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Date : 20211015


Dossier : A-102-20

Référence : 2021 CAF 201

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de : LA JUGE GLEASON

ENTRE :

DROITS DES VOYAGEURS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

intervenant

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2021.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20211015


Dossier : A-102-20

Référence : 2021 CAF 201

En présence de : LA JUGE GLEASON

ENTRE :

DROITS DES VOYAGEURS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

intervenant

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE GLEASON

[1] J’ai été saisie de trois requêtes : une requête du demandeur sollicitant la divulgation de documents de l’Office des transports du Canada (l’OTC), en application des articles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, ou, subsidiairement, la délivrance d’une assignation à produire ces documents; une requête informelle du demandeur, présentée par voie de lettre, demandant l’autorisation de présenter des documents supplémentaires à la Cour relativement à la requête en divulgation; et une requête de l’OTC demandant l’autorisation d’intervenir dans la présente demande.

[2] Avant d’examiner chacune de ces requêtes, il paraît judicieux de rappeler certains faits.

[3] La demande de contrôle judiciaire sous-jacente dans le présent dossier conteste un message concernant les crédits qui a été publié sur le site Web de l’OTC, le 25 mars 2020, peu après le début de la pandémie de COVID-19. Dans ce message, l’OTC déclarait que les compagnies aériennes pourraient accorder des crédits plutôt que des remboursements aux passagers dont les vols avaient été annulés à cause de la pandémie. Le message prévoyait ce qui suit :

La pandémie de COVID-19 a gravement perturbé le transport aérien intérieur et international.

En ce qui concerne les perturbations de vol indépendantes de la volonté de la compagnie aérienne, la Loi sur les transports au Canada et le Règlement sur la protection des passagers aériens exigent seulement que la compagnie aérienne veille à ce que les passagers effectuent leur itinéraire au complet. Certains tarifs de compagnies aériennes prévoient des remboursements dans certaines situations, mais pourraient renfermer des articles qui peuvent dégager la compagnie aérienne de telles obligations dans des cas de force majeure.

Les différentes dispositions législatives, réglementaires et tarifaires ont été rédigées pour des perturbations à court terme relativement localisées. Aucune n’a été envisagée pour les types d’annulations massives de vols à l’échelle de la planète qui sont survenues au cours des dernières semaines en conséquence de la pandémie. Il est important de tenir compte de la façon dont nous devrons établir un équilibre qui soit juste et rationnel entre les mesures visant à protéger les passagers et les réalités opérationnelles des compagnies aériennes dans ces circonstances extraordinaires et sans précédent.

D’une part, les passagers qui n’ont aucune possibilité d’effectuer au complet l’itinéraire prévu avec l’assistance d’une compagnie aérienne, et qui doivent trouver d’autres moyens de revenir à la maison, ne devraient pas avoir à assumer des dépenses pour des vols annulés. D’autre part, on ne peut pas s’attendre à ce que les compagnies aériennes qui voient leurs volumes de passagers et leurs revenus baisser de façon vertigineuse prennent des mesures qui risqueraient de menacer leur viabilité économique.

L’Office des transports du Canada (OTC) examinera le bien-fondé de chaque situation précise qui lui sera présentée, mais il estime que, de façon générale, une solution qui serait convenable dans le contexte actuel serait que les compagnies aériennes fournissent aux passagers touchés des bons ou des crédits pour des vols futurs qui n’expireront pas dans un délai déraisonnablement court (un délai de 24 mois serait jugé raisonnable dans la plupart des cas).

L’OTC continuera de fournir des renseignements, des conseils et des services aux passagers et aux compagnies aériennes, à mesure que nous passerons à travers cette période difficile.

