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Date : 20210611


Dossier : A-133-20

Référence : 2021 CAF 117

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

REGAN DOW

appelante

et

LA COMMISSION CANADIENNE DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 19 mai 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 11 juin 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

 


Date : 20210611


Dossier : A-133-20

Référence : 2021 CAF 117

CORAM :

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

REGAN DOW

appelante

et

LA COMMISSION CANADIENNE DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MACTAVISH

[1] La Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, L.C. 1997, ch. 9 [la LSRN], érige en infraction le fait de prendre des mesures disciplinaires contre une personne qui communique des renseignements à un fonctionnaire de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN). L’appelante, Regan Dow, allègue avoir été victime de représailles de la part de son employeur, les Laboratoires nucléaires canadiens (LNC), parce qu’elle a déposé auprès de la CCSN des plaintes dans lesquelles elle alléguait que les LNC avaient communiqué à la CCSN des renseignements qu’ils savaient faux.

[2] Au terme d’une enquête, la CCSN a conclu que rien n’indiquait que les LNC avaient pris des mesures disciplinaires contre Mme Dow pour avoir communiqué des renseignements à la CCSN, et que les questions en litige qui avaient mené à son licenciement par les LNC n’étaient pas liées à sa plainte initiale.

[3] Dans le jugement portant la référence 2020 CF 376, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par Mme Dow à l’encontre de la décision de la CCSN. La Cour a conclu que Mme Dow n’était pas « directement touché[e] » par la décision de la CCSN d’une manière qui lui conférait le droit de demander le contrôle judiciaire de cette décision. Il découlait de cette décision que la CCSN n’était pas tenue à une obligation d’équité procédurale envers Mme Dow durant son processus d’enquête.

[4] Mme Dow allègue que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas qualité pour contester la décision de la CCSN. Elle fait en outre valoir que, durant son enquête, la CCSN a manqué à son obligation d’équité procédurale qui était due à l’appelante, en omettant de l’informer des arguments à réfuter et en refusant de lui donner pleinement et équitablement l’occasion de répliquer à la preuve qui pesait contre elle.

[5] Mme Dow ne m’a pas convaincue que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas qualité pour contester la décision de la CCSN. Par conséquent, je rejetterais l’appel.

I. Exposé des faits

[6] Mme Dow est une ingénieure chimiste et une personne vivant avec un handicap. Elle a travaillé comme spécialiste principale de la qualité aux LNC de 2012 jusqu’à son licenciement, en avril 2017. À ce titre, elle devait veiller à ce que les LNC respectent toutes les normes, ainsi que tous les codes, règlements et accords régissant le travail qu’ils menaient.

[7] Des modalités de travail flexibles avaient été accordées à Mme Dow, ce qui lui permettait à l’occasion de travailler à domicile. Ces modalités ont manifestement donné de bons résultats, car les premières évaluations du rendement de Mme Dow étaient très positives.

[8] Vers 2014, Mme Dow a commencé à exprimer des réserves au sujet d’un projet de remise en état auquel participaient les LNC. Elle affirme que ses supérieurs ont soudainement commencé à se plaindre de son rendement au travail lorsqu’elle a tenté de faire part de ses réserves à l’interne. La direction a aussi commencé à se montrer moins flexible en ce qui a trait à ses demandes de mesures d’adaptation ce qui, allègue Mme Dow, a entraîné une détérioration de son état de santé. Cela a forcé Mme Dow à prendre un congé de maladie en avril 2016.

[9] Le 19 octobre 2016, Mme Dow a déposé sa première plainte auprès de la CCSN, dans laquelle elle alléguait que les LNC avaient communiqué à la CCSN des renseignements qu’ils savaient faux et qu’elle avait été victime de harcèlement de la part de la direction des LNC après avoir exprimé ses préoccupations au sein de l’entreprise. À l’époque, la CCSN n’a pas donné suite à la plainte de Mme Dow, car ses analystes croyaient manifestement que la plainte ne relevait pas de la compétence de l’organisme de réglementation. Les LNC ont été informés de la plainte déposée par Mme Dow auprès de la CCSN en novembre 2016.

