Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20201001


Dossier : A-239-19

Référence : 2020 CAF 154

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

MARTHA COADY

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Appel jugé sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2020.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20201001


Dossier : A-239-19

Référence : 2020 CAF 154

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

MARTHA COADY

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE DE MONTIGNY

[1] Le 23 mai 2019, la Cour fédérale (le juge O’Reilly) a radié la demande de l’appelante visant à annuler une décision du Commissariat à l’information (CIC) de refuser de rouvrir ou d’entamer une enquête concernant une plainte qu’elle avait déposée auprès du CIC en 2010. Dans cette même demande, l’appelante demandait également l’accès à l’information concernant une enquête menée par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) sur des allégations de corruption publique et de blanchiment d’argent de 1993 à 2003. La Cour fédérale a estimé que la demande de l’appelante constituait un recours abusif et a également déclaré que l’appelante était une plaideuse quérulente aux termes du paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7. Le 24 juin 2019, l’appelante a interjeté appel à l’encontre de cette décision.

[2] Le 23 décembre 2019, le procureur général du Canada, pour son propre compte et pour le compte des intimés, a présenté une requête écrite à la Cour conformément à l’alinéa 221(1)c) et à l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, en vue d’obtenir 1) une ordonnance radiant l’appel de l’appelante interjeté à l’encontre de la décision du juge O’Reilly dans son intégralité au motif que l’appel était frivole et vexatoire et qu’il constituait un recours abusif, 2) une ordonnance considérant l’appelante comme une plaideuse quérulente, la contraignant à demander l’autorisation de la Cour avant de présenter une requête ou un appel devant la Cour, et 3) une ordonnance modifiant l’intitulé de la cause pour supprimer les deux intimés désignés et les remplacer par le procureur général du Canada.

[3] Au lieu de déposer un dossier de requête en réponse à la présente requête, l’appelante a déposé un « dossier de requête incidente » le 21 janvier 2020. Dans cette requête incidente, l’appelante demande une ordonnance prolongeant le délai de signification et de dépôt du dossier de requête incidente, une ordonnance exigeant que la requête de l’intimé soit entendue en audience publique, ainsi qu’une ordonnance modifiant l’ordonnance du 14 novembre 2019 de la juge Mactavish rejetant sa demande selon laquelle la GRC dépose un dossier d’enquête appelé « Projet Anecdote » auprès du greffe.

[4] Après avoir examiné attentivement le dossier de requête de l’intimé et le dossier de requête incidente de l’appelante, je suis arrivé à la conclusion que la requête de l’intimé doit être accueillie et que la requête incidente de l’appelant doit être rejetée. Voici les motifs qui m’amènent à cette conclusion.

I. Résumé des faits

[5] Mme Coady cherche à obtenir une copie d’un dossier d’enquête archivé de la GRC, le Projet Anecdote, depuis plus de dix ans. Elle demande maintenant pour la première fois, dans le contexte du présent appel, une copie d’un autre dossier d’enquête archivé de la GRC, le Projet Ambivalent. Elle affirme que ces dossiers, dont le premier porte sur des allégations de blanchiment d’argent, contiennent des renseignements relatifs à son ex-mari et mentionnent son nom. Plus précisément, elle soutient que les dossiers contiennent des éléments de preuve disculpatoires en ce qui concerne les allégations de faute professionnelle qui ont finalement mené à sa radiation du Barreau du Haut-Canada en 2010.

[6] Au fil des ans, l’appelante a tenté à de nombreuses reprises et dans diverses instances juridiques de contraindre, à tour de rôle, le Barreau du Haut-Canada, la GRC, le CIC et Bibliothèque et Archives Canada (BAC) à lui fournir une copie du Projet Anecdote, en vain. Dans ses motifs, la Cour fédérale a énuméré les instances engagées devant le Barreau du Haut-Canada, la Cour supérieure de justice de l’Ontario, la Cour d’appel de l’Ontario, la Cour fédérale et notre Cour.