[4] Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur sollicite les déclarations suivantes : (1) que le message précité ne constitue pas une décision de l’OTC et qu’il n’a aucune force de loi ni aucun effet en droit; (2) que la publication du message enfreint le Code de déontologie de l’OTC et donne ouverture à une crainte raisonnable de partialité, de la part de l’OTC dans son ensemble ou de tout membre ayant appuyé le message; et (3) que l’OTC dans son ensemble ou un membre ayant appuyé le message a outrepassé sa compétence ou n’a plus compétence pour statuer sur des plaintes de passagers cherchant à se faire rembourser des vols annulés. Le demandeur sollicite également un redressement injonctif prévoyant notamment le retrait du message du site Web de l’OTC, ainsi qu’une ordonnance interdisant à l’OTC dans son ensemble ou subsidiairement, à tout membre ayant appuyé le message, de traiter les plaintes des passagers demandant que leur soient remboursés des vols qui ont été annulés à cause de la pandémie.

[5] Le demandeur avait demandé que soit délivrée une injonction interlocutoire prévoyant essentiellement la même mesure de redressement sur une base provisoire. La juge Mactavish a rejeté la demande de redressement interlocutoire, mais, ce faisant, elle a reconnu, sans pour autant statuer expressément sur ce point, que la demande de contrôle judiciaire du demandeur soulevait une question sérieuse à trancher (Droits des voyageurs c. Canada (Office des transports), 2020 CAF 92, [2020] A.C.F. no 630, par. 17).

[6] L’OTC a par la suite présenté une requête en vue d’obtenir la radiation de la demande, laquelle requête a été rejetée par le juge Webb (Droits des voyageurs c. Canada (Office des transports), 2020 CAF 155). Au paragraphe 33 de son jugement, le juge Webb a conclu que les questions de partialité soulevées par le demandeur justifiaient une audition devant une formation complète de notre Cour.

[7] Après avoir été saisie de la requête en divulgation du demandeur, j’ai publié une directive demandant la présentation d’observations visant à déterminer qui est le défendeur approprié dans la présente affaire, puisque le demandeur avait désigné l’OTC et non le procureur général du Canada. Après avoir reçu les observations des parties et du procureur général du Canada, j’ai conclu que le procureur général du Canada était le défendeur approprié, compte tenu de la nature de la demande, des exigences des Règles des Cours fédérales et de la nature des allégations formulées dans la demande. Je n’ai toutefois pas écarté la possibilité que l’OTC puisse présenter une requête en intervention (Air Passenger Rights v. The Attorney General of Canada, 2021 FCA 112).

[8] Le procureur général du Canada a par la suite indiqué qu’il souscrivait aux observations formulées par l’OTC en réponse à la requête en divulgation du demandeur, et il a présenté de brèves observations dans lesquelles il s’est opposé à la requête informelle du demandeur de déposer des documents supplémentaires à l’appui de la requête en divulgation.

[9] L’OTC a ensuite présenté une requête en vue d’obtenir le statut d’intervenant dans la demande et d’être autorisé à présenter des observations sur sa compétence et son mandat. Le demandeur s’oppose à la requête en intervention, et le procureur général du Canada n’a pas pris position sur cette question.

I. Requête en divulgation de la preuve et requête informelle visant l’ajout d’une déclaration sous serment à la requête en divulgation

[10] Dans sa requête en divulgation, le demandeur sollicite une ordonnance exigeant la communication de copies non caviardées de tous les documents de l’OTC qui portent sur le message contesté durant la période du 9 mars au 8 avril 2020, y compris et sans restriction, les courriels, ordres du jour de réunions, procès-verbaux de réunions, notes, projets de documents et notes de service.

[11] Pour appuyer sa requête en divulgation, le demandeur a déposé une déclaration sous serment de son président, M. Gábor Lukács, à laquelle étaient joints des extraits de la transcription du témoignage présenté par le président de l’OTC devant le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités de la Chambre des communes, le 1er décembre 2020. M. Lukács a également joint un échange de courriels entre un fonctionnaire de Transports Canada et un député, ainsi que des documents obtenus de l’OTC dans le cadre d’une demande d’accès à l’information visant à obtenir des documents comparables à ceux demandés par le demandeur dans la présente requête en divulgation. Plusieurs documents communiqués par l’OTC en réponse à la demande d’accès étaient fortement caviardés. De plus, tous les documents communiqués, à part quelques-uns, comportaient plusieurs milliers de pages présentées, selon l’OTC, en réponse à la demande d’accès.

