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Date : 20210602


Dossier : A-426-19

Référence : 2021 CAF 109

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

JUSTIN PHILIP ABBOTT

appelant

et

CANADA (LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA) et FÉDÉRATION DES INDIENS DE TERRE-NEUVE

intimés

Audience tenue par vidéoconférence en ligne organisée par le greffe,

le 12 mai 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 juin 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20210602


Dossier : A-426-19

Référence : 2021 CAF 109

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

JUSTIN PHILIP ABBOTT

appelant

et

CANADA (LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA) et FÉDÉRATION DES INDIENS DE TERRE-NEUVE

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE RIVOALEN

I. INTRODUCTION

[1] La présente demande de contrôle judiciaire est une cause type pour les demandeurs dont la demande d’inscription à titre de membres fondateurs de la Première Nation Qalipu Mi’kmaq (la PNQM) a été rejetée.

[2] La PNQM est une bande sans réserve créée en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5 (la Loi sur les Indiens) après plusieurs années de litiges et de négociations entre la Fédération des Indiens de Terre-Neuve (la FITN) et le Canada (ensemble, les intimés). Les intimés ont accepté de créer une bande sans terre pour les Mi’kmaq de l’île de Terre-Neuve qui avaient un lien fort avec certaines communautés Mi’kmaq désignées sur l’île.

[3] Le 23 juin 2008, la FITN et le Canada ont signé un accord pour la reconnaissance de la PNQM (l’accord initial) (dossier d’appel, vol. 2, onglet 6(D), p. 646). L’accord initial établissait les critères d’admissibilité pour devenir membre de la PNQM, notamment une preuve d’ascendance indienne canadienne, l’auto-identification comme membre du groupe d’Indiens Mi’kmaq de Terre-Neuve et l’acceptation comme membre par le groupe (le critère d’acceptation par le groupe).

[4] L’accord initial prévoyait également une période d’inscription en deux étapes pour devenir membre de la PNQM. La première étape consistait en des demandes d’inscription soumises entre le 30 novembre 2008 et le 30 novembre 2009. La deuxième étape consistait en des demandes d’inscription soumises entre le 1er décembre 2009 et le 30 novembre 2012. Les demandes n’étaient plus acceptées après le 30 novembre 2012. En outre, l’accord initial créait un comité chargé de l’inscription dont le rôle consistait à évaluer les demandes d’adhésion, assisté d’un comité de mise en œuvre, et autorisait un responsable des appels à traiter tout appel interjeté à l’encontre des décisions du comité d’inscription.

[5] En 1989, lorsque la FITN a poursuivi le Canada pour la reconnaissance de la PNQM, elle estimait que 2 500 Mi’kmaq vivaient sur l’île de Terre-Neuve. Au cours des négociations qui ont mené à l’accord initial, les intimés ont estimé que la nouvelle bande de la Première Nation serait composée de 8 700 à 12 000 membres, puisque le recensement de 2006 a révélé qu’il y avait environ 23 450 résidents de Terre-Neuve-et-Labrador qui s’identifiaient comme Autochtones. De ce nombre, environ 7 765 s’identifiaient comme membres d’une Première Nation. Au moment des négociations, le Canada et la FITN ne s’attendaient pas à ce que plus de 20 000 personnes demandent à devenir membres.

[6] Vers la fin de la deuxième étape de la période d’inscription, les intimés ont reçu un nombre étonnamment important de demandes d’adhésion à la PNQM. Le 21 juin 2012, 23 877 demandeurs étaient inscrits comme membres fondateurs de la PNQM aux termes de l’alinéa 6(1)b) de la Loi sur les Indiens. À la fin de la deuxième étape, plus de 75 000 demandes avaient été soumises. De ces demandes, environ 46 000 avaient été reçues au cours des trois derniers mois de la deuxième étape. Des plus de 104 000 demandes soumises pendant tout le processus d’inscription, environ deux tiers des demandeurs vivaient à l’extérieur des communautés Mi’kmaq désignées dans l’accord initial.

[7] Le nombre total de demandes, plus précisément les 46 000 demandes d’adhésion présentées au cours des trois derniers mois de la période d’inscription de quatre ans, a soulevé des questions tant pour le Canada que pour la FITN. Ces derniers s’inquiétaient de l’intégrité et de la crédibilité de la PNQM, de la légitimité de ses membres et de la capacité du comité chargé de l’inscription à examiner et à traiter les demandes dans un délai raisonnable.

[8] Dans le cadre de l’examen des décisions portées en appel par le Canada et la FITN, le responsable des appels a confirmé que la preuve de certains demandeurs était insuffisante pour justifier l’attribution par le comité chargé de l’inscription de la qualité de membre de la PNQM. Plus précisément, le responsable des appels a conclu que l’affidavit type utilisé par de nombreux demandeurs n’était pas déterminant quant à leur participation à la collectivité Mi’kmaq et à leur acceptation par celle-ci.

