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Date : 20210616


Dossiers : A-49-20

A-52-20

A-53-20

A-54-20

Référence : 2021 CAF 121

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

LA JUGE MACTAVISH

 

 

Dossier : A-49-20

ENTRE :

JAMES MOODIE (aussi connu sous le nom de Jim Moodie) et

DENETTY MOODIE (aussi connu sous le nom de Denny Moodie)

appelants

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

intimée

Dossier : A-52-20

ET ENTRE :

GARNET ALEXANDER HARMAN

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

intimée

Dossier : A-53-20

ET ENTRE :

ROSS WILLIAM MCKINNA

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

intimée

Dossier : A-54-20

ET ENTRE :

ROLAND HEDLEY KLESSE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 17 mai 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 juin 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LA JUGE MACTAVISH

 


Date : 20210616


Dossiers : A-49-20

A-52-20

A-53-20

A-54-20

Référence : 2021 CAF 121

CORAM :

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

LA JUGE MACTAVISH

 

 

Dossier : A-49-20

ENTRE :

JAMES MOODIE (aussi connu sous le nom de Jim Moodie) et

DENETTY MOODIE (aussi connu sous le nom de Denny Moodie)

appelants

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

intimée

Dossier : A-52-20

ET ENTRE :

GARNET ALEXANDER HARMAN

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

intimée

Dossier : A-53-20

ET ENTRE :

ROSS WILLIAM MCKINNA

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

intimée

Dossier : A-54-20

ET ENTRE :

ROLAND HEDLEY KLESSE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NEAR

[1] Les présents appels consistent en quatre affaires entendues conjointement, les appelants interjetant appel des jugements sommaires connexes rendus par le juge Pentney de la Cour fédérale : Canada c. Moodie, 2020 CF 46 [Moodie]; Canada c. Harman, 2020 CF 47; Canada c. McKinna, 2020 CF 48; Canada c. Klesse, 2020 CF 45. Dans chacune des décisions, la Cour fédérale a accordé au Canada, la demanderesse dans les quatre actions et l’intimée en l’espèce, le recouvrement des paiements effectués dans le cadre du programme de paiements anticipés prévu par la Loi sur les programmes de commercialisation agricole, L.C. 1997, ch. 20, dans sa version en vigueur le 28 février 2008 [la LPCA], par le Canada au nom des différents défendeurs dans les actions, les appelants en l’espèce.

[2] Les appelants étaient représentés par la même avocate et ont invoqué les mêmes arguments en appel. Bien que des sommes précises et des dates pertinentes varient dans chaque cas, l’avocate des appelants a indiqué qu’il n’y avait aucune différence factuelle importante entre les affaires requérant une analyse particulière. Par conséquent, un seul exposé des motifs sera rendu et versé au dossier pour chacun des appels.

[3] Je constate également que l’avocate des appelants a fait savoir que Ross William McKinna, l’appelant dans le dossier A-53-20, est décédé avant l’audition des présents appels. À aucun moment, l’avocat de l’intimée n’a soutenu que M. McKinna ne pouvait validement être constitué partie à l’appel.

[4] Pour résumer brièvement les faits, dans le cadre du programme de paiements anticipés, les producteurs agricoles sont autorisés à obtenir des paiements anticipés auprès des organismes d’administration agricole, comme la Commission canadienne du blé. Pour bénéficier du programme, le producteur doit conclure un accord de remboursement qui prévoit notamment le moment du remboursement d’un paiement anticipé et les modalités de ce remboursement.

[5] L’article 23 de la LPCA dispose effectivement que le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire (le ministre) se porte garant du producteur. Si le producteur ne respecte pas ses obligations de remboursement, l’organisme créancier désigné agent d’exécution peut présenter une demande de paiement au ministre. À certaines conditions, le ministre est tenu par la loi de rembourser les sommes impayées au nom du producteur défaillant. Grâce à ce programme, les producteurs agricoles ont plus facilement accès au crédit par le transfert au ministre d’une partie importante du risque associé au prêt.

[6] Le ministre a néanmoins le droit d’être indemnisé intégralement en cas de défaut du producteur. Les paragraphes 23(2) et 23(4) de la LPCA disposent de ce qui suit :

Subrogation

Subrogation

(2) Le ministre est subrogé dans les droits de l’agent d’exécution contre le producteur défaillant et les personnes qui se sont engagées personnellement au titre des alinéas 10(1)c) et d), à concurrence du paiement qu’il fait au titre du paragraphe (1).