[12] Les documents joints à la déclaration sous serment de M. Lukács montrent qu’il y a eu échange de courriels entre des représentants de deux compagnies aériennes et l’OTC concernant l’objet du message contesté avant que celui-ci soit publié, et qu’il y a eu des échanges comparables entre des représentants de l’OTC et de Transports Canada avant la publication du message. En raison des passages caviardés dans ces documents, il est difficile de déterminer la nature de ce qui y a été dit au sujet du message. D’autres documents joints à titre de pièces à la déclaration sous serment de M. Lukács indiquent que le président et le vice-président de l’OTC ont reçu des ébauches du message contesté avant que celui-ci soit publié sur le site Web de l’OTC. Le témoignage du président de l’OTC devant le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités de la Chambre des communes, le 1er décembre 2020, ainsi que l’échange de courriels entre des fonctionnaires de Transports Canada et un député, confirment le fait que le président a participé à l’approbation du message. Cet échange de courriels indique que d’autres membres de l’OTC ont aussi appuyé le message contesté.

[13] Dans sa requête informelle, le demandeur demande l’autorisation d’ajouter une autre déclaration sous serment de M. Lukács, à laquelle sont annexés trois autres documents que M. Lukács a obtenus après avoir produit sa première déclaration sous serment à l’appui de la requête en divulgation. Il est indiqué dans ces documents qu’il y a eu échange d’autres documents entre l’OTC et Transports Canada au sujet du message contesté, avant que celui-ci soit publié. L’un des documents joints consiste en une version moins caviardée d’un des courriels joints à la déclaration sous serment initiale de M. Lukács.

[14] J’examinerai d’abord la requête informelle.

[15] Le procureur général du Canada s’oppose au dépôt de la déclaration sous serment supplémentaire de M. Lukács et fait valoir que le demandeur n’a pas respecté les Règles des Cours fédérales en procédant par voie de requête informelle et que les documents supplémentaires que le demandeur souhaite ajouter au dossier, relativement à la requête en divulgation, ne sont pas pertinents.

[16] En toute déférence, je ne suis pas de cet avis. Étant donné les circonstances actuelles causées par la pandémie de COVID-19 et le fait que la requête informelle contenait une déclaration sous serment jointe aux documents supplémentaires que le demandeur souhaite présenter à la Cour, il n’était pas nécessaire que le demandeur présente une requête officielle. Le procureur général du Canada n’a subi aucun préjudice à cause de la manière dont la requête a été présentée et la Cour dispose de tous les éléments nécessaires, notamment les observations des parties, pour statuer sur la requête.

[17] Quant à la question de la pertinence, les documents supplémentaires sont comparables à ceux que M. Lukács a joints à sa déclaration sous serment initiale et ils sont pertinents pour examiner les observations du demandeur concernant la partialité, lesquelles sont de deux ordres. D’une part, le demandeur fait valoir que la publication du message donne ouverture, en soi, à une crainte raisonnable de partialité, car cela indique que l’OTC a décidé d’avance du bien-fondé de toute plainte qui pourrait être déposée par un passager souhaitant obtenir le remboursement d’un vol annulé. D’autre part, le demandeur fait valoir qu’il y a eu ingérence inappropriée de la part de tiers dans l’adoption par l’OTC de la politique qui ressort du message contesté, ce qui, selon le demandeur, fournit un autre élément étayant la crainte raisonnable de partialité. Les documents que le demandeur souhaite ajouter sont pertinents à l’examen du deuxième volet de ses observations sur la partialité.

[18] Par conséquent, la deuxième déclaration sous serment de M. Lukács est pertinente et j’en tiendrai compte dans l’examen de la demande de divulgation du demandeur.

