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Date : 20211117


Dossier : A-38-20

Référence : 2021 CAF 222

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE SUPPLÉANTE DAWSON

 

 

ENTRE :

BOLAT UVALIYEV

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 26 octobre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE SUPPLÉANTE DAWSON

 


Date : 20211117


Dossier : A-38-20

Référence : 2021 CAF 222

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE SUPPLÉANTE DAWSON

 

 

ENTRE :

BOLAT UVALIYEV

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1] Le demandeur, M. Bolat Uvaliyev, présente une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (la division d’appel), qui a jugé qu’il n’était pas admissible aux prestations prévues par la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi) parce qu’il n’a pas épuisé toutes les solutions raisonnables avant de quitter son emploi. Selon le paragraphe 30(1) de la Loi, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi s’il quitte volontairement son emploi en l’absence de quelque justification prévue à l’alinéa 29c).

[2] Le demandeur travaillait chez Kartners, une société de commerce de détail offrant un service d’expédition, et y occupait un emploi qu’il avait initialement trouvé par l’intermédiaire d’une agence de placement, WorkBC (l’agence). Dans sa demande à la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission), le demandeur alléguait que Kartners lui avait promis de l’engager directement et d’augmenter son salaire à 20 $ l’heure, en hausse par rapport aux 16 $ l’heure qu’il touchait aux termes de son contrat avec l’agence.

[3] Il alléguait également qu’il avait été embauché à titre de représentant du service à la clientèle-expéditeur, et que ses tâches devaient consister à emballer et à expédier de petites boîtes. Or, Kartners l’a plutôt affecté au déchargement de boîtes lourdes entreposées dans des conteneurs. Il alléguait aussi qu’un superviseur et un collègue s’addressaient à lui en utilisant un langage blasphématoire et grossier et qu’il avait été victime d’un accident de travail durant sa première semaine de travail lorsqu’il est tombé d’une échelle en soulevant une boîte lourde.

[4] La Commission a rejeté sa demande le 26 août 2019, pour le motif qu’il avait quitté son emploi volontairement sans motif valable et que ce départ volontaire n’était pas la seule solution raisonnable qui s’offrait à lui. Après réexamen, la Commission a confirmé sa décision le 4 septembre 2019.

[5] En appel, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (la division générale) a pris acte du fait que le demandeur s’attendait à être payé 20 $ l’heure, de ses préoccupations au sujet de la sécurité en milieu de travail et de ses relations conflictuelles avec ses collègues. Cependant, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la division générale a conclu que le demandeur n’avait pas de motif valable de quitter son emploi; non seulement n’a-t-il pas tenté de discuter avec son employeur de son salaire ou des relations conflictuelles avec ses collègues, mais il n’a pas cherché non plus un autre emploi avant de démissionner ni demandé à l’agence de l’aider à trouver un nouvel emploi.

[6] Le 13 janvier 2020, la division d’appel a rejeté l’appel interjeté à l’encontre de cette décision. La division d’appel a reconnu que la division générale avait commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des éléments de preuve et des arguments du demandeur indiquant que ses fonctions avaient été modifiées de façon importante, et qu’elle avait de ce fait omis de tenir compte de toutes les circonstances du demandeur pour déterminer s’il avait des motifs valables de quitter son emploi. Malgré cela, la division d’appel en est arrivée au même résultat ultime et a conclu que le demandeur n’avait pas épuisé toutes les options raisonnables avant de quitter son emploi. Quant à la question salariale, la division d’appel a jugé que la conclusion de la division générale n’était pas incompatible avec la preuve; même si le demandeur était manifestement insatisfait de son salaire, il ne s’agissait pas d’une circonstance qui l’avait laissé sans autre solution raisonnable que celle de démissionner.