[10] Dans l’intervalle, les LNC pressaient Mme Dow de leur communiquer d’autres renseignements médicaux pour appuyer sa demande de congé de maladie. Bien que Mme Dow ait fourni aux LNC les rapports de son médecin justifiant la poursuite de son congé, les LNC n’ont pas jugé que ces renseignements étaient satisfaisants et, le 28 avril 2017, ils ont licencié Mme Dow pour abandon de poste et pour défaut de produire des documents satisfaisants à l’appui de sa demande de congé de maladie.

[11] Le 3 mai 2017, Mme Dow a déposé une deuxième plainte auprès de la CCSN, dans laquelle elle alléguait notamment que les LNC l’avaient licenciée parce qu’elle avait déposé une plainte auprès de la CCSN en octobre 2016.

[12] La CCSN n’a pas mené immédiatement une enquête approfondie sur la plainte déposée en mai 2017 par Mme Dow, ce qui a amené cette dernière à porter la question à l’attention du président de la CCSN. La CCSN a par la suite accepté de rouvrir l’enquête visant à déterminer si les LNC avaient commis une infraction passible de poursuites. Elle l’a fait après avoir conclu que l’alinéa 48g) de la LSRN ne précisait pas que les renseignements communiqués à la CCSN devaient porter sur des questions qui relevaient de sa compétence.

[13] Les enquêteurs de la CCSN ont ensuite interrogé Mme Dow et plusieurs autres personnes et examiné de nombreux documents. L’enquête a abouti à la publication, en juin 2018, d’un rapport de quatre-vingt-quatre pages dans lequel il était indiqué que les enquêteurs n’avaient découvert aucune preuve d’une infraction à l’alinéa 48g) de la LSRN. En d’autres termes, aucun élément de preuve n’indiquait que les LNC avaient pris des mesures disciplinaires contre Mme Dow parce qu’elle avait aidé la CCSN ou qu’elle lui avait communiqué des renseignements. Aucune copie de ce rapport n’a été remise à Mme Dow avant la publication de la version définitive et Mme Dow n’a pas eu l’occasion de commenter les conclusions des enquêteurs.

[14] Les enquêteurs ont conclu que, exception faite du licenciement, la plupart, sinon la totalité, des exemples mentionnés par Mme Dow pour illustrer le traitement injuste dont elle avait victime étaient antérieurs à la première plainte qu’elle avait déposée auprès de la CCSN en octobre 2016, de sorte que la plainte ne pouvait pas avoir été un facteur ayant contribué à ce traitement. Les enquêteurs ont en outre conclu que les questions liées à l’emploi soulevées par Mme Dow n’étaient pas liées à sa plainte initiale.

[15] En juillet 2018, Mme Dow a reçu une lettre du vice-président de la CCSN qui l’informait que l’enquête relative à sa plainte était terminée. Un résumé de deux pages des conclusions de l’enquête avait été joint à cette lettre. Malgré l’absence de mentions explicites en ce sens, il ressortait clairement de la lettre et du résumé des conclusions que la CCSN n’avait trouvé aucune preuve que les LNC avaient commis une infraction aux termes de la LSRN et, donc, que la CCSN ne comptait pas pousser plus loin l’enquête relative à la plainte de Mme Dow.

[16] Insatisfaite des conclusions de l’enquête, Mme Dow a présenté une demande de contrôle judiciaire du règlement de sa plainte, en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. À la Cour fédérale, Mme Dow a principalement fait valoir qu’elle avait été privée de son droit à l’équité procédurale durant le processus d’enquête.

[17] La Cour fédérale a conclu que Mme Dow ne pouvait demander un contrôle judiciaire de la décision de la CCSN relativement à sa plainte, car elle n’était pas « directement touché[e] par l’objet de la demande ». En conséquence, sa demande de contrôle judiciaire a été rejetée.

II. Norme de contrôle

[18] Lors d’un appel d’une décision de la Cour fédérale saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision administrative, le rôle de notre Cour consiste habituellement à se « met[tre] à la place » de la Cour fédérale, et à déterminer si elle a employé la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 45 à 47. Cependant, la décision déterminant si Mme Dow avait qualité pour présenter sa demande de contrôle judiciaire a été rendue par la Cour fédérale, et non par la CCSN. Par conséquent, ce sont les normes de contrôle en appel énoncées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 qui s’appliquent : Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, par. 30 [arrêt ACADR].