[19] En ce qui concerne cette demande, souscrivant aux observations préalablement déposées par l’OTC, le procureur général du Canada s’oppose à la divulgation demandée pour plusieurs raisons. Il affirme d’abord que l’article 317 des Règles des Cours fédérales n’autorise pas la divulgation demandée ni ne l’exige, car cet article ne s’applique qu’aux documents qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire. Selon le procureur général du Canada, rien dans les articles 317 ou 318 des Règles ne justifie la divulgation, car le demandeur soutient que le message contesté n’a pas force d’ordonnance et qu’aucune ordonnance n’a été rendue. Subsidiairement, le procureur général du Canada affirme que la requête en divulgation devrait être rejetée, car elle est trop générale, qu’elle constitue une recherche à l’aveuglette et que les documents demandés ne sont pas utiles à l’examen des questions soulevées dans la demande, laquelle demande, soutient le procureur général du Canada, a été élargie de manière inadmissible par le demandeur afin d’y ajouter des allégations d’ingérence de la part de tiers dans l’adoption du message contesté.

[20] Je suis en grande partie en désaccord avec chacune de ces affirmations.

[21] J’examinerai d’abord la première observation; comme le mentionne à juste titre le demandeur, l’éventail des documents visés par les exigences de divulgation prévues aux articles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales est plus large lorsqu’il y a allégations de partialité ou de manquement à l’équité procédurale et notamment lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, une mesure de redressement sous la forme d’une ordonnance d’interdiction est sollicitée. En pareilles circonstances, la divulgation ne se limite pas aux documents qui étaient en la possession de l’office fédéral lorsque l’ordonnance a été rendue. Lorsque de telles observations sont formulées, les documents visés par les exigences de divulgation sont plutôt ceux qui sont en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de l’office fédéral et qui sont pertinents pour l’examen des allégations de partialité ou de manquement à l’équité procédurale. De fait, s’il en était autrement, notre Cour serait privée d’éléments de preuve nécessaires au règlement des allégations de partialité ou de manquement à l’équité procédurale formulées par le demandeur, et les mesures de redressement sous la forme d’une ordonnance d’interdiction seraient largement illusoires : voir, par exemple, Humane Society of Canada Foundation c. Canada (Revenu national), 2018 CAF 66, 289 A.C.W.S. (3d) 875, par. 5 et 6; Gagliano c. Canada (Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires), 2006 CF 720, 293 F.T.R. 108, par. 50, conf. par 2007 CAF 131; Majeed c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 908 (CF 1re inst.), par. 3, 1997 CarswellNat 1693, conf. par [1994] A.C.F. no 1401 (CAF). Par conséquent, la première affirmation formulée par le procureur général du Canada, concernant la portée de la divulgation autorisée par les articles 317 et 318 des Règles, est sans fondement.

[22] Quant aux arguments subsidiaires invoqués par le procureur général du Canada pour s’opposer à la divulgation, je ne suis pas d’accord pour dire que tous les documents demandés par le demandeur sont hors de propos ou qu’ils débordent le cadre des allégations qu’il a formulées dans son avis de demande. La divulgation demandée est plus large que nécessaire et comprend un large éventail de documents et va au-delà des documents utiles à l’examen des questions de partialité soulevées par le demandeur. La divulgation devrait plutôt se limiter aux documents portant sur une réunion à laquelle des membres de l’OTC ont assisté et qui ont été envoyés ou reçus par un membre de l’OTC (y compris le président et le vice-président), ou aux documents portant sur le message contesté qui ont été envoyés ou reçus par un tiers, entre le 9 et le 25 mars 2020, date à laquelle le message a été publié sur le site Web de l’OTC. La divulgation devrait en outre exclure les documents protégés par le privilège.

[23] Par souci de clarté, les réunions comprennent les conversations téléphoniques, les vidéoconférences, les réunions par Internet et les réunions en personne, alors que les tiers s’entendent de toute personne autre qu’un membre ou un employé de l’OTC.