[9] Confrontés au volume de demandes et aux préoccupations mentionnées ci-dessus, le Canada et la FITN ont repris les négociations pour résoudre ces questions. Le 30 juin 2013, les intimés ont signé un accord supplémentaire répondant aux préoccupations entourant les critères d’auto-identification et d’acceptation par le groupe dans le processus de demande (l’accord supplémentaire) (dossier d’appel, vol. 4, onglet 8(M), p. 1233). L’accord supplémentaire a modifié les délais d’examen des demandes d’inscription, mais n’a pas modifié la date limite du 30 novembre 2012 pour la présentation des demandes. De plus, l’accord supplémentaire exigeait la réévaluation de toutes les demandes d’adhésion à la PNQM déjà approuvées. Des lignes directrices à l’intention du comité chargé de l’inscription et du responsable des appels concernant les éléments de preuve objectifs requis pour démontrer le critère d’acceptation par le groupe étaient annexées à l’accord supplémentaire (les lignes directrices) et établissaient un système de points pour l’évaluation des demandes des demandeurs non résidents (le document sur le système de points) (dossier d’appel, vol. 4, onglet 8(M), p. 1260 et 1268). L’année suivante, les intimés ont établi une grille détaillée du système de points (la grille détaillée) afin de servir de guide pour l’application du système de points (dossier d’appel, vol. 4, onglet 10(C), p. 1418).

II. L’APPELANT

[10] L’appelant, Justin Philip Abbott, est né à Grand Falls (Terre-Neuve) et a grandi à Musgrave Harbour (Terre-Neuve). Il est d’origine Mi’kmaq. Il réside à l’extérieur de Terre-Neuve depuis 1999.

[11] En 2009, l’appelant a demandé à devenir un membre fondateur de la PNQM. En 2011, sa demande a été approuvée.

[12] En 2014, l’appelant a fourni d’autres renseignements et a présenté de nouveau sa demande d’inscription à titre de membre de la PNQM, comme l’exigeait l’accord supplémentaire. En 2017, l’appelant a été informé qu’il ne satisfaisait pas aux exigences du critère d’acceptation par le groupe parce qu’il n’avait pas obtenu le minimum de 13 points répartis dans les cinq catégories prévues, comme l’exigeait le document sur le système de points. Il a obtenu 12 points.

[13] Puisque sa demande en tant que membre fondateur de la PNQM a été refusée, l’appelant n’est plus en droit d’être inscrit en tant qu’Indien aux termes de l’alinéa 6(1)b) de la Loi sur les Indiens. Il demeure inscrit en tant qu’enfant d’un membre fondateur aux termes du paragraphe 6(2), mais ses propres enfants n’ont plus aucun statut aux termes de la Loi sur les Indiens.

[14] En 2018, l’appelant a déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale à l’égard de la décision du Canada et de la FITN de conclure l’accord supplémentaire et d’établir les lignes directrices. Il soutient également que le principe d’équité procédurale n’a pas été respecté à son égard parce qu’on ne lui a pas fourni la grille détaillée utilisée par le comité chargé de l’inscription pendant la période de réévaluation pour évaluer les critères d’adhésion des demandeurs non résidents. La Cour fédérale a rejeté sa demande.

[15] Les présents motifs concernent l’appel interjeté à l’encontre du jugement de la Cour fédérale (le juge Lafrenière) (le juge) rendu le 16 octobre 2019 (2019 CF 1302) (la décision de la CF) rejetant la demande de contrôle judiciaire.

III. QUESTIONS EN LITIGE

[16] Les questions soumises à notre Cour sont les suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  1. Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que les intimés étaient autorisés à établir les lignes directrices?
  2. Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que le principe d’équité procédurale n’a pas été respecté à l’égard de l’appelant?

IV. ANALYSE

A. Quelle est la norme de contrôle applicable?

[17] La norme exposée dans l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 s’applique habituellement à un appel du jugement d’un tribunal de première instance dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Toutefois, la Cour a reconnu que « dans le cas où le juge de première instance tire des conclusions de fait ou des conclusions de fait et de droit en s’appuyant sur les éléments de preuve produits en première instance plutôt que sur un examen de la décision administrative, ces conclusions sont susceptibles de contrôle en fonction de la norme consacrée par la jurisprudence » Housen; (Apotex Inc. c. Canada (Santé), 2018 CAF 147, 157 C.P.R. (4th) 289, para. 57; Sturgeon Lake Cree Nation c. Hamelin, 2018 CAF 131, 424 D.L.R. (4th) 366, para. 36 et 37). C’est effectivement le cas en l’espèce. Par conséquent, la norme d’appel de l’erreur manifeste et dominante s’applique aux conclusions de fait, ou aux conclusions de fait et de droit, du juge concernant l’autorisation des intimés à établir les lignes directrices.

[18] L’établissement de la norme de l’erreur manifeste et dominante est un obstacle de taille à surmonter. Comme mon collègue, le juge Stratas, l’a décrit : « [p]ar erreur “manifeste”, on entend une erreur évidente, et par erreur “dominante”, une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier. » (Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, 431 N.R. 286, para. 46 [South Yukon Forest).

[19] En ce qui concerne la question de l’équité procédurale, la Cour a noté que « [t]enter de caser la question de l’équité procédurale dans une analyse relative à la norme de contrôle applicable est [...] un exercice non rentable ». (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121, para. 55 [Canadien Pacifique]). Bien qu’elles soient historiquement désignées comme un contrôle en fonction de la norme de la décision correcte, les questions d’équité procédurale ne sont pas tranchées selon une norme de contrôle particulière. Plutôt, « [l]a cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » (Canadien Pacifique, para. 54).

[20] Pour les motifs que j’exposerai ci-après, je rejetterais l’appel.

B. Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que les intimés étaient autorisés à établir les lignes directrices?