[7] Après avoir soigneusement examiné le dossier et les arguments du demandeur, je suis d’avis que la division d’appel n’a commis aucune erreur susceptible de révision en concluant qu’aucune des circonstances du demandeur, que celles-ci soient examinées individuellement ou globalement, ne constituait un motif valable qui ne laissait au demandeur aucune autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi. Il convient de rappeler que le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34, confère un rôle assez limité à la division d’appel. Celle-ci ne peut intervenir que si la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle a commis une erreur de droit ou qu’elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire. Elle ne peut pas intervenir pour la seule raison qu’elle aurait soupesé les éléments de preuve différemment. Quant à notre Cour, son rôle, dans le cadre du contrôle d’une décision de la division d’appel, consiste à déterminer si la division d’appel a appliqué les facteurs énoncés au paragraphe 58(1) d’une manière déraisonnable. Il s’agit d’une norme rigoureuse à laquelle il n’est pas facile de satisfaire : la cour de révision doit faire preuve de retenue envers un décideur ou un tribunal administratif, sauf s’il peut être démontré que la décision est fondée sur un raisonnement qui n’est pas intrinsèquement cohérent ou qu’elle n’est pas justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur elle.

[8] En l’espèce, le demandeur demande essentiellement à notre Cour d’apprécier de nouveau la preuve, notamment en ce qui a trait à son salaire. Le demandeur a répété que Kartners lui avait promis un salaire de 20 $ l’heure, mais aucun dossier tangible ni preuve directe sur ce qui avait véritablement été convenu n’ont été présentés au Tribunal de la sécurité sociale. Le demandeur s’est fondé sur un courriel rédigé par un conseiller en orientation de l’agence, dans lequel il était indiqué que le demandeur l’avait informé que son employeur augmenterait son salaire à 20 $ l’heure (dossier du défendeur, p. 176). À l’inverse, l’employeur du demandeur a informé la Commission qu’il n’avait jamais promis un salaire de 20 $ l’heure au demandeur (dossier du défendeur, p. 271). Il semble également que le demandeur aurait dit à la Commission, dans le cadre de sa demande de réexamen, qu’il avait conclu un accord avec l’agence et qu’il s’attendait à ce que l’employeur honore cet accord. Il a aussi confirmé qu’il n’avait en fait jamais conclu d’accord avec Kartners, mais qu’il s’attendait néanmoins à ce que la société l’honore (dossier du défendeur, p. 268).

[9] Eu égard à ces éléments de preuve contradictoires et en l’absence de dossiers confirmant l’accord avec l’employeur relativement au salaire de 20 $ l’heure, la division générale avait le droit de conclure qu’il était vraisemblable de croire que l’employeur n’avait jamais consenti à la hausse salariale demandée par le demandeur. Qui plus est, la division d’appel n’a pas commis d’erreur en concluant que la division générale n’a pas commis d’erreur de fait importante à cet égard. C’est clairement à la division générale qu’il incombait d’évaluer la fiabilité et la crédibilité des éléments de preuve au dossier, et le rôle de la division d’appel n’était pas de mettre en doute cette évaluation.

[10] Cela ne veut pas dire que le demandeur n’a pas véritablement cru qu’il serait payé 20 $ l’heure. Un tel malentendu, toutefois, ne serait pas un motif suffisant pour quitter son emploi prématurément. Il convient de rappeler que le but général de la Loi, comme l’a déclaré notre Cour dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Marier, 2013 CAF 39, 450 N.R. 122, par. 23, est « de procurer des prestations aux chômeurs véritables et non à ceux qui participent à leur état de chômage alors qu’il ne s’agit pas pour eux de la seule solution raisonnable » (voir aussi l’arrêt Canada (Procureur général) c. Campeau, 2006 CAF 376, 365 N.R. 161). Le fait de ne pas être satisfait de son salaire, quelle qu’en soit la raison, ne constitue pas un motif valable aux fins du paragraphe 30(1) de la Loi. Bien qu’il puisse s’agir d’un bon motif pour quitter un emploi, il incombait au demandeur d’établir l’existence d’un « motif valable » : en d’autres termes, il devait démontrer que la seule solution raisonnable pour lui était de démissionner. Il s’agit d’un critère élevé à remplir et il était raisonnable pour la division d’appel de conclure que le demandeur ne l’avait pas satisfait.

