en novembre 2019, en décembre 2019, en janvier 2020 et en février 2020, mais a choisi de ne pas le faire ».

[22] Le deuxième élément de preuve était une lettre de Ted Gallivan, sous-commissaire de l’Agence du revenu du Canada, adressée à Iris. La lettre contenait les énoncés suivants :

[traduction]

À la suite d’un examen du compte d’Iristel, l’ARC a décidé de procéder à la vérification des remboursements de taxe nette pour les périodes du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019 avant de verser les remboursements.

[...]

Après examen de votre dossier, les données de la vérification de l’ARC indiquent qu’une cotisation importante sera vraisemblablement établie à l’égard de votre compte. L’ARC a déterminé qu’il serait inapproprié de verser les remboursements demandés avant la fin de la vérification.

Iris a reçu cette lettre plus d’une semaine avant le dépôt de sa demande de contrôle judiciaire.

[23] Le protonotaire a également conclu que les faits dont il était saisi étaient essentiellement semblables à ceux de l’affaire McNally c. Canada (Revenu national) (23 avril 2014), T-1282-13, appel rejeté en raison de son caractère théorique, 2015 CAF 23. Dans la décision McNally, le juge de la requête a confirmé l’ordonnance rendue par le protonotaire enjoignant au ministre de se conformer à l’article 317, malgré la demande de mandamus. Dans cette affaire toutefois, le demandeur sollicitait expressément, à titre subsidiaire si le bref de mandamus était refusé, un jugement déclaratoire portant que la décision du ministre de retarder l’établissement de la cotisation était illégale.

D. La décision du juge de la requête

[24] En ce qui concerne l’appel interjeté au titre de l’article 51 des Règles, le juge de la requête a conclu que le protonotaire n’avait commis aucune erreur susceptible de contrôle. Selon lui, la décision du protonotaire portait sur l’application du droit aux faits. Par conséquent, la norme de contrôle de l’erreur manifeste et dominante s’appliquait, même si le résultat aurait été le même s’il avait appliqué la norme de la décision correcte.

[25] En examinant l’observation du ministre voulant que la décision du protonotaire soit incompatible avec l’arrêt Alberta Wilderness, le juge de la requête a affirmé que l’arrêt Alberta Wilderness « n’empêche pas la partie qui sollicite une ordonnance de mandamus en vue de forcer l’accomplissement d’un acte administratif de contester également une décision déjà rendue ». Il a ajouté que, dans ces circonstances, l’article 317 des Règles s’appliquait à cette décision. Par conséquent, les raisonnements tenus respectivement par notre Cour dans l’arrêt Alberta Wilderness et par la Cour fédérale dans la décision McNally n’étaient pas incompatibles.

[26] Le juge de la requête a ensuite conclu que le protonotaire n’avait commis aucune erreur susceptible de contrôle, indépendamment de la norme, lorsqu’il a conclu qu’en retenant le versement du remboursement de taxe nette d’Iris, le ministre n’avait pas refusé de rendre une décision, mais avait effectivement pris une décision.

[27] En ce qui concerne le dossier sur lequel le protonotaire a fondé son ordonnance, le juge de la requête a conclu que le protonotaire n’avait pas commis d’erreur en se fondant sur les éléments de preuve en plus de l’avis de demande pour arriver à la conclusion qu’une décision avait déjà été rendue. Il a également rejeté l’observation selon laquelle la lettre de M. Gallivan ne pouvait pas être une décision susceptible de contrôle judiciaire parce qu’elle n’avait aucune incidence sur les droits d’Iris, lesquels découlaient uniquement de l’article 229 de la Loi sur la taxe d’accise.

[28] Le juge de la requête a ensuite examiné l’observation du ministre voulant que le protonotaire ait commis une erreur en ne tenant pas compte des décisions antérieures rendues par la Cour fédérale et notre Cour en l’espèce, dans lesquelles Iris avait sollicité une injonction mandatoire provisoire. Dans ces décisions, la demande d’Iris avait été considérée comme une demande visant l’obtention d’une ordonnance de mandamus et traitée en conséquence, et il n’est fait aucune mention qu’Iris aurait mis en question une de ces décisions antérieures. Le juge de la requête a considéré que la décision du protonotaire n’était pas incompatible avec les décisions antérieures : la question de savoir si Iris demandait le contrôle judiciaire d’une décision antérieure n’y avait pas été soulevée et il fallait s’attendre, compte tenu de la mesure demandée par Iris, à ce que les principes concernant la disponibilité d’un recours en injonction mandatoire provisoire soient pris en considération.

