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Date : 20210604


Dossier : A-462-19

Référence : 2021 CAF 111

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

ELLIOT LEE SEXSMITH

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 2 juin 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 4 juin 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20210604


Dossier : A-462-19

Référence : 2021 CAF 111

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

ELLIOT LEE SEXSMITH

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

[1] M. Sexsmith interjette appel du jugement rendu par la juge McDonald de la Cour fédérale (2019 CF 1509). La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire qu’il avait présentée à l’encontre des décisions prises par deux contrôleurs des armes à feu, en application de la Loi sur les armes à feu, L.C. 1995, ch. 39 (la Loi), et du Règlement sur les autorisations de port d’armes à feu à autorisation restreinte et de certaines armes de poing, DORS/98-207 (le Règlement). Les contrôleurs ont rejeté la demande de M. Sexsmith qui souhaitait obtenir l’autorisation de porter une arme à feu à autorisation restreinte à bord de son hélicoptère.

A. Contexte

[2] Durant les mois d’été, M. Sexsmith est basé à Goodlin Lake, dans les Territoires du Nord-Ouest. Il transporte des guides et des chasseurs en hélicoptère à destination et en provenance de régions éloignées de la Colombie-Britannique, du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest.

[3] M. Sexsmith détient un permis de possession d’une arme à feu à autorisation restreinte, qui lui a été délivré aux termes de la Loi sur les armes à feu. Il doit toutefois obtenir une autorisation aux termes de la Loi et du Règlement pour porter une arme à autorisation restreinte à bord de son hélicoptère dans le cadre de son travail. Il entend entreposer son arme à feu à autorisation restreinte dans une boîte verrouillée, placée sous son siège dans l’hélicoptère, à l’intérieur d’un compartiment situé hors de la vue des passagers et auquel ils ne peuvent avoir accès.

[4] Dans sa demande d’autorisation, M. Sexsmith a indiqué qu’il avait besoin de son arme à autorisation restreinte pour assurer sa sécurité et celle de ses passagers en cas d’attaque par un grizzly lorsqu’ils sont au sol. Si [traduction] « son hélicoptère doit se poser ou s’écrase » et qu’il se retrouve alors isolé dans la brousse, [traduction] « les grizzlis [...] seront attirés par la présence des chasseurs, de la viande et des peaux »; il a donc besoin de son arme à autorisation restreinte pour se défendre.

[5] M. Sexsmith dit que sa crainte de se retrouver isolé dans la brousse, exposé aux attaques d’ours, est réelle; en trente ans, son hélicoptère s’est écrasé à deux reprises. Il était âgé de 65 ans lorsqu’il a présenté sa demande.

[6] Il ajoute que la menace des ours est bien réelle. Selon lui, [traduction] « les guides et les pourvoyeurs aux monts Mackenzie, dans les Territoires du Nord-Ouest, pourraient relater de nombreux incidents mettant en cause des grizzlis »; « chaque année, des personnes sont attaquées ou tuées dans le cadre de leur travail ». Dans sa demande, il a relaté un incident précis au cours duquel un chasseur a été tué par un ours, en ajoutant [traduction] « qu’un grand nombre d’incidents avec des grizzlis ne font pas les manchettes ».

[7] Dans sa demande, M. Sexsmith a également indiqué qu’aucun autre moyen de protection n’était disponible ou efficace. Lorsque son petit hélicoptère est rempli de guides et de chasseurs, et de leurs effets personnels, les armes à feu sans restriction sont trop longues et trop lourdes, alors que son arme à autorisation restreinte – un revolver de calibre .460 – est plus compacte. Qui plus est, il lui est interdit de transporter un vaporisateur chasse-ours dans l’hélicoptère, car [traduction] « le produit pourrait être libéré accidentellement » et frapper d’incapacité soudaine toutes les personnes à bord, ce qui pourrait « provoquer l’écrasement de l’hélicoptère ». De plus, le répulsif « n’est pas efficace » si l’ours se trouve à plus de 150 verges. Et, à courte distance, vous pourriez ne pas avoir le temps de l’utiliser si l’ours attaque. Comme l’a déclaré M. Sexsmith, l’ours étant très rapide, « vous êtes déjà mort » si l’animal se trouve à moins de 10 verges.

