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Date : 20211217


Dossier : A-300-19

Référence : 2021 CAF 241

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE WOODS

LA JUGE SUPPLÉANTE DAWSON

 

 

ENTRE :

VIOREL MARIAN ROSIANU

appelant

et

WESTERN LOGISTICS INC.

intimée

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 16 novembre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LA JUGE SUPPLÉANTE DAWSON

 


Date : 20211217


Dossier : A-300-19

Référence : 2021 CAF 241

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE WOODS

LA JUGE SUPPLÉANTE DAWSON

 

 

ENTRE :

VIOREL MARIAN ROSIANU

appelant

et

WESTERN LOGISTICS INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GAUTHIER

[1] M. Rosianu interjette appel de la décision rendue par la Cour fédérale (motifs du juge en chef Crampton) rejetant sa demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP). Dans cette décision, la CCDP a rejeté la plainte de M. Rosianu en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la Loi), au motif que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’était pas justifié.

I. Les faits

[2] M. Rosianu est un conducteur de camions de transport de ligne qui a travaillé pour Western Logistics Inc. (Western) du 30 janvier 2011 au 25 novembre 2013.

[3] Comme la Cour fédérale l’a fait observer au paragraphe 2 de ses motifs, Western a congédié M. Rosianu à la suite d’un incident où il aurait conduit de manière non sécuritaire un camion de l’entreprise. Plus précisément, malgré le fait que l’essieu arrière de la remorque du camion ait été verrouillé, M. Rosianu a continué à tirer la remorque jusqu’à ce que les pneus explosent. Il a roulé trop vite, malgré les conditions routières dangereuses ce jour-là, caractérisées par des routes enneigées et glacées. Un automobiliste a même interpelé M. Rosianu pour lui signaler que ses pneus avaient explosé et que des débris de pneus avaient été propulsés sur la route, mais M. Rosianu l’aurait ignoré et aurait poursuivi sa route. Bien que le signalement de cet incident ait finalement entraîné son congédiement, il s’agissait de l’incident le plus récent d’une série survenue en milieu de travail impliquant M. Rosianu.

[4] Dans sa lettre de congédiement, Western a affirmé qu’au cours des deux dernières années, elle avait mis en garde M. Rosianu à plusieurs reprises relativement à plusieurs manquements à la sécurité, à des excès de vitesse et à la nécessité de se conformer à sa Politique en matière de sécurité opérationnelle. Western concluait sa lettre en affirmant qu’elle ne pouvait fermer les yeux sur les actes de M. Rosianu et qu’elle devait, [traduction] « dans l’intérêt de la sécurité publique », le démettre de ses fonctions au sein de l’entreprise.

[5] Malgré les explications fournies dans la lettre de congédiement de Western, M. Rosianu insiste pour dire que la véritable raison pour laquelle il a été congédié est le fait qu’il avait une déficience à l’égard de laquelle Western n’était pas disposée à prendre des mesures d’adaptation. Plus précisément, M. Rosianu ne pouvait soulever d’objets dont le poids était supérieur à environ 23 kilogrammes en raison de deux opérations chirurgicales qu’il avait subies (en 1998 et en 2011) pour traiter des hernies.

II. Les procédures

[6] Avant de déposer sa plainte auprès de la CCDP, M. Rosianu a déposé une plainte en application de la partie III du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (le Code), pour défaut de versement d’une indemnité de départ de [traduction] « plus de 3 000 $ », pour congédiement injuste et pour mauvais traitements, harcèlement et discrimination de la part de son nouveau directeur de transport de ligne chez Western, M. Ryan Decker. Après avoir examiné la plainte, un inspecteur d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) a rendu un avis de plainte non fondée le 11 mars 2014.

[7] M. Rosianu a fait appel de cette décision, mais l’arbitre nommé par le ministre du Travail l’a confirmée. L’arbitre a notamment conclu qu’il existait [traduction] « suffisamment d’éléments de preuve indiquant que le demandeur avait agi de façon non sécuritaire le 20 novembre 2013, ce qui justifiait un congédiement immédiat » (d’après la citation au paragraphe 10 des motifs de la Cour fédérale). Bien que la décision de l’arbitre ne soit pas mentionnée dans le rapport d’enquête présenté à la CCDP, je la mentionne pour établir le contexte de certains des arguments soulevés par M. Rosianu dans ses observations écrites présentées à la CCDP et à notre Cour.

[8] Le 12 novembre 2014, M. Rosianu a déposé une plainte auprès de la CCDP en vertu de l’article 40 de la Loi (bien que la version officielle qui figure au dossier soit datée du 21 janvier 2015). Il a allégué qu’entre février 2012 et novembre 2013, il a subi un traitement différentiel défavorable et a été congédié directement ou indirectement en raison de sa déficience. Dans sa plainte, M. Rosianu a signalé que M. Decker lui avait fait subir des mauvais traitements, du harcèlement, de l’intimidation et de la discrimination. Il a soutenu que M. Decker ne lui avait pas fourni de nouveau camion, l’avait obligé à travailler certaines fins de semaine (en lui faisant courir le risque de perdre l’emploi à temps partiel qu’il occupait à l’extérieur de Western) et avait réduit sa charge de travail pendant plusieurs semaines en 2012 et 2013. En outre, M. Rosianu a affirmé que, bien que son ancien directeur (M. Laith Al Said, qui a quitté Western en février 2012) ne lui ait pas accordé d’augmentation, M. Decker aurait dû le faire. Enfin, M. Rosianu a signalé qu’il avait été obligé de décharger des remorques à certains endroits, malgré le fait qu’il n’était pas en mesure de le faire en raison d’une ancienne hernie qui avait nécessité une chirurgie en octobre 2011. M. Rosianu a allégué que Western l’avait congédié sans motif valable et en raison de sa déficience.