[21] L’appelant avance trois arguments principaux concernant la capacité des intimés à établir les lignes directrices à l’intention du comité chargé de l’inscription et du responsable des appels, et souligne les erreurs manifestes et dominantes commises par le juge lorsqu’il a conclu ce qui suit :

  1. Les lignes directrices « posent simplement des balises » qui clarifient, à l’intention du comité chargé de l’inscription et du responsable des appels, le type et la quantité d’éléments de preuve que les parties jugent suffisants pour satisfaire aux conditions d’adhésion (décision de la CF, para. 134);

  2. Les lignes directrices portaient sur les « problèmes de mise en œuvre » et étaient par conséquent autorisées en vertu de l’article 10.4 de l’accord initial (décision de la CF, para. 129 et 138);

  3. À titre subsidiaire, les changements apportés par les lignes directrices au critère d’acceptation par le groupe étaient autorisés par l’alinéa 2.15b) de l’accord initial (décision de la CF, para. 143).

1) Les lignes directrices posent simplement des balises

[22] L’appelant soutient que le juge a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que les lignes directrices « posent simplement des balises » à l’intention du comité chargé de l’inscription et du responsable des appels quant « au type et [à] la quantité d’éléments de preuve » requis pour satisfaire au critère d’acceptation par le groupe (décision de la CF, para. 134). L’appelant soutient que les lignes directrices sont allées beaucoup plus loin que de clarifier les normes de preuve existantes ou de poser des balises à l’intention du comité chargé de l’inscription; elles ont plutôt imposé le document sur le système de points, qui établit de nouvelles exigences en matière de preuve et impose une méthode d’évaluation entièrement nouvelle par rapport à celle qui était prévue dans l’accord initial.

[23] En ce qui concerne l’accord initial, l’appelant affirme que l’article 25 des lignes directrices à l’intention du comité chargé de l’inscription annexées à l’accord initial (les lignes directrices) exigeait ce qui suit :

[traduction]

25. L’acceptation d’une personne en tant que membre du groupe des Indiens Mi’kmaq de Terre‑Neuve est établie au moyen de la preuve d’un lien fort de cette personne avec le groupe par, selon le cas :

a) la résidence dans une des localités du groupe des Indiens Mi’kmaq ou aux alentours, sur l’île de Terre‑Neuve;

OU

b) i) des visites à des membres du groupe des Indiens Mi’kmaq de Terre‑Neuve ou des communications fréquentes avec ceux-ci.

ET

ii) le maintien de la culture et du mode de vie Mi’kmaq, grâce à l’appartenance à une organisation faisant la promotion des intérêts Mi’kmaq, à la connaissance des coutumes, des traditions et des croyances Mi’kmaq, à la participation à des cérémonies culturelles ou religieuses ou à la participation à des activités traditionnelles.

[Dossier d’appel, vol. 2, onglet 6(D), p. 680]

[24] En comparaison, l’appelant renvoie la Cour à l’article 14 des lignes directrices, qui, selon lui, imposent de nouvelles exigences de fond aux demandeurs non résidents. Cette disposition des lignes directrices est libellée comme suit :

[traduction]

Les visites et les communications ne sauraient se limiter aux membres de la famille; les éléments de preuve soumis doivent faire mention de contacts avec d’autres membres du groupe des Indiens Mi’kmaq de Terre‑Neuve et d’une participation à des activités socioculturelles de la communauté Mi’kmaq en un endroit où habitent des membres du groupe.

[Non souligné dans l’original.]

[25] En plus de l’article 14, l’appelant renvoie la Cour à l’article 5 des lignes directrices et fait valoir que cet article a remplacé la liste des exemples [traduction] « disjonctifs » énoncés au sous-alinéa 25b)(ii) des lignes directrices en exigeant expressément que les demandeurs non résidents démontrent qu’ils ont [traduction] « participé à des activités religieuses, cérémonielles, traditionnelles ou culturelles » d’une communauté Mi’kmaq désignée (mémoire des faits et du droit de l’appelant, para. 81).

[26] L’appelant affirme qu’avec ces changements, les lignes directrices ont institué le document sur le système de points, qui, selon lui, est une méthode entièrement nouvelle d’évaluation du critère d’acceptation par le groupe pour les demandeurs non résidents. L’appelant allègue qu’en vertu de l’accord initial, le comité chargé de l’inscription avait le pouvoir discrétionnaire de pondérer la preuve et d’établir des conclusions selon la prépondérance des probabilités (lignes directrices, articles 31 et 32). Désormais, aux termes de l’accord supplémentaire et des lignes directrices qui y sont annexées, le comité chargé de l’inscription doit évaluer les visites et les communications, ainsi que le maintien de la culture et du mode de vie des Mi’kmaq, conformément au document sur le système de points. Le document sur le système de points exige 13 points répartis dans cinq catégories pour satisfaire au critère d’acceptation par le groupe. Comme il est indiqué ci-dessus, les intimés ont élaboré par la suite, à l’insu de l’appelant, une grille détaillée pour l’application du système de points. La grille détaillée n’a pas été fournie à l’appelant au moment où il a présenté à nouveau sa demande et n’a pas été mise à la disposition des demandeurs.

[27] L’appelant soutient que, dans l’ensemble, les nouvelles exigences en matière de preuve et l’imposition obligatoire du système de points constituent davantage que de « pose[r] simplement des balises » ou de « clarifie[r] » des normes de preuve existantes, contrairement à ce que le juge a conclu au paragraphe 134 de la décision de la CF. L’appelant soutient que l’erreur est manifeste compte tenu du libellé des lignes directrices et des éléments de preuve au dossier, et qu’elle est dominante puisque cette constatation sous-tend les conclusions subséquentes du juge selon lesquelles les lignes directrices étaient autorisées par l’accord initial en raison de sa fonction réparatrice aux termes de l’article 10.4 ou, à titre subsidiaire, de sa fonction de clarification aux termes de l’alinéa 2.15b).

a) Analyse

[28] Je ne peux me rallier aux arguments de l’appelant. J’estime que le juge n’a commis aucune erreur lorsqu’il a conclu que les lignes directrices posaient simplement des balises au comité chargé de l’inscription et au responsable des appels.