[29] Enfin, le juge de la requête a conclu que le fait que le protonotaire ait fait référence au paragraphe 8 de l’avis de demande (le paragraphe concernant une période de déclaration antérieure, cité ci-dessus au paragraphe 15) ne révélait aucune erreur manifeste et dominante. Il en était ainsi même s’il n’était pas facile de savoir si le protonotaire avait mal compris sur quelle décision – celle de verser les remboursements de taxe nette pour la période de déclaration antérieure ou la prétendue décision de retenir le versement maintenant en cause – porte ce paragraphe. Le juge de la requête a indiqué que, selon lui, le renvoi à la décision antérieure dans ce paragraphe servait à établir le contexte. « Une telle interprétation », a-t-il ajouté, « permet de conclure que dans sa demande Iris conteste une décision, même si cette décision n’y est pas expressément mentionnée, qui est comparable à la décision expressément mentionnée concernant la retenue précédente. »

[30] Le juge de la requête a également examiné la portée de l’ordonnance du protonotaire, mais cet élément de l’ordonnance n’est pas mis en question devant nous et n’est plus en litige.

E. La suite des événements

[31] Le juge de la requête a rendu sa décision le 2 juin 2021. Le 18 juin 2021, Iris a déposé une requête en autorisation de modifier son avis de demande. La requête a été débattue devant le protonotaire le 22 juillet 2021. Elle est toujours en délibéré.

[32] Peu de temps après l’audience de vive voix dans le présent appel, notre Cour a donné une directive demandant aux parties de présenter des observations écrites [traduction] « concernant l’incidence, le cas échéant, sur le présent appel de tout manquement aux exigences de l’article 301 des Règles dans l’avis de demande de contrôle judiciaire de l’intimée, plus précisément tout manquement aux exigences du sous-alinéa 301c)(ii) et des alinéas d) et e) ». Ni l’une ni l’autre des parties n’avait fait référence à l’article 301 des Règles dans ses observations écrites ou de vive voix. Le protonotaire et le juge des requêtes n’y ont pas fait référence non plus. J’ai pris en considération les observations sur l’article 301 des Règles formulées par les parties en réponse à la directive de notre Cour pour parvenir à la conclusion que je propose en l’espèce.

III. La norme de contrôle

[33] Les décisions des protonotaires sont assujetties à la norme de contrôle applicable en appel établie dans les arrêts Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33; Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, par. 64 et 65, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2017] 1 R.C.S. xi. Selon l’arrêt Housen, la norme de la décision correcte s’applique aux décisions sur des questions de droit, tandis que les décisions sur des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit (s’il n’y a pas d’erreur de droit isolable) peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire uniquement selon la norme déférente de l’erreur manifeste et dominante. Lorsque la Cour fédérale confirme la décision du protonotaire, notre Cour doit examiner la décision du protonotaire afin de vérifier « si le juge de la Cour fédérale a commis une erreur de droit, ou une erreur manifeste et dominante, en refusant d’infirmer ou de modifier la décision du protonotaire » : Sikes c. Encana Corp., 2017 CAF 37, par. 12, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2017] 2 R.C.S. x; Hospira, par. 83 et 84.

IV. Les erreurs alléguées

[34] Le procureur général soutient que le juge de la requête a commis une série d’erreurs susceptibles de contrôle en parvenant à la conclusion qu’Iris avait le droit de demander la production d’un dossier au titre de l’article 317 des Règles parce que sa demande visait le contrôle d’une décision du ministre et par conséquent visait plus qu’une ordonnance de mandamus. Il allègue que le juge de la requête a commis des erreurs :

  • 1) en concluant que le ministre avait rendu une décision susceptible de contrôle alors que la retenue du versement en attendant la conclusion de la vérification n’avait aucune incidence sur les droits d’Iris;

  • 2) en examinant des éléments de preuve non visés par l’avis de demande pour conclure que la demande de contrôle judiciaire présentée par Iris sollicitait autre chose qu’une ordonnance de mandamus;

  • 3) en omettant de conclure que la règle de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée dans une requête et un appel antérieurs empêchait Iris d’affirmer que sa demande sollicitait autre chose qu’une ordonnance de mandamus;

  • 4) en interprétant et en appliquant erronément l’arrêt Alberta Wilderness;

  • 5) en interprétant et en appliquant erronément la décision McNally;

  • 6) (dans ses observations en réponse à la directive de la Cour) en omettant de conclure que le non-respect par Iris de l’article 301 des Règles l’empêchait de demander la production d’un dossier au titre de l’article 317 des Règles.

[35] Je suis d’avis qu’il suffit d’examiner la dernière de ces erreurs alléguées pour trancher le présent appel. Je conclurais que le juge de la requête a commis une erreur de droit en refusant d’intervenir pour corriger l’omission du protonotaire de tenir compte du fait que la demande d’Iris n’était pas conforme à l’article 301 des Règles.

