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Date : 20210527


Dossier : A-102-21

Référence : 2021 CAF 103

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de monsieur le juge Stratas

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

FLOYD BERTRAND

intimé

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 27 mai 2021.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20210527


Dossier : A-102-21

Référence : 2021 CAF 103

En présence de monsieur le juge Stratas

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

FLOYD BERTRAND

intimé

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1] Le procureur général demande par voie de requête de surseoir à l’exécution du jugement rendu par la Cour fédérale (le juge Grammond) : 2021 CF 287.

[2] La Cour fédérale a déclaré que l’article 4 du Règlement concernant l’annulation ou le report d’élections au sein de premières nations (prévention de maladies), DORS/2020-84 (le Règlement), outrepasse le pouvoir conféré par sa loi habilitante et est invalide. Cet article prévoit que le conseil d’une première nation dont le chef et les conseillers sont choisis selon la coutume de celle-ci « peut proroger [leur] mandat [...] si la prorogation est nécessaire pour la prophylaxie de maladies dans la réserve », même si la coutume est silencieuse à l’égard d’une telle situation. En d’autres termes, l’article 4 permet au conseil de refuser de tenir des élections à cause de la pandémie.

[3] La Cour fédérale a suspendu sa déclaration de nullité pendant 60 jours. Dans les faits, l’article 4 demeure en vigueur durant cette période de 60 jours, laquelle arrive à échéance dans quatre jours, soit le 31 mai 2021.

[4] L’avis d’appel présenté à notre Cour par le procureur général ne mentionne qu’un seul motif d’appel : l’interprétation « trop restrictive » que la Cour fédérale a faite de la disposition autorisant la prise du Règlement, à savoir l’alinéa 73(1)f) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. 1-5.

[5] Pour que sa requête soit accueillie et que le sursis soit accordé, le procureur général doit démontrer que l’appel soulève une question sérieuse, qu’un préjudice irréparable sera causé si le sursis n’est pas accordé et que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur : RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, 111 D.L.R. (4th) 385. La présente requête est inhabituelle en ce qu’aucune des parties n’a présenté d’éléments de preuve admissibles pour appuyer leur thèse, si ce n’est une déclaration sous serment restreinte déposée par un assistant juridique de M. Bertrand.

[6] Je conclus que l’interprétation législative, que le procureur général soulève dans son avis d’appel, constitue une question sérieuse. Le critère à remplir pour satisfaire à ce volet du critère défini dans l’arrêt RJR-MacDonald est peu élevé : arrêt RJR-MacDonald, p. 337 R.C.S.; Janssen Inc. v. Abbvie Corporation, 2014 CAF 112, 120 C.P.R. (4th) 385, par. 23. Le procureur général le satisfait amplement.

[7] En revanche, je ne peux conclure que le procureur général satisfait à l’exigence relative au préjudice irréparable.

[8] Le procureur général nous demande de présumer qu’un préjudice irréparable sera causé du fait que l’objet de l’article 4 du Règlement sera rendu inexécutable si le sursis est accordé. Plus précisément, le procureur général fait valoir dans son mémoire que, si le sursis n’est pas accordé, les Premières Nations n’auront pas [traduction] « le pouvoir de reporter les élections et de proroger leur mandat électoral si elles estiment qu’il est nécessaire de le faire pour protéger la santé publique ». Le procureur général affirme essentiellement que la menace pour la santé publique que représente la tenue d’une élection est le préjudice irréparable qui sera causé si notre Cour n’accorde pas un sursis relativement à l’article 4 du Règlement.

[9] M. Bertrand conteste cet argument. Il affirme que, dans la mesure où les élections représentent une menace pour la santé publique, les Premières Nations peuvent gérer cette menace, même en période électorale. Il souligne que les Premières Nations peuvent prendre des règlements administratifs qui ne sont pas incompatibles avec la Loi ou quelque règlement pour « l’adoption de mesures relatives à la santé des habitants de la réserve et les précautions à prendre contre la propagation des maladies contagieuses et infectieuses » : Loi sur les Indiens, al. 81(1)a).

[10] Il incombe à la partie qui présente la requête, en l’occurrence le procureur général, d’établir l’existence d’un préjudice irréparable. Bien que l’arrêt RJR-MacDonald nous indique que l’on peut conclure à une présomption de préjudice irréparable dans certaines circonstances, et si l’on suppose que cette présomption s’applique en l’espèce, cette présomption n’est pas irréfutable. Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, l’intimé dans la requête met en doute de manière crédible l’existence d’un préjudice irréparable, il incombe au procureur général de s’acquitter du fardeau provisoire ou tactique et de présenter des éléments de preuve pour avoir gain de cause. Sur la question du fardeau provisoire ou tactique, voir l’arrêt Apotex Inc. c. Bristol-Myers Squibb Co., 2003 CAF 263, 26 C.P.R. (4th) 129, par. 10 et 11.

[11] En l’espèce, le procureur général n’a présenté aucune preuve admissible pour étayer sa requête. Dans ces circonstances, le procureur général n’a pas satisfait à l’exigence relative à l’existence d’un préjudice irréparable.