[29] En ce qui concerne les arguments de l’appelant relatifs aux articles 5 et 14 des lignes directrices, j’estime qu’ils doivent être rejetés. Il ressort clairement du dossier que le responsable des appels a annulé des décisions antérieures prises par le comité chargé de l’inscription parce qu’il a estimé que les éléments de preuve fournis dans les affidavits types étaient insuffisants pour satisfaire au critère d’acceptation par le groupe. Je conclus que les articles 5 et 14 des lignes directrices énumèrent des exemples des conclusions rendues par le responsable des appels (par exemple, l’interprétation du responsable des appels selon laquelle les visites ou les communications fréquentes doivent démontrer plus qu’un lien avec les membres de la famille). Ainsi, l’article 5 des lignes directrices n’annule pas l’alinéa 25b) de celles-ci. Il fournit des balises sur l’évaluation de la preuve et clarifie le type de preuve détaillée des visites qui doivent se produire sur une base régulière pendant une période raisonnablement longue (décisions du responsable des appels, dossier d’appel, vol. 3, onglets 6 (I et J), p. 813, 814, 828, 836 et 837).

[30] De plus, les articles 5 et 14 des lignes directrices et les décisions du responsable des appels réitèrent ce que la Cour suprême, dans l’arrêt R. c. Powley, 2003 CSC 43, [2003] 2 R.C.S. 207, para. 33, a jugé nécessaire pour qu’un membre soit désigné comme appartenant à une communauté autochtone particulière [Powley]. C’est-à-dire que « [l]’élément central du critère de l’acceptation par la communauté est la participation, passée et présente, à une culture commune, à des coutumes et traditions qui constituent l’identité de la communauté métisse et qui la distinguent d’autres groupes ».

[31] Dans l’arrêt Powley, la Cour suprême a accordé de l’importance à la reconnaissance de la participation passée et présente à une culture commune et aux coutumes et traditions d’une communauté dans un lieu géographique déterminé. Le dossier indique en l’espèce que les intimés étaient conscients de l’importance de l’arrêt Powley et qu’ils ont rédigé l’accord initial de manière à en incorporer la portée en élaborant les critères d’adhésion que sont l’auto-identification comme membre d’une communauté historique, l’acceptation de la personne par cette communauté et l’ascendance autochtone.

[32] Enfin, je ne suis pas convaincue que le système de points usurpe la capacité du comité chargé de l’inscription d’exercer son pouvoir discrétionnaire dans l’évaluation des éléments de preuve. Le document sur le système de points fournit plutôt des balises au comité chargé de l’inscription et au responsable des appels sur la façon de maintenir la cohérence dans leur prise de décisions et sur la façon dont la fréquence des visites et des communications doit être évaluée. Les articles 31 et 32 des lignes directrices ne sont pas absolus et les éléments de preuve présentés au juge ont démontré que le comité chargé de l’inscription avait le pouvoir discrétionnaire d’évaluer l’ensemble des éléments de preuve et d’attribuer des points à l’extérieur du document sur le système de points, et ce, à l’aide de la grille détaillée. En effet, le comité chargé de l’inscription a exercé son pouvoir discrétionnaire en faveur de l’appelant et lui a attribué des points supplémentaires, comme cela sera expliqué plus en détail au paragraphe [51] des présents motifs.

[33] En résumé, j’estime que le juge n’a commis aucune erreur manifeste et dominante lorsqu’il a conclu que les lignes directrices posaient simplement des balises au comité chargé de l’inscription et au responsable des appels.

2) Les lignes directrices étaient autorisées aux termes de l’article 10.4 de l’accord initial.

[34] L’appelant soutient que le juge a commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’il a conclu que les intimés étaient autorisés à établir les lignes directrices en vertu de l’article 10.4 de l’accord initial (décision de la CF, para. 129 et 138).

[35] L’article 10.4 de l’accord initial est rédigé comme suit :

[traduction]

Le comité de mise en œuvre supervise et coordonne la mise en application du présent accord et conseille les parties sur toute question relative à l’établissement de la bande. Le comité de mise en œuvre n’a pas le pouvoir de lier les parties. Sans limiter la portée générale de ce qui précède, le comité de mise en œuvre :

– élabore le plan de mise en œuvre,

– sert de tribune pour la négociation des ententes de financement dont il est question au présent chapitre, y compris toute modification requise à ces ententes de financement,

– aide au besoin le comité chargé de l’inscription,

– surveille le déroulement du processus d’inscription,

– facilite le règlement de tout problème de mise en œuvre.

[36] À titre préliminaire, l’appelant affirme que « les parties » (c.-à-d. les intimés) sont distinctes du comité de mise en œuvre selon le libellé du chapitre 10 de l’accord initial. Le libellé du chapitre 10 dispose que [traduction] « les parties établissent un comité de mise en œuvre » (art. 10.2); [traduction] « le comité de mise en œuvre est composé de six (6) représentants, dont trois (3) choisis par la FITN et trois (3) choisis par le Canada » (art. 10.3); et [traduction] « le comité de mise en œuvre [...] conseille les parties [et] n’a pas le pouvoir de [les] lier » (art. 10.4).