[8] M. Sexsmith a l’intention d’utiliser son arme à feu à autorisation restreinte dans deux zones territoriales. C’est la raison pour laquelle sa demande a été examinée par deux contrôleurs des armes à feu, chacun ayant compétence sur une zone en particulier. Les deux contrôleurs ont rejeté sa demande, essentiellement pour les mêmes motifs.

[9] En rendant sa décision, un contrôleur a demandé l’avis d’un fonctionnaire de Transports Canada. L’autre contrôleur a consulté deux fonctionnaires, soit un fonctionnaire de Transports Canada et un autre du service de l’environnement et des ressources naturelles du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest.

[10] M. Sexsmith a déposé une demande de contrôle judiciaire des décisions des contrôleurs des armes à feu. La Cour fédérale a rejeté sa demande. Elle a conclu que les décisions des contrôleurs des armes à feu étaient équitables sur le plan procédural et raisonnables sur le fond.

[11] Sur la question du caractère raisonnable sur le fond, la Cour fédérale n’a pu bénéficier de l’enseignement de la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4th) 1, qui a remplacé le précédent arrêt faisant jurisprudence, l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 – et qui a modifié à certains égards le droit régissant le caractère raisonnable sur le fond.

[12] M. Sexsmith, qui agit pour son propre compte, interjette maintenant appel auprès de notre Cour. Il affirme que les décisions des contrôleurs des armes à feu étaient inéquitables sur le plan procédural et déraisonnables sur le fond et qu’elles doivent donc être annulées. Il demande également que soit rendue une ordonnance de mandamus enjoignant aux contrôleurs de lui accorder l’autorisation dont il dit avoir besoin.

B. Discussion

(1) Équité procédurale

[13] Après avoir reçu la demande de M. Sexsmith, les contrôleurs des armes à feu l’ont interrogé. À l’issue de l’entrevue, ils l’ont informé qu’ils rejetteraient sa demande, sans lui fournir de motifs.

[14] Cela n’a toutefois pas marqué la fin de leur enquête. Ainsi que nous l’avons déjà mentionné, les contrôleurs des armes à feu ont consulté un ou deux fonctionnaires après leur entrevue avec M. Sexsmith. Les fonctionnaires ont présenté des faits et des évaluations relativement au bien-fondé de la demande de M. Sexsmith.

[15] Les contrôleurs des armes à feu n’ont jamais communiqué ces faits et évaluations à M. Sexsmith afin qu’il puisse y répondre. Ils ont simplement rédigé et transmis les motifs écrits de leurs décisions. Il ressort clairement de ces motifs que les contrôleurs se sont largement fondés sur les faits et les évaluations des fonctionnaires qu’ils ont consultés.

[16] Ces faits et évaluations mentionnés dans les motifs furent pour M. Sexsmith une surprise totale. Il n’a jamais eu l’occasion d’y répliquer en présentant d’autres éléments de preuve, explications ou arguments.

[17] Avant d’examiner les questions de droit, nous devons nous demander à quel moment les contrôleurs des armes à feu ont rendu leurs décisions. Cela a son importance.

[18] Si les contrôleurs des armes à feu ont véritablement décidé de rejeter la demande de M. Sexsmith à l’issue de leur entrevue avec lui, alors les consultations qu’ils ont eues par la suite avec des fonctionnaires semblent être des tentatives illégales de recueillir d’autres faits et avis pour étayer des décisions prises d’avance. Cela pourrait même atteindre le niveau d’une conduite inadmissible axée sur les résultats, d’une conduite empreinte de mauvaise foi ou d’une intention inappropriée de nuire à M. Sexsmith. Si les décisions ont été rendues à l’issue de l’entrevue avec M. Sexsmith, le contrôle judiciaire des décisions sur le fond ne doit tenir compte que des éléments dont les contrôleurs disposaient au moment de rendre leurs décisions – c’est-à-dire en excluant les consultations avec les fonctionnaires.