[12] De même, il incombe à la partie qui présente la requête, en l’espèce le procureur général, d’établir que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur. Le procureur général prétend que notre Cour peut présumer de l’existence d’inconvénients importants. Cependant, eu égard à la thèse défendue par M. Bertrand, laquelle est fondée sur l’alinéa 81(1)a) de la Loi sur les Indiens, il incombe au procureur général de s’acquitter du fardeau provisoire ou tactique et de présenter des éléments de preuve pour avoir gain de cause sur cette question. Il ne l’a pas fait.

[13] Notre Cour a aussi des réserves du fait que la Couronne a tardé à déposer la présente requête et à poursuivre l’appel. Les retards peuvent influer sur l’évaluation que fait notre Cour de la prépondérance des inconvénients : voir, par exemple, l’arrêt Dywidag Systems International, Canada, Ltd. c. Garford Pty Ltd., 2010 CAF 232, 406 N.R. 304, par. 18. Il en est ainsi parce qu’une partie qui craint de subir d’importants inconvénients agira rapidement pour essayer de les prévenir. C’est particulièrement le cas en l’espèce, où la Cour fédérale a suspendu sa déclaration pour une période de seulement 60 jours. La courte durée de la suspension accordée par la Cour fédérale indiquait clairement que le procureur général devait agir rapidement, en l’espace de quelques jours au plus.

[14] Le procureur général a déposé la présente requête 41 jours après le prononcé du jugement de la Cour fédérale. Il n’a pas demandé que l’appel soit traité promptement. Il n’a pas demandé non plus que l’appel soit exempté de la suspension des délais en application de l’Avis aux parties et à la communauté juridique publié par notre Cour le 21 avril 2021.

[15] Le présent appel ne porte que sur la question bien définie de l’interprétation d’un texte législatif. Le contenu du dossier d’appel ne porte pas à controverse et est sous forme électronique. Si le procureur général avait agi rapidement, l’entente quant au contenu du dossier d’appel et au dossier d’appel proprement dit aurait pu être déposée avant le 21 avril 2021.

[16] Si notre Cour accorde au procureur général le sursis demandé, quelle devrait en être la durée? Il semble que le présent appel se déroule jusqu’à maintenant à une cadence que l’on pourrait qualifier au mieux de posée. Cela a une incidence sur la prépondérance des inconvénients, au détriment du procureur général.

[17] Dans le cadre de la présente requête, les deux parties ont déposé de la documentation tirée d’Internet (notamment un message sur Facebook concernant les résultats des élections de la Première Nation, des statistiques sur la COVID provenant d’un site Web et un article de la CBC), sans déclaration sous serment. Il semble que cette pratique soit de plus en plus répandue. Nous demeurons une cour de justice qui ne doit tenir compte que des éléments de preuve admissibles, et non de toute information que des avocats peuvent trouver sur Internet.

[18] Par conséquent, notre Cour rejettera la présente requête avec dépens. M. Bertrand demande des dépens élevés de 5 000 $. Cependant, rien ne justifie l’adjudication de dépens élevés dans le cadre de la présente requête. Notre Cour lui allouera des dépens taxés selon l’échelle habituelle, c’est-à-dire la valeur médiane de la colonne III du tarif B.

[19] Notre Cour souhaite également aborder deux questions accessoires.

[20] Dans son mémoire présenté en réplique à la présente requête, M. Bertrand demande que l’appel soit entendu promptement. Il découle implicitement de cette demande que tout délai de procédure doit être fixé et prendre effet indépendamment de l’Avis aux parties et à la communauté juridique du 21 avril 2021. Le procureur général a déposé une réponse, mais est resté muet sur cette demande. La Cour ordonne aux parties d’entreprendre des discussions en vue de parvenir à une entente, afin de déterminer s’il faudrait permettre la poursuite des étapes de la procédure dans le présent appel, malgré l’Avis aux parties et à la communauté juridique du 21 avril 2021, et si l’appel devrait être entendu promptement. Les parties déposeront, dans un délai de sept jours, une lettre informelle exposant leurs thèses sur cette question et, si elles souhaitent que l’affaire soit traitée rapidement, elles devront présenter un projet de calendrier pour les différentes étapes de la procédure d’appel.

[21] Notre Cour note par ailleurs que les parties ont communiqué par signification, dans cette requête, avec d’autres parties qui étaient parties à l’instance de la Cour fédérale mais qui ne sont pas parties au présent appel. Compte tenu de l’article 338 des Règles, y a-t-il d’autres parties dans l’appel? Les parties devront déposer une lettre informelle exposant leur thèse sur cette question dans un délai de sept jours.

[22] Je demeure saisi de l’affaire pour l’examen de ces questions accessoires. J’ordonne que le délai habituel s’applique pour le dépôt de la documentation concernant les questions accessoires, compte non tenu de l’Avis aux parties et à la communauté juridique du 21 avril 2021.

« David Stratas »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-102-21

 

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. FLOYD BERTRAND

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 mai 2021

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Glen Jermyn

Eve Coppinger

 

Pour l’appelant

 

Orlagh O’Kelly

Adam Ollenberger

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour l’appelant

 

Field LLP

Edmonton (Alberta)

 

Pour l’intimé

 

 

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