[37] S’appuyant sur le libellé du chapitre 10, l’appelant soutient que l’article 10.4 de l’accord initial ne confère pas au comité de mise en œuvre le pouvoir d’établir des lignes directrices à l’intention du comité chargé de l’inscription; il dispose plutôt qu’il doit [traduction] « aider le comité chargé de l’inscription au besoin ». L’appelant fait valoir qu’avant l’établissement des lignes directrices, le comité de mise en œuvre n’a fait que présenter des observations ou répondre à des demandes de renseignements. L’appelant affirme que le juge a conclu à juste titre que les lignes directrices constituaient un « écart marqué » par rapport aux démarches faites antérieurement par les intimés auprès du comité chargé de l’inscription (décision de la CF, para. 124).

[38] Bien que le juge soit allé plus loin dans ses commentaires et ait déclaré que les lettres adressées précédemment pouvaient avoir été destinées à être traitées comme des lignes directrices même si elles n’étaient pas formulées à ce titre, l’appelant soutient que l’intention n’est pas pertinente pour déterminer si l’article 10.4 autorise ou non l’établissement de lignes directrices (décision de la CF, para. 124).

[39] Enfin, l’appelant affirme que les changements de grande envergure imposés par les lignes directrices sont si fondamentaux qu’ils mettent en œuvre un accord entièrement différent en ce qui concerne l’admissibilité et l’évaluation des demandeurs non résidents – et non l’accord ratifié par 90 % des membres de la FITN.

[40] À ce titre, l’appelant affirme que l’erreur est manifeste puisque le libellé de l’article 10.4 de l’accord initial n’autorise pas l’établissement de lignes directrices à l’intention du comité chargé de l’inscription et que la nature des changements énumérés dans les lignes directrices va au-delà de la résolution de [traduction] « problèmes de mise en œuvre ». L’erreur est également dominante parce que les intimés ont outrepassé le pouvoir que leur confère l’accord initial en établissant les lignes directrices en fonction de l’article 10.4. L’appelant est d’avis que les intimés étaient tenus d’invoquer le processus de ratification pour apporter ces changements.

a) Analyse

[41] Là encore, je ne peux pas accepter les arguments de l’appelant en ce qui concerne l’application et l’interprétation de l’article 10.4 de l’accord initial et le pouvoir des intimés de conclure les modalités de l’accord supplémentaire et d’établir les lignes directrices.

[42] En l’espèce, je suis consciente de la relation particulière qui existe entre le Canada et la FITN. Cette relation éclaire la Cour fédérale et cette Cour sur la tâche qu’elles ont à accomplir. La Cour fédérale a procédé à un contrôle judiciaire d’un accord et d’un accord complémentaire conclus entre le Canada et la FITN après des années de litige et de négociations. La Cour suprême nous a rappelé que la réconciliation exige souvent l’indulgence des tribunaux. Les tribunaux devraient généralement laisser de l’espace aux parties pour qu’elles gouvernent ensemble et règlent leurs différends (First Nation of Nacho Nyak Dun c. Yukon, 2017 CSC 58, [2017] 2 R.C.S. 576, para. 4 [Nacho Nyak Dun]).

[43] En l’espèce, les négociations des intimés se sont avérées fructueuses et ces derniers ont été en mesure de résoudre les défis difficiles auxquels ils ont été confrontés en raison du volume imprévu de demandes soumises pendant le processus d’inscription après avoir conclu l’accord initial. L’accord supplémentaire et les lignes directrices sont le fruit de ces négociations.

[44] Je suis également sensible à la nature des accords conclus. Bien que l’accord initial et l’accord supplémentaire ne répondent pas à la définition d’un traité moderne, car aucune terre n’a été transférée entre le Canada et la PNQM, je suis d’avis que les accords conclus se rapprochent le plus possible d’un traité moderne. J’estime que le rôle de la Cour fédérale était d’évaluer si le Canada et la FITN étaient autorisés aux termes de leurs accords à établir les lignes directrices, et s’il était raisonnable pour eux, compte tenu du dossier factuel, de les établir. En l’espèce, le Canada et la FITN font front commun pour soutenir les conclusions du juge et demandent à la Cour de rejeter l’appel. Ils n’ont soulevé aucune erreur dans les conclusions factuelles du juge quant à leurs intentions lors de la conclusion de l’accord supplémentaire. Ils conviennent également que les lignes directrices n’ont pas entravé le pouvoir discrétionnaire du comité chargé de l’inscription et du responsable des appels, mais qu’elles ont été plutôt établies pour offrir une orientation.

[45] J’examinerai maintenant les observations de l’appelant et me concentrerai sur les deux accords. Je conclus que l’article 10.4 de l’accord initial, lu à la lumière de l’article 9 de l’accord complémentaire, autorise les intimés à établir les lignes directrices. Pour les motifs qui suivent, j’estime que la description étroite que fait l’appelant du « comité de mise en œuvre » par rapport aux « parties » et l’affirmation selon laquelle ni l’un ni l’autre n’étaient autorisés à établir les lignes directrices déforment la nature et le mandat du comité de mise en œuvre.