[24] Comme je l’ai mentionné, les allégations de partialité formulées par le demandeur sont doubles et portent, premièrement, sur les allégations de jugement anticipé porté par l’OTC en tant qu’institution ou, subsidiairement, par l’un de ses membres, relativement au droit des passagers de se faire rembourser des vols annulés à cause de la pandémie de COVID-19, et, deuxièmement, sur l’influence alléguée exercée par des tiers dans l’élaboration du message contesté sur les crédits de voyage. L’avis de demande et les déclarations sous serment de M. Lukács sont suffisamment généraux pour englober ces deux aspects de l’argument de partialité. En conséquence, je rejette l’observation voulant que le demandeur ait amplifié, de manière inadmissible, l’argument de partialité.

[25] Les documents portant sur l’objet du message contesté, envoyés et reçus par des membres de l’OTC ou provenant de tiers et envoyés ou reçus par quiconque à l’OTC, avant la date de la publication du message contesté, sont pertinents pour l’examen des allégations de partialité du demandeur, car ils renseignent sur la participation de décideurs et de tiers dans l’adoption du message contesté. Cette participation est au cœur des allégations de partialité du demandeur. De même, les documents portant sur des réunions auxquelles ont assisté des membres de l’OTC, et durant lesquelles les participants ont discuté du message contesté avant son adoption, sont eux aussi pertinents.

[26] Les éléments de preuve qui ont été déposés jusqu’à maintenant par M. Lukács montrent qu’il y a eu des communications entre des tiers et l’OTC au sujet de l’objet du message contesté, avant que celui-ci soit adopté. Ces éléments de preuve indiquent également que le président de l’OTC, et peut-être aussi d’autres membres de l’OTC, ont pris part à la décision d’adopter et de publier le message contesté. Il existe donc des éléments factuels qui justifient la divulgation des documents demandés, et qui ne peuvent être qualifiés de recherche à l’aveuglette inadmissible.

[27] Le demandeur n’a toutefois fourni aucun élément de preuve justifiant la divulgation de documents postérieurs à la date à laquelle le message contesté a été publié. De même, le demandeur n’a pas réussi à démontrer la pertinence des documents destinés uniquement à l’usage interne de l’OTC, qui n’ont pas été communiqués à ses membres. En résumé, rien n’indique que ces documents contiendraient des renseignements sur la participation de membres de l’OTC ou de tiers à la décision ayant mené à la publication du message contesté, qui est au cœur même des allégations de partialité du demandeur. Il n’y a donc pas lieu de divulguer ces autres documents.

[28] En souscrivant aux observations de l’OTC, le procureur général du Canada a demandé, s’il y avait ordonnance de divulgation, que les documents protégés n’aient pas à être communiqués et qu’un processus soit mis en place pour statuer sur les revendications de privilège. Je reconnais qu’une telle mesure est nécessaire et je suis d’avis que le processus le plus expéditif pour statuer sur toute revendication de privilège serait de demander à l’OTC de soumettre à la Cour, de manière confidentielle, tout document à l’égard duquel il revendique un privilège afin qu’une décision soit rendue à ce sujet.

[29] En conséquence, j’ordonnerais que, dans les 60 jours suivant la date de l’ordonnance rendue dans ces affaires, tous les documents non protégés, envoyés ou reçus par un membre de l’OTC (notamment son président ou vice-président) entre le 9 mars et le 25 mars 2020, ou envoyés à un tiers par l’OTC ou reçus d’un tiers par l’OTC entre les mêmes dates, et portant sur le message contesté ou sur une réunion à laquelle a participé un membre de l’OTC (notamment son président ou vice-président) entre le 9 mars et le 25 mars 2020 et durant laquelle le message contesté a été discuté, soient communiqués par voie électronique au demandeur. J’ordonnerais également que, durant la même période, le procureur général du Canada présente à la Cour, de manière confidentielle, des copies de tout document qui serait susceptible de divulgation, mais à l’égard duquel l’OTC revendique un privilège, accompagné d’observations à l’appui de la revendication de privilège. Ces dépôts pourraient être faits par voie de requête informelle et devraient être corroborés par une déclaration sous serment à laquelle seront jointes des copies des documents visés par la revendication de privilège. Une version caviardée des observations du procureur général du Canada, de laquelle tous les détails concernant le contenu des documents auront été supprimés, sera signifiée et déposée. Le demandeur disposera d’un délai de 30 jours à compter de la réception de ces documents pour présenter des observations en réponse, s’il le souhaite. Ces documents seront ensuite envoyés à la soussignée afin qu’une décision soit rendue au sujet de la revendication de privilège.

