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Date : 20210602


Dossier : A-210-20

Référence : 2021 CAF 108

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

DOMENICO RICCIO

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe,

le 27 mai 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 juin 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20210602


Dossier : A-210-20

Référence : 2021 CAF 108

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

DOMENICO RICCIO

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE RIVOALEN

I. Introduction

[1] Le demandeur a présenté une demande de pension d’invalidité aux termes de l’alinéa 44(1)b) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8 (le RPC). Sa demande a été rejetée à tous les niveaux administratifs.

[2] Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (la division d’appel) rendue le 9 avril 2020 (2020 TSS 299) (la décision de la DA).

[3] Avant l’audience tenue devant la division d’appel, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (la division générale) a examiné sa demande de pension d’invalidité à la lumière du sous-alinéa 42(2)a)(i) du RPC et a rejeté la demande le 27 mai 2019 (2019 TSS 1627). Le demandeur a été autorisé à interjeter appel devant la division d’appel.

[4] La division d’appel a déterminé que la division générale avait commis une erreur de droit en omettant d’analyser les limitations fonctionnelles du demandeur au cours de sa période minimale d’admissibilité (PMA). Malgré le fait qu’elle ait trouvé cette erreur, la division d’appel a mené sa propre analyse du sous-alinéa 42(2)a)(i) du RPC et a rejeté l’appel du demandeur au motif que ses limitations ne représentaient pas une invalidité « grave » en ce sens qu’il avait une « certaine capacité résiduelle de travail » (décision de la DA, para. 24, 25 et 56). En raison de cette conclusion, la division d’appel n’a pas procédé à l’analyse prévue au sous-alinéa 42(2)a)(ii) pour déterminer si l’invalidité était à la fois grave et prolongée, comme l’exige le RPC pour avoir le droit de recevoir une pension d’invalidité.

II. Norme de contrôle

[5] La norme de contrôle dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de la décision raisonnable. Il suffit à notre Cour de déterminer si la conclusion et les motifs de la division d’appel sont raisonnables (voir l’arrêt Stavropoulos c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 109, [2020] A.C.F. no 738 (QL), para. 11), citant également l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4th) 1, para. 83 et 86 [Vavilov]; voir également l’arrêt Stojanovic c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 6, [2020] A.C.F. no 15 (QL), para. 34).

[6] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la conclusion et les motifs de la division d’appel sont déraisonnables et j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire.

III. Faits

[7] Pendant la période pertinente, le demandeur avait 61 ans et avait achevé sa dixième année de scolarité. Il est convenu que la date de fin de sa PMA était le 31 décembre 2016.

[8] En 2015, le demandeur travaillait comme conducteur indépendant. Il livrait des médicaments et faisait de légers travaux d’entretien dans des maisons de retraite jusqu’à ce qu’il subisse plusieurs blessures dans un accident de la route. Avant cet accident, le demandeur avait des douleurs au genou, problème qui avait altéré sa capacité de travailler régulièrement. Il devait parfois embaucher un autre chauffeur pour faire sa tournée. Il avait également subi une perte permanente de son champ de vision dans l’œil gauche.

[9] Après l’accident, le demandeur avait des maux de tête persistants, il a développé de l’arthrite dégénérative, une discopathie dégénérative et une tendinite de la coiffe des rotateurs récurrente. Il a également souffert d’anxiété grave et de dépression. Il était incapable de reprendre le travail.

IV. Motifs et conclusion de la division d’appel

[10] Dans la décision de la DA, les nombreux problèmes de santé, les symptômes et les limitations fonctionnelles du demandeur sont décrits en détail. Par souci de commodité, je résumerai ici certaines de ces conclusions.

Problèmes de santé et symptômes

  • Arthrite dégénérative entraînant des douleurs à l’épaule droite, au genou et au coude droit (décision de la DA, para. 27, 31 et 32);

  • Discopathie dégénérative dans une partie de son dos (décision de la DA, para. 27, 33 et 34);

  • Tendinite de la coiffe des rotateurs (décision de la DA, para. 27 et 31);

  • Dépression de « catégorie grave » accompagnée de symptômes connexes d’insomnie, de perte d’appétit, de fatigue, de changements de comportement et d’humeur qui, selon le demandeur, l’ont beaucoup touché (décision de la DA, para. 29 et 39);

  • Champ de vision réduit dans son œil gauche (décision de la DA, para. 27);

  • Maux de tête et étourdissements semblant empirer à mesure que la journée avançait (décision de la DA, para. 35 et 37);

  • Problèmes de sommeil (décision de la DA, para. 25 et 37).

