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Date : 20210628


Dossier : A-378-19

Référence : 2021 CAF 125

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LEBLANC

 

ENTRE :

GABRIEL FONO

appelant

et

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE D’HYPOTHÈQUES ET DE LOGEMENT

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 28 juin 2021.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 28 juin 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20210628


Dossier : A-378-19

Référence : 2021 CAF 125

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LEBLANC

 

ENTRE :

GABRIEL FONO

appelant

et

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE D’HYPOTHÈQUES ET DE LOGEMENT

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 28 juin 2021.)

LA JUGE GLEASON

[1] Le présent appel s’inscrit dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue par un arbitre nommé en application de la Partie III du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, par laquelle l’arbitre a refusé d’ordonner la réintégration de l’appelant après que l’intimée eut reconnu qu’il avait été congédié injustement.

[2] Lors du contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, l’intimée a déposé une requête en vue d’obtenir la radiation de certains paragraphes de l’avis de demande et de l’affidavit de l’appelant qui, selon l’intimée, violaient le privilège de règlement. L’intimée a également déposé une seconde requête en vue d’obtenir une ordonnance radiant des paragraphes supplémentaires de l’avis de demande. Dans le contexte de cette dernière requête, l’appelant a reconnu que certains paragraphes devraient être radiés, et a demandé à modifier d’autres paragraphes de l’avis de demande pour demander une ordonnance de la Cour fédérale ordonnant sa réintégration auprès de l’intimée à son ancien poste ou, subsidiairement, ordonnant au premier dirigeant de l’intimée de « faire tout en son pouvoir pour réintégrer [l’appelant] à un poste différent, conformément à sa demande de mesures d’adaptation et à la loi ».

[3] Dans une décision non publiée datée du 5 septembre 2018 (Fono c. La Société canadienne d’hypothèques et de logement, dossier T-2060-17, dont les motifs figurent aux pages 4532 à 4550 du dossier d’appel, vol. 17), la protonotaire Aylen a accueilli les requêtes et a radié les paragraphes contestés de l’avis de demande et de l’affidavit. La protonotaire a conclu que les paragraphes contestés sur la base du secret professionnel étaient inappropriés, parce qu’ils violaient le privilège de règlement, puisqu’ils renvoyaient à des communications ayant eu lieu durant la séance de médiation convenue par les parties et tenue avant l’arbitrage, ou renvoyaient à des offres de règlement sous réserve de tous droits présentées par la suite par l’intimée. En ce qui concerne les autres paragraphes contestés, la protonotaire a conclu que, d’après la formulation employée par l’appelant dans son acte de procédure modifié proposé, ils étaient inappropriés puisqu’ils n’étaient pas liés à la décision rendue par l’arbitre. La protonotaire a par conséquent refusé les modifications que l’appelant demandait. Cependant, la protonotaire a laissé à l’appelant la possibilité de demander l’autorisation de modifier son avis de demande, en vue d’obtenir une mesure de redressement similaire s’il formulait sa demande de manière différente en la liant plus directement à la décision de l’arbitre de refuser sa réintégration.

[4] L’appelant a fait appel de l’ordonnance de la protonotaire devant la Cour fédérale, et dans une décision rendue par la juge St-Louis et publiée sous la référence Fono c. La Société canadienne d’hypothèques et de logement, 2019 CF 1190, la Cour fédérale a rejeté l’appel. La juge a conclu que la protonotaire n’avait pas commis d’erreur en tirant la conclusion que le privilège de règlement empêchait le dépôt des éléments de preuve et des allégations concernant l’issue de la médiation et les offres de règlement, ou en concluant que les modifications proposées visant la mesure de redressement étaient inappropriées. Sur ce dernier point, invoquant l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2019 CAF 206, [2020] 1 R.C.F. 231 [Fisher-Tennant] de notre Cour, la juge de la Cour fédérale a souligné qu’une ordonnance en vue d’obtenir une substitution directe d’une mesure de redressement n’est possible que lorsqu’il n’existe qu’un seul résultat raisonnable, de sorte qu’il serait inutile de renvoyer l’affaire à l’arbitre. Comme l’appelant n’avait pas expliqué, dans son acte de procédure, pour quelle raison la réintégration était la seule mesure de redressement disponible, et parce que l’analyse relative au bien-fondé de la réintégration « repos[e] sur plusieurs facteurs et [est] intrinsèquement discrétionnaire », la juge de la Cour fédérale a conclu que la protonotaire n’avait pas commis d’erreur en refusant les modifications proposées à l’avis de demande.