V. Discussion

[36] Le présent appel porte donc sur le lien entre les articles 317 et 301 des Règles. Ce lien peut se traduire par trois propositions. Tout d’abord, une partie peut utiliser l’article 317 des Règles pour obtenir la production uniquement de documents pertinents quant à une demande, c’est-à-dire qui sont susceptibles d’avoir une incidence sur la décision de la Cour. En deuxième lieu, selon l’article 301 des Règles, la décision de la Cour sur une demande de contrôle judiciaire se limite aux motifs de contrôle et à la réparation énoncés dans l’avis de demande. Enfin, la production de documents au titre de l’article 317 des Règles ne s’applique donc pas à l’égard de motifs et de réparations qui ne sont pas énoncés dans l’avis de demande, en contravention avec l’article 301 des Règles.

[37] La première proposition découle directement du libellé du paragraphe 317(1) des Règles, qui permet aux parties de demander uniquement les documents « pertinents quant à une demande ». Comme notre Cour l’a expliqué dans l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, 1995 CanLII 3591 (C.A.F.), [1995] 2 C.F. 455, p. 460, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [1995] S.C.C.A. No. 306, « [u]n document intéresse une demande de contrôle judiciaire s’il peut influer sur la manière dont la Cour disposera de la demande ». Voir aussi l’arrêt Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 128, par. 106 à 108.

[38] La deuxième proposition est également bien établie. Sous réserve d’exceptions limitées, l’article 301 des Règles est une disposition d’application obligatoire.

[39] Dans l’arrêt Pathak, par exemple, notre Cour a ajouté ce qui suit :

Comme la décision de la Cour ne portera que sur les motifs de contrôle invoqués par l’intimé [dans cette affaire, la partie sollicitant le contrôle judiciaire], la pertinence des documents demandés doit nécessairement être établie en fonction des motifs de contrôle énoncés dans l’avis de requête introductif d’instance et l’affidavit produits par l’intimé.

(Le renvoi à « l’affidavit produi[t] par l’intimé » est un vestige des anciennes Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663. Au titre des articles 1602 et 1603 des anciennes règles, la demande de contrôle judiciaire était introduite en signifiant et en déposant un avis de requête introductif d’instance en même temps qu’« un ou plusieurs affidavits qui confirment les faits sur lesquels elle se fonde ». Au titre des règles actuelles, la demande est introduite par un avis de demande et, selon l’article 306 des Règles, les affidavits au soutien de la demande doivent être signifiés dans les 30 jours suivant la délivrance de l’avis de demande.)

[40] Depuis l’arrêt Pathak, d’autres arrêts de notre Cour ont limité le contrôle judiciaire aux motifs de contrôle invoqués et à la réparation énoncée dans l’avis de demande, notamment les arrêts SC Prodal 94 SRL c. Spirits International B.V., 2009 CAF 88, par. 11 et 12; République de Chypre (Industrie et Commerce) c. International Cheese Council of Canada, 2011 CAF 201, par. 12 et 13, autorisation de pourvoi à la CSC refusée 34430 (12 avril 2012), citant avec approbation AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2006 CF 7, conf. par 2007 CAF 327; Apotex Inc. c. Canada (Santé), 2019 CAF 97, par. 7 à 9, et Société Makivik c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 184, par. 53.

[41] Comme notre Cour l’a reconnu, les exigences de l’article 301 des Règles ne sont pas simplement techniques : elles garantissent, entre autres, que les défendeurs sont adéquatement informés de l’action intentée contre eux, afin qu’ils puissent répondre utilement. Elles laissent également aux demandeurs sollicitant une ordonnance de mandamus le choix d’inclure dans leur avis de demande une réparation autre demandée à titre subsidiaire ou complémentaire, pourvu que la demande, telle qu’elle est présentée, soit conforme à l’article 301 des Règles. Si le demandeur estime que la description qu’il a faite des motifs invoqués et de la réparation demandée dans l’avis de demande est trop restrictive, il peut demander l’autorisation de la modifier en vertu de l’article 75 des Règles : SC Prodal, par. 15; Astrazeneca, par. 19. Dans ces cas, l’article 317 des Règles s’appliquera aux demandes autres que les demandes de mandamus qui contestent une décision administrative.

[42] Il a été affirmé dans des décisions rendues par la Cour fédérale qu’« il y a de la place pour l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire [dans l’application des exigences de l’article 301 des Règles] lorsque, par exemple, des arguments pertinents sont soulevés après le dépôt de l’avis de demande; les nouveaux arguments sont bien fondés, ils sont apparentés à ceux énoncés dans l’avis et sont étayés par le dossier de la preuve; le défendeur ne subirait pas de préjudice et il n’en résulterait pas de retard indu » : voir, par exemple, la décision Tl’azt’en Nation c. Sam, 2013 CF 226, par. 6 et 7. Cependant, notre Cour a refusé d’élargir la portée des exceptions au-delà des cas dans lesquels l’avis de demande comporte une « clause omnibus » et que le demandeur sollicite un jugement déclaratoire nécessairement accessoire à la réparation expressément demandée : SC Prodal, par. 11 et 12.