[9] Dans son rapport, l’enquêtrice de la CCDP a affirmé que les trois premières allégations de M. Rosianu ne semblaient pas liées au motif de la déficience invoqué dans la plainte. Elle a aussi fait observer que M. Rosianu n’avait fourni aucun élément de preuve pour étayer le fait que ces allégations étaient liées à une déficience. Pour ce motif, elle a décidé de ne pas les examiner davantage (rapport d’enquête au para. 19, à la p. 4). Il semble que M. Rosianu n’a pas contesté cette conclusion devant la Cour fédérale, qui a affirmé, au paragraphe 17 de ses motifs, que les parties semblaient s’entendre pour dire qu’en l’absence d’un tel lien, de telles allégations ne relevaient pas de la compétence de la CCDP. Par conséquent, la Cour fédérale n’a pas non plus examiné davantage ces allégations dans ses motifs.

[10] L’enquêtrice a ensuite porté son attention sur l’allégation selon laquelle M. Rosianu était tenu de décharger des remorques malgré sa déficience. À cet égard, elle a résumé les thèses des parties et les éléments de preuve documentaire présentés par Western dans une lettre datée du 25 juin 2016 et rédigée par Mme Mary Waring, présidente-directrice générale de Western. Il s’agissait notamment de déclarations écrites faites par M. Marc Fernandes, M. Decker, M. Gord Dier, Mme Kelly Kuncewicz et Mme Michelle Foncette. L’enquêtrice a également interrogé Kelly Gaine, la contrôleuse de gestion et chargée des ressources humaines de Western, M. Decker, le superviseur direct du plaignant et M. Jody Prichard, le directeur du terminal de Kelowna. Elle a noté que M. Rick Miller, un ancien superviseur de M. Decker, avait quitté l’entreprise et qu’il ne pouvait pas être joint. En outre, étant donné que Mme Waring était en congé lorsque les entrevues ont été menées, l’enquêtrice a choisi d’interroger Kelly Gaine, qui était l’agente des ressources humaines de Western. Les observations écrites de Western ont été envoyées à M. Rosianu pour commentaires. Il semble que, dans sa lettre de 49 pages datée du 15 juillet 2016, M. Rosianu ait fourni une réponse détaillée et qu’il ait ajouté des détails et des documents à l’appui de sa plainte.

[11] L’enquêtrice a affirmé que, d’après les éléments de preuve recueillis, le plaignant n’était pas obligé de charger ou de décharger des camions dans l’exercice de ses fonctions. Elle a également fait les constatations suivantes :

  1. Le congédiement de M. Rosianu a eu lieu 24 mois complets après l’intervention chirurgicale qu’il a subie pour traiter sa hernie. Après son opération en octobre 2011, M. Rosianu a eu besoin de quatre (4) à six (6) semaines de convalescence au total. Aucun élément de preuve n’a été présenté montrant que des mesures d’adaptation permanentes aient été nécessaires en raison de l’opération qu’il avait subie ou de quelque déficience que ce soit.

  2. En mars 2014, un inspecteur du Programme du travail d’EDSC a conclu que M. Rosianu avait été congédié par Western pour un motif valable sous le régime du Code. Les éléments de preuve n’ont pas permis d’établir de lien entre le congédiement de M. Rosianu et une déficience.

[12] Ainsi, d’après les éléments de preuve qui avaient été recueillis, l’enquêtrice a conclu dans son rapport que Western n’avait pas défavorisé M. Rosianu en raison d’une déficience ou qu’elle l’avait congédié pour ce motif. L’enquêtrice a donc recommandé que la CCDP rejette la plainte de M. Rosianu en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi.

[13] M. Rosianu, qui n’était pas représenté par un avocat devant notre Cour, mais qui a reçu du soutien juridique dans la préparation de sa demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale, s’est surtout efforcé de démontrer qu’il n’avait pas été congédié pour un motif valable et que l’inspecteur d’EDSC et l’arbitre nommé par le ministre du Travail (Sylvia Skratek) étaient incompétents. Il est allé jusqu’à soutenir que l’arbitre avait fourni une copie frauduleuse de son rapport à la CCDP. Il a allégué qu’il avait reçu une copie différente. Selon lui, quelqu’un est entré par effraction chez lui et a remplacé l’ancienne version par la nouvelle (mémoire des faits et du droit de l’appelant aux para. 11, 13 et 14).

[14] Cependant, ainsi qu’il a été expliqué à M. Rosianu lors de l’audience devant notre Cour, ce n’est pas le rôle de notre Cour, ni celui de la CCDP, d’établir si les décideurs qui ont examiné sa plainte déposée en application du Code ont tiré les bonnes conclusions. Notre Cour et la CCDP ne siègent pas en appel de ces décisions.

III. La norme de contrôle

[15] Le rôle de notre Cour est uniquement d’établir si la Cour fédérale a appliqué la norme de contrôle appropriée aux questions dont elle était saisie et si elle l’a appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 aux para. 45 à 46, [2013] 2 R.C.S. 559, confirmé récemment dans l’arrêt Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42 au para. 12, [2021] A.C.S. no 42 (QL)).

[16] En l’espèce, il ne fait aucun doute que la Cour fédérale a appliqué la norme de contrôle appropriée aux deux questions principales dont elle était saisie. En d’autres termes, la norme de la décision raisonnable s’applique à la conclusion sur la question de savoir si la plainte de M. Rosianu justifiait un examen et la norme de la décision correcte s’applique aux divers manquements allégués à l’équité procédurale.

[17] Cela signifie que notre Cour doit porter son attention sur la décision de la CCDP, car nous devons essentiellement nous mettre à la place de la Cour fédérale, sauf pour ce qui est des deux questions soulevées à l’égard de la décision initiale de la Cour fédérale sur l’opposition de Western à la production par M. Rosianu de certains éléments de preuve par affidavit. Cette partie de la décision doit être examinée selon les normes indiquées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Plus précisément, notre Cour doit examiner les questions de droit selon la norme de la décision correcte et les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.

IV. Les questions en litige

[18] D’après l’avis d’appel et le mémoire des faits et du droit de quatre pages de l’appelant, il semble que les principales questions en litige en l’espèce peuvent être énoncées de la manière suivante :

  1. i.La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en décidant de radier une partie des éléments de preuve par affidavit produits par M. Rosianu?

  1. La Cour fédérale a-t-elle violé le droit de M. Rosianu à l’équité procédurale lorsqu’elle a entendu les observations de Western sur cette question préliminaire avant d’entendre le témoignage de M. Rosianu?