[7] Dans sa plus récente requête devant la Cour fédérale, Mme Coady a sollicité le contrôle judiciaire d’une décision de 2017 du CIC refusant à la fois de rouvrir un dossier qu’il avait fermé concernant sa demande d’accès au dossier du Projet Anecdote, et d’enquêter sur sa plainte de 2010 concernant la fermeture du dossier. Dans cette demande déposée le 28 août 2017, l’appelante demandait notamment une ordonnance aux termes de l’article 317 des Règles exigeant que BAC dépose au greffe de la Cour fédérale une copie d’un dossier du tribunal contenant le Projet Anecdote. Le procureur général s’est opposé à cette demande, au motif que l’article 317 des Règles n’autorise une partie à demander la transmission de documents quant à une demande que s’ils sont en la possession d’un tribunal dont l’ordonnance fait l’objet de la demande. Comme le Projet Anecdote est un dossier d’une enquête de la GRC qui a été transféré à BAC et n’est donc pas en possession du CIC, le procureur général a soutenu que la demande était irrecevable.

[8] N’ayant pas réussi à parfaire son dossier de demande dans les délais prescrits par les Règles des Cours fédérales, l’appelante a également déposé une requête le 2 octobre 2017 pour obtenir du CIC et de BAC la même mesure de redressement qu’elle demandait dans la demande sous-jacente, c’est-à-dire une copie du Projet Anecdote. Cette requête a été rejetée par la protonotaire Tabib le 19 janvier 2018 (T-1331-17). Elle a estimé que le document demandé ne serait pas pertinent, dans la mesure où la demande sous-jacente pourrait être interprétée comme un contrôle judiciaire du processus d’enquête mené par le CIC. Si, par contre, la demande révisée (qui ajoute maintenant la GRC à titre d’intimée) avait visé à réviser le refus d’accès de la GRC aux termes de l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, alors la requête dirigée contre BAC serait mal fondée, car l’article 317 des Règles n’autorise la transmission que des documents qui sont en possession du tribunal dont l’ordonnance fait l’objet de la demande. Enfin, la requête serait prématurée si elle était dirigée contre la GRC, puisque la demande sous-jacente n’a été modifiée que pour inclure un recours en application de l’article 41 intenté contre elle un mois plus tôt; par conséquent, la GRC n’avait pas encore répondu à une demande de production aux termes de l’article 317 des Règles. Cette décision a été confirmée par le juge Martineau de la Cour fédérale le 7 mars 2018, et l’appel de cette décision a été rejeté par la Cour le 1er mai 2019 (Coady c. Canada (Gendarmerie royale), 2019 CAF 102).

[9] Dans l’intervalle, soit le 11 janvier 2018, le procureur général a signifié à l’appelante une requête visant à faire rejeter sa demande révisée pour recours abusif et à la faire déclarer plaideuse quérulente. La demande révisée avait été suspendue en attendant l’issue de la requête du procureur général pour faire déclarer l’appelante plaideuse quérulente. L’appelante a réagi en présentant une requête incidente sollicitant une ordonnance d’ajournement ou de rejet de la requête du procureur général en attendant le règlement de son appel interjeté à l’encontre de la décision du juge Martineau refusant la production d’une copie du Projet Anecdote.

[10] Le 24 avril 2018, la Cour fédérale (le juge O’Reilly) a rejeté la requête en ajournement de l’appelante à l’audience, puis a entendu la requête du procureur général pour faire déclarer l’appelante plaideuse quérulente. Le 23 mai 2019, la Cour fédérale a rejeté la demande révisée de l’appelante comme recours abusif et l’a déclarée quérulente. Je reviendrai sur cette décision dans ma discussion de la requête de l’intimée qui est maintenant devant la Cour.

[11] Le 24 juin 2019, l’appelante a déposé l’appel qu’elle a interjeté à l’encontre de la décision du juge O’Reilly, et a ajouté dans son avis d’appel la demande d’un autre dossier d’enquête archivé de la GRC (le Projet Ambivalent). Elle a également signifié au procureur général une autre requête quelques mois plus tard, selon laquelle elle demandait non seulement le dossier Projet Anecdote, mais aussi un autre dossier d’enquête archivé de la GRC, non mentionné précédemment (le Projet Affidavit). Cette requête a été rejetée par notre Cour le 14 novembre 2019, car aucun de ces dossiers n’avait été reçu par la Cour fédérale lorsqu’elle a rendu le jugement faisant l’objet de l’appel.