[19] Une décision portant sur la qualité pour agir constitue une question de droit et de fait, qui doit donc être examinée en regard de la norme de l’erreur manifeste et dominante : arrêt ACADR, précité, par. 31.

III. Régime législatif

[20] Avant d’examiner la question de la qualité pour agir, il est utile de comprendre le régime législatif dans lequel s’inscrit la plainte déposée par Mme Dow. L’article 3 de la LSRN prévoit que l’un des objets de la Loi est de limiter les « risques liés au développement, à la production et à l’utilisation de l’énergie nucléaire, ainsi qu’à la production, la possession et l’utilisation des substances nucléaires [...] tant pour la préservation de la santé et de la sécurité des personnes et la protection de l’environnement que pour le maintien de la sécurité nationale [...] ». La CCSN est un organisme de réglementation qui a notamment pour mission de réglementer le développement, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire ainsi que la production, la possession et l’utilisation des substances nucléaires, de l’équipement réglementé et des renseignements réglementés, afin de prévenir les risques déraisonnables pour l’environnement, la santé et la sécurité des personnes ou la sécurité nationale : LSRN, art. 9.

[21] Les articles 48 à 50 de la LSRN définissent plusieurs infractions en lien avec l’atteinte de ces objectifs. Ils prévoient notamment que quiconque a en sa possession certaines substances nucléaires sans y être autorisé (article 50), ou contrevient aux conditions d’une licence ou d’un permis (alinéa 48c)), commet une infraction. D’autres infractions portent sur des comportements qui risquent de nuire à la capacité de la CCSN de réglementer ceux qui participent à l’industrie nucléaire, en criminalisant les actions qui entravent la capacité de la CCSN de prendre connaissance de possibles infractions à la LSRN.

[22] L’une de ces infractions est définie à l’alinéa 48 g), qui est rédigé ainsi :

48. Commet une infraction quiconque:

48. Every person commits an offence

who

[…]

[…]

g) prend des mesures disciplinaires contre une personne qui aide la Commission, un inspecteur ou un fonctionnaire désigné ou qui leur donne des renseignements dans le cadre de ses fonctions sous le régime de la présente loi […]

(g) takes disciplinary action against a person who assists or gives information to an inspector, a designated officer or the Commission in the performance of the person’s functions or duties under this Act […]

[23] Il convient également, aux fins du présent appel, de mentionner le paragraphe 51(3) de la LSRN, qui dispose que les personnes reconnues coupables d’une infraction à l’alinéa 48g) de la LSRN sont coupables d’un acte criminel et sont passibles d’une amende maximale de 1 000 000 $ ou d’une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans, ou les deux. L’infraction peut aussi faire l’objet d’une déclaration de culpabilité sommaire, auquel cas les personnes déclarées coupables de cette infraction sont passibles d’une amende maximale de 500 000 $ ou d’une peine d’emprisonnement maximale de dix-huit mois, ou les deux. Toutes les dispositions du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, s’appliquent à la poursuite des infractions à l’alinéa 48g), à moins de dispositions contraires prévues dans la LSRN : Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, par. 34(2).

[24] Rien dans la LSRN ne confère de droits aux lanceurs d’alerte, ni ne prévoit quelque forme de réparation ou de recours pour les personnes dans la situation de Mme Dow.

IV. Argument de Mme Dow sur la question de la qualité pour agir

[25] Bien que Mme Dow ait initialement fait valoir qu’elle répondait au critère définissant la qualité pour agir dans l’intérêt public, elle a par la suite abandonné cette prétention et, à la Cour fédérale et devant notre Cour, elle a fait valoir qu’elle avait qualité, à titre personnel, pour demander un contrôle judiciaire de la décision de la CCSN relativement à ses plaintes.

[26] Le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales dispose qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée « par quiconque est directement touché par l’objet de la demande ».