La CCDP a-t-elle violé les droits de M. Rosianu à l’équité procédurale?

C. La conclusion de la CCDP selon laquelle, compte tenu de toutes les circonstances, l’examen plus approfondi de la plainte de M. Rosianu n’était pas justifié était-elle déraisonnable?

V. Analyse

[19] Avant de m’intéresser au caractère raisonnable de la décision de la CCDP, je commence par examiner si la Cour fédérale a violé les droits de M. Rosianu en matière d’équité procédurale et si elle a commis une erreur en décidant de radier une partie des éléments de preuve par affidavit de M. Rosianu.

[20] Bien qu’aux paragraphes 10 à 13 de son avis d’appel, M. Rosianu ait allégué que la CCDP a agi de mauvaise foi, il a omis de fournir des éléments de preuve convaincants à l’appui de ces allégations très graves. Je n’ai pas l’intention d’en dire plus à cet égard, car ces allégations sont simplement dénuées de fondement. En outre, l’allégation de M. Rosianu selon laquelle il avait éprouvé de la difficulté à déposer sa plainte, qui avait été initialement perdue, et d’autres allégations semblables (mentionnées dans le mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 16) ne suffisent pas à étayer ses arguments.

A. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en décidant de radier une partie des éléments de preuve par affidavit produits par M. Rosianu? Ce faisant, a-t-elle violé le droit de M. Rosianu à l’équité procédurale?

[21] J’examinerai d’abord, à ce sujet, l’allégation d’une seule phrase de M. Rosianu selon laquelle la Cour fédérale a violé ses droits en matière d’équité procédurale en entendant Western avant de l’entendre.

[22] Il ne fait absolument aucun doute que la Cour fédérale pouvait demander aux parties d’examiner d’abord l’opposition de Western relativement à l’admissibilité d’éléments de preuve par affidavit qui lui étaient présentés. Il s’agissait d’une question de procédure qu’il fallait trancher avant de juger l’affaire sur le fond.

[23] Étant donné que Western a soulevé cette question préliminaire dans ses observations écrites présentées à la Cour fédérale, cette dernière devait entendre l’intimée en premier à ce sujet. En outre, M. Rosianu a, sans conteste, eu l’occasion de présenter des réponses complètes aux observations de Western au sujet de cette question préliminaire. Dès que cela a été fait, M. Rosianu a été invité à présenter ses observations sur le fond.

[24] Bien qu’on ne sache trop si c’est M. Rosianu qui a soulevé la question, je note que la Cour fédérale est allée plus loin que ce que demandait Western et qu’elle a également décidé de radier les documents déposés par Western, puisqu’ils n’avaient pas auparavant été produits auprès de la CCDP. En agissant ainsi, la Cour fédérale a appliqué la règle générale voulant que les éléments de preuve pris en considération lors d’un contrôle judiciaire se limitent à ceux dont disposait le décideur administratif.

[25] L’allégation de M. Rosianu selon laquelle la Cour fédérale a violé ses droits procéduraux n’est donc pas fondée. Il semble plutôt qu’il n’a pas pleinement compris la distinction qui existe entre une opposition préliminaire et l’audition sur le fond de sa demande de contrôle judiciaire. C’est compréhensible, car même si M. Rosianu est titulaire d’une maîtrise en électronique, il n’a pas de formation juridique.

[26] Je me penche maintenant sur la décision de radier les éléments de preuve par affidavit visés aux paragraphes 32, 33 et 34 des motifs de la Cour fédérale.

[27] M. Rosianu soutient devant notre Cour que la Cour fédérale a violé son droit de présenter les éléments de preuve de son choix. Selon lui, la Cour fédérale n’a tenu compte ni du témoignage de M. Norm Young, l’employeur pour lequel il travaille à temps partiel depuis dix ans (en tant que concierge), ni de celui de M. Tibor Kovacs, un camionneur qui a travaillé pour une société de camionnage sœur. M. Rosianu avait présenté leurs affidavits à l’appui de sa crédibilité ainsi que de sa thèse selon laquelle il avait été congédié sans motif valable. Ces témoignages visaient à établir qu’il était un bon employé, digne de confiance.

[28] Il n’existe pas de droit absolu de produire des éléments de preuve dans une demande de contrôle judiciaire. Comme l’a indiqué la Cour fédérale, le dossier de preuve se limite généralement à ce dont disposait le décideur administratif (motifs de la Cour fédérale au para. 28, renvoyant à l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para. 19, [2012] A.C.F. no 93 (QL) [Canadian Copyright Licensing Agency]). Il n’existe que quelques exceptions à cette règle, par exemple lorsqu’il s’agit de fournir des renseignements de nature générale ou des renseignements importants nécessaires pour établir s’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Ces exceptions sont expliquées en détail dans l’arrêt Canadian Copyright Licensing Agency, au paragraphe 20.

[29] De plus, comme l’a expliqué la Cour fédérale, il existe des principes généraux qui s’appliquent à la preuve par affidavit (dans ce contexte, plus précisément, la Règle 81(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106), par exemple, elle ne peut pas contenir d’arguments, d’opinions, ni de ouï-dire. Enfin, la preuve doit être utile à la Cour pour trancher une question dont elle est saisie. Comme je l’ai mentionné plus haut, ce n’était pas le rôle de la Cour d’établir, sur le fondement de nouveaux éléments de preuve, si Western avait congédié M. Rosianu pour un motif valable sous le régime du Code. Elle n’était pas non plus saisie en bonne et due forme d’une véritable question de crédibilité. Je note aussi que ni Western ni M. Rosianu n’ont soutenu devant la Cour fédérale que l’emploi à temps partiel constituait un facteur ayant contribué au congédiement ou qu’il était lié de quelque façon que ce soit à l’allégation de traitement discriminatoire fondée sur une déficience (motifs de la Cour fédérale au para. 34). M. Rosianu ne peut pas faire valoir ces arguments maintenant.