[12] Comme il a été mentionné précédemment, notre Cour est maintenant saisie d’une requête du procureur général visant à faire radier l’appel de l’appelante et à faire déclarer l’appelante plaideuse quérulente. Notre Cour est également saisie d’une requête incidente de l’appelante demandant essentiellement que 1) la requête du procureur général soit entendue en audience publique ou, subsidiairement, qu’elle soit rejetée, et 2) que l’ordonnance du 14 novembre 2019 de notre Cour soit modifiée et que le dépôt du dossier Projet Anecdote soit ordonné.

[13] À titre d’instruction, mon collègue le juge Webb a informé les parties le 10 juillet 2020 que les requêtes seraient tranchées sur le fondement d’observations écrites.

II. Questions en litige

[14] Deux questions doivent être tranchées dans le contexte de la requête du procureur général :

  1. L’appel de l’appelante doit-il être radié sans autorisation de le modifier?

  2. L’appelante doit-elle être déclarée plaideuse quérulente par la Cour?

III. Discussion

A. L’appel de l’appelante doit-il être radié sans autorisation de le modifier?

[15] Il est bien établi en common law que les juges disposent, pour empêcher les recours abusifs, d’un pouvoir discrétionnaire résiduel inhérent. Dans l’arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 RCS 77, la Cour suprême a réitéré que cette doctrine permet à un tribunal d’empêcher que sa procédure soit utilisée abusivement d’une manière qui aurait pour effet de discréditer l’administration de la justice. Cette doctrine a été utilisée pour empêcher la réouverture de litiges dans des circonstances où les exigences strictes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’étaient pas remplies, mais où la réouverture aurait néanmoins porté atteinte aux principes d’économie, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice. L’alinéa 221(1)c) des Règles des Cours fédérales, qui permet à la Cour de radier un acte de procédure sans autorisation de le modifier au motif qu’il est « scandaleux, frivole ou vexatoire », est une expression de cette doctrine.

[16] Le procureur général soutient, comme il l’a fait devant la Cour fédérale, que la quête de l’appelante pour obtenir une copie des dossiers d’enquête de la GRC était vouée à l’échec pour trois raisons. Premièrement, le CIC, qui est le tribunal dont la décision était en cause dans la demande sous-jacente, ne conserve pas la garde ou le contrôle du Projet Anecdote. D’ailleurs, il n’était même pas en mesure, aux termes de la loi, de rendre une décision refusant à l’appelante l’accès à ce dossier. En fait, la seule décision qui a fait l’objet du contrôle judiciaire de l’appelante est un courriel du CIC daté du 14 juillet 2017, et il n’y a aucune référence dans cette décision au Projet Anecdote qui permettrait à son tour d’accéder à ce dernier par l’intermédiaire du dossier certifié du tribunal.

[17] Deuxièmement, BAC n’a jamais reçu ou refusé une demande de l’appelante pour obtenir une copie du dossier Projet Anecdote, même si c’est l’institution gouvernementale qui est actuellement en possession de ce document.

[18] Troisièmement, la GRC a effectivement refusé à l’appelante l’accès au dossier Projet Anecdote en 2009, mais le délai pour introduire une demande de contrôle judiciaire de cette décision s’est écoulé depuis longtemps. De plus, la GRC n’est plus en possession ni en contrôle de ce dossier, puisqu’il a été transféré à BAC en 2010.

[19] Après avoir examiné attentivement le dossier, et en l’absence de toute observation de la part de l’appelante sur la requête du procureur général, je suis inexorablement amené à conclure que son appel est voué à l’échec et qu’il devrait être intégralement radié sans autorisation de le modifier. Non seulement suis-je convaincu que les motifs de la Cour fédérale sont irréprochables et ne sont entachés d’aucune erreur susceptible de révision, mais les mêmes arguments que ceux soulevés par l’appelante dans sa requête du 2 octobre 2017 ont été rejetés dans un jugement de notre Cour déjà mentionné au paragraphe 8 des présents motifs. Par conséquent, la question de savoir si la Cour fédérale était ou non tenue d’examiner le Projet Anecdote dans le contexte du contrôle judiciaire sous-jacent de l’appelante a déjà été tranchée, et la tentative de l’appelante, par l’intermédiaire du présent appel, de remettre en cause la même demande constitue un recours abusif, la question étant chose jugée.