[5] L’appelant en appelle maintenant devant notre Cour.

[6] Dans le présent appel, notre Cour ne peut intervenir que si la Cour fédérale a commis une erreur de droit ou une erreur de fait ou de droit manifeste et dominante dans le dispositif de l’appel à l’encontre de l’ordonnance de la protonotaire. Même si nous n’approuvons pas tous les motifs présentés par la Cour fédérale et sommes plus particulièrement en désaccord avec le paragraphe 35 de ses motifs, nous ne voyons aucune erreur de ce genre en l’espèce.

[7] Les paragraphes qui ont été radiés de l’avis de demande et de l’affidavit au motif d’un privilège de règlement l’ont été à juste titre, et il était pleinement loisible à la protonotaire de conclure qu’ils renvoyaient à des offres de règlement ou à des commentaires présentés durant une séance de médiation confidentielle et protégée. Contrairement à ce qu’affirme l’appelant, l’intimée n’a pas renoncé au privilège associé à ces observations, et aucune exception ne s’appliquait pour justifier que l’on en fasse mention dans la demande de contrôle judiciaire. À cet égard, il était loisible à la protonotaire de conclure que l’exception autorisant le dépôt d’offres pour prouver un accord de règlement ne pouvait s’appliquer, vu que les parties avaient acquiescé à l’audience devant l’arbitre, durant laquelle l’appelant était représenté par un avocat.

[8] La loi protège ce genre de communications de la divulgation, dans l’éventualité où l’affaire ne pourrait se régler, afin d’encourager des discussions franches et honnêtes en vue d’un règlement. Si ce n’était pas le cas, les employeurs ou anciens employeurs pourraient bien hésiter à proposer des offres de règlement, si leurs offres pouvaient être utilisées contre eux dans le cas où les parties ne pourraient parvenir à un règlement.

[9] En outre, il n’est pas rare que des arbitres du travail dirigeant des séances de médiation consensuelles avant l’audition d’une affaire expriment des opinions provisoires durant la médiation concernant les forces ou les faiblesses des positions des parties, dans le but de favoriser un règlement, en particulier quand les parties sont représentées par un avocat expérimenté, comme c’était le cas en l’espèce. De tels commentaires ne constituent pas un indice de partialité. Voir, par exemple, la décision Skinner c. Fedex Ground Ltd., 2014 CF 426, 453 F.T.R. 315, par. 7 à 10; Santa Fe Masonry v. Bricklayers, Masons Independent Union of Canada, Local 1, 2006 CarswellOnt 8141, [2006] O.J. No. 5099 (QL) (Cour supérieure de justice de l’Ontario (Cour divisionnaire)), par. 4 à 10; Richard J. Charney et Thomas E. F. Brady, Judicial Review in Labour Law (Thomson Reuters) (feuilles mobiles électroniques, mis à jour en 2021, version no 1), ch. 11, 11.1100 à 11.1120. Par analogie avec la médiation ou l’arbitrage dans le contexte du droit de la famille, voir également l’arrêt Reilly v. Zacharuk, 2017 ONSC 7216, 2017 CarswellOnt 19316, par. 67 à 72.

[10] Cela aurait un effet inhibiteur sur la médiation en matière d’emploi et de travail et minerait l’efficacité de cette médiation si des commentaires, comme ceux qu’aurait faits l’arbitre selon les allégations de l’appelant, devaient être soumis aux tribunaux. Les commentaires que conteste l’appelant représentaient simplement le point de vue de l’arbitre quant à la solidité de l’offre faite par l’intimée, comparativement aux risques associés à la poursuite de l’arbitrage. Ce genre de commentaire est courant dans une médiation. La Cour fédérale n’a donc pas commis d’erreur en refusant de modifier l’ordonnance de la protonotaire radiant les paragraphes contestés, au motif qu’ils étaient protégés par un privilège de règlement.