[46] Le comité de mise en œuvre a été mandaté aux termes de l’article 10.4 pour [traduction] « aide[r] au besoin le comité chargé de l’inscription », [traduction] « surveille[r] le déroulement du processus d’inscription » et [traduction] « facilite[r] le règlement de tout problème de mise en œuvre ». Contrairement à ce que soutient l’appelant, s’ajoutait à l’assistance qui devait être fournie le rôle de facilitateur, qui constituait donc le moyen par lequel les parties pouvaient discuter des problèmes et déterminer comment les résoudre – en l’espèce, en établissant les lignes directrices visant à clarifier le type et la quantité d’éléments de preuve requis pour satisfaire aux exigences d’adhésion.

[47] L’article 9 de l’accord complémentaire, qui n’a pas été contesté par l’appelant, soutient cette interprétation :

[TRADUCTION]

Supervision et lignes directrices. Les parties confirment que l’article 10.4 de l’Accord les habilite à surveiller le travail du Comité d’inscription et du responsable des appels, à demander des rapports rédigés conformément aux exigences du Comité de mise en œuvre, à produire conjointement des Lignes directrices à l’intention du Comité d’inscription et du responsable des appels ainsi qu’à enjoindre à ces derniers de les consulter, par l’entremise du Comité de mise en œuvre, dès lors que survient une situation nouvelle et imprévue ou qu’il serait utile de préciser certains termes de l’Accord.

On trouvera ci-joint (Annexe A de l’Accord) une ligne directrice concernant l’application du sous-alinéa 4.1d)(ii) de l’Accord ainsi que de l’article 25 des Lignes directrices à l’intention du Comité d’inscription.

[Dossier d’appel, vol. 4, onglet M, p. 1257]

[Gras dans l’original; je souligne.]

[48] Il ressort également du dossier que les intimés, par l’intermédiaire du comité de mise en œuvre, ont élaboré les lignes directrices, le document sur le système de points et la grille détaillée (affidavit de Martin Reiher, dossier d’appel, vol. 3, onglet 8, p. 1033 et 1034; contre-interrogatoire de Martin Reiher, dossier d’appel, vol. 4, onglet 10(C), p. 1418 à 1422). La tentative de l’appelant d’établir une distinction nette entre les intimés et le comité de mise en œuvre n’est pas fondée.

[49] J’estime que le juge a rejeté à juste titre une interprétation étroite des limites du pouvoir, telle que proposée par l’appelant, et a conclu que les lignes directrices ont été établies en réponse à des problèmes de mise en œuvre survenus au cours du processus d’inscription (décision de la CF, para. 125 et 128). L’interprétation du juge est conforme aux facteurs contextuels sous-jacents à l’accord initial (c.-à-d. l’intention de régler une action en Cour fédérale entre les intimés concernant l’inscription des membres de la FITN en vertu de la Loi sur les Indiens) et le principe par analogie selon lequel il faut laisser les parties à un traité moderne régler leurs problèmes au moyen de mécanismes qu’elles ont créés (c.-à-d. le comité de mise en œuvre) ( Nacho Nyak Dun, para. 33).

[50] Compte tenu de la preuve selon laquelle les intimés avaient déjà fourni des conseils au comité d’inscription pour faciliter la résolution des problèmes de mise en œuvre, même si ces communications n’ont pas été qualifiées de lignes directrices, la conclusion du juge était corroborée en ce sens que le comité d’inscription était censé agir selon les lignes directrices (décision de la CF, para. 127).

[51] Le dossier appuie les conclusions selon lesquelles les lignes directrices offraient une orientation et ne contraignaient pas le comité chargé de l’inscription. Comme je l’ai constaté au paragraphe [32] des présents motifs, je conclus que les lignes directrices ne liaient pas le comité chargé de l’inscription ni le responsable des appels; elle n’imposait pas de nouvelles normes de preuve ni ne modifiait autrement les exigences en matière de preuve relatives à l’adhésion. La nature non contraignante des lignes directrices et de la grille détaillée est illustrée par l’évaluation des éléments de preuve de l’appelant par le comité chargé de l’inscription. Par exemple, le comité chargé de l’inscription a accordé deux points à l’appelant pour le nombre de jours qu’il avait passés dans des communautés Mi’kmaq, malgré le fait que l’appelant ait lui-même démontré que ses visites et ses communications ne concernaient que des membres de sa famille, ce qui était inférieur au nombre de jours suggéré pour obtenir deux points (contre-interrogatoire de Justin Abbott, dossier d’appel, vol. 4, onglet 10, p. 1307 à 1317; affidavit de Justin Abbott, dossier d’appel, vol. 1, onglet 4(G), p. 161).

[52] Les conditions de l’accord initial et de l’accord supplémentaire, ainsi que l’intention des intimés telle qu’elle est notée dans le dossier, appuient toutes les conclusions du juge, aux paragraphes 129 et 138 de la décision de la CF, selon lesquelles les intimés avaient le pouvoir d’établir les lignes directrices. L’appelant n’a pas réussi à démontrer l’existence d’une erreur manifeste et dominante à cet égard.

[53] En outre, je reconnais que les lignes directrices étaient une réponse raisonnable aux préoccupations des intimés concernant le processus d’inscription à la lumière de la hausse inattendue et non soutenue des demandes, attribuée en partie à la présentation d’affidavits types comme élément de preuve. L’accord initial autorisait la présentation d’éléments de preuve par affidavit, mais l’article 28 des lignes directrices disposait que les affidavits devaient exposer [traduction] « en détail les visites du demandeur dans la collectivité ou les communications [...], ainsi que la fréquence de ses visites et de ses communications ». Il était donc raisonnable pour les intimés d’exiger des détails particuliers ou individualisés dans les affidavits pour étayer les déclarations des demandeurs, en particulier à la lumière de leurs préoccupations raisonnables concernant les affidavits types.