[30] Après avoir examiné tous les éléments de preuve radiés, je conclus que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en appliquant les principes juridiques appropriés aux faits en l’espèce. Dans son examen, elle n’a pas commis d’erreur de droit susceptible de contrôle ni d’erreur manifeste et dominante qui justifierait l’intervention de notre Cour.

B. La CCDP a-t-elle violé les droits de M. Rosianu à l’équité procédurale?

[31] On ne sait trop si M. Rosianu soutient encore que la CCDP ne pouvait pas accorder de poids aux éléments de preuve par ouï-dire comme ceux de l’automobiliste qui s’est plaint de sa conduite prétendument dangereuse le 20 novembre 2013. Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec la Cour fédérale pour dire que cet argument n’est pas fondé, pour les motifs énoncés aux paragraphes 38 et 39 des motifs de son jugement.

[32] Bien qu’au paragraphe 16(6) de son mémoire des faits et du droit, M. Rosianu ait simplement indiqué que la CCDP n’a pas tenu compte des témoignages d’autres témoins qu’il avait voulu faire valoir, je crois comprendre qu’il soutient ne pas avoir été traité équitablement en raison du manque de rigueur dont avait fait preuve l’enquêtrice, notamment du fait qu’elle ait omis de [traduction] « [l’]interroger » par écrit (mémoire des faits et du droit de l’appelant au para. 16(7)). La seule observation de M. Rosianu concernant l’analyse de la Cour fédérale à cet égard était que cette dernière n’avait pas non plus fait preuve de suffisamment de rigueur. Devant notre Cour, M. Rosianu a insisté sur le fait que l’enquêtrice avait menti lorsqu’elle a affirmé qu’il avait refusé d’être interrogé et qu’en fait, ils avaient convenu que cette entrevue s’effectuerait par écrit. Je constate que ce qu’il affirme va plus loin que ce qui a été mentionné dans ses observations datées du 31 mai 2017 et présentées à la CCDP. À la page 2 de ces observations (au paragraphe 1.4), M. Rosianu a fait la déclaration suivante : [traduction] « J’ai dit à Sheriden Barnett que je ne répondrais à ses questions que par écrit et que je n’accepte pas que la transcription d’un enregistrement audio soit effectuée. » Je reviens sur ce point plus loin dans la présente analyse.

[33] Je commence par rappeler les principes juridiques applicables. D’abord, il est bien établi en droit que le processus d’enquête ne s’apparente pas à une audience et ne donne donc pas aux parties le droit absolu d’insister pour qu’un enquêteur de la CCDP interroge chaque témoin qu’elles proposent. Il ne peut être conclu au manque de rigueur d’une enquête et qu’il y a, de ce fait, un manquement à l’équité procédurale simplement parce que l’enquêteur n’a pas interrogé tous les témoins dont le nom a été avancé par une partie (Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 au para. 70). Pour conclure qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale, nous devons être convaincus que l’enquêteur a omis d’interroger les « principaux participants » qui disposaient de renseignements importants qui étayaient la plainte (Wong c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2018 CAF 101 au para. 14, [2018] A.C.F. no 564 (QL) [Wong]).

[34] De plus, la Commission et l’enquêteur sont en droit de contrôler leur propre processus, sous réserve uniquement des exigences d’équité (Wong aux para. 13, 14 et 23). Ils sont maîtres de leur propre procédure. C’est d’autant plus vrai en ce qui concerne les allégations qui ne relèvent pas de la compétence de la CCDP, comme la question de savoir si Western, en tant qu’organisation, respectait les règlements de la commission des accidents du travail ou si elle devait mettre certains équipements plus sûrs à la disposition de ses employés en général. M. Rosianu a formulé ces observations en lien avec la nécessité que sa plainte soit examinée; toutefois, ce sujet ne se rapporte pas au motif de discrimination invoqué dans sa plainte et ces questions ne relèvent pas du mandat de la CCDP.

[35] En l’espèce, il ressort clairement du dossier dont dispose la CCDP que M. Rosianu a présenté son opinion concernant tous les témoins qui auraient pu avoir été interrogés ou qui auraient dû l’être. Il est également manifeste qu’il pensait que la grande majorité de ces témoins ne pouvaient pas fournir de réponses franches, car ils étaient encore employés par Western. Ainsi, M. Rosianu a affirmé que la bonne façon d’obtenir des éléments de preuve complets était de lui permettre (et vraisemblablement de permettre à Western) de poser les questions auxquelles les témoins devraient répondre. En outre, il a affirmé que, s’il n’était pas possible de joindre deux de ces témoins qui ne travaillaient plus chez Western, comme MM. Al Said ou Miller, il devait en être informé afin qu’il puisse faire appel à un avocat pour les localiser. Il ressort de ces observations que M. Rosianu pensait qu’il pouvait lui-même correctement diriger l’enquête.

[36] Quoi qu’il en soit, M. Rosianu a omis d’inclure des détails quant aux renseignements importants que MM. Al Said ou Miller auraient fournis à l’égard du motif de sa plainte dans les éléments de preuve par affidavit déposés à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Malgré les observations qu’il a exposées à la CCDP, il ne semble pas avoir jugé nécessaire de localiser ces personnes et de présenter leurs témoignages à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. M. Al Said a quitté Western avant la période pertinente, durant laquelle il y aurait eu discrimination, donc je suppose qu’il ne pouvait mentionner qu’une conversation antérieure qu’il aurait eue avec M. Rosianu au sujet d’une possible augmentation (qu’il n’avait pas lui-même accordée à M. Rosianu avant son départ de l’entreprise) ou de son emploi à temps partiel. M. Al Said n’aurait certainement pas été en mesure de dire si, sur le fondement de son dossier d’emploi en 2012 et 2013, M. Rosianu méritait d’obtenir cette augmentation. M. Rosianu n’a jamais indiqué qu’il avait été obligé de décharger des marchandises lourdes avant de subir sa chirurgie pour traiter une hernie.