[19] Si, au contraire, les décisions des contrôleurs des armes à feu ont été rendues au moment de la publication de leurs motifs écrits, nous devons alors déterminer si, en rendant leurs décisions, les contrôleurs ont respecté le droit à l’équité procédurale de M. Sexsmith. Le contrôle judiciaire des décisions sur le fond doit alors tenir compte de tous les éléments dont disposaient les contrôleurs au moment de rendre leurs décisions – c’est-à-dire également tenir compte des consultations avec les fonctionnaires.

[20] La Cour fédérale semble avoir laissé planer le doute sur ce point. Cependant, les seuls éléments de preuve au dossier sont clairs. Bien que les contrôleurs des armes à feu aient indiqué à M. Sexsmith, à l’issue de leur entrevue, que sa demande serait rejetée, cette déclaration a été faite avant que [traduction] « [les contrôleurs des armes à feu] rendent leurs décisions définitives » : déclaration sous serment de Carly Maurizio, par. 5. Les contrôleurs des armes à feu ont statué sur l’affaire au moment où ils ont signé et publié leurs motifs écrits. La déclaration faite à M. Sexsmith après l’entrevue doit être considérée au mieux comme une remarque malavisée de la part des contrôleurs des armes à feu quant à l’orientation particulière vers laquelle « tendaient » leurs décisions.

[21] À quel niveau d’équité procédurale M. Sexsmith a-t-il droit? Dans les présentes circonstances, il a droit à un niveau assez élevé.

[22] L’arrêt faisant jurisprudence sur ce point est l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4th) 193. L’arrêt Baker, aux paragraphes 23 à 27, énonce cinq facteurs dont la Cour doit tenir compte. De ce nombre, au moins deux facteurs sont particulièrement pertinents en l’espèce.

[23] L’un des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker concerne l’importance, pour M. Sexsmith, d’obtenir l’autorisation de porter une arme à autorisation restreinte à bord de son hélicoptère. Cette importance est grande : il s’agit d’une question de vie et de mort pour lui et ses passagers.

[24] L’autre facteur pertinent de l’arrêt Baker concerne la procédure que les contrôleurs des armes à feu ont choisi d’appliquer. Dans les circonstances, ils ont jugé, à juste titre, qu’il était juste, important et nécessaire d’interroger M. Sexsmith afin qu’il puisse présenter sa cause concernant sa demande d’autorisation et répondre à leurs questions. Il était tout aussi juste, important et nécessaire de communiquer à M. Sexsmith les faits et les évaluations présentés par les fonctionnaires, et de l’interroger de nouveau afin de lui donner la possibilité de répondre aux arguments soulevés contre lui.

[25] En ne respectant pas le droit de M. Sexsmith d’être entendu, les contrôleurs des armes à feu ont contrevenu à la règle audi alteram partem – selon laquelle une décision d’importance ne peut être rendue sans donner aux parties concernées l’occasion d’être entendues à l’égard de la preuve substantielle qui pèse contre elles.

[26] La Cour fédérale a reconnu ce manquement à l’équité procédurale, mais elle n’a pas annulé les décisions des contrôleurs des armes à feu. Elle a conclu que M. Sexsmith n’avait présenté aucune réponse utile en réponse aux faits et évaluations présentés par les fonctionnaires.

[27] Aucun fondement factuel n’appuie une telle conclusion. Les déclarations que M. Sexsmith a faites dans la demande de contrôle judiciaire et le mémoire des faits et du droit qu’il a déposés à la Cour fédérale montrent qu’il aurait pu présenter de nombreuses réponses importantes et substantielles pour répliquer aux faits et évaluations des fonctionnaires. Les contrôleurs des armes à feu avaient l’obligation de recevoir ses réponses et d’en tenir compte : elles étaient du type qui aurait pu les faire changer d’avis.

[28] Compte tenu de ce manquement à l’équité procédurale, les décisions des contrôleurs des armes à feu doivent être annulées et la demande de M. Sexsmith doit être réexaminée.