B. L’appelante doit-elle être déclarée plaideuse quérulente?

[20] Comme nous l’avons mentionné précédemment, l’intimé demande également que l’appelante soit déclarée plaideuse quérulente aux termes du paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Comme l’exige le paragraphe 40(2) de cette même loi, le procureur général a consenti à l’introduction de cette requête. Il importe de souligner qu’une ordonnance rendue aux termes du paragraphe 40(1) n’interdit pas l’accès à la Cour fédérale ou à la Cour d’appel fédérale, mais restreint seulement le droit d’une personne d’entamer ou de poursuivre une procédure devant la Cour ayant rendu cette ordonnance sans autorisation de cette cour. Il s’agit d’un recours extraordinaire qui doit être utilisé modérément, en tenant compte de l’importance du principe de l’accès à la justice.

[21] Dans les arrêts Canada c. Olumide, 2017 CAF 42 [arrêt Olumide] et Canada (Procureur général) c. Fabrikant, 2019 CAF 198, la Cour (le juge Stratas) a examiné le droit relatif aux plaideurs quérulents et a énoncé plusieurs principes qui s’appliquent en l’espèce (voir également Canada (Procureur général) c. Yodjeu, 2019 CAF 178). Le plaideur quérulent partage de nombreuses caractéristiques qui sous-tendent le concept de recours abusif, dont l’une est la propension à remettre en cause des questions qui ont déjà été tranchées en sa défaveur : Wilson c. Canada (Agence du revenu), 2006 CF 1535, au paragraphe 30; Foy v. Foy (1979), 102 DLR (3d) 342 (C.A. Ont.)).

[22] Il a été souligné plus d’une fois que le système judiciaire est un bien communautaire et une ressource dont les moyens sont limités, tout comme les services de santé et d’éducation. Il incombe aux tribunaux et aux juges eux-mêmes de veiller à l’utilisation la plus efficace possible de leur capacité limitée à entendre toutes sortes de plaideurs qui se présentent devant eux. Comme le juge Stratas l’a si bien exprimé dans l’arrêt Olumide :

[19] Les Cours fédérales disposent de ressources limitées qui ne peuvent pas être dilapidées. Chaque moment consacré à un plaideur quérulent n’est pas consacré à un plaideur méritant. L’accès illimité aux tribunaux par ceux qui devraient se voir imposer des restrictions compromet l’accès d’autres personnes qui ont besoin de cet accès et qui le méritent. L’inaction à l’égard des premiers porte préjudice aux seconds.

[23] Dans cet esprit, les plaideurs qui inondent les tribunaux d’instances ou de requêtes sans fondement, ou qui cherchent à plusieurs reprises à faire valoir des revendications et des arguments qui ont déjà été tranchés, même sans malveillance, doivent être limités dans leur accès aux tribunaux. Il convient de souligner qu’une ordonnance rendue aux termes du paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales ne constitue pas un obstacle total à l’accès d’un plaideur aux tribunaux; elle ne fait que réglementer l’accès du plaideur aux tribunaux. Il s’agit d’un mécanisme de contrôle par lequel le plaideur est tenu d’obtenir une autorisation avant d’entreprendre ou de poursuivre un recours.

[24] Les plaideurs quérulents peuvent ne pas être de mauvaise foi et ne pas toujours vouloir nuire aux parties opposées. Parfois, comme c’est le cas en l’espèce, ils poursuivent ce qui, dans leur esprit, est un objectif légitime et cherchent à réparer ce qu’ils perçoivent comme une injustice. Cela n’est pas moins préjudiciable au système judiciaire, ne serait-ce que parce que cela encombre les tribunaux et le personnel qui les assiste dans des instances sans fondement soulevant des questions qui ont déjà été tranchées, et empêche ainsi des plaideurs plus méritants de se présenter devant les tribunaux et de voir leurs problèmes juridiques résolus.