[27] Mme Dow soutient que la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante en concluant qu’elle n’était pas « directement touché[e] » par la décision de la CCSN. Elle affirme premièrement que la Cour n’a pas tenu compte des conséquences personnelles que la décision en litige a eues sur elle. Selon Mme Dow, la décision des LNC de la licencier pourrait être perçue par ses collègues et d’éventuels employeurs comme une décision valide, qui ne serait pas entachée d’une intention de représailles et qui lui causerait un préjudice manifeste et directement prévisible. Elle allègue donc qu’il est dans son intérêt personnel d’obtenir justice pour les efforts qu’elle a faits afin de signaler des actes répréhensibles.

[28] Mme Dow fait également valoir que le processus de divulgation et d’enquête prévu par la LSRN serait miné si quelqu’un dans sa position n’avait pas qualité pour contester la manière dont la CCSN mène ses enquêtes. Il est dans l’intérêt public, affirme-t-elle, que les plaintes soient traitées d’une manière équitable et que les lanceurs d’alerte comme Mme Dow soient autorisés à s’attaquer aux erreurs dans les enquêtes de la CCSN.

[29] Pour étayer ses allégations, Mme Dow mentionne un document interne de la CCSN intitulé « Overview for Managing External Complaints » (aperçu du processus de gestion des plaintes externes), qui fournit des indications quant au processus que doit suivre le personnel de la CCSN qui reçoit des plaintes de sources externes. Selon Mme Dow, [traduction] « le législateur n’a pas défini » le processus à suivre pour le traitement des plaintes reçues par la CCSN, et il a cherché à combler cette lacune en produisant ce manuel et en établissant un processus d’enquête pour favoriser l’atteinte des objets de la LSRN.

[30] Mme Dow mentionne que ce document général précise que le processus de gestion des plaintes externes de la CCSN repose sur plusieurs principes fondamentaux, dont celui selon lequel la gestion des plaintes doit se faire [traduction] « en conformité avec les principes de justice et d’équité ».

[31] Ailleurs dans ce document, il est fait référence à la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 [la LCDP], et à la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, L.C. 2005, ch. 46 [la LPFDAR]. Selon Mme Dow, les processus de traitement des plaintes définis dans ces deux lois diffèrent de celui prévu dans la LSRN. Elle fait valoir toutefois que le renvoi à ces autres lois dans le document général équivaut à reconnaître que les plaintes déposées au titre de ces lois peuvent porter notamment sur la dénonciation, et semble indiquer que les plaintes relatives à la dénonciation nécessitent la tenue d’enquêtes respectant certaines normes minimales.

[32] Mme Dow reconnaît que la LSRN ne prévoit aucune mesure de réparation individuelle et que ce facteur tendrait à démontrer qu’elle n’a pas qualité pour présenter une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la CCSN. Cependant, elle ajoute que l’existence d’un pouvoir discrétionnaire de réparation n’est pas une condition préalable essentielle pour que les plaignants aient qualité pour contester des décisions de la CCSN. C’est d’autant plus vrai qu’il n’existe personne d’autre qui pourrait contester des décisions défavorables, les questions d’intérêt public soulevées par ces types de plaintes de même que les intérêts liés à la réputation qui sont en jeu dans de telles instances. Selon Mme Dow, la Cour fédérale a, sur ce dernier point, [traduction] « trop insisté uniquement sur les droits reconnus par la loi » et a omis de dûment tenir compte des conséquences que les actions de la CCSN avaient eues sur elle.

V. Discussion

[33] Tel que mentionné précédemment, pour avoir le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire aux termes du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, le demandeur doit être « directement touché par l’objet de la demande ».

[34] Toutes les mesures administratives ne donneront pas ouverture au droit de présenter une demande de contrôle judiciaire. Ainsi, aucun droit de contrôle n’existe lorsque la conduite en litige ne porte pas atteinte à des droits reconnus par la loi, n’impose pas d’obligations juridiques ou n’entraîne pas d’effets préjudiciables : Canada (Procureur général) c. Démocratie en surveillance, 2020 CAF 69, [2020] A.C.F. no 498, par. 19, autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, 39202 (15 octobre 2020) [arrêt Démocratie en surveillance 2020]. Voir aussi les arrêts Droits des voyageurs c. Canada (Office des transports), 2020 CAF 92, [2020] A.C.F. n630, par. 22, autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, 39266 (23 décembre 2020), Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 153, [2019] 2 R.C.F. 3, par. 175, autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, 38379 (2 mai 2019), et Démocratie en surveillance c. Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, 2009 CAF 15, 86 Admin. L.R. (4th) 149.