Limitations fonctionnelles

  • Difficulté à soulever des charges de plus de 90 degrés en raison d’une douleur à l’épaule droite (décision de la DA, para. 32);

  • Engourdissements et picotements intermittents accompagnés de faiblesse dans la main droite, rendant des tâches comme saisir un objet difficiles et douloureuses (décision de la DA, para. 35);

  • Des tâches simples comme se brosser les dents ou se raser étaient difficiles et douloureuses (décision de la DA, para. 37);

  • Difficulté à se pencher, à s’étirer et à transporter des charges (décision de la DA, para. 42 et 54);

  • Positions assise et debout limitées (décision de la DA, para. 42);

  • Capacité de marcher environ un demi-kilomètre (décision de la DA, para. 42);

  • Capacité de porter 10 livres sur une distance d’environ 100 mètres (décision de la DA, para. 42);

  • Incapacité à se présenter chaque jour à une certaine heure au travail (décision de la DA, para. 44);

  • Incapacité à se tenir debout assez longtemps pour travailler à temps partiel comme préposé à l’accueil dans un magasin (décision de la DA, para. 44);

  • Incapacité à sortir du lit certains jours (décision de la DA, para. 44);

  • Capacité à conduire pendant peut-être une demi-heure ou sur de courtes distances lorsque nécessaire (décision de la DA, para. 54).

[11] En ce qui a trait à l’analyse, la division d’appel a reconnu, au paragraphe 48 de ses motifs, qu’il convenait d’adopter une approche « réaliste » pour déterminer si le demandeur était atteint d’une invalidité grave. En d’autres termes, elle devait tenir compte des circonstances particulières du demandeur comme son âge, son niveau de scolarité, sa maîtrise de la langue et ses expériences de travail, le tout conformément à la décision de notre Cour dans l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, 205 D.L.R. (4th) 58, para. 38 [Villani]. Au paragraphe 50 de ses motifs, la division d’appel a conclu que « l’âge du requérant et son éducation constitueraient un obstacle à l’obtention de certains types d’emplois plus sédentaires (mais pas tous) ».

[12] La division d’appel a conclu que, bien que les éléments de preuve sur les problèmes de santé et les symptômes que présentait le demandeur établissaient qu’il avait certaines limitations fonctionnelles à la fin de la PMA, il démontrait néanmoins une certaine capacité de travail (décision de la DA, para. 56).

[13] De plus, en dépit des éléments de preuve présentés par le demandeur selon lesquels il ne pouvait pas se présenter au travail chaque jour en raison des symptômes qu’il éprouvait, la division d’appel a conclu que le demandeur « aurait pu se chercher un emploi à temps partiel qui tient compte de ses limitations » (décision de la DA, para. 57).

V. Position du demandeur

[14] Le demandeur affirme à juste titre qu’on ne trouve nulle part dans la décision de la DA des conclusions défavorables sur la qualité des éléments de preuve qu’il a présentés ou sur sa crédibilité. Dans la décision de la DA sont exposés les éléments de preuve décrivant les problèmes de santé et les nombreux symptômes présentés par le demandeur qui, pris ensemble, décrivent ses limitations fonctionnelles, comme il est expliqué au paragraphe [10] ci-dessus.

[15] Compte tenu de ces conclusions de fait, le demandeur soutient que la décision de la DA est déraisonnable. Selon le demandeur, la division d’appel a commis une erreur de droit dans son interprétation du terme « invalidité » à l’alinéa 42(2)a) du RPC. La division d’appel a effectivement : a) écarté le terme « régulièrement » de son interprétation de la définition de la loi; b) adopté une interprétation exagérément libérale de l’expression « une occupation » de la définition de la loi; c) omis d’adopter une approche « réaliste » à l’égard des questions qui est conforme à la jurisprudence de notre Cour. Ce faisant, la division d’appel a tiré une conclusion déraisonnable selon laquelle le demandeur avait une certaine capacité résiduelle de travail. En outre, le demandeur soutient que la décision de la DA lui a imposé un fardeau supplémentaire sans motif raisonnable lorsque ses conclusions de fait justifiaient une conclusion d’incapacité grave et prolongée.

VI. Analyse

[16] Personne ne conteste le fait que le seul critère énoncé au paragraphe 44(1) du RPC, en cause dans la présente demande de contrôle judiciaire, est de savoir si le demandeur est invalide.