[37] Quant à M. Miller, d’après la plainte et les observations subséquentes de M. Rosianu, je crois comprendre que, dans le meilleur des cas, il aurait pu confirmer que M. Rosianu s’était informé au sujet d’un nouveau camion et que l’emploi à temps partiel que M. Rosianu occupait à l’extérieur de Western ne lui posait personnellement aucun problème. Comme l’a indiqué M. Rosianu à l’enquêtrice, à la page 5 de sa lettre du 15 juillet 2016, il a toujours eu un vieux camion. Après que son ancien camion a été mis au rebut en juin 2013, M. Decker a au départ convenu qu’il pourrait se rendre à Toronto en vue de lui procurer un camion neuf; mais un nouveau programme exigeant que tous les nouveaux camions soient utilisés pour les activités dans l’Est canadien est entré en vigueur chez Western. Ainsi, comme l’a fait remarquer M. Rosianu, [traduction] « [l]e terminal de Coquitlam a donc toujours été desservi par les camions les plus anciens, qui présentaient des problèmes mécaniques et qui étaient moins confortables ». Enfin, en ce qui concerne son emploi à temps partiel, les conditions dont il avait été convenu à cet égard auraient pu être portées à l’attention de la direction actuelle de Western. En l’espèce, je ne vois aucune question qui pouvait nécessiter une enquête plus poussée.

[38] Une fois de plus, il n’y avait aucun élément de preuve qui établissait un lien entre ces observations et les motifs de discrimination invoqués dans la plainte de M. Rosianu. Cela explique bien pourquoi l’enquêtrice n’a pas considéré ces témoins comme étant des « principaux participants » qui détenaient des renseignements importants à l’appui de la plainte. D’une façon plus générale, la question de savoir s’ils pouvaient donner plus de poids à la crédibilité de M. Rosianu sur des questions secondaires n’est pas particulièrement pertinente, car, comme il en est question dans la section suivante, la crédibilité de M. Rosianu n’était pas en jeu à l’étape de l’examen préalable.

[39] J’en viens maintenant à la décision de l’enquêtrice d’interroger la personne chargée des Ressources humaines, plutôt que Mme Waring. Il faut se rappeler que Mme Waring, qui était en congé lorsque les entrevues ont été effectuées, était la personne chez Western qui a répondu par écrit, le 25 juin 2016, aux demandes de Mme Rittersporn relativement aux questions principales découlant de la plainte de M. Rosianu. Mme Waring a également signé l’affidavit produit auprès de la Cour fédérale, et rien n’indique qu’elle possédait des renseignements à l’appui de la plainte. Si M. Rosianu avait voulu démontrer qu’elle était effectivement en possession de tels renseignements étayant les observations qu’il a présentées à la Cour fédérale, il aurait pu la contre-interroger.

[40] Je ne suis donc pas convaincue que l’enquête était manifestement déficiente du fait que l’enquêtrice avait exclu des participants principaux ou qu’elle avait omis de rechercher des renseignements documentaires cruciaux indiqués par M. Rosianu à l’appui de sa plainte.

[41] J’examine maintenant l’allégation grave selon laquelle l’enquêtrice a menti dans son rapport lorsqu’elle a affirmé que M. Rosianu n’avait pas accepté d’être [traduction] « interrogé ». D’abord, je fais observer que ce terme que les enquêteurs utilisent est normalement interprété comme renvoyant à une conversation en personne ou à distance. Dans ses observations écrites datées du 31 mai 2017 présentées à la CCDP, M. Rosianu a confirmé qu’il ne souhaitait pas avoir de telle conversation. Comme cela a été dit au paragraphe 32 ci-dessus, dans la conversation téléphonique mentionnée par M. Rosianu, ce dernier a demandé à l’enquêtrice de lui transmettre ses questions, si elle en avait, par écrit, afin qu’il puisse y répondre par écrit. Selon M. Rosianu, cet appel a eu lieu en mars 2017. Cependant, cette date est bien postérieure à sa réponse de 49 pages à Mme Rittersporn de la Division des enquêtes, le 15 juillet 2016 (après qu’elle lui avait vraisemblablement demandé de répondre aux observations de Western et d’ajouter d’autres détails et documents pertinents à l’appui de sa plainte; sa lettre ne figure pas dans le dossier dont notre Cour est saisie). À l’instar de la Cour fédérale, je ne peux pas conclure qu’à cette étape, le fait qu’on ne lui ait pas envoyé de questions supplémentaires constituait une violation de ses droits en matière d’équité procédurale. Je note en outre qu’à l’instar de la Cour fédérale, ce sujet important n’est pas du tout mentionné dans l’affidavit de M. Rosianu. Ce dernier a concédé, lors de l’audience devant notre Cour, qu’il n’y avait aucun élément de preuve à l’appui de cette allégation. Rien ne justifie donc l’intervention de notre Cour pour ce motif.

[42] Je ne fais que commenter brièvement l’observation de M. Rosianu selon laquelle l’enquêtrice aurait dû consulter un expert médical ou son médecin si le certificat médical et les documents qu’il a présentés en juillet 2016 ne la convainquaient pas qu’il avait besoin de mesures d’adaptation après la période expressément énoncée dans les documents en question. Je ne souscris pas à cet argument. M. Rosianu a présenté tous les éléments de preuve que son médecin lui avait fournis et qu’il avait remis à son employeur. C’est sur ce fondement que des prestations d’invalidité lui ont été versées en octobre et en novembre 2011. L’enquêtrice avait le droit de se fonder sur ces éléments de preuve documentaire sans équivoque, étant donné que M. Rosianu n’avait pas indiqué qu’il avait reçu des renseignements supplémentaires provenant de son médecin. Je note que, dans ces circonstances, il ne pouvait pas avoir communiqué plus de renseignements à Western.

[43] Si M. Rosianu pensait qu’il existait d’autres éléments de preuve d’expert importants que l’enquêtrice devait examiner, il lui incombait de les présenter à la CCDP. C’est d’autant plus le cas lorsqu’on tient compte du fait que M. Rosianu a été invité à formuler des observations sur le rapport d’enquête. C’était le moment de produire ces éléments de preuve s’ils étayaient effectivement sa plainte.

[44] Je conclus également que la CCDP s’est acquittée de son obligation d’informer M. Rosianu des aspects essentiels de la preuve que l’enquêtrice avait obtenue et que M. Rosianu a eu l’occasion de pleinement comprendre la nature de la preuve qu’on allait lui opposer et d’y répondre. On lui a donné équitablement l’occasion de répondre aux observations de Western et au rapport d’enquête.