[43] La troisième proposition, elle, découle des deux premières. Il s’agit, je le répète, du fait que la production de documents au titre de l’article 317 des Règles ne s’applique pas à l’égard de motifs de contrôle et de réparations qui ne sont pas énoncés dans l’avis de demande, en contravention avec l’article 301 des Règles.

[44] En l’espèce, Iris soutient que, dans sa demande de contrôle judiciaire, elle ne sollicite pas seulement une ordonnance de mandamus, mais attaque également une décision du ministre. Toutefois, son avis de demande ne présente pas de contestation d’une décision du ministre de la manière prescrite à l’article 301 des Règles. Contrairement à ce qu’exige le sous-alinéa 301c)(ii) des Règles, l’avis de demande ne contient pas « la date et les particularités de [la décision du ministre] qui fait l’objet de la demande ». Contrairement à ce qu’exige l’alinéa 301d) des Règles, le seul « énoncé précis de la réparation demandée » porte sur le mandamus et les dépens, et non sur une quelconque décision du ministre, et la seule « clause omnibus » concerne les motifs de la demande, et non la réparation demandée. Contrairement à ce qu’exige l’alinéa 301e) des Règles, il n’y a aucun « énoncé [...] des motifs invoqués » à l’égard d’une décision du ministre, encore moins un énoncé « complet et concis ».

[45] Iris présente deux autres observations principales en réponse à la directive de la Cour. Elle soutient d’abord que, tout comme dans l’arrêt Alberta Wilderness, notre Cour devrait demander aux parties et au juge chargé de la gestion de l’instance « de s’efforcer d’adapter l’avis de demande pour qu’il reflète l’état d’avancement du processus décisionnel administratif ». Cependant, comme le fait observer le procureur général, dans l’arrêt Alberta Wilderness, notre Cour a conclu que la question de la production de documents au titre de l’article 317 des Règles était prématurée et qu’il n’était pas nécessaire de l’examiner. On peut en dire autant en l’espèce, en attendant l’issue de la requête en autorisation de modification présentée par Iris.

[46] Iris soutient également que la « clause omnibus » contenue dans son avis de demande suffit à fonder la conclusion que sa demande comprend une contestation d’une décision rendue par le ministre. Comme je l’ai toutefois fait observer, la « clause omnibus » en l’espèce porte sur les motifs invoqués par Iris pour demander la réparation énoncée dans l’avis de demande, et non sur la réparation elle-même. Quoi qu’il en soit, la contestation de la décision du ministre ne peut être considérée comme étant nécessairement accessoire à la demande d’ordonnance de mandamus.

[47] Je suis d’avis que le protonotaire aurait dû conclure que l’avis de demande n’énonce pas qu’il y a contestation d’une décision du ministre conformément à l’article 301 des Règles, que la demande ne porte que sur le mandamus et les dépens et que, par conséquent, rien ne fonde une demande au titre de l’article 317 des Règles. De son côté, le juge de la requête a commis une erreur en n’intervenant pas.

VI. Dispositif

[48] J’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais l’ordonnance de la Cour fédérale datée du 2 juin 2021 et, rendant le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre, j’accueillerais l’appel de l’appelant en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales avec dépens, j’annulerais l’ordonnance du protonotaire Aalto datée du 15 février 2021 et je rejetterais avec dépens la requête de l’intimée déposée le 11 septembre 2020 demandant l’ordonnance visée au paragraphe 318(4) des Règles ordonnant la transmission des documents demandés au titre de l’article 317 des Règles dans l’avis de demande de contrôle judiciaire de l’intimée.

[49] À la demande de l’appelant et avec le consentement de l’intimée, l’intitulé du présent appel est modifié de manière à ce que l’appelant soit le procureur général du Canada plutôt que le ministre du Revenu national.

« J.B. Laskin »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

Anne L. Mactavish, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-163-21

(APPEL DE L’ORDONNANCE RENDUE PAR MONSIEUR LE JUGE SOUTHCOTT DE LA COUR FÉDÉRALE LE 2 JUIN 2021, DOSSIER NO T-425-20)

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. IRIS TECHNOLOGIES INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 octobre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :

Le 21 décembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Andrea Jackett

Katie Beahen

Christopher Ware

Natanz Bergeron

Elizabeth Chasson

Pour l’appelant

 

Leigh Somerville Taylor

Mireille Dahab

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’appelant

Leigh Somerville Taylor Professional Corporation

Toronto (Ontario)

Dahab Law

Markham (Ontario)

Pour l’intimée

 

 

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