[54] Compte tenu des conclusions du juge selon lesquelles les intimés avaient le pouvoir d’établir les lignes directrices aux termes de l’article 10.4 de l’accord initial, le juge a ensuite examiné les questions qui lui avaient été soumises en fonction de la norme de la décision raisonnable. Je ne vois pas d’erreur susceptible de révision dans sa conclusion selon laquelle, selon la norme de la décision raisonnable, les lignes directrices étaient une réponse raisonnable aux préoccupations des intimés concernant le volume élevé de demandes (décision de la CF, para. 158 et 162).

3) Les lignes directrices sont-elles autorisées par l’alinéa 2.15b) de l’accord initial?

[55] À titre subsidiaire, l’appelant soutient que le juge a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que les changements figurant dans les lignes directrices étaient autorisés par l’alinéa 2.15b) de l’accord initial (décision de la CF, para. 143).

[56] En réponse, les intimés indiquent que ni le Canada, ni la FITN, n’ont soulevé cet argument devant le juge. Devant la Cour, les intimés se sont contentés de s’appuyer sur l’interprétation par le juge de l’article 10.4 de l’accord initial pour démontrer qu’ils ont le pouvoir de conclure l’accord supplémentaire et d’établir les lignes directrices.

[57] À la lumière de mes conclusions concernant le pouvoir des intimés d’établir les lignes directrices conformément à l’article 10.4 de l’accord initial, j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner l’application de l’alinéa 2.15b) de l’accord initial. Même si je devais conclure que le juge a commis une erreur manifeste dans son interprétation de l’alinéa 2.15b), j’estime qu’une telle erreur ne serait pas dominante puisqu’elle n’aurait pas d’incidence sur l’issue de l’affaire, compte tenu de ma conclusion concernant l’article 10.4 (Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 R.C.F. 344, para. 64; South Yukon Forest, para. 46).

C. Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que le principe d’équité procédurale a été respecté à l’égard de l’appelant?

[58] L’appelant affirme que le juge a commis une erreur en concluant que le principe d’équité procédurale a été respecté à son égard (décision de la CF, para. 190 et 191). Il soulève deux conclusions du juge qui ont constitué des erreurs.

[59] Premièrement, le juge a conclu qu’il n’y a « aucune preuve » pour appuyer l’affirmation de l’appelant suivant laquelle ce dernier aurait pu présenter des éléments de preuve supplémentaires plus complets s’il avait disposé de la grille détaillée (décision de la CF, para. 186).

[60] Deuxièmement, en invoquant l’arrêt CGI Information Systems and Management Consultants Inc. c. la Société canadienne des postes, 2015 CAF 272, 479 N.R. 243 [CGI Information Systems], le juge a conclu que les lignes directrices et le document sur le système de points, ainsi que la brochure, ont fourni à l’appelant un avis suffisant de la preuve qu’il devait présenter (décision de la CF, para. 188).

[61] L’appelant affirme que les deux conclusions sont erronées. En ce qui concerne la première conclusion, l’appelant affirme que les déclarations faites dans son affidavit et lors de son contre-interrogatoire constituent une preuve des voyages familiaux pertinents supplémentaires qu’il a effectués et étayent son argument selon lequel il aurait présenté des éléments de preuve supplémentaires s’il avait été informé des exigences strictes.

[62] En ce qui concerne la seconde conclusion, l’appelant affirme que le juge a commis une erreur en se fondant sur la norme prétendument établie dans l’arrêt CGI Information Systems et en concluant qu’« il n’est pas nécessaire de divulguer les critères d’évaluation, dès lors que les critères d’évaluation qui n’ont pas été divulgués s’apparentaient raisonnablement aux critères publiés ou pouvaient être raisonnablement déduits de ces critères » (décision de la CF, para. 189).

[63] Pour appuyer son argument selon lequel le principe d’équité procédurale n’a pas été respecté à son égard, l’appelant s’appuie sur deux décisions de la Cour fédérale rendues en 2015, Foster c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1065 [décision Foster] et Howse c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1063 [décision Howse]. Ces décisions portaient également sur la demande d’inscription des membres fondateurs à la PNQM. Dans ces décisions, la Cour fédérale a conclu que, même si aucune obligation fiduciaire n’était due aux demandeurs et que l’honneur de la Couronne n’était pas en jeu, étant donné « le fait que l’Accord découle du pouvoir de prérogative du [gouverneur en conseil] de créer des nouvelles bandes en vertu de la Loi sur les Indiens, [cela] démontre qu’un degré plus élevé d’équité procédurale [devait] s’appliquer. Au minimum, un avis était nécessaire » (décision Foster, para. 43; décision Howse, para. 37).

[64] En résumé, selon l’appelant, l’obligation d’agir équitablement à laquelle est soumise la PNQM en ce qui concerne la procédure d’inscription est élevée et n’a pas été remplie en l’espèce, car les demandeurs n’ont pas été informés de la grille détaillée et des critères rigides appliqués aux demandeurs non résidents. La conclusion du juge à cet égard était donc une erreur susceptible de révision (décision de la CF, para. 190).

a) Analyse

[65] En ce qui concerne le premier argument, j’admets que le juge a commis une erreur lorsqu’il a conclu, au paragraphe 186 de la décision de la CF, qu’il n’y avait « aucune preuve » pour étayer l’affirmation de l’appelant selon laquelle il aurait pu produire des éléments de preuve supplémentaires et plus complets s’il avait eu accès à la grille détaillée; toutefois, je considère que cette erreur n’est pas dominante, car elle n’est pas pertinente pour mon analyse de l’équité procédurale.