[45] Je conclus que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en établissant que la CCDP n’avait pas violé les droits de M. Rosianu.

VI. Le caractère raisonnable de la décision de la CCDP

[46] Je divise la présente analyse en trois parties principales : A) le contexte dans le cadre duquel la CCDP a exercé sa fonction d’examen préalable, B) la thèse de M. Rosianu par rapport à celle de l’enquêtrice et de la CCDP et C) l’appréciation des principaux arguments avancés.

A. La fonction d’examen préalable exercée par la CCDP

[47] Premièrement, je rappelle que la CCDP exerce une fonction d’examen préalable et de gardien, contrairement notamment au Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) qui joue un rôle décisionnel. Cela signifie que la CCDP n’est pas chargée de juger la crédibilité des éléments de preuve qui ont été recueillis (sauf peut-être dans des cas extrêmes, où c’est évident). Elle n’examine que s’ils sont suffisants pour donner un fondement raisonnable à la plainte. Aux termes du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi, le législateur confère à la CCDP un large pouvoir discrétionnaire et la latitude requise pour rejeter des affaires à l’étape de l’examen préalable.

[48] À cet égard, il faut rappeler, comme l’a récemment noté notre Cour dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ennis, 2021 CAF 95 au para. 66, [2021] 4 R.C.F. 154 [Ennis], que, si on ne procédait pas à des examens préalables adéquats, une pression inutile serait exercée sur les ressources décisionnelles limitées (du TCDP) disponibles, ce qui limiterait effectivement l’accès à la justice (c’est-à-dire que cela causerait des retards) pour un grand nombre des plaignants dont les allégations sont valables (c’est-à-dire bien étayées par des éléments de preuve). La décision concernant l’examen préalable est donc ancrée sur les politiques administratives et intrinsèquement tributaire des faits.

[49] Comme il est également noté dans l’arrêt Ennis, la simple possibilité qu’il y ait discrimination ne suffit pas pour justifier l’examen devant le TCDP. Autrement, la fonction d’examen préalable de la CCDP serait considérablement affaiblie, car on peut presque toujours affirmer qu’un examen plus approfondi mettrait au jour des éléments de preuve pertinents. De plus, un plaignant comme M. Rosianu devrait rassembler des éléments de preuve pour étayer sa plainte déposée auprès du TCDP. Sa capacité de le faire est illustrée par ce qu’il a fait devant la CCDP, étant donné que cette dernière ne dispose pas des ressources nécessaires pour toujours intervenir afin d’aider les plaignants à le faire.

B. L’essentiel de la thèse de M. Rosianu par rapport à la thèse de l’enquêtrice et de la CCDP

[50] À la lumière de ces considérations, je compare maintenant brièvement ce qui, à mon avis, est l’essentiel de la thèse de M. Rosianu avec la thèse de l’enquêtrice et de la CCDP.

[51] M. Rosianu estime que son dossier d’emploi ne justifiait pas son congédiement. Par conséquent, il conclut ou déduit qu’il ne pouvait y avoir qu’un seul motif à son congédiement et aux autres questions d’intimidation qu’il a soulevées : son refus de décharger des marchandises lourdes parce qu’il craignait que sa hernie, qui avait été traitée par une chirurgie en octobre 2011, ne se forme de nouveau.

[52] Je dis cela parce que M. Rosianu ne conteste pas le fait qu’il a reçu du service de police de Vancouver une contravention pour excès de vitesse le 13 mars 2012, après que M. Erick Haines, le directeur de la sécurité et de la conformité de Western, l’a informé de vive voix, le 7 mars 2012, qu’il avait fait un excès de vitesse et que son camion serait équipé d’un régulateur de vitesse s’il ne changeait pas de comportement (bien que M. Rosianu affirme néanmoins, au paragraphe 10 de son affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, que le policier a prétendu qu’il avait dépassé la limite de vitesse dans une zone de construction). M. Rosianu ne conteste pas non plus le fait qu’après cet incident, Western a limité la vitesse sur son camion à 105 kilomètres à l’heure, à l’aide d’un régulateur de vitesse. Plutôt que de considérer ce régulateur comme un avertissement supplémentaire de la part de son employeur, il pense encore qu’il s’agissait d’une mesure ridicule, car elle ne l’aurait pas empêché de faire des excès de vitesse dans les zones concernées.

[53] En outre, M. Rosianu ne conteste pas que, le 20 novembre 2013, alors qu’un essieu était bloqué et que deux pneus étaient crevés, il a continué à conduire vers Grande Prairie (là où se trouvent les installations du client) au lieu de se rendre au terminal d’Edmonton, conformément aux instructions qu’il avait reçues. M. Rosianu ne conteste pas non plus le fait que l’automobiliste qui s’est plaint auprès de Western ce jour-là l’avait interpelé pour l’aviser du problème. M. Rosianu affirme plutôt que ces motifs ne justifient pas son congédiement parce qu’il était un bon chauffeur de camion, que son permis n’a jamais été suspendu et qu’il possédait un document d’assurance « road star ». Cela explique aussi pourquoi il est si important pour lui de discréditer les conclusions liées à la plainte qu’il a déposée au titre de la partie III du Code.

[54] L’enquêtrice n’a toutefois pas conclu que les éléments de preuve recueillis constituaient un fondement raisonnable étayant la déduction tirée par M. Rosianu. Elle a d’abord noté qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve, plus précisément la conclusion de l’inspecteur d’EDSC datée du 11 mars 2014, qui étayaient le fait que le dossier de M. Rosianu et les incidents énumérés dans la lettre de congédiement constituaient un motif valable de congédiement. Elle a également mentionné le moment où est survenu le congédiement, lequel jouait contre cette inférence : précisément, Western a mis fin à l’emploi de M. Rosianu 24 mois complets après qu’il a subi une chirurgie pour traiter une hernie.