[35] La décision de la CCSN de ne pas prendre d’autres mesures relativement aux plaintes de Mme Dow n’a pas eu d’incidence sur ses droits. Plus précisément, cette décision ne l’a pas privée de quelque recours judiciaire qu’elle aurait pu par ailleurs exercer.

[36] Les mesures que la CCSN peut prendre en lien avec des allégations d’infraction à l’alinéa 48g) de la LSRN sont conformes à l’objet de la LSRN, qui est de réglementer l’industrie nucléaire, et non de régler des différends entre employeurs et employés. La CCSN dispose de divers moyens en cas d’inobservation de la LSRN, notamment les ordonnances, la révocation de licences et de permis, les sanctions administratives pécuniaires et les poursuites judiciaires. Les mesures de réglementation et d’application de la loi prévues dans la LSRN ont une incidence sur les droits et les intérêts des entités réglementées, mais pas sur ceux de leurs employés personnellement. La CCSN n’est pas habilitée à siéger en qualité d’arbitre pour régler des différends entre des parties privées, pas plus qu’elle n’a le pouvoir d’accorder réparation à ceux qui déposent des plaintes externes.

[37] Le fait que la LSRN ne définit pas de processus d’enquête et de règlement des plaintes, ni ne prévoit de mesures de réparation personnelle pour les victimes de mesures disciplinaires illégales, contraste largement avec les droits des plaignants prévus dans la LPFDAR et la LCDP. Ces deux lois imposent des processus d’enquête et de règlement des plaintes qui confèrent certains droits de participation aux plaignants et leur donnent accès à des mesures de réparation prévues par la loi, lorsque leurs plaintes sont fondées.

[38] À titre d’exemple, la LPFDAR prévoit des mesures de protection pour les fonctionnaires qui font l’objet de représailles pour avoir divulgué des actes répréhensibles de leur employeur. La LPFDAR impose au commissaire à l’intégrité du secteur public l’obligation de « recevoir et [d’]examiner les plaintes à l’égard des représailles, [d’]enquêter sur celles-ci et [d’]y donner suite » (al. 22i)). Selon les paragraphes 19.4(1), (2) et (3), le commissaire « statue sur la recevabilité de la plainte » et, s’il décide que la plainte est irrecevable, il envoie par écrit sa décision motivée au plaignant. Cette obligation est conforme à l’objet de la LPFDAR qui est notamment de protéger les fonctionnaires qui divulguent des actes répréhensibles et d’offrir des mesures de réparation aux lanceurs d’alerte qui font l’objet de représailles.

[39] De même, la LCDP crée un système de règlement des plaintes qui vise à accorder réparation aux personnes qui peuvent établir qu’elles ont fait l’objet d’un traitement différent préjudiciable, fondé sur un motif de distinction illicite tel que la race, le sexe ou la déficience. La LCDP définit les critères régissant le traitement des plaintes, ainsi que les procédures à suivre pour tenir compte des droits de participation des plaignants.

[40] Mme Dow fait valoir que la LSRN devrait être interprétée d’une manière téléologique, afin que lui soient conférés des droits de participation s’apparentant quelque peu à ceux conférés aux plaignants au titre de la LPFDAR et de la LCDP, et nous demande ainsi essentiellement de créer un régime législatif différent de celui que le législateur a choisi d’adopter. Nous n’avons pas la capacité de faire cela : PC Ontario Fund v. Essensa, 2012 ONCA 453, [2012] O.J. no 2908, par. 12. Voir également l’arrêt Démocratie en surveillance 2020, précité, par. 39 et 40.