(2) Caractère raisonnable sur le fond

[29] Comme les décisions doivent être annulées en raison d’un manquement à l’équité procédurale, il est inutile, selon les principes énoncés dans l’arrêt Vavilov, de déterminer si les décisions des contrôleurs des armes à feu sont déraisonnables sur le fond. Il est toutefois prudent de le faire.

[30] Il s’agit de la première fois, depuis le prononcé de l’arrêt Vavilov, que notre Cour est appelée, dans la présente affaire, à statuer sur des décisions rendues par des contrôleurs des armes à feu. Par conséquent, les contrôleurs des armes à feu, notamment ceux qui auront à réexaminer la demande de M. Sexsmith, pourraient bénéficier de nos conseils dans ce domaine.

[31] Si nous devions renvoyer la demande aux fins d’un réexamen, il serait déplorable que certaines lacunes sur le fond décelées dans les décisions rendues par les contrôleurs en l’espèce se répètent dans la nouvelle décision, et que la Cour fédérale ou notre Cour soit obligée d’annuler la nouvelle décision en raison de son caractère déraisonnable sur le fond et doive de nouveau ordonner un réexamen. Les parties seraient obligées de se prêter « à un va-et-vient interminable de contrôles judiciaires et de nouveaux examens » : arrêt Vavilov, par. 142. C’est ce que nous devons éviter.

[32] Aux termes de la Loi sur les armes à feu, il incombe aux contrôleurs des armes à feu régionaux, et non à notre Cour, de juger du bien-fondé d’accorder ou non une autorisation : arrêt Vavilov. En d’autres termes, les décideurs sur le fond sont les contrôleurs des armes à feu, et non notre Cour : Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, 428 N.R. 297, par. 17 et 18; Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, 100 Admin. L.R. (5th) 301, par. 41.

[33] Par conséquent, en contrôle judiciaire ou en appel d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, notre rôle n’est pas de soupeser de nouveau les éléments de preuve qui ont été présentés au décideur administratif, ni de mettre en doute l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire. Dans une affaire comme l’espèce, nous devons faire preuve de déférence. Mais la déférence est loin de signifier une acceptation automatique.

[34] Durant l’examen du caractère raisonnable sur le fond, nous devons veiller à ce que les décisions administratives comme celles rendues en l’espèce s’inscrivent dans les limites de la loi (selon l’interprétation raisonnable faite par le décideur administratif) et qu’elles respectent les autres contraintes énoncées dans l’arrêt Vavilov. Et, comme nous l’avons mentionné précédemment, l’arrêt Vavilov (aux paragraphes 83 à 87 et 91 à 96) exige que nous veillons à ce que les explications motivées des décisions administratives du type qui a été rendu par les contrôleurs des armes à feu en l’espèce puissent être discernées à partir des motifs et du dossier qui a été présenté. Il est particulièrement important de fournir des explications motivées sur les principaux points soulevés par la partie visée, qui pourraient influer sur le résultat : arrêt Vavilov, par. 127 et 128. Les explications motivées doivent également être fondées sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » : arrêt Vavilov, par. 85, 96 et 102 à 104.

[35] En l’espèce, les décisions des contrôleurs des armes à feu comportent certaines lacunes qui, si elles sont répétées lors du réexamen, pourraient mener à la conclusion que ces décisions sont déraisonnables sur le fond. Les contrôleurs des armes à feu qui mèneront le réexamen devraient tout au moins tenir compte des éléments suivants :

  • La loi habilitante. Les contrôleurs des armes à feu sont liés par la loi habilitante et les critères qui y sont prévus pour accorder une autorisation. Ils ne peuvent s’écarter de ce texte législatif et choisir d’appliquer différents critères ou se fonder sur leur opinion pour déterminer quels devraient être ces critères. Au moment de déterminer les critères, les contrôleurs des armes à feu doivent tenir compte du sens des termes utilisés dans la disposition pertinente et d’autres dispositions qui pourraient éclairer le sens de la disposition pertinente, ainsi que de leur objet : arrêt Vavilov, par. 115 à 124. L’alinéa 3c) du Règlement est une de ces dispositions éclairant sur le contexte. Cette disposition accorde aux trappeurs un droit de port d’armes à feu à autorisation restreinte, vraisemblablement pour se protéger contre des animaux sauvages.