[11] La division d’appel a également examiné les autres facteurs qui, selon le demandeur, justifiaient qu’il quitte son emploi, notamment le fait que ses fonctions avaient changé considérablement, qu’il avait une relation conflictuelle avec son superviseur et que ses conditions de travail représentaient un danger pour sa santé et sa sécurité. Là encore, je suis incapable de relever quelque erreur susceptible de révision dans le raisonnement de la division d’appel ou ses conclusions sur ces questions.

[12] En ce qui a trait à la modification de ses fonctions, la division d’appel a reconnu (contrairement à la division générale) que les tâches confiées au demandeur étaient en effet plus physiques que ce qui avait été convenu au départ, mais elle a conclu que le demandeur avait été en mesure d’effectuer ces tâches durant les cinq mois pendant lesquels il a travaillé pour l’employeur. Qui plus est, le dossier montre que le demandeur ne s’est plaint du caractère rigoureux de ses nouvelles fonctions que lorsqu’il a commencé à travailler (dossier du défendeur, p. 271), qu’il n’a pas mentionné, dans l’avis qu’il a remis à son employeur, ce facteur comme étant un des motifs pour lesquels il quittait son emploi (dossier du défendeur, p. 273) et qu’il n’a pas demandé de transfert ni cherché un autre emploi avant de quitter (dossier du défendeur, p. 239 et 240). Dans ce contexte, il était raisonnable pour la division d’appel de conclure que la modification de ses fonctions n’était pas une circonstance qui ne laissait au demandeur aucune autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi.

[13] Quant aux deux autres motifs invoqués par le demandeur pour quitter volontairement son emploi, ils ne semblent pas avoir été des facteurs déterminants dans sa décision. Très peu d’éléments de preuve dans le dossier tendent à démontrer qu’il a fait l’objet de harcèlement de la part de son employeur, et il n’y a certainement rien qui montre que ce harcèlement ou ces relations conflictuelles étaient continus ou intolérables. De plus, durant un appel à la Commission, le demandeur a reconnu qu’il n’avait pas discuté de cette question avec la direction (dossier du défendeur, p. 274). Cela rend irrecevable son allégation selon laquelle la seule solution raisonnable pour lui était de quitter son emploi : Canada (Procureur général) c. Hernandez, 2007 CAF 320, 2007 CarswellNat 3319 (WL Can), par. 5.

[14] Enfin, il était raisonnable pour la division d’appel de conclure que les éléments de preuve étaient insuffisants pour étayer les allégations du demandeur selon lesquelles les conditions de travail représentaient un danger pour sa santé ou sa sécurité. Le demandeur n’a pas mentionné ce facteur comme étant une des raisons pour lesquelles il quittait son emploi (dossier du défendeur, p. 236 et 273). Bien que le demandeur ait signalé sa chute d’une échelle endommagée à WorkSafeBC, le rapport d’inspection mentionnait que l’échelle en question avait été mis hors d’état de nuire. L’inspection n’a révélé aucune autre violation à l’encontre des travailleurs transportant des objets lourds, et le demandeur n’a fourni aucun autre détail pour expliquer en quoi son milieu de travail était par ailleurs non sécuritaire. Dans les circonstances, il était justifié pour la division d’appel de conclure que les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir l’existence de conditions de travail dangereuses.

[15] Pour tous les motifs précités, je suis donc d’avis que la division d’appel n’a pas commis d’erreur en concluant que le demandeur n’avait pu établir l’existence de motifs valables pour quitter volontairement son emploi et que d’autres solutions raisonnables s’offraient à lui. La décision de la division d’appel commande un haut degré de retenue et, bien que M. Uvaliyev ait tenté de son mieux de nous convaincre du contraire, je suis incapable de trouver quelque lacune dans le raisonnement ou la décision de la division d’appel.

[16] Par conséquent, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire. Compte tenu du fait qu’aucune demande de dépens n’a été présentée, je n’adjugerais aucuns dépens.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Eleanor R. Dawson, j.s.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-38-20

 

INTITULÉ :

BOLAT UVALIYEV c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 octobre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 NOVEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Bolat Uvaliyev

 

Pour le demandeur

(pour son propre compte)

 

Arnav Patel

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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