Date : 20210506
Dossier : A-147-20
Référence : 2021 CAF 87
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
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LA JUGE GLEASON
LE JUGE LASKIN
LE JUGE LOCKE
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ENTRE :
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ASSOCIATION DES JURISTES DE JUSTICE
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demanderesse
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et
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 4 mai 2021.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 mai 2021.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LA JUGE GLEASON
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE LASKIN
LE JUGE LOCKE
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Date : 20210506
Dossier : A-147-20
Référence : 2021 CAF 87
CORAM :
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LA JUGE GLEASON
LE JUGE LASKIN
LE JUGE LOCKE
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ENTRE :
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ASSOCIATION DES JURISTES DE JUSTICE
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demanderesse
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et
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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MOTIFS DU JUGEMENT
LA JUGE GLEASON
[1] La demanderesse sollicite l’annulation de la décision Conseil du Trésor (ministère de la Justice) c. Association des Juristes de Justice, 2020 CRTESPF 59, rendue par un arbitre de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la CRTESPF). Dans cette décision, l’arbitre a jugé que le poste LP-04 au sein du Centre du droit à l’information et à la protection des renseignements personnels (CDIPRP) du ministère de la Justice devrait être exclu de l’unité de négociation en application de l’alinéa 59(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral , L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la LRTSPF).
[2] Plus précisément, l’arbitre a jugé que le titulaire du poste en question était parfois appelé à fournir des conseils sur des questions relevant de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, et de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, dans le contexte de questions délicates liées aux relations de travail. Au paragraphe 39 de ses motifs, l’arbitre a conclu qu’il existait donc un « […] lien suffisant entre les questions touchant les relations de travail, la dotation en personnel et la classification [...] »
qui justifie l’exclusion du poste en raison d’un possible conflit d’intérêts aux termes de l’alinéa 59(1)g) de la LRTSPF. L’arbitre a toutefois jugé que l’exclusion prévue à l’alinéa 59(1)c) de la LRTSPF n’était pas justifiée parce que le titulaire du poste n’avait pas fourni de conseils sur des questions touchant les relations de travail, la dotation en personnel et la classification.
[3] Les dispositions pertinentes de la LRTSPF sont les suivantes :
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[4] La demanderesse affirme que la décision de l’arbitre était déraisonnable, principalement pour deux raisons.
[5] Premièrement, la demanderesse mentionne que l’arbitre a interprété de manière déraisonnable les dispositions législatives pertinentes, qui doivