Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20211027


Dossier : A-155-20

Référence : 2021 CAF 208

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

 

 

BRUCE WENHAM

 

 

appelant

 

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

intimé

 

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 20 septembre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

 

 

 


Date : 20211027


Dossier : A-155-20

Référence : 2021 CAF 208

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

 

 

BRUCE WENHAM

 

 

appelant

 

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MONAGHAN

[1] Aux termes de l’article 334.39 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, les dépens ne peuvent être accordés dans un recours collectif à moins que l’une des exceptions prévues dans les Règles ne s’applique. L’appelant interjette appel de l’ordonnance de la Cour fédérale (le juge Phelan) dans la décision Wenham c. Canada (Procureur général), 2020 CF 591, rendue pour les motifs dont la référence est Wenham c. Canada (Procureur général), 2020 CF 592 [la décision Wenham portant sur les dépens], rejetant la requête du groupe pour les dépens dans un recours collectif qui a fait l’objet d’une transaction. La Cour fédérale a conclu qu’aucune des exceptions ne s’appliquait.

[2] Pour les motifs que j’exposerai ci-après, je rejetterais l’appel.

I. Exposé des faits

[3] Bruce Wenham est le demandeur représentatif d’un groupe composé de personnes dont la demande de soutien en application du Programme de contribution pour les survivants de la thalidomide (PCST) du Canada a été refusée. Le groupe a sollicité le contrôle judiciaire de ces décisions, contestant les critères de preuve et les exigences en matière de preuve documentaire liés au PCST. La requête en certification de l’instance en tant que recours collectif a été rejetée par la Cour fédérale en juillet 2017, mais en novembre 2018, notre Cour a accueilli l’appel de cette décision et a certifié l’instance en tant que recours collectif.

[4] Pendant que la certification du recours collectif se poursuivait, d’autres personnes contestaient devant la Cour fédérale, avec un succès mitigé, les décisions de leur refuser un soutien dans le cadre du PCST : voir les décisions Fontaine c. Canada (Procureur général), 2017 CF 431; Briand c. Canada (Procureur général), 2018 CF 279, et Rodrigue c. Canada (Procureur général), 2018 CF 280.

[5] De plus, des groupes de défense des droits cherchaient à obtenir un meilleur soutien pour les survivants de la thalidomide à l’échelon politique et bureaucratique du gouvernement (le processus de politique d’intérêt public). En 2017, le Comité permanent de la santé du Parlement a recommandé un examen du PCST. Le budget fédéral de février 2018 a reconnu les problèmes du PCST et a promis que des changements y seraient apportés. En janvier 2019, les changements au PCST promis dans ce budget ont été annoncés comme étant à venir. Le 5 avril 2019, le Programme canadien de soutien aux survivants de la thalidomide (PCSST) a été créé par décret, en remplacement du PCST. Le PCSST a résolu bon nombre des questions soulevées dans le cadre du recours collectif.

[6] En mai 2019, l’intimé a demandé le rejet du recours collectif au motif que le PCSST était une réparation subsidiaire qui rendait le recours collectif sans objet. Les parties ont entamé des négociations et ont réglé le recours collectif en octobre 2019, la veille de l’audience de la requête en vue d’obtenir le rejet et en ce qui concerne les questions communes. Le règlement n’a ni exigé que l’intimé acquitte les dépens du groupe ni empêché le groupe de demander des dépens.

[7] Les honoraires des avocats du groupe et tout règlement dans le cadre d’un recours collectif doivent être approuvés par la Cour fédérale. La Cour fédérale a approuvé l’entente de règlement (Wenham c. Canada (Procureur général), 2020 CF 588 [la décision Wenham portant sur le règlement]) et les honoraires des avocats du groupe (Wenham c. Canada [Procureur général], 2020 CF 590 [la décision Wenham portant sur les honoraires]), mais a rejeté la requête en dépens du groupe au motif qu’aucune des exceptions à la règle selon laquelle les recours collectifs devant la Cour fédérale ne donnent pas lieu à des dépens ne s’appliquait.

[8] Le présent appel ne concerne que la décision relative aux dépens. Toutefois, étant donné que des conclusions factuelles pertinentes figurent également dans la décision Wenham portant sur le règlement et la décision Wenham portant sur les honoraires, et que les décisions renvoient les unes aux autres, je renvoie à tous les motifs au besoin.

II. Norme de contrôle

[9] L’adjudication des dépens est une décision qui relève du pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, si la Cour fédérale ne commet pas d’erreur de droit ou d’erreur manifeste et dominante, notre Cour n’interviendra pas : Canada c. Greenwood, 2021 CAF 186, para. 119–120; Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331, para. 28, 71 et 72; Imperial Manufacturing Group Inc. c. Decor Grates Incorporated, 2015 CAF 100, [2016] 1 R.C.F. 246, para. 18 et 19.

III. Article 334.39 des Règles – La règle « sans dépens »

[10] Le paragraphe 334.39(1) des Règles est ainsi libellé :

334.39. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les dépens ne sont adjugés contre une partie à une requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif, à un recours collectif ou à un appel découlant d’un recours collectif, que dans les cas suivants :

334.39. (1) Subject to subsection (2), no costs may be awarded against any party to a motion for certification of a proceeding as a class proceeding, to a class proceeding or to an appeal arising from a class proceeding, unless

a) sa conduite a eu pour effet de prolonger inutilement la durée de l’instance;

(a) the conduct of the party unnecessarily lengthened the duration of the proceeding;

b) une mesure prise par elle au cours de l’instance était inappropriée, vexatoire ou inutile ou a été effectuée de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

(b) any step in the proceeding by the party was improper, vexatious or unnecessary or was taken through negligence, mistake or excessive caution; or

c) des circonstances exceptionnelles font en sorte qu’il serait injuste d’en priver la partie qui a eu gain de cause.

(c) exceptional circumstances make it unjust to deprive the successful party of costs.

[11] L’interprétation appropriée de l’article 334.39 des Règles, y compris les exceptions prévues aux alinéas 334.39(1)a), b) et c) des Règles, est au cœur du présent appel. L’appelant affirme que la Cour fédérale a commis des erreurs d’interprétation, tant des erreurs de droit que des erreurs mixtes de fait et de droit.

[12] L’appelant allègue que l’interprétation des exceptions par la Cour fédérale ne sert pas l’objectif de la règle « sans dépens » qui, selon l’appelant, vise à encourager les recours collectifs.

[13] Deuxièmement, l’appelant soutient que les constatations factuelles de la Cour fédérale, considérées objectivement, appuient la conclusion que les exceptions s’appliquent. Toutefois, l’appelant allègue que la Cour fédérale a également interprété les exceptions comme exigeant de l’appelant qu’il approuve l’intention subjective de l’intimé d’adopter le comportement décrit dans les exceptions. Selon l’appelant, cela place la barre trop haut et constitue une erreur.

[14] Je ne suis pas d’accord. Rien dans la décision Wenham portant sur les dépens, la décision Wenham portant sur le règlement ou la décision Wenham portant sur les honoraires n’indique que la Cour fédérale a exigé la preuve d’une intention subjective. Selon ma lecture des décisions, la Cour fédérale a conclu que la preuve n’établissait pas la conduite requise et a tiré cette conclusion en se fondant sur son évaluation de l’ensemble de la preuve dont elle disposait. Ce faisant, elle a reconnu que ses conclusions entraîneraient des conséquences différentes selon la décision dont elle était saisie. Le contexte de la décision Wenham portant sur les honoraires « diffère du contexte de l’approbation du règlement » et « [u]n grand nombre des considérations ayant justifié l’approbation [...] des honoraires des avocats du groupe sont défavorables à la requête en adjudication des dépens présentée par le demandeur » : la décision Wenham portant sur les honoraires, para. 6 et la décision Wenham portant sur les dépens, para. 1.

A. La Cour fédérale a-t-elle interprété correctement l’article 334.39 des Règles?

[15] L’interprétation des dispositions de l’article 334.39 des Règles doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, para. 10). Plutôt que de commencer son analyse par le texte, la Cour fédérale a commencé par examiner l’objet et le contexte.

(1) Objet de l’article 334.39 des Règles

[16] La Cour fédérale a reconnu que les règles sur les recours collectifs devaient être « interprété[es] libéralement » et « d’une manière qui donne pleinement effet aux avantages » des recours collectifs tels qu’ils sont énoncés dans l’arrêt Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68, [2001] 3 R.C.S. 158 : économie des ressources judiciaires, accès à la justice et modification du comportement des malfaisants. Dans ce contexte, et s’appuyant sur l’arrêt Campbell c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 45, [2013] 4 R.C.F. 234 [arrêt Campbell], la Cour fédérale a conclu que la règle « sans dépens » justifie l’accès à la justice en éliminant un obstacle aux recours collectifs. Par conséquent, « [l]a présomption en faveur de l’absence de dépens est forte et essentielle au bon fonctionnement du régime de recours collectif » : la décision Wenham portant sur les dépens, para. 13.

[17] Ces conclusions sur l’objet et l’importance de la règle « sans dépens » ont éclairé l’interprétation par la Cour fédérale de ce qu’elle a appelé « une exception limitée ».

[18] L’appelant affirme que l’objectif de la règle « sans dépens » est d’encourager les recours collectifs. Compte tenu de cet objectif, dit l’appelant, il n’y a aucune raison de protéger les défendeurs qui ne font pas partie d’un groupe de l’adjudication des dépens. En l’absence d’une telle justification, la Cour fédérale a commis une erreur en interprétant la règle d’une manière qui ne sert pas l’objectif qu’elle préconise. L’appelant va jusqu’à affirmer que la règle « sans dépens » devrait être interprétée de manière à ce qu’elle ne s’applique au défendeur ou à l’intimé que dans la « rare circonstance » où une partie a demandé la certification d’un groupe de défendeurs ou d’intimés comme le permet le paragraphe 334.14(2) des Règles. Cette interprétation, affirme l’appelant, justifie la raison d’être de la politique qui sous-tend la règle « sans dépens », à savoir encourager les recours collectifs.

[19] Je ne suis pas d’accord. La distinction entre une incitation et l’absence d’un facteur de dissuasion, bien qu’elle soit fine, est significative. L’objectif de la règle « sans dépens » est d’éliminer un obstacle aux recours collectifs, et non de les encourager : voir l’arrêt Campbell, para. 26 à 28, et Manuge c. Canada, 2013 CF 341, [2014] 4 R.C.F. 67, para. 22.

[20] De plus, en faisant valoir cette thèse, l’appelant ne tient pas compte du texte de la règle : « les dépens ne sont adjugés contre une partie ». L’appelant nous demande d’interpréter ce libellé comme signifiant « les dépens ne sont adjugés contre un membre d’un groupe ou un représentant d’un groupe ». Je ne vois aucune ambiguïté dans le libellé de l’article 334.39 des Règles qui permette cette interprétation. Lorsque les règles applicables aux recours collectifs visent à établir une distinction entre les parties, le libellé choisi représente cette intention. Je suis d’accord avec la Cour fédérale : « le choix politique d’appliquer la règle aux deux parties est de toute évidence délibéré » : décision Wenham portant sur les dépens, para. 13. L’analyse qui a eu lieu avant l’ajout de l’article 334.39 aux Règles, comme le décrit la Cour dans l’arrêt Campbell, est sans équivoque à cet égard. Il est à noter que l’article 334.39 des Règles n’a pas été modifié lorsque les recours collectifs ont été élargis pour inclure les contrôles judiciaires en 2007 : DORS/2007-301.

(2) Objet des exceptions

[21] Cela m’amène à parler des trois exceptions à la règle « sans dépens ».

[22] Les exceptions prévues aux alinéas 334.39(1)a) et b) des Règles concernent les actions d’une partie : la conduite d’une partie qui a pour effet de prolonger inutilement la durée de l’instance ou une mesure prise par une partie qui est inappropriée, vexatoire ou inutile ou effectuée de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection. La troisième exception à l’alinéa 334.39(1)c) des Règles concerne les circonstances exceptionnelles qui font en sorte qu’il est injuste de priver des dépens la partie qui a obtenu gain de cause.

[23] La Cour fédérale a noté « la tension et l’équilibre naturels [qui] sont établis aux termes de la règle “sans dépens” » — d’un côté le principe primordial de l’absence de dépens et de l’autre les exceptions : décision Wenham portant sur les dépens, para. 16. Bien qu’elle ait considéré que les exceptions à la règle « sans dépens » étaient limitées, la Cour fédérale a reconnu leur importance pour le régime des recours collectifs et la nécessité de leur donner « une interprétation tout aussi juste et libérale ayant vocation à punir les conduites inappropriées », en particulier les comportements qui cherchent « à retarder, à contrecarrer ou même à empêcher le demandeur de faire valoir son point de vue devant la Cour » : décision Wenham portant sur les dépens, para. 14 et 15.

[24] Ces déclarations pourraient laisser croire que la Cour fédérale a considéré que les trois exceptions avaient un seul et même objectif — contrôler les comportements inappropriés — même si rien dans le texte de la troisième exception n’indique que c’est là son objectif. Toutefois, une lecture attentive de la décision Wenham portant sur les dépens me convainc que la Cour fédérale n’a pas interprété la troisième exception de façon aussi étroite que ces déclarations pourraient le laisser entendre. Cela ne veut pas dire qu’il ne faudra jamais tenir compte du comportement pour la troisième exception. Par contre, je ne suis pas d’accord pour dire que le seul but de la troisième exception est de contrôler le comportement.

(3) Comportement pertinent aux fins des exceptions

[25] L’appelant affirme que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que les événements survenus dans le cadre du processus d’élaboration de la politique d’intérêt public « ne sont pas des questions qui relèvent en tant que telles de l’exception aux Règles, à moins que ces actions aient eu pour but de contrecarrer la progression du contentieux » : voir la décision Wenham portant sur les dépens, para. 28. L’appelant affirme que la question n’est pas de savoir si « le contentieux lui-même n’a subi aucun retard inhabituel », mais plutôt de savoir [traduction] « si le contentieux devait se poursuivre, ou aurait dû se poursuivre aussi longtemps qu’il l’a fait ».

[26] L’intimé soutient que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur; il convient que la conduite en dehors de l’instance n’est pas pertinente, à moins qu’elle ne soit liée au contentieux ou conçue pour en contrecarrer la progression.

[27] Je ne vois aucune erreur dans l’interprétation de la Cour fédérale. Le libellé des deux premières exceptions fait référence à « l’instance » — la première à un comportement qui a pour effet de prolonger inutilement la durée de l’instance et la seconde à une mesure inappropriée, vexatoire ou inutile qui a été effectuée par une partie au cours de l’instance. Ces renvois à « l’instance » ne peuvent concerner qu’une instance décrite dans le préambule de l’article 334.39 des Règles (c.-à-d. une requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif, un recours collectif ou un appel découlant d’un recours collectif) : voir Canada c. Martin, 2015 CAF 95, [2015] D.T.C. 5048, autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, 2015 CanLII 69426 (CSC), [arrêt Martin]. La Cour dans l’arrêt Martin a examiné les circonstances dans lesquelles le terme « instance » était défini dans les règles pertinentes. Bien que les règles ne définissent pas ce qu’est l’instance, ce terme n’est utilisé dans les Règles que dans le contexte des actions (article 169), des demandes (article 300) et des appels (article 335), y compris les recours collectifs ou les demandes (article 334.1). Bien que l’article 334.39 des Règles s’applique expressément aux requêtes en vue de faire autoriser une action ou une demande en tant que recours collectif, les requêtes ne sont pas des instances aux fins des Règles : Vaughan c. Canada, (2000) 2000 CanLII 15069 (CF), 184 F.T.R. 197, para. 23, et Gholipour c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 99, para. 8.

[28] De plus, cette interprétation de la conduite pertinente est conforme aux principes applicables aux adjudications de dépens entièrement discrétionnaires. Le libellé des deux premières exceptions ressemble de près à deux facteurs que les Règles, comme les règles d’autres tribunaux, désignent comme étant pertinents pour l’adjudication entièrement discrétionnaire des dépens. Dans ce contexte, les tribunaux se sont penchés sur la conduite dans le cadre du contentieux ou celle qui est fortement liée à celui-ci. Cette analyse est conforme à l’un des objectifs de l’adjudication des dépens, soit de « décourage[r] les comportements […] impétueux, futiles et abusifs » : Sherman c. Canada (Ministre du Revenu national), 2003 CAF 202, [2003] 4 C.F. 865, para. 46 et Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, [2003] 3 R.C.S. 371, para. 25. Dans l’examen de ces facteurs, la Cour fédérale a fait une mise en garde contre le fait de juger les choix en matière de contentieux, particulièrement a posteriori : Bauer Hockey Ltd. c. Sport Maska Inc. (CCM Hockey), 2020 CF 862, aux para. 17–20. Les circonstances dans lesquelles une conduite extérieure au contentieux est pertinente sont extrêmement rares et exigent un lien direct avec le contentieux : arrêt Martin, para. 20 à 22; E. F. Anthony Merchant c. La Reine, 2001 CAF 19, 267 N.R. 186; Canada c. Landry, 2010 CAF 135, 404 N.R. 255.

[29] Par conséquent, je souscris à l’interprétation que la Cour fédérale a donnée à l’article 334.39 des Règles.

B. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans l’application du droit à ses conclusions de fait?

[30] Avant d’aborder les arguments de l’appelant concernant l’application du droit par la Cour fédérale à ses conclusions de fait, j’aimerais dire quelques mots sur la conformité anticipée, c’est-à-dire le retard du défendeur ou de l’intimé à accepter le redressement demandé dans le cadre d’un contentieux pour ensuite l’accepter au dernier moment. Dans la décision Wenham portant sur les dépens, la Cour fédérale a discuté de la conformité anticipée et de la raison pour laquelle elle ne s’applique pas dans un régime « sans dépens », avant de déclarer que, même s’il y avait conformité anticipée, l’appelant ne pouvait pas avoir gain de cause dans sa requête en vue d’obtenir des dépens, à moins de pouvoir faire valoir une exception. Cela pourrait indiquer que l’appelant a soutenu que la conformité anticipée pouvait entraîner l’adjudication des dépens dans un recours collectif, indépendamment des exceptions prévues à l’article 334.39 des Règles. Devant notre Cour, l’appelant a confirmé qu’il ne faisait pas valoir cette thèse. Par conséquent, les parties, la Cour fédérale et moi-même convenons que les dépens ne peuvent être accordés dans le cadre d’un recours collectif, à moins qu’une exception ne s’applique.

(1) Exception prévue à l’alinéa 334.39(1)a) – Prolongation de l’instance

[31] La Cour fédérale a conclu que « le contentieux lui-même n’a subi aucun retard inhabituel », que « [l]e contentieux s’est déroulé normalement » et que le défendeur n’a pas « prolongé l’instance inutilement ». La Cour fédérale a reconnu qu’il y avait eu des retards dans le processus d’élaboration de la politique d’intérêt public, mais n’a pas trouvé d’éléments de preuve suffisants pour conclure que ces retards avaient pour but de contrecarrer la progression du contentieux, de sorte qu’ils n’étaient pas pertinents. La Cour fédérale a expressément rejeté l’allégation de l’appelant concernant la conformité anticipée « dans la mesure où il y aurait eu une tactique dilatoire délibérée et une conformité tardive en vue de contrecarrer la progression du contentieux » ou d’une « lenteur délibérée » : décision Wenham portant sur les dépens, para. 9, 22 et 23. Je ne vois aucune erreur manifeste et dominante dans ces conclusions.

(2) Exception prévue à l’alinéa 334.39(1)b) – Mesure inappropriée ou vexatoire

[32] Pour ce qui est de la deuxième exception, la Cour fédérale a qualifié la conduite de l’intimé de « défense vigoureuse, qu’il était en droit de préparer » : décision Wenham portant sur les dépens, para. 26). Il n’y avait rien d’inapproprié à ce que l’intimé « sort[e] du contexte du contentieux et [...] recour[e] à un processus de politique gouvernementale pour régler la question en litige » : décision Wenham portant sur les dépens, para. 27. Tous les intéressés ont reconnu « que plusieurs forces extérieures faisaient progresser la cause visant l’amélioration du PCST et la modification des aspects monétaires et liés à la preuve du programme » : décision Wenham portant sur les honoraires, para. 44. Là encore, je ne vois aucune erreur manifeste et dominante.