[11] La Cour fédérale n’a également pas commis d’erreur en refusant d’annuler la décision de la protonotaire, qui avait refusé à l’appelant l’autorisation de modifier son avis de demande pour demander à la Cour fédérale d’ordonner sa réintégration, ou d’obliger l’intimée à entreprendre une recherche d’emploi. Conformément à l’arrêt Fisher-Tennant de notre Cour, lorsqu’elle a évalué le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale ne pouvait elle-même ordonner la réintégration de l’appelant ou la recherche d’emploi, sauf si elle avait conclu qu’il s’agissait là du seul résultat possible.

[12] Il était loisible à la protonotaire de conclure que l’appelant n’avait pas formulé ses demandes de manière appropriée, en vue d’obtenir un tel résultat. De plus, la protonotaire a conclu que l’appelant avait l’autorisation de modifier son avis de demande, pour demander une telle mesure de redressement, s’il concentrait ses demandes plus directement sur la décision de l’arbitre.

[13] Étant donné les questions que devait trancher l’arbitre, cette modification aurait pu permettre à l’appelant de demander une substitution directe de la mesure de redressement ou, de façon plus juste, de demander à la Cour fédérale de prononcer un bref de mandamus ou une ordonnance, obligeant l’arbitre à rendre les ordonnances demandées par l’appelant. Même si une telle mesure de redressement est inhabituelle, elle est possible dans les cas appropriés lors d’une demande de contrôle judiciaire (voir l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4th) 1, par. 139 à 142; Fisher-Tennant, par. 66 à 90; Canada (Procureur général) c. Bétournay, 2018 CAF 230, 48 Admin. L.R. (6th) 71, par. 69 et 70; D’Errico c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 95, 459 N.R. 167, par. 14 à 21; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. LeBon, 2013 CAF 55, 444 N.R. 93, par. 13 à 15).

[14] Comme la protonotaire a laissé la porte ouverte à cette possibilité – quoique avec autorisation – elle n’a pas commis d’erreur de droit en rendant son ordonnance. Il était également loisible à la protonotaire de demander à l’appelant d’obtenir l’autorisation nécessaire avant de faire une telle modification, en raison des difficultés rencontrées précédemment avec son acte de procédure. La Cour fédérale n’a donc pas commis d’erreur en refusant d’annuler la décision de la protonotaire de rejeter les modifications proposées, ou d’imposer l’obligation d’obtenir une autorisation.

[15] L’appelant affirme également que la Cour fédérale a commis une erreur en refusant de lui permettre de résilier les ententes qu’il avait conclues concernant des parties de son avis de demande qui, selon ce qu’il avait reconnu, devraient être radiées, et en adjugeant les dépens. Ces affirmations n’ont aucun fondement. Rien ne prouve que l’appelant n’avait pas la capacité de conclure les ententes qu’il a conclues durant l’audience devant la protonotaire, ou qu’il a été d’une manière ou d’une autre forcé de conclure ces ententes.

[16] Quant à la question des dépens, l’appelant a un intérêt pécuniaire dans l’issue de la demande de contrôle judiciaire, et il ne peut donc pas être considéré comme un plaideur agissant dans l’intérêt public. Par conséquent, il ne peut demander à être protégé d’une adjudication de dépens prononcée contre lui à titre de plaideur agissant dans l’intérêt public. L’adjudication de dépens est une décision discrétionnaire. Il n’y a pas lieu de modifier l’adjudication des dépens, puisque les dépens suivent normalement l’issue de la cause et que l’appelant a été débouté, tant devant la protonotaire que devant la juge de la Cour fédérale.

[17] Puisque l’appelant n’a également pas eu gain de cause dans le présent appel, son appel sera rejeté, avec dépens.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-378-19

INTITULÉ :

GABRIEL FONO c. LA SOCIÉTÉ CANADIENNE D’HYPOTHÈQUES ET DE LOGEMENT

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 juin 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LEBLANC

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LA JUGE GLEASON

COMPARUTIONS :

Gabriel Fono

 

Pour l’appelant

 

Christopher Rootham

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O’Brien Payne LLP

 

Pour l’intimée

 

 

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