[25] Le dossier qui m’est soumis justifie amplement une ordonnance visant à faire déclarer un plaideur quérulent aux termes du paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales. La manière dont Mme Coady a cherché à obtenir une copie du Projet Anecdote illustre son comportement vexatoire, et les nombreux recours qu’elle a engagés dans la poursuite de cet objectif ont tous échoué. L’affidavit de C. Patricia Bradley déposé par le procureur général à l’appui de sa requête est convaincant et ne laisse aucun doute dans mon esprit. En voici les aspects les plus marquants :

  • Mme Coady a intenté de nombreuses actions qui se chevauchaient et qui étaient hors du ressort des tribunaux ontariens et fédéraux, ou encore, n’étaient manifestement que des allégations scandaleuses. Par exemple, à trois occasions différentes (deux fois en 2008 et une fois en 2011) devant trois juges différents, les demandes d’accès au Projet Anecdote de l’appelante ont été rejetées par la Cour fédérale : Coady c. Directeur des poursuites pénales, T-268-08 (26 février 2008); Coady c. Directeur des poursuites pénales, 2008 CF 1064, conf. par 2009 CAF 360; Coady c. Directeur des poursuites pénales, 2011 CF 1009.
  • Elle a déposé plusieurs requêtes frivoles qui ont été rejetées comme étant sans fondement. Par exemple, dans sa demande de réexamen de son appel rejeté devant la Cour supérieure de justice (Cour divisionnaire de l’Ontario), cette cour a rejeté la demande de l’appelante parce qu’elle [traduction] « était sans fondement et constituait donc une procédure frivole, vexatoire ou un recours abusif » : Coady v. Law Society of Upper Canada, 2016 ONSC 7543, au paragraphe 6 [arrêt Law Society of Upper Canada]. De même, la Cour fédérale a exclu sa demande de contrôle judiciaire de 2017 comme abus de procédure dans sa décision qui fait actuellement l’objet d’un appel : Coady c. Canada (Procureur général), 2019 CF 723, au paragraphe 31.
  • Elle a introduit des demandes, des actions, des requêtes et des appels qui faisaient double emploi avec ses actions et appels précédents, comme le montre l’affidavit de C. Patricia Bradley. Par exemple, la Cour supérieure de justice (Cour divisionnaire de l’Ontario) a noté dans l’une de ses approbations que [traduction] « Mme Coady ne cherche pas à obtenir d’autres mesures. Elle demande la même mesure que celle qui lui a été refusée lors de l’audience initiale. Ce que Mme Coady essaie en fait de faire, c’est de plaider à nouveau l’affaire selon un motif différent » : arrêt Law Society of Upper Canada, au paragraphe 3. Voir aussi : Coady v. Scotiabank, 2015 ONSC 6837, au paragraphe 21. Cette situation s’est répétée dans deux requêtes lors de deux appels distincts devant la Cour, où elle a également demandé la production du Projet Anecdote (affidavit de C. Patricia Bradley, aux paragraphes 61 et 77). Elle a introduit deux requêtes devant la Cour, en juin et juillet 2018, où elle demandait dans les deux cas la production du Projet Anecdote (affidavit de C. Patricia Bradley, aux paragraphes 69 et 71). La Cour a également rejeté récemment la requête de l’appelante pour obtenir une copie du Projet Anecdote et du Projet Affidavit dans l’ordonnance rendue par la juge Mactavish le 14 novembre 2019. Enfin, la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté une autre tentative de l’appelante d’obtenir le Projet Anecdote par des moyens irréguliers, notant que [traduction] « cette dernière demande renouvelle effectivement les précédentes demandes de divulgation ou de production de Mme Coady, qui ont été rejetées par notre Cour et la Cour d’appel fédérale » (affidavit de C. Patricia Bradley, au paragraphe 44).
  • Elle a interjeté appel à plusieurs reprises à l’encontre d’ordonnances interlocutoires et finales; aucun de ces appels n’a abouti à ce jour.