(3) Exception prévue à l’alinéa 334.39(1)c) – Circonstances exceptionnelles

[33] La troisième exception exige trois choses : une partie qui a gain de cause, des circonstances exceptionnelles et une conclusion selon laquelle ces circonstances font qu’il est injuste de priver des dépens la partie qui a eu gain de cause.

[34] La Cour fédérale s’est demandé si les circonstances de ce recours collectif étaient exceptionnelles et a décidé qu’elles ne l’étaient pas. Elle a considéré que ses commentaires sur les deux premières exceptions étaient également pertinents pour la troisième. En d’autres termes, il n’y avait rien d’exceptionnel dans le contentieux ou dans un processus parallèle d’élaboration de politique d’intérêt public visant des changements similaires à ceux recherchés dans le contentieux. De même, le fait que le recours collectif était nouveau et exerçait une certaine influence sur la mise en œuvre et la conception du PCSST ne constituait pas des circonstances exceptionnelles. Je ne constate aucune erreur susceptible de révision à cette conclusion.

[35] Ayant décidé que les circonstances n’étaient pas exceptionnelles, la Cour fédérale n’avait pas besoin d’examiner si une partie avait gain de cause—une autre condition de la troisième exception. Néanmoins, il convient de noter que la Cour fédérale a reconnu qu’il s’agissait « d’un cas de règlement où l’évaluation de la [traduction] “réussite” est très subjective » et qu’« un règlement raisonnable constitue une solution de rechange viable et attrayante pour les deux parties » étant donné les risques qu’elles courent en poursuivant le contentieux : décision Wenham portant sur les dépens, para. 20 et décision Wenham portant sur le règlement, para. 69.

IV. Quelques mots sur les circonstances exceptionnelles

[36] Comme on ne définit pas dans les Règles ce qu’on entend par « circonstances exceptionnelles », la signification de cette expression ne peut être déterminée qu’après une analyse textuelle, contextuelle et téléologique. En plus de dire ce qui ne constitue pas des circonstances exceptionnelles, la Cour fédérale n’a pas tenté de les définir et notre Cour n’a pas besoin de le faire pour statuer sur le présent appel. En fait, on pourrait dire qu’il est impossible de définir avec précision ce qu’on entend par cette expression, ce qui suscite la réponse « vous le saurez quand vous le verrez ».

[37] Le terme « exceptionnel » évoque quelque chose de tout à fait remarquable, d’extraordinaire ou, sinon rare, du moins quelque chose de très éloigné de la norme. On pourrait peut-être le décrire comme exigeant quelque chose qui amènerait un observateur objectif, au fait de la règle « sans dépens » et de sa raison d’être, et de tous les faits et circonstances de l’affaire particulière, à être étonné de l’injustice découlant de la non-adjudication de dépens à la partie qui a gain de cause. Bien que je ne sois pas convaincu que cela exige une conduite inappropriée, cela exige quelque chose de plus que les circonstances de la présente instance.

V. Conclusion

[38] Je n’ai trouvé aucune erreur dans l’interprétation de l’article 334.39 des Règles par la Cour fédérale et aucune erreur manifeste et dominante dans ses conclusions de fait ou dans l’application de la règle à ces conclusions.

[39] En conséquence, je rejetterais l’appel sans dépens.

« K. A. Siobhan Monaghan »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UNE ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN DATÉE DU 8 MAI 2020, DOSSIER NO T-1499-16

DOSSIER :

A-155-20

 

 

INTITULÉ :

BRUCE WENHAM c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 septembre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 octobre 2021

 

COMPARUTIONS :

David Rosenfeld

Sue Tan

 

Pour l’appelant

Christine Mohr

Negar Hashemi

Benjamin Wong

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Koskie Minsky LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelant

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimé

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.