[55] Ces faits font partie intégrante du contexte général d’une affaire dans laquelle les éléments de preuve produits par M. Rosianu ne démontrent pas comme il le faudrait que ce dernier avait besoin de mesures d’adaptation. Je remarque que dans l’évaluation des limitations fonctionnelles possibles de M. Rosianu par son médecin, après sa chirurgie, il a été déclaré apte à retourner au travail, le 28 novembre 2011. M. Rosianu ne conteste pas ces éléments de preuve. M. Rosianu soutient que l’enquêtrice aurait dû aller plus loin en consultant un expert médical ou son médecin.

[56] En outre, aucun élément de preuve montrant que M. Rosianu a été obligé à décharger des marchandises lourdes n’a été présenté à l’enquêtrice.

[57] À cet égard, j’observe que M. Rosianu a reconnu, dans ses observations finales présentées à la CCDP, qu’aucun des témoins principaux qu’il avait désignés, comme MM. Fernandes et Prichard, ne pouvait affirmer qu’il chargeait ou déchargeait des remorques au terminal de Kelowna, car il refusait simplement de le faire. Il a fait cette affirmation dans un dossier où l’élément central de la plainte de M. Rosianu pouvant avoir un lien avec sa déficience était que, [traduction] « [m]algré mes avertissements, [M. Decker] a continué de me forcer à décharger des remorques et de ne faire aucun effort pour trouver des mesures d’adaptation pour ma déficience ».

[58] Je note que M. Rosianu ne peut pas invoquer le dernier paragraphe de la première page de sa lettre de congédiement pour établir que son emploi chez Western l’obligeait à décharger des marchandises. Les événements du 20 novembre 2013 n’étaient pas habituels. M. Rosianu a pris la décision de se rendre à l’entrepôt du client, à Grande Prairie. Le client ne s’attendait pas à ce que cette remorque arrive, et son déchargement n’était pas prévu. Pour ce motif, le client aurait pu simplement refuser la livraison. Au lieu de cela, il a accepté de prendre la remorque uniquement à condition que M. Rosianu aide son personnel à la décharger. Selon le client qui s’est plaint auprès de Western, il ne l’a pas vraiment fait (seulement cinq minutes).

[59] Cet événement n’est pas attribuable à Western. Ce jour-là, M. Rosianu n’était pas tenu par son employeur de décharger sa remorque. En fait, ce jour-là, il n’a pas suivi les instructions de son employeur. Cette situation ne s’est produite que parce que M. Rosianu a lui-même décidé d’agir comme il l’a fait. Ces faits essentiels ne sont pas contestés. M. Rosianu explique plutôt qu’il avait une bonne raison d’agir comme il l’a fait et qu’il a en fait aidé le client.

C. Les principaux arguments

[60] Je vais maintenant passer aux arguments qui nous ont été présentés. M. Rosianu soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en considérant que le rapport d’enquête faisait partie intégrante des motifs de la décision de la CCDP et que, quoi qu’il en soit, la décision n’était pas suffisamment motivée. Selon lui, la CCDP n’a pas correctement examiné la raison pour laquelle sa plainte avait été rejetée. Il fait valoir que la CCDP aurait dû analyser tous ses arguments et expliquer pourquoi elle ne les avait pas retenus et qu’elle aurait dû aussi expliquer pourquoi elle avait jugé les éléments de preuve présentés par Western plus dignes de foi que ses propres observations.

[61] M. Rosianu n’a renvoyé qu’à trois (3) paragraphes du rapport d’enquête dans son avis d’appel et son mémoire des faits et du droit : les paragraphes 5, 9 et 10. En ce qui concerne les paragraphes 5 et 10, il a affirmé que les déclarations écrites fournies à l’enquêtrice, ainsi que sa demande d’emploi datée du 26 janvier 2011, ne pouvaient pas être prises en considération, car elles ne faisaient pas partie du dossier certifié. Selon lui, cela signifiait que la CCDP avait rejeté ces éléments de preuve.

[62] En ce qui concerne le paragraphe 9, dans lequel l’enquêtrice a énoncé les faits comme M. Rosianu les a lui-même présentés, M. Rosianu a affirmé que l’inspecteur a commis une erreur. En fait, il avait affirmé qu’avant les nouveaux changements apportés par M. Decker, il pouvait adapter les horaires de son emploi à temps partiel à ceux de son emploi chez Western. Selon M. Rosianu, l’enquêtrice aurait pu éviter cette erreur en interrogeant M. Al Said. Étant donné que je ne constate aucune erreur dans le contenu du paragraphe 9 du rapport d’enquête, je n’en dirai pas plus sur ce paragraphe. La question de savoir si l’enquêtrice aurait pu inclure d’autres détails concernant son travail précédent auprès de M. Al Said et les conséquences liées au fait de devoir effectuer des déplacements les dimanches ne sont pas pertinentes. Il ne s’agit pas d’une question importante et elle n’a aucune incidence sur le caractère raisonnable de la décision de la CCDP.

[63] Les seuls autres détails fournis par M. Rosianu étaient que l’enquêtrice aurait dû mentionner que M. Decker lui avait demandé de remplacer M. Prichard pendant les congés de ce dernier (avis d’appel au para. 8). Premièrement, il est évident que ce remplacement n’aurait pas fait partie des fonctions régulières de M. Rosianu en tant que conducteur de grand routier et que, quoi qu’il en soit, il avait refusé de le faire. Deuxièmement, il a fait allusion à ce fait seulement d’une manière quelque peu ambiguë, à la page 3 de ses observations du 15 juillet 2016. Il ne s’agit pas non plus d’une question importante.

[64] Enfin, M. Rosianu affirme qu’il incombait à Western de lui demander de se soumettre à un examen médical (un examen d’aptitude au travail) lorsqu’il a signé son nouveau formulaire de demande d’emploi le 26 avril 2012 (avis d’appel au para. 14). Cet argument ne semble pas avoir été soulevé dans ses observations antérieures. Notre Cour, lorsqu’elle se penche sur le caractère raisonnable de la décision de la CCDP, ne peut pas examiner de nouveaux arguments présentés après coup et dont le décideur administratif ne disposait pas lorsqu’il a rejeté sa plainte.