[26] Je note également que Mme Coady n’a pas payé les multiples dépens auxquels elle a été condamnée. Par exemple, elle n’a payé aucune partie des 15 502,49 $ de dépens adjugés jusqu’à présent au procureur général, et elle doit au Barreau du Haut-Canada plus de 257 000 $ de dépens impayés. En outre, elle a formulé des allégations de mauvaise foi et de partialité non fondées à l’encontre de juges, d’avocats et d’officiers judiciaires.

[27] Il importe également de souligner la procédure tortueuse intentée par l’appelante devant le Barreau du Haut-Canada, qui a duré dix ans et qui a conduit à sa radiation. Le tribunal du Barreau du Haut-Canada a conclu que l’appelante avait manqué à ses obligations professionnelles avec une apparente impunité et qu’elle était allée jusqu’à déclarer que la preuve d’inconduite était [traduction] « stupéfiante et presque sans précédent » (Law Society of Upper Canada v. Coady, 2010 ONLSHP 4, au paragraphe 24). Le tribunal a également estimé que non seulement l’appelante avait désobéi aux ordonnances des tribunaux concernant les dépens, mais qu’elle avait également été jugée plaideuse quérulente à plusieurs reprises (au paragraphe 28). La conclusion du Barreau du Haut-Canada concernant le jeu auquel s’est livrée l’appelante devant les tribunaux et le processus disciplinaire du Barreau du Haut-Canada est particulièrement pertinente relativement à la présente requête du procureur général (au paragraphe 33) :

[traduction]

Ce qui est peut-être le plus remarquable et le plus troublant dans l’historique de Mme Coady avec le Barreau est qu’elle a utilisé tous les outils mis à sa disposition pour obscurcir, prolonger et détourner la procédure. Ses fautes professionnelles devant les tribunaux de l’Ontario s’étendent sur un grand nombre d’années. Elle a résisté aux procédures disciplinaires du Barreau pour cette inconduite pendant de nombreuses années encore.

[28] Enfin, l’appelante a été déclarée plaideuse quérulente à l’encontre de son premier ex-mari et il lui a donc été interdit d’engager une action ou une procédure judiciaire contre lui sans l’autorisation de la Cour supérieure de l’Ontario, en vertu de l’article 140 de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. C.43 (Coady v. Boyle, [2003] OJ No. 5161, au paragraphe 97), une décision confirmée par la suite par la Cour d’appel de l’Ontario (Coady v. Boyle, 2005 CanLII 15456 (C.A. ONT.), [2005] OJ No. 1857, au paragraphe 15). Et comme nous l’avons indiqué précédemment, la Cour fédérale a rendu une décision déclarant l’appelante plaideuse quérulente, aux termes de laquelle Mme Coady n’est pas autorisée à engager ou à poursuivre une procédure, quelle qu’elle soit, sans l’autorisation de la Cour.

[29] Il va sans dire qu’une ordonnance déclarant une personne plaideuse quérulente doit être fondée sur la conduite de cette personne devant le tribunal qui rend cette ordonnance. Cela étant dit, les conclusions tirées par d’autres tribunaux quant à la conduite vexatoire se verront accorder beaucoup de poids dans les requêtes présentées à la Cour aux termes de l’article 40, surtout si les conclusions tirées par d’autres cours de justice s’appuyaient sur des dispositions aux libellés semblables : arrêt Olumide, au paragraphe 37.

IV. La requête incidente de l’appelante

[30] Quant à la requête incidente de l’appelante, elle est totalement dénuée de fondement. En effet, elle ne répond pas à juste titre à la requête du procureur général visant à faire déclarer l’appelante plaideuse quérulente, mais cherche plutôt à obtenir une nouvelle requête interlocutoire par laquelle Mme Coady tente d’obtenir une mesure distincte, comme elle l’a elle-même noté dans sa lettre du 17 janvier 2020 à la Cour.

