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Date : 20210601


Dossier : A-121-20

Référence : 2021 CAF 106

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 

ENTRE :

YOGINDER GULIA

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 26 mai 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er juin 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20210601


Dossier : A-121-20

Référence : 2021 CAF 106

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

YOGINDER GULIA

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LASKIN

[1] Le demandeur, Yoginder Gulia, présente une demande de contrôle judiciaire de la décision dans laquelle un tribunal constitué d’un seul commissaire de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (2020 CRTESPF 39) a rejeté sa plainte en matière de dotation. M. Gulia, agent du greffe au Service administratif des tribunaux judiciaires, a posé sa candidature, sans succès, dans le cadre d’un processus de sélection interne annoncé, à un poste d’agent principal du greffe à la Cour canadienne de l’impôt. Sa plainte, déposée conformément à l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, alléguait un abus de pouvoir dans le choix de la procédure, dans la zone de sélection et dans l’évaluation du mérite. Il a également affirmé avoir été victime, dans le processus de nomination, de représailles pour son activité syndicale et de préjugés raciaux.

[2] La Commission, lorsqu’elle a rejeté la plainte, a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour examiner l’allégation relative à la zone de sélection. Elle a ensuite conclu qu’aucun des autres motifs invoqués par M. Gulia n’était fondé.

[3] M. Gulia soutient que tous les motifs de contrôle judiciaire qu’il invoque requièrent l’application de la norme de contrôle de la décision correcte. Il fait valoir que la Commission a eu tort de se déclarer incompétente pour examiner la zone de sélection, qu’il y a eu abus de pouvoir quant à la zone de sélection et au choix de la procédure, que son examen écrit a été noté de façon erronée et partiale, et que l’issue du processus de nomination avait été déterminée à l’avance pour choisir le candidat retenu.

[4] M. Gulia, qui n’était pas représenté par un avocat lors de l’audience devant la Commission, s’oppose également à la partie IV des motifs de la Commission. Dans cette partie, intitulée « Le comportement du plaignant », la Commission a sévèrement critiqué le comportement de M. Gulia à l’audience, lui reprochant notamment « d’interrompre un témoin ou l’avocat, de l’invectiver et d’argumenter avec lui » et d’avoir « attaqué l’intégrité personnelle et professionnelle des témoins de l’intimé [...] ». M. Gulia affirme que la Commission a eu tort de formuler ces critiques sans lui donner d’abord un avis l’invitant à [traduction] « se justifier », et donc l’occasion de répondre.

[5] Pour les raisons qui suivent, je rejetterais la demande.

[6] Avant d’examiner tour à tour chacun des motifs que M. Gulia invoque devant la Cour, j’aborderai deux questions préliminaires : le fardeau que doit assumer un plaignant aux termes de l’article 77 de la Loi et la norme de contrôle applicable.

[7] M. Gulia ne conteste pas l’explication que la Commission a donnée (aux paragraphes 5 à 8 de ses motifs) du fardeau qu’il devait assumer en tant que plaignant aux termes de l’article 77. Comme l’a expliqué la Commission, il incombait à M. Gulia de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait eu abus de pouvoir dans le processus de nomination. L’abus de pouvoir comprend non seulement la mauvaise foi et le favoritisme personnel, mais aussi d’autres formes de conduite inappropriée. Pour que l’on puisse conclure à un abus de pouvoir, « l’erreur ou l’omission doit être si énorme qu’elle ne peut faire partie de la discrétion accordée au gestionnaire délégué ».

[8] Comme nous l’avons déjà indiqué, M. Gulia soutient que tous les motifs qu’il soulève dans sa demande doivent être examinés selon la norme de la décision correcte. Je ne suis pas du même avis. La Cour suprême a établi, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, par. 30, que le caractère raisonnable est la norme présumée de contrôle des exercices du pouvoir décisionnel délégué, comme celui en cause en l’espèce. Aucune des exceptions soulevées dans l’arrêt Vavilov ne s’applique. Une décision raisonnable, selon l’arrêt Vavilov, « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti ». La cour de justice doit faire preuve de déférence envers une telle décision : arrêt Vavilov, par. 85. Le cadre défini dans l’arrêt Vavilov dispose qu’« [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » : arrêt Vavilov, par. 100.

[9] Toutefois, l’arrêt Vavilov ne tient pas compte de la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale. Par conséquent, comme l’a déclaré notre Cour, « [l]a cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » : Compagnie de Chemin de fer Canadien Pacifique c. Office des Transports du Canada, 2021 CAF 69, par. 46 et 47, citant l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, par. 54. C’est la question que nous devons poser en ce qui concerne les affirmations de partialité ou de crainte raisonnable de partialité de M. Gulia.

[10] J’examinerai maintenant les motifs qu’avance M. Gulia dans sa demande.