[65] Comment M. Rosianu peut-il s’attendre à ce que notre Cour énonce des motifs précis et exhaustifs lorsqu’il n’indique pas quelle partie de ses observations ou de ses éléments de preuve documentaire était si importante et convaincante qu’elle justifiait une analyse détaillée dans le rapport de l’enquêtrice? Assurément, aucune des parties visées aux paragraphes 61 à 64 ci-dessus ne peut être considérée comme telle. Comme l’a mentionné notre Cour il y a plusieurs années dans l’arrêt Remo imports ltd. c. Jaguar cars limited, 2007 CAF 258 au para. 20, [2008] 2 R.C.F. 132, les juges siégeant en appel n’ont pas à jouer au détective : on ne peut pas s’attendre à ce que nous parcourions le dossier pour compléter les allégations générales formulées par une des parties à l’appel.

[66] Dans les présents motifs, je suis allée au-delà de ce à quoi on peut s’attendre dans le cadre d’un contrôle pour assurer à M. Rosianu que notre Cour a examiné très sérieusement sa cause. Il y a toutefois une limite. J’ai lu et examiné tout ce qu’il a écrit et dit. Cependant, je ne discute que les principales questions dont notre Cour est saisie.

D. Le rapport d’enquête constitue le raisonnement de la CCDP

[67] Je commence par l’allégation selon laquelle la Cour fédérale a commis une erreur en considérant que le rapport de l’enquêtrice faisait partie intégrante du raisonnement de la CCDP.

[68] En l’espèce, la décision de la CCDP était simplement la suivante :

[69] [traduction] Avant de rendre sa décision, la Commission a examiné le rapport qui vous a déjà été communiqué ainsi que toute autre observation présentée en réponse au rapport. Après avoir examiné ces renseignements, la Commission a décidé, en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter la plainte au motif que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié.

[70] Il est bien établi en droit que les tribunaux peuvent considérer que le rapport de l’enquêteur constitue le raisonnement principal de la CCDP. Comme je l’explique ci-dessous, ce principe a été établi plusieurs années avant que la CCDP suive la recommandation de l’enquêtrice et rende la décision contestée.

[71] L’arrêt de principe sur cette question est Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392, où notre Cour a formulé les observations suivantes, au paragraphe 37 :

[72] Selon moi, l’argument de l’appelant à cet égard doit être rejeté. Il est vrai que l’enquêteur et la Commission sont deux entités « à bien des égards distinctes » (Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak (1995), 180 N.R. 152, [1995] 2 C.F. 455, au paragraphe 21, le juge MacGuigan (avec l’appui du juge Décary)), mais il est également bien établi qu’aux fins d’une décision de la Commission en conformité avec le paragraphe 44(3) de la Loi, l’enquêteur n’est pas qu’un simple témoin indépendant devant la Commission (Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, au paragraphe 25 [SEPQA]). L’enquêteur établit son rapport à l’intention de la Commission et, par conséquent, il mène l’enquête en tant que prolongement de la Commission (SEPQA, précité, au paragraphe 25). Lorsque la Commission adopte les recommandations de l’enquêteur et qu’elle ne présente aucun motif ou qu’elle fournit des motifs très succincts, les cours ont, à juste titre, décidé que le rapport d’enquête constituait les motifs de la Commission aux fins de la prise de décision en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi (SEPQA, précité, au paragraphe 35; Bell Canada c Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (1999) 167 DLR (4th) 432, [1999] 1 C.F. 113, au paragraphe 30 (C.A.) [Bell Canada]; Société Radio‑Canada c. Paul (2001), 274 N.R. 47, 2001 CAF 93, au paragraphe 43 (C.A.)).

[73] Ce principe a depuis été appliqué de façon uniforme, notamment par notre Cour (voir, par exemple, Love c. Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), 2015 CAF 198 au para. 10, 2015 CarswellNat 9243 (WL Can); Harvey c. Via Rail Canada Inc., 2020 CAF 95 au para. 4, 2020 CarswellNat 4552 (WL Can)).

[74] De toute évidence, la situation diffère lorsque la CCDP décide de ne pas suivre la recommandation de l’enquêteur (voir Ennis au para. 72). En pareil cas, elle doit expliquer pourquoi elle a décidé de ne pas le faire. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[75] J’ai examiné l’essentiel de la présente plainte, les quelques faits importants en litige et le contexte général, lesquels nécessitaient uniquement que la CCDP établisse s’il y avait suffisamment d’éléments de preuve (un fondement raisonnable) à l’appui de la plainte après une enquête raisonnablement approfondie. Je conclus que, bien que la décision de la CCDP soit quelque peu succincte et imparfaite, elle est suffisamment justifiée, transparente et intelligible pour satisfaire à la norme de la décision raisonnable. La perfection n’est pas le critère qui s’applique en l’espèce.

[76] Je comprends très bien pourquoi la CCDP a jugé que les éléments principaux de la plainte n’étaient pas suffisamment étayés.

[77] Au vu des circonstances de l’espèce, je ne peux pas conclure que le défaut de la CCDP de traiter en détail de toutes les observations de M. Rosianu rend la décision déraisonnable. Je ne vois pas de question ni d’élément de preuve importants qui auraient dû être examinés plus précisément pour que le décideur puisse arriver à la décision en question.

[78] La conclusion selon laquelle l’examen de la plainte n’était pas justifié était l’une des issues possibles auxquelles la CCDP pouvait arriver eu égard au dossier dont elle disposait. Je conclus donc qu’en l’espèce, la Cour fédérale a correctement appliqué la norme de la décision raisonnable.

VII. Conclusion

[79] Je rejetterais le présent appel avec dépens, fixés à 500 $.

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Judith Woods j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Eleanor R. Dawson j.s.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LE JUGE EN CHEF PAUL S. CRAMPTON LE 30 JUILLET 2019, DOSSIER NO T-1376-17

DOSSIER :

A-300-19

 

 

INTITULÉ :

VIOREL MARIAN ROSIANU c. WESTERN LOGISTICS INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 novembre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LA JUGE SUPPLÉANTE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 17 décembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Viorel Marian Rosianu

l’appelant

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Heather L. Jones

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour l’intimée

 

 

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