[30] Si le délai de 60 jours est trop court pour exécuter ce qui précède, en raison des complexités créées par la pandémie de COVID-19 ou du nombre de documents en cause, le procureur général du Canada pourrait demander une prorogation, en présentant une requête informelle corroborée par un témoignage par affidavit.

[31] Le demandeur disposera d’un délai de 30 jours à compter de la réception de la décision de notre Cour concernant les revendications de privilège pour signifier tout affidavit supplémentaire qu’il a l’intention d’invoquer à l’appui de sa demande. Tout autre délai accordé pour terminer les autres étapes requises afin de mettre la demande en état sera déterminé conformément aux Règles des Cours fédérales.

II. La requête en intervention

[32] J’examinerai maintenant la requête en intervention présentée par l’OTC. Cette requête vise à accorder à l’OTC l’autorisation d’intervenir pour présenter une brève déclaration sous serment, un mémoire des faits et du droit et des observations orales sur sa compétence et, plus précisément, sur la portée de ses fonctions réglementaires et juridictionnelles. L’OTC propose que cette déclaration sous serment se limite à un échantillon de six outils d’information et d’orientation utiles, que l’OTC dit avoir publiés et affichés sur son site Web, et que ses observations se limitent à expliquer la portée de sa compétence et ses pratiques relativement à la publication de matériel d’orientation sur son site Web.

[33] Le demandeur s’oppose à l’intervention, alléguant qu’il s’agit d’une tentative inadmissible de la part de l’OTC de contester indirectement le bien-fondé de la question de partialité. Le demandeur soutient également que le procureur général du Canada est la seule partie qui devrait être entendue et que le procureur général du Canada est apte à se défendre adéquatement contre les allégations de partialité. Le demandeur soutient subsidiairement que, si l’OTC est autorisé à intervenir, il ne devrait pas être autorisé à déposer d’autres éléments de preuve, puisqu’un intervenant est lié par le dossier que les parties ont présenté à la Cour et qu’il ne peut pas déposer de nouveaux éléments de preuve ni invoquer de nouveaux arguments. Le demandeur affirme en outre que deux des six exemples que l’OTC souhaite présenter équivalent à une autojustification, car ils ont été publiés par l’OTC après l’introduction de la présente demande.

[34] Pour autoriser une requête en intervention, notre Cour doit prendre en compte plusieurs facteurs et doit notamment déterminer : (1) si l’intervenant est directement touché par l’issue de l’instance; (2) si la question relève de la compétence des tribunaux et si l’intervention suscite un intérêt public; (3) s’il existe un autre moyen efficace de soumettre la question à la Cour; (4) si l’une ou l’autre des parties peut défendre adéquatement la thèse de l’intervenant proposé; (5) si l’intérêt de la justice sera mieux servi si l’intervention est autorisée et (6) si la Cour peut statuer sur l’affaire de manière efficace sans la participation de l’intervenant : Rothmans Benson & Hedges Inc. c. Canada (Procureur général), [1989] A.C.F. no 446, 1989 CarswellNat 594, par. 12; Sport Maska c. Bauer Hockey Corp., 2016 CAF 44, [2016] 4 R.C.F. 3, par. 37 à 39 [arrêt Sport Maska]. Cependant, ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 42 de l’arrêt Sport Maska, les critères à remplir sont souples, car chaque affaire est différente et qu’en dernier ressort la question la plus importante pour la Cour est de déterminer si l’intérêt de la justice sera mieux servi si l’intervention est autorisée.