[66] Dans l’ensemble, j’estime que le juge n’a commis aucune erreur en déterminant qu’il n’y a pas eu de violation de l’équité procédurale lors de l’évaluation de la demande d’adhésion de l’appelant. Bien que je convienne que l’obligation d’équité procédurale envers l’appelant se situe à l’extrémité supérieure du spectre, je note que, pendant le processus de réévaluation, tous les demandeurs non résidents, comme l’appelant, dont la demande précédente avait été acceptée, ont obtenu suffisamment de temps et d’occasions pour fournir des éléments de preuve supplémentaires. L’appelant avait accès à la brochure détaillant les documents qu’il devait fournir, ainsi qu’aux lignes directrices et au document sur le système de points annexé à l’accord supplémentaire. En l’espèce, contrairement aux affaires Foster et Howse, il ressort clairement du dossier que l’appelant a été informé que les éléments de preuve relatifs aux visites et aux communications se verraient attribuer des points séparément, en fonction de la « solidité des preuves soumises et de la fréquence » de chaque forme de communication. L’appelant était au courant de l’existence d’un système de points et il a cessé de tenter d’obtenir des éléments de preuve supplémentaires en fonction de ce qu’il considérait comme « fréquent ».

[67] Il est vrai que l’appelant n’avait pas accès à la grille détaillée et n’en avait pas eu connaissance. Cependant, comme il a été mentionné ci-dessus, il connaissait l’existence du document sur le système de points et cette information était à sa disposition. Je conclus qu’il a reçu des renseignements suffisants pour être informé de la preuve qu’il lui incombait de présenter.

[68] Je voudrais faire un commentaire concernant le recours du juge à la décision de la Cour dans l’arrêt CGI Information Systems, dans laquelle la Cour a estimé qu’il n’y avait aucune raison d’intervenir à l’égard de la conclusion d’un tribunal selon laquelle des méthodes directrices non divulguées pour évaluer les critères ne modifiaient pas les critères et n’avaient donc pas à être divulguées (CGI Information Systems, para. 82 à 86). Je suis d’accord avec l’appelant que l’arrêt CGI Information Systems a peu d’application en l’espèce. L’arrêt CGI Information Systems est une affaire commerciale qui traite d’un processus d’approvisionnement concurrentiel dans le contexte précis d’une violation alléguée de l’Accord de libre-échange nord-américain (para. 45, 46, 58 et 60). À mon avis, cet arrêt a une valeur de précédent limitée dans le contexte d’une affaire dans le domaine du droit autochtone où doivent être examinés les critères d’évaluation de l’auto-identification comme membre d’une collectivité historique, de l’acceptation de la personne par cette collectivité et de l’ascendance autochtone, tels qu’ils sont énoncés dans l’arrêt Powley.

[69] Malgré mes commentaires, je conclus que les intimés se sont acquittés de l’obligation élevée d’équité procédurale envers l’appelant en donnant aux demandeurs non résidents, comme l’appelant, la possibilité de fournir des éléments de preuve supplémentaires et l’accès à des renseignements détaillant la documentation qu’ils devaient fournir. Il semblerait que les intimés étaient conscients des problèmes potentiels d’équité procédurale, qu’ils ont cherché à les prévenir et qu’ils ont effectivement atteint cet objectif en donnant du temps et des renseignements aux demandeurs non résidents pour qu’ils puissent soumettre leurs éléments de preuve supplémentaires. Une procédure équitable et juste a été suivie.

[70] En résumé, l’appelant a été informé clairement et sans ambiguïté qu’il devait fournir autant de documents que possible. Il savait que les éléments de preuve relatifs aux visites et aux communications se verraient attribuer des points séparément en fonction de la « solidité de la preuve et de la fréquence » de chaque forme de contact, et il connaissait ce système de points. La manière dont ses éléments de preuve seraient évalués pouvait être raisonnablement liée aux critères dont il disposait ou en être déduite. Ainsi, je conclus que l’appelant avait été informé des exigences en matière de preuve à présenter et a eu une chance complète et équitable de la présenter.

[71] Le juge n’a pas commis d’erreur en concluant que le devoir d’équité procédurale envers l’appelant a été respecté.

V. CONCLUSION

[72] Pour ces motifs, je rejetterais l’appel. Les parties n’ont pas demandé de dépens et, par conséquent, je propose qu’aucuns dépens ne soient adjugés.

« Marianne Rivoalen »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

René LeBlanc, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-426-19

INTITULÉ :

JUSTIN PHILIP ABBOTT c. CANADA (LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA) et FÉDÉRATION DES INDIENS DE TERRE-NEUVE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 mai 2021

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

Le 2 juin 2021

 

COMPARUTIONS :

Graham Ragan

Brent Murphy

Pour l’appelant

 

Robert MacKinnon

Helene Robertson

 

Pour l’intimé

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

Stephen J. May

Pour l’intimé

FÉDÉRATION DES INDIENS DE TERRE-NEUVE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING WLG (CANADA) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Hamilton (Ontario)

Pour l’appelant

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

Cox & Palmer

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

 

Pour l’intimé

FÉDÉRATION DES INDIENS DE TERRE-NEUVE

 

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