[31] Je ne vois aucune raison convaincante de m’écarter de la pratique de la Cour pour traiter les requêtes interlocutoires par écrit. Comme l’a déclaré la Cour dans l’arrêt SNC-Lavalin Group Inc. c. Canada (Service des poursuites pénales), 2019 CAF 108, au paragraphe 14, les requêtes présentées à la Cour doivent, par défaut, être décidées sur le fondement de documents écrits. L’appelante n’a fourni aucune preuve dans ses documents de requête quant à la raison pour laquelle une audience est nécessaire en l’espèce. Notre Cour a déjà refusé à l’appelante une audience sur sa dernière requête en vue d’obtenir une mesure similaire dans une ordonnance rendue par le juge Rennie le 15 octobre 2019, et je ne vois aucune raison de rendre une ordonnance différente en l’espèce.

[32] Quant à la demande de l’appelante de modifier l’ordonnance du 14 novembre 2019 de la juge Mactavish rejetant sa requête visant à obtenir du commissaire de la GRC et de BAC les dossiers Projet Anecdote et Projet Affidavit, elle ne remplit manifestement pas le critère de modification d’une ordonnance du tribunal aux termes de l’alinéa 399(2)a) des Règles. La Cour a établi que trois conditions doivent être remplies avant qu’elle n’intervienne pour modifier une ordonnance antérieure : 1) les éléments découverts depuis peu doivent constituer des « faits nouveaux » au sens de l’alinéa 399(2)a) des Règles; 2) les faits nouveaux ne doivent pas être des faits nouveaux que l’intéressé aurait pu découvrir avant que l’ordonnance ne soit rendue en faisant preuve de diligence raisonnable; et 3) les faits nouveaux doivent être de nature à exercer une influence déterminante sur la décision en question (voir l’arrêt Ayangma c. Canada, 2003 CAF 382, au paragraphe 3).

[33] Il n’est pas tout à fait clair, d’après les observations de l’appelante, comment les faits nouveaux n’auraient pas pu être découverts avant que la juge Mactavish ne rende son ordonnance. En fait, les faits nouveaux eux-mêmes n’ont pas encore été clairement recensés par l’appelante. Elle semble prétendre que l’avocat du procureur général a manqué à son devoir de franchise en omettant de divulguer qu’une enquête avait été ordonnée sur d’éventuelles violations de l’article 67 de la Loi sur l’accès à l’information dans un dossier sans aucun lien avec celui-ci, et en déclarant de manière inexacte qu’aucuns dépens n’avaient été payés au Barreau du Haut-Canada.

[34] Outre le fait que ces « nouveaux éléments » ne semblent pas remplir les deux premières conditions énoncées ci-dessus, il est clair qu’ils n’auraient pas eu une influence déterminante sur l’ordonnance de la juge Mactavish. L’une des raisons du rejet de la demande de l’appelante en vue d’obtenir la production du Projet Anecdote était que le juge O’Reilly n’avait été saisi ni de ce Projet ni de l’affidavit portant sur le Projet lorsqu’il a rendu sa décision. Il est peu probable que des éléments de preuve concernant l’étendue de la saisie-arrêt de l’appelante en faveur du Barreau du Haut-Canada ou concernant une enquête sans aucun lien avec celle-ci n’aient été « de nature à exercer une influence déterminante sur la décision en question ». Pour cette seule raison, la « requête incidente » de l’appelante devrait être rejetée.

V. Conclusion

[35] Pour toutes ces raisons, la requête du procureur général devrait être accueillie. L’appel interjeté par l’appelante devrait être radié dans son intégralité au motif qu’il est frivole et vexatoire et qu’il constitue un recours abusif, sans autorisation de le modifier. En outre, l’appelante est déclarée plaideuse quérulente et devra désormais obtenir l’autorisation de la Cour avant de pouvoir introduire une demande ou un appel devant la Cour. L’intitulé de la cause est modifié en vertu du paragraphe 303(2) des Règles afin de supprimer le commissaire de la GRC et la BAC en tant qu’intimés et de les remplacer par le procureur général du Canada. La requête incidente de l’appelante devrait être rejetée. Enfin, l’appelante doit verser à l’intimé des dépens de 1 500 $.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-239-19

 

 

INTITULÉ :

MARTHA COADY c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er octobre 2020

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Martha Coady

 

Pour l’appelante

(pour son propre compte)

 

Stephen Kurelek

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.