[11] M. Gulia allègue d’abord que la Commission a mal appliqué la preuve en ne concluant pas qu’il y avait eu abus de pouvoir dans le choix de la procédure et de la zone de sélection. Selon la thèse qu’il a exposée devant la Commission, le choix de la procédure et de la zone de sélection découlaient de l’opinion négative du greffe de la Cour canadienne de l’impôt à l’égard des agents du greffe de la Cour fédérale et, conformément aux garanties qui, selon lui, avaient été données au syndicat, le poste aurait dû être offert uniquement aux employés alors en fonction du Service administratif des tribunaux judiciaires, plutôt qu’à tous les employés de la fonction publique de la région du Grand Toronto.

[12] Tant M. Gulia que le défendeur ont présenté des éléments de preuve sur cette question. La Commission a estimé (paragraphe 17) que le témoignage sur lequel se fondait M. Gulia pour soutenir son affirmation selon laquelle le greffe de la Cour canadienne de l’impôt avait une opinion négative des agents du greffe de la Cour fédérale était un « ragot anonyme » démenti par les éléments de preuve du défendeur. Elle a souligné que la personne nommée provenait de la Cour fédérale. La Commission a conclu (également au paragraphe 17) que M. Gulia « n’a pas produit la preuve qui [lui] permettrait de conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu abus de pouvoir dans le choix de la procédure ».

[13] En appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable, la cour de révision doit « s’abstenir ‘‘d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur’’ » : arrêt Vavilov, par. 125, citant l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, par. 55. Je ne suis pas en mesure de conclure que la décision de la Commission concernant cet élément de la plainte de M. Gulia était déraisonnable.

[14] M. Gulia fait valoir ensuite que la Commission a eu tort de conclure qu’elle n’avait pas compétence pour entendre les plaintes relatives aux zones de sélection. Pour en arriver à cette conclusion (aux paragraphes 19 et 20 de ses motifs), la Commission s’est appuyée sur sa propre jurisprudence quant à l’étendue de sa compétence. M. Gulia ne conteste pas le raisonnement suivi dans les décisions auxquelles la Commission a renvoyé. Je ne vois rien de déraisonnable dans cet élément de la décision de la Commission.

[15] Malgré sa conclusion sur la question de la compétence, la Commission a poursuivi son examen de l’allégation de M. Gulia selon laquelle il y a eu abus de pouvoir dans le choix de la zone de sélection. Notant que cet élément de la plainte de M. Gulia était fondé sur le même « ragot anonyme » qu’elle avait jugé insuffisant pour étayer l’allégation de M. Gulia quant au choix de la procédure, la Commission a conclu (au paragraphe 21) que, de la même façon, M. Gulia n’avait pas présenté d’éléments de preuve suffisants pour étayer son allégation relative à la zone de sélection. Comme je l’ai indiqué en ce qui concerne la question du choix de la procédure, M. Gulia n’a pas démontré que cette conclusion de la Commission était déraisonnable.

[16] M. Gulia soutient ensuite que son examen écrit a été corrigé, par rapport aux examens des autres candidats, de manière partiale et erronée. Son argument à l’appui de cette affirmation est axé sur l’attribution de points de bonification à d’autres candidats (y compris le candidat retenu), ainsi que sur la notation de son propre examen. La Commission a constaté (par. 23) que M. Gulia avait été éliminé du processus de nomination parce qu’il avait obtenu une note insuffisante à la question évaluant la « [c]apacité à planifier, à fixer et assigner des priorités et à prendre des décisions ». M. Gulia a obtenu une note de 6,5 sur 14 à cette question. La note de passage était de 8.

[17] Il est communément admis que le critère de la crainte raisonnable de partialité consiste à savoir si une personne raisonnable et bien renseignée, qui serait au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes et qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, penserait qu’il est vraisemblable que le décideur, consciemment ou non, ne tranchera pas la question de manière équitable : Committee for Justice and Liberty et autres c. L’Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369, p. 394. Le fardeau de démontrer la partialité incombe à la partie qui l’allègue : R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, par. 114.

[18] La Commission a estimé, au vu des éléments de preuve (aux paragraphes 24 à 28 de ses motifs), que la notation était objective et conforme au guide de cotation. Elle a examiné des éléments de preuve qui comparaient l’examen de M. Gulia à celui du candidat retenu et expliquaient « dans les moindres détails » pourquoi des notes étaient accordées ou non. Selon son argument sur ce point, M. Gulia demande en fait à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve. Je ne vois aucune raison de le faire. Je ne pourrais conclure que la notation de l’examen écrit soulève une crainte raisonnable de partialité ou d’erreur.

[19] M. Gulia poursuit en soutenant que la nomination du candidat retenu avait été décidée au préalable. La Commission a estimé (au paragraphe 32) qu’il n’y avait aucune preuve à l’appui de cette allégation, hormis ce qui a été reconnu comme étant des « potins [de] bureau », et que M. Gulia ne s’était donc pas acquitté du fardeau de la preuve sur cette question. M. Gulia n’a donné aucune raison justifiant l’intervention de la Cour quant à cet aspect de la décision de la Commission.