[35] En l’espèce, je suis d’avis que l’intérêt de la justice serait mieux servi si l’on accordait à l’OTC le droit d’intervenir, car les renseignements généraux que l’OTC souhaite présenter à la Cour, et qui permettront d’exposer le contexte approprié, pourraient être utiles à la Cour. L’OTC est le mieux placé pour fournir ces renseignements à la Cour, lesquels pourraient être importants pour aider la Cour à comprendre et à apprécier le contexte pertinent et la portée de la compétence de l’OTC dans les affaires réglementaires et juridictionnelles. Les tribunaux administratifs ont souvent obtenu l’autorisation d’intervenir pour expliquer leurs attributions, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ontario (Commission de l’énergie) c. Ontario Power Generation Inc., 2015 CSC 44, [2015] 3 R.C.S. 147, par. 42 et 48.

[36] Cela dit, il est crucial que l’intervention de l’OTC ne nuise pas à sa capacité d’agir à titre de tribunal administratif indépendant. Par conséquent, ses observations doivent être factuelles et se limiter à expliquer le rôle de l’OTC et à exposer les exemples antérieurs au 25 mars 2020 qu’il souhaite présenter à la Cour. Je ne crois pas qu’il convient à l’OTC d’invoquer des exemples plus récents, car ceux-ci ne sont pas directement liés aux questions soulevées dans la présente demande et qu’ils pourraient être perçus comme une tentative de la part de l’OTC d’autojustifier l’approche utilisée pour la publication du message contesté. Le rôle de l’OTC n’est pas d’intervenir pour jouer le rôle de défenseur ni de défendre de quelque manière le bien-fondé de la publication du message contesté. L’OTC devrait plutôt agir à titre d’ami de la cour, qui n’est autorisé à intervenir que pour s’assurer que la Cour possède les renseignements généraux pertinents.

[37] Les exemples que l’OTC sera autorisé à présenter à la Cour ne sont pas du type d’éléments de preuve qu’il est interdit à un intervenant d’ajouter au dossier – à supposer qu’ils constituent effectivement des éléments de preuve – et ils s’apparentent plutôt davantage à une décision qui pourrait simplement être déposée ou à laquelle on pourrait simplement renvoyer dans les observations. Ils n’amplifient ni le dossier factuel ni les questions en litige.

[38] Par conséquent, j’autoriserais l’OTC à présenter un affidavit auquel seront joints les quatre exemples antérieurs au 25 mars 2020, qui ont été joints à titre de pièces à l’affidavit de Meredith Desnoyers signé le 14 juillet 2021. Le demandeur pourra présenter cet affidavit au même moment où le procureur général du Canada présentera ses affidavits en réponse à ceux du demandeur. J’autoriserais également l’OTC à déposer un mémoire des faits et du droit d’au plus dix pages, pour expliquer sa compétence et ses pratiques relatives à la publication de documents d’orientation sur son site Web, que les exemples joints à l’affidavit qu’il déposera visent à illustrer. J’accueillerais également la requête de l’OTC demandant que l’intitulé soit modifié afin qu’il soit ajouté à titre d’intervenant et qu’il soit ordonné aux autres parties de signifier à l’OTC tous les autres documents déposés à l’appui de la présente demande.

[39] Je laisserais à la formation qui aura à examiner la demande sur le fond le soin de déterminer si l’OTC sera autorisé à présenter des observations orales durant l’audience et de statuer sur la question de l’adjudication de dépens relativement à l’intervention.

[40] Par conséquent, ces trois requêtes seront accueillies conformément aux modalités qui précèdent. Je ne rends aucune ordonnance relative aux dépens, car aucune n’a été demandée à l’égard de la requête en intervention et les parties ont eu partiellement gain de cause relativement à la requête en divulgation.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-102-20

INTITULÉ :

DROITS DES VOYAGEURS c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 octobre 2021

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Simon Lin

 

Pour le demandeur

 

J. Sanderson Graham

 

Pour le défendeur

 

Barbara Cuber

 

AVOCATE DE L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Evolink Law Group

Burnaby (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

Direction des services juridiques

Office des transports du Canada

Gatineau (Québec)

 

POUR L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

 

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