  • La menace que représentent les ours pour M. Sexsmith. Dans les décisions, il est indiqué que M. Sexsmith craint principalement d’avoir « à être cloué au sol », soit à cause des conditions météorologiques, d’une défaillance de l’équipement ou de circonstances imprévues. M. Sexsmith a eu à faire face à une telle situation à au moins deux reprises par le passé. Cependant, en l’espèce, les contrôleurs des armes à feu n’en ont pas tenu compte. Ils se sont plutôt concentrés sur la menace que présentent les ours lorsque M. Sexsmith et ses passagers se trouvent à bord ou à proximité d’un hélicoptère en marche.

  • Les solutions de rechange disponibles. Dans leurs décisions, les contrôleurs mentionnent que le désir de M. Sexsmith de porter une arme à feu à autorisation restreinte est une simple préférence – et non un besoin – parce qu’il pourrait utiliser comme solution de rechange un vaporisateur chasse-ours, des artifices d’effarouchement d’ours ou un fusil de chasse. M. Sexsmith affirme que ces solutions de rechange ne sont pas disponibles ou qu’elles sont inadéquates. Dans les circonstances de l’espèce, pour que leurs décisions soient raisonnables, les contrôleurs des armes à feu doivent dûment tenir compte des propos de M. Sexsmith.

  • L’efficacité des armes de poing. Un des contrôleurs des armes à feu, se fondant sur des renseignements obtenus d’un fonctionnaire, a déclaré que les armes de poing « en général » ne sont pas efficaces contre les ours. Cette déclaration générale devrait faire l’objet d’une évaluation éclairée, et ne pas être acceptée aveuglément. De plus, il ne s’agit que d’une déclaration générale, qui ne tient pas compte des caractéristiques et des fonctions de l’arme à autorisation restreinte précise que M. Sexsmith souhaite porter, un modèle 460XVR de Smith & Wesson.

  • Les raisons de faire confiance aux sources de renseignements consultées. Les deux décideurs semblent avoir accepté sans réserve les avis des fonctionnaires sur les principaux points soulevés, mais n’ont fourni aucune explication à l’appui de cette acceptation. Dans la mesure où d’autres personnes ou d’autres sources seront consultées durant les réexamens, sur quels critères doit-on se fonder pour accepter leurs avis? Il convient d’accepter ces avis avec prudence. À titre d’exemple, un des contrôleurs des armes à feu a souscrit, dans sa décision, à la crainte soulevée par un des fonctionnaires concernant [traduction] l’utilisation par « des personnes peu formées » « d’armes à feu inadéquates, notamment des armes de poing ». Cependant, aucun élément de preuve n’indique qu’une telle crainte existe dans le cas de M. Sexsmith. La formation était une condition préalable pour qu’il obtienne un permis de possession d’une arme à feu à autorisation restreinte et rien n’indique que son arme de poing de choix est « inadéquate ».

  • Le processus décisionnel dans son ensemble. L’arrêt Vavilov exige que les décideurs administratifs, comme ceux en cause en l’espèce, examinent les questions dont ils sont saisis d’une manière sincère, en faisant preuve d’ouverture d’esprit et en évitant un mode de pensée axé sur les résultats.

[36] Il n’est pas nécessaire que les motifs invoqués à l’appui des nouvelles déterminations résument tout ce qui a été dit sur la question, ni qu’ils témoignent d’un effort littéraire ambitieux. Loin de là. En définitive, il suffit d’une seule explication motivée portant sur les principales questions en litige, y compris sur les principaux arguments soulevés. Parfois, quelques mots ou quelques phrases bien choisis peuvent suffire; dans d’autres cas, la complexité de l’affaire exigera une explication plus étoffée.

[37] Un récent article rédigé à l’intention des décideurs administratifs fournit plus de précisions sur cette question : David Stratas et David Williams, « The Bullet-Proof Administrative Decision-Maker: Maximizing the Chances of Surviving a Judicial Review » (26 octobre 2020), en ligne : SSRN <ssrn.com/abstract=3719276> (consulté le 4 juin 2021).