(2) The Minister is, to the extent of any payment under subsection (1), subrogated to the administrator’s rights against the producer in default and against persons who are personally liable under paragraphs 10(1)(c) and (d).

[…]

Prescription

Limitation period

(4) Toute poursuite visant le recouvrement par le ministre d’une créance relative au montant non remboursé de l’avance, aux intérêts ou aux frais se prescrit par six ans à compter de la date à laquelle il est subrogé dans les droits de l’agent d’exécution.

(4) No action or proceedings may be initiated by the Minister to recover any amounts, interest and costs that are owing more than six years after the day on which the Minister is subrogated to the administrator’s rights.

[nos soulignements]

[emphasis added]

[7] Les appels portent sur l’interprétation qu’il convient de donner à ces paragraphes, et plus précisément, à la partie soulignée.

[8] Comme je l’ai mentionné, les dates et les sommes précises varient dans chaque cas, mais la chronologie des événements de chacun des cas suit une tendance similaire. Dans chacun des cas, le producteur a obtenu un paiement anticipé en concluant un accord de remboursement avec un agent d’exécution. Le producteur a ensuite manqué à ses obligations de remboursement, et l’agent d’exécution a présenté une demande de paiement au ministre et a obtenu le paiement. Le ministre a intenté une action en recouvrement plus de six ans après la date à laquelle le producteur a manqué à ses obligations de remboursement la première fois, mais moins de six ans après la date à laquelle le ministre a effectué un paiement à l’agent d’exécution à la place du producteur.

[9] Les appelants soutiennent que cela signifie que, dans chaque cas, l’action en recouvrement intentée par le ministre était prescrite, parce que ces actions n’avaient pas été intentées dans le délai de prescription prévu au paragraphe 23(4) de la LPCA. Les appelants élaborent une argumentation nouvelle selon laquelle le délai de six ans mentionné au paragraphe 23(4) commence à courir à compter de la date à laquelle le producteur manque à ses obligations de remboursement. Si j’ai bien compris la thèse des appelants, ces derniers affirment qu’il s’agit de la date à laquelle le ministre devient subrogé dans les droits de recouvrement de l’agent d’exécution. Ils soutiennent qu’en accueillant les actions, la Cour fédérale a commis une erreur de droit.

[10] Plusieurs raisons militent en faveur du rejet de l’interprétation que font les appelants du paragraphe 23(4). Tout d’abord, leur interprétation est contraire au sens ordinaire de la loi. Le concept de subrogation n’est pas contesté et la date à laquelle elle se produit est généralement considérée comme la date à laquelle le garant ou la caution rembourse la créance au créancier, et se faisant, acquiert les droits du créancier relativement à la créance. Le Black’s Law Dictionary définit la subrogation dans les termes suivants : « [traduction] Substitution d’une personne à une autre qui rembourse la créance de l’autre personne, de sorte que la personne qui se substitue à l’autre acquiert les droits de celle-ci à l’égard de la créance, et les droits, recours ou garanties qui s’y rattachent et qui, sinon, appartiendraient au débiteur » : Bryan A. Garner, ed., Black’s Law Dictionary, 11th ed. (Thomson Reuters, 2019) [italiques ajoutés]. Le subrogé doit en fait rembourser la créance pour obtenir les droits du créancier, par subrogation.

[11] En outre, il ressort clairement du libellé du paragraphe 23(2) que le ministre n’est subrogé qu’« à concurrence du paiement qu’il fait en application d[u] paragraphe (1) [...] », à savoir le paiement à l’agent d’exécution. Il s’ensuit que, si aucun paiement n’est effectué aux termes du paragraphe (1), il ne se produit aucune subrogation et le délai de prescription de six ans prévu au paragraphe 23(4) ne commence pas à courir.

[12] En fait, la deuxième raison pour laquelle l’interprétation donnée par les appelants devrait être rejetée est qu’elle suppose que, si le ministre devient subrogé dans les droits de l’agent d’exécution au moment du défaut du producteur, il pourrait intenter une action en recouvrement de la créance contre le producteur avant que l’agent d’exécution ne présente une demande de paiement au ministre et avant que ce dernier ne verse les fonds. Cela voudrait probablement dire soit que l’agent d’exécution ne peut chercher à recouvrer la créance elle-même, ses droits de créancier ayant été cédés au ministre au moment du défaut du producteur, soit que le producteur serait responsable en cas de défaut envers l’agent d’exécution et le ministre, en même temps. Cette interprétation est franchement sans fondement, et les appelants n’ont invoqué aucun argument convaincant quant à savoir pourquoi cette interprétation forcée devrait l’emporter sur celle qui est la plus évidente et logique, à savoir que la subrogation se produit lorsque le ministre rembourse l’agent d’exécution à la place du producteur.