[20] J’examinerai maintenant l’objection de M. Gulia à la partie IV des motifs de la Commission, que M. Gulia décrit comme une [traduction] « atteinte à sa moralité » à laquelle il n’a pas eu l’occasion de répondre. M. Gulia renvoie à la partie IV à l’appui de son allégation de crainte raisonnable de partialité de la part de la Commission qui exigerait l’annulation de sa décision. Il affirme également qu’il a droit à une [traduction] « réparation appropriée » et que la Cour devrait ordonner [traduction] « une enquête pour découvrir la vérité » sur ce qui a amené le commissaire à faire les commentaires qu’il a formulés.

[21] La façon dont M. Gulia qualifie les commentaires de la Commission dans la partie IV est inexacte à deux égards. Premièrement, il affirme dans son mémoire que la Commission est allée jusqu’à [traduction] « [rendre] une ordonnance interdisant à [M. Gulia] de défendre sa propre cause devant [la Commission] lors de futures audiences ». Cela est inexact. Ce que la Commission a affirmé (au paragraphe 54 de ses motifs), c’est que M. Gulia aurait « avantage », s’il comparaissait de nouveau devant la Commission, à trouver un représentant pour mener l’audience en son nom, mais que « [s]’il se représente lui‑même de nouveau, il devra en tout temps faire preuve de respect envers le commissaire qui présidera, l’avocat de la partie adverse, le représentant de l’intimé et tous les témoins ».

[22] Deuxièmement, M. Gulia affirme qu’il n’a reconnu la partialité de la Commission qu’après l’audience, lorsqu’il a lu les critiques de la Commission sur son comportement dans la partie IV. Il affirme que cela explique pourquoi il n’a pas soulevé la question de la partialité devant la Commission à l’audience, de manière à satisfaire à l’exigence selon laquelle une partie qui allègue la partialité doit le faire à la première occasion : Beddows c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 166, par. 10. Cependant, dans la partie IV (aux paragraphes 48 et 49), la Commission mentionne des incidents qui se sont produits pendant l’audience. Elle déclare qu’« [à] plusieurs reprises durant la procédure », la Commission a dû demander à M. Gulia de « cesser d’interrompre un témoin ou l’avocat, de l’invectiver et d’argumenter avec lui » et qu’« [à] plusieurs reprises », M. Gulia a interrompu la Commission dans l’exercice de ses fonctions à l’audience.

[23] Quoi qu’il en soit, je ne donnerais pas suite aux allégations de partialité ou de crainte raisonnable de partialité de M. Gulia. Comme le fait valoir le défendeur, il existe une forte présomption selon laquelle les décideurs exercent leurs fonctions de façon impartiale : Zündel c. Citron (C.A.), [2000] 4 CF 225, p. 242, [2000] A.C.F. no 679. Pour renverser cette présomption, il faut une preuve convaincante : R. v. Bennett, 2016 BCCA 406, par. 17. Les interventions, les remontrances et les commentaires peu flatteurs de la part du décideur ne donnent pas nécessairement lieu à une crainte raisonnable de partialité, mais peuvent être appropriés dans le contexte de l’ensemble de l’instance : Slawsky v. Edmonton (City) Composite Assessment Review Board, 2019 ABQB 77, par. 107 et 108.

[24] En l’espèce, la Commission (au paragraphe 47) a jugé nécessaire de commenter le comportement de M. Gulia au motif que celui-ci « a dérogé à un point tel de toute norme acceptable et raisonnable [...] ». Au vu du dossier dont dispose la Cour, qui ne comprend pas de transcription de l’instance devant la Commission, je conclurais qu’aucune crainte raisonnable de partialité, et encore moins de partialité réelle, n’a été démontrée. Même si une crainte raisonnable de partialité avait été démontrée, la Cour n’aurait pas le pouvoir d’ordonner l’enquête à laquelle M. Gulia fait référence.

[25] Pour les motifs qui précèdent, je rejette la demande avec dépens. Les deux parties ont proposé la somme de 2 500 $ pour les dépens qu’elles devraient recevoir si elles obtenaient gain de cause. Gardant à l’esprit ces recommandations, je fixerais les dépens à 2 500 $, tout compris.

« J.B. Laskin »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-121-20

(DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE D’UNE DÉCISION DE LA COMMISSION DES RELATIONS DE TRAVAIL ET DE L’EMPLOI DANS LE SECTEUR PUBLIC FÉDÉRAL DATÉE DU 20 AVRIL 2020 (2020 CRTESPF 39) DOSSIER NO EMP-2016-10442)

INTITULÉ :

YOGINDER GULIA c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 mai 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er juin 2021

 

COMPARUTIONS :

Yoginder Gulia

POUR SON PROPRE COMPTE

Patrick Turcot

Richard Fader

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour le défendeur

 

 

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