[41] De fait, le rôle de la CCSN dans l’examen de possibles infractions à la LSRN s’apparente davantage à celui de la police chargée de faire enquête sur des actes criminels, et les pouvoirs de ses enquêteurs, durant la conduite d’enquêtes sur des infractions, ont de nombreux points en commun avec ceux des services policiers. La décision de la CCSN de poursuivre ou non une entité réglementée ne touche pas directement un plaignant comme Mme Dow. Les seules parties « directement touché[es] » par les décisions de faire enquête ou d’intenter des poursuites en cas d’infractions sont celles soupçonnées d’avoir enfreint la loi, les LNC en l’espèce, et celles chargées de faire enquête ou d’intenter des poursuites : CanWest MediaWorks Inc. c. Canada (Santé), 2007 CF 752, [2007] A.C.F. no 1008, par. 15, conf. par 2008 CAF 207.

[42] Le règlement de la plainte de Mme Dow par la CCSN n’a pas eu d’incidence non plus sur le droit qui lui est reconnu par la loi d’intenter d’autres types de recours judiciaires en lien avec son emploi chez les LNC. De fait, il semble qu’elle ait déposé une plainte de discrimination contre les LNC en application de la LCDP, ainsi qu’une plainte pour congédiement injuste au titre de l’article 240 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2. Elle a peut-être également intenté une action civile contre les LNC, bien que le dossier soit flou sur ce point.

[43] Même si Mme Dow n’a pas non plus affirmé que le règlement de sa plainte par la CCSN lui imposait quelque obligation juridique, elle mentionne que la décision de la CCSN pourrait lui causer des effets préjudiciables en portant atteinte à sa réputation professionnelle. Selon Mme Dow, de futurs employeurs et collègues éventuels pourraient considérer son licenciement par les LNC comme étant une mesure justifiée, et non comme une mesure de représailles.

[44] Mme Dow renvoie à la décision Chapman c. Canada (Procureur général), 2019 CF 975, [2020] 1 R.C.F. 3, pour faire valoir qu’une atteinte possible à la réputation constitue un effet préjudiciable suffisant pour conférer la qualité pour présenter un contrôle judiciaire d’une décision administrative. Cependant, la décision Chapman n’est guère utile en l’espèce. Dans cette décision, Mme Chapman n’était pas une plaignante, comme c’est le cas de Mme Dow; il s’agissait au contraire de la partie accusée d’avoir commis un acte répréhensible aux termes de la LPFDAR, et sa réputation était très clairement mise en cause. De plus, l’atteinte à la réputation avait été prise en compte pour déterminer le degré d’équité procédurale auquel Mme Chapman avait droit, et non pour évaluer sa qualité pour agir.

[45] Mme Dow n’a présenté à la Cour aucune preuve indiquant que le règlement de sa plainte par la CCSN avait été rendu public ou avait de quelque manière nui réellement à sa réputation professionnelle. La Cour fédérale n’a donc pas commis d’erreur manifeste et dominante en concluant que Mme Dow n’a pu établir que la décision de la CCSN lui a causé des effets préjudiciables d’un type lui donnant le droit de contester cette décision par voie de contrôle judiciaire.

VI. Conclusion

[46] La Cour fédérale a défini le bon critère juridique pour déterminer si Mme Dow avait qualité pour présenter sa demande de contrôle judiciaire, et cette dernière ne m’a pas convaincue que la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que Mme Dow n’avait pu établir qu’elle avait la qualité nécessaire pour présenter sa demande de contrôle judiciaire.

[47] Compte tenu de ma conclusion concernant la qualité pour agir, il n’est pas nécessaire de déterminer si Mme Dow a eu droit à un degré d’équité procédurale adéquat durant le processus d’enquête.

[48] En conséquence, je rejetterais l’appel avec dépens en faveur de l’intimée et je fixerais les dépens à 1 500 $, TPS et débours compris.

« Anne L. Mactavish »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

D.G. Near, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Judith Woods, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-133-20

 

 

INTITULÉ :

REGAN DOW c.

LA COMMISSION CANADIENNE DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 mai 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 11 juin 2021

 

COMPARUTIONS :

David Yazbeck

 

Pour l’appelante

 

Roy Lee

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’appelante

 

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

 

Pour l’intimée

 

 

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