[13] Cela est conforme à la conclusion du juge de la Cour fédérale qui a souligné que la LPCA énonce des conditions préalables précises qui doivent être remplies avant que le ministre ne soit tenu de rembourser l’agent d’exécution à la place du producteur : Moodie, para. 27. Le juge de la Cour fédérale a donc conclu que le ministre ne devient pas subrogé dans les droits de l’agent d’exécution au moment du défaut du producteur : Moodie, paras 27 et 28.

[14] Je suis d’avis que l’obligation du ministre de rembourser l’agent d’exécution à la place du producteur n’existe pas au moment où le producteur est en défaut, et en fait cette obligation ne naîtra probablement jamais si l’agent d’exécution ne suit pas toutes les étapes obligatoires prévues par la loi. Il est donc difficile de voir comment le ministre pourrait devenir subrogé dans les droits de l’agent d’exécution au moment du défaut du producteur, avant que le ministre n’ait effectué le paiement à la place du producteur et avant qu’il ne soit même évident qu’il devra le faire.

[15] Par conséquent, je suis d’avis que les créances du ministre n’étaient pas prescrites puisque les délais de prescription n’avaient pas commencé à courir au moment du défaut des appelants.

[16] Bien que les appelants aient principalement fait valoir que le paragraphe 23(2) devait être interprété comme signifiant que le délai de prescription commence à courir à compter de la date du défaut, ils ont également soumis des arguments selon lesquels le fait d’accueillir les actions en recouvrement était tout à fait injuste.

[17] Les appelants ont invoqué la doctrine de la subrogation qui relève de l’equity et qui veut que le subrogé ne puisse être mieux placé que le créancier originaire. Selon les appelants, le fait d’autoriser que l’action suive son cours plus de six ans après la date du défaut est injuste envers les appelants, car elle place le ministre dans une meilleure position qu’était placé l’agent d’exécution puisque ce dernier était assujetti à des délais de prescription provinciaux.

[18] Les appelants soutiennent également que les accords de remboursement devaient énoncer clairement que le délai de prescription applicable n’était pas celui prévu dans les lois provinciales. Ils font valoir qu’il est injuste de permettre au Canada de se fonder sur des dispositions qui prévoient un délai de prescription différent, inconnu des appelants au moment où ils ont conclu les accords de remboursement.

[19] Le problème principal avec chacun de ces arguments est le fait qu’ils ne peuvent clairement expliquer pourquoi, en droit, une disposition législative valide et applicable doit être écartée pour des motifs d’iniquité. Les appelants n’ont pas réussi à attaquer de façon directe et convaincante la validité de la loi elle-même. Ainsi, les arguments avancés par les appelants voulant qu’il serait injuste de permettre au ministre de recouvrer les sommes dans le délai prévu au paragraphe 23(4) ne justifient aucunement d’infirmer les décisions de la Cour fédérale.

[20] Par conséquent, je rejetterais les appels avec dépens pour chaque appel fixés à une somme globale de 1 000 $.

« D.G. Near »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Judith Woods, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Anne L. Mactavish, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossiers :

A-49-20, A-52-20, A-53-20 ET A-54-20

DOSSIER :

A-49-20

 

INTITULÉ :

JAMES MOODIE ET AUTRE. c.

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

ET DOSSIER :

A-52-20

 

INTITULÉ :

GARNET ALEXANDER HARMAN c.

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

ET DOSSIER :

A-53-20

 

INTITULÉ :

ROSS WILLIAM MCKINNA c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

ET DOSSIER :

A-54-20

 

INTITULÉ :

ROLAND HEDLEY KLESSE c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 mai 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 juin 2021

 

COMPARUTIONS :

Tarissa L. Peterson

 

Pour les appelants

 

Don Klaassen

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Linka Howe Peterson Law Offices

Regina (Saskatchewan)

 

Pour les appelants

 

Sous-procureure générale du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

Pour l’intimée

 

 

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