[17] Aux fins du RPC, une personne est déclarée invalide si, aux termes du sous-alinéa 42(2)a)(i), il est déterminé que cette personne a une invalidité mentale ou physique grave, et qu’en conséquence de cette invalidité, elle est « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Une fois qu’il a été déterminé que l’incapacité est grave, une analyse plus poussée prévue à l’alinéa 42(2)a)(ii), doit être réalisée pour déterminer si cette invalidité est prolongée.

[18] En l’espèce, la seule question qui a été examinée par la division d’appel est de savoir si les limitations fonctionnelles du demandeur l’ont amené à être régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice selon le sous-alinéa 42(2)a)(i).

[19] Comme je l’ai déjà mentionné, notre Cour, dans l’arrêt Villani, a ordonné au décideur saisi de cette question d’adopter une approche « réaliste », telle que les circonstances particulières du demandeur doivent être prises en compte (Villani, para8 et 39).

[20] Appliquant la jurisprudence à l’espèce, je souscris à toutes les observations du demandeur et je suis d’avis que la décision de la DA est déraisonnable.

[21] En l’espèce, la division d’appel a conclu que le demandeur ne pouvait plus accomplir ses anciennes tâches et travailler à temps plein (décision de la DA, para. 53, 56 et 57). De plus, selon les éléments de preuve retenus par la division d’appel, le demandeur ne pouvait pas se présenter au travail chaque jour de manière fiable en raison de ses limitations physiques et psychologiques. Ces limitations comprenaient une capacité limitée à s’asseoir et à rester debout et une incapacité à sortir du lit certains jours (décision de la DA, para. 55).

[22] Néanmoins, la division d’appel est parvenue à la conclusion, sans donner aucune explication, que le demandeur avait une certaine capacité résiduelle de travail. La division d’appel n’a fourni aucune analyse établissant un lien entre les éléments de preuve qu’elle a retenus et les conclusions qu’elle a tirées selon lesquelles le demandeur est « régulièrement » capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. L’absence d’analyse rend la décision de la DA déraisonnable parce qu’il nous est impossible de comprendre comment le décideur est parvenu à cette conclusion. Autrement dit, les motifs de la décision de la DA ne font pas état d’une analyse rationnelle (Vavilov, para. 103).

[23] De plus, je suis d’avis que la décision de la DA est déraisonnable parce qu’une approche « réaliste » n’a pas été adoptée, malgré le fait que le décideur ait mentionné qu’il le ferait. La division d’appel a correctement énoncé le critère de l’arrêt Villani, et pourtant, les motifs fournis ne tiennent pas compte d’une telle approche. Par exemple, dans sa décision, le décideur a conclu que le demandeur aurait pu se chercher un emploi à temps partiel qui tient compte de ses limitations. Toutefois, selon les éléments de preuve présentés par le demandeur, c’est en raison de ses problèmes de santé qu’il ne peut pas se présenter au travail de manière fiable; même les employés à temps partiel sont censés se présenter au travail aux dates et aux heures prévues. L’emploi du terme « régulièrement » dans le libellé du sous-alinéa 42(2)a)(i) témoigne de cette réalité. Là encore, il n’y a pas de lien entre les éléments de preuve et la conclusion tirée par la division d’appel.

[24] Dans son ensemble, la décision manque de justification, de transparence et d’intelligibilité. La division d’appel n’a ni expliqué ni justifié le fondement sur lequel reposait sa conclusion selon laquelle le demandeur avait une capacité résiduelle de travail dans un contexte « réaliste ». Il est impossible de déterminer, à partir de la décision de la DA, si la division d’appel n’a pas cru la totalité ou une partie des éléments de preuve du demandeur quant à ses limitations fonctionnelles et sa capacité de travailler, ou si un autre motif justifiait la conclusion voulant qu’il ait une capacité résiduelle de travail.

[25] Pour ces motifs, la décision de la DA est déraisonnable. L’analyse rationnelle est absente, rendant la décision incohérente et ne pouvant pas se justifier au regard des faits et du droit.

VII. Conclusion

[26] Pour conclure, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire, avec dépens. J’annulerais la décision de la division d’appel et je lui renverrais l’affaire pour réexamen par un autre décideur.

[27] Je remercie l’avocate du demandeur pour ses excellentes observations, et l’avocate du défendeur pour son approche sincère pendant les observations présentées de vive voix.

« Marianne Rivoalen »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-210-20

INTITULÉ :

DOMENICO RICCIO c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 MAI 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

DATE DES MOTIFS :

LE 2 JUIN 2021

COMPARUTIONS :

Emilie Taman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sandra L. Doucette

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Champ & Associates

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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