[38] En formulant le présent avis, la Cour ne recommande ni ne suggère quelque résultat en faveur de l’une ou l’autre partie. Il appartient à ceux qui réexamineront la demande de M. Sexsmith, et non à notre Cour, de juger du bien-fondé des nouvelles décisions.

(3) Réparation

[39] La mesure de réparation habituellement accordée en cas de manquement substantiel à l’équité procédurale est l’annulation des décisions.

[40] M. Sexsmith demande un mandamus exigeant que l’autorisation lui soit accordée. Pour connaître les conditions préalables pour accorder un mandamus, voir, de façon générale, l’arrêt Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. LeBon, 2013 CAF 55, 444 N.R. 93, renvoyant à la jurisprudence pertinente de la Cour suprême; voir également l’arrêt D’Errico c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 95, 459 N.R. 167. Un mandamus ne peut être accordé que si les faits et le droit sont tels que le décideur administratif n’a pas d’autre choix et qu’il doit trancher l’affaire d’une manière précise. Un mandamus peut aussi, dans de rares cas, être accordé en cas de vice administratif important ou de grave inconduite administrative. Aucune de ces circonstances n’est présente en l’espèce. Lors du réexamen, la demande de M. Sexsmith pourrait être accueillie ou rejetée, selon l’interprétation raisonnable qui sera faite des faits et du droit.

[41] La nature des manquements à l’équité procédurale en l’espèce et les réserves au sujet de certains aspects de la prise des décisions sur le fond par les contrôleurs des armes à feu indiquent que l’équité réelle et apparente serait favorisée si le réexamen était confié à d’autres contrôleurs des armes à feu.

[42] Ceux qui procéderont au réexamen devraient mener toutes les autres enquêtes jugées nécessaires et appropriées. Ils devraient donner à M. Sexsmith l’occasion de soumettre de nouveaux renseignements et avoir un nouvel entretien avec lui. De façon générale, M. Sexsmith devrait avoir pleinement l’occasion d’exposer son point de vue et de répliquer à tout argument soulevé contre lui.

[43] Compte tenu du temps qui s’est écoulé, le réexamen devrait être mené le plus rapidement possible.

[44] La période d’autorisation demandée par M. Sexsmith est maintenant expirée. Durant leur réexamen, les contrôleurs des armes à feu devraient demander à M. Sexsmith quelle est la période pour laquelle il demande une autorisation, puis examiner sa demande en fonction de cette période. C’est ce que la Cour a exigé dans l’arrêt Martinoff c. Canada, [1994] 2 CF 33, 18 Admin. L.R. (2d) 191 (CAF), lorsqu’elle a ordonné le réexamen d’une demande de permis d’armes à feu dans des circonstances essentiellement comparables à celles de l’espèce.

[45] M. Sexsmith ne demande pas de dépens, et je n’en adjugerais pas.

C. Règlement proposé

[46] J’accueillerais l’appel, j’annulerais le jugement rendu le 27 novembre 2019 par la Cour fédérale dans le dossier T-2030-18, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire de M. Sexsmith et, prononçant le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre, j’annulerais les décisions des contrôleurs des armes à feu du 9 avril 2018 et du 18 mai 2018. Je renverrais la demande de M. Sexsmith visant à obtenir l’autorisation de porter son arme à autorisation restreinte à de nouveaux contrôleurs des armes à feu, afin qu’une nouvelle décision soit rendue conformément aux présents motifs. Je n’adjugerais aucuns dépens.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Richard Boivin, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-462-19

APPEL D’UN JUGEMENT DE L’HONORABLE JUGE McDONALD DATÉ DU 27 NOVEMBRE 2019, DOSSIER NO T-2030-18

INTITULÉ :

ELLIOT LEE SEXSMITH c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience par vidéoconférence tenue par le greffe

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 juin 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 juin 2021

 

COMPARUTIONS :

Elliot Lee Sexsmith

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Graham Stark

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

 

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