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Date : 20211112


Dossier : A-14-21

Référence : 2021 CAF 219

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

MICHELINE HANNA

défenderesse

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE MONAGHAN

 


Date : 20211112


Dossier : A-14-21

Référence : 2021 CAF 219

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

MICHELINE HANNA

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1] Le demandeur, le procureur général du Canada, dépose une requête par écrit auprès de la Cour, en application de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et avec le consentement de la défenderesse, en vue d’obtenir une ordonnance accueillant la demande de contrôle judiciaire et annulant la mesure de redressement accordée par l’arbitre relativement au remboursement du salaire et des intérêts y afférents pour la période débutant le 10 février 2017, dans la décision rendue le 17 décembre 2020 et intitulée Hanna c. Conseil du Trésor (ministère de l’Environnement), 2020 CRTESPF 116. Les parties demandent en outre à notre Cour de rendre une ordonnance renvoyant l’affaire, afin que le montant du salaire rétroactif dû pour la période précitée soit réexaminé après que les deux parties auront eu l’occasion de présenter des éléments de preuve et des observations sur la question.

[2] La défenderesse travaillait comme gestionnaire de l’évaluation, un poste classifié au groupe et au niveau EC-06, à la Division de la vérification et de l’évaluation d’Environnement et Changement climatique Canada (l’employeur). Elle a déposé deux griefs contre son employeur. Dans le premier grief déposé le 14 avril 2014, la défenderesse alléguait que l’employeur avait omis de tenir compte des recommandations de son médecin traitant en ce qui a trait à son retour au travail et qu’il avait de ce fait manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation et enfreint la convention collective et la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la LCDP). Dans le deuxième grief déposé le 6 juillet 2015, elle contestait son licenciement pour rendement insatisfaisant, une mesure qui, alléguait-elle, constituait elle aussi un manquement à l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation ainsi qu’une violation de la convention collective et de la LCDP.

[3] Les deux griefs ont été réunis et renvoyés à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la Commission), et l’audition de l’affaire s’est déroulée du 15 au 19 août 2016, du 23 au 27 janvier 2017 et le 9 février 2017. La Commission a rendu sa décision accueillant les deux griefs le 17 décembre 2020, sans communiquer plus à fond avec les parties. À titre de mesure de redressement, la Commission a octroyé des dommages-intérêts en application de la LCDP et ordonné le remboursement de frais divers. La Commission a aussi ordonné que la défenderesse soit rétablie dans ses fonctions en date du 12 juin 2015 et que toute perte de revenu, d’avantages sociaux et de crédits lui soit remboursée, moins les retenues habituelles. Dans sa décision, la Commission a mentionné les éléments de preuve de la défenderesse qui avaient été présentés durant l’audience et qui indiquaient qu’elle avait fait des efforts en vue de trouver un autre emploi après son licenciement, mais qu’elle était toujours sans emploi à la date de l’audience. La Commission demeurait également saisie, pendant 120 jours, relativement au « calcul des sommes dues » aux termes de son ordonnance.

[4] À la suite de la décision de la Commission, le demandeur a demandé à être autorisé à présenter d’autres observations à la Commission sur la manière dont les principes d’atténuation pourraient influer sur les sommes dues pour la période consécutive à l’audience. La défenderesse, pour sa part, a affirmé que « le calcul des sommes dues » ne donnait pas à la Commission le pouvoir de modifier sa décision quant à la somme due en raison de mesures d’atténuation et que la Commission était pleinement consciente de la preuve relative aux mesures d’atténuation à l’audience. La Commission a rejeté la demande du demandeur, en concluant que le traitement des questions liées aux mesures d’atténuation ne relevait pas de sa compétence en matière de réparation et que la voie appropriée à suivre était le contrôle judiciaire : Hanna c. Conseil du Trésor (ministère de l’Environnement), 2021 CRTESPF 44.

[5] Je conviens avec les parties que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Il est bien établi que cette norme s’applique au contrôle des décisions de la Commission en général et, plus précisément, au contrôle de ses ordonnances de réparation : Canada (Procureur général) c. Gatien, 2016 CAF 3, 479 N.R. 382, par. 31; Bahniuk c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 127, 484 N.R. 10, par. 14 [arrêt Bahniuk].

[6] Il existe un large consensus en matière d’arbitrage selon lequel le revenu provenant d’un autre emploi, qui a été gagné entre la date du licenciement et la date de la réintégration, doit être déduit de tout salaire rétroactif que l’employeur est tenu de verser. Ce consensus repose sur le fait que le versement d’un salaire rétroactif, tout comme l’adjudication de quelques autres dommages-intérêts particuliers, vise à remettre l’employé dans la situation financière qui aurait été la sienne, n’eût été la conduite de l’employeur : arrêt Bahniuk, par. 22; Donald J.M. Brown et David M. Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4éd. (Toronto: Thomson Reuters, 2016) [document à feuillets mobiles], par. 2:1512.

[7] Malgré ce large consensus, la Commission, sans autre explication, a ordonné le remboursement du salaire rétroactif calculé à partir de la date du licenciement jusqu’à la date de la réintégration, sans déduire quelque revenu provenant de sources comparables à partir du 10 février 2017, ou sans tenir compte de quelque autre manière de ces autres revenus. Les parties s’entendent pour dire qu’une telle décision est déraisonnable. Comme l’a expliqué la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4th) 1, au paragraphe 131 [arrêt Vavilov], la cohérence avec les décisions antérieures d’un organisme administratif est une contrainte dont la cour de révision devrait tenir compte pour décider du caractère raisonnable d’une décision administrative. Cela ne signifie pas que les décideurs administratifs sont liés par les précédents institutionnels; cependant, s’ils choisissent de s’écarter d’une jurisprudence bien établie, ils doivent justifier leur décision.

[8] Dans l’affaire en instance, les parties reconnaissent qu’aucun élément de preuve ne permettait à la Commission de conclure que la défenderesse a été privée de revenu provenant de sources comparables entre le 10 février 2017 (la date suivant la présentation des observations finales) et le 17 décembre 2020 (la date de la décision), ou qu’elle a pris des mesures raisonnables pour éviter les pertes à l’égard desquelles des dommages-intérêts sont accordés. La décision concernant la réparation accordée pour cette période ne peut donc pas être considérée comme raisonnable selon l’arrêt Vavilov.

[9] Dans ces circonstances, je conviens avec les parties que la ligne de conduite la plus appropriée est d’annuler le salaire rétroactif accordé à titre de réparation pour la période comprise entre le 10 février 2017 et la date de la réintégration de la défenderesse et de renvoyer l’affaire à l’arbitrage afin que soit réexaminé le montant du salaire rétroactif exigible pour cette période. Il devrait y avoir tenue d’une nouvelle audience durant laquelle les parties pourront combler les lacunes de la preuve et présenter des observations à jour sur la manière dont cette preuve influe sur le salaire rétroactif dû. Cette audience permettrait également aux deux parties de se prononcer sur le droit de la défenderesse aux sommes réclamées pour cette période, en tenant compte de l’exigence relative à l’existence d’un lien suffisant entre les pertes et le congédiement et de l’obligation d’atténuer les dommages.

[10] Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir la demande de contrôle judiciaire, sans frais.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

K. A. Siobhan Monaghan, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-14-21

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. MICHELINE HANNA

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE MONAGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 novembre 2021

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Marc Séguin

Amanda Bergmann

 

Pour le demandeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le demandeur

 

Goldblatt Partners S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Ottawa (Ontario)

Pour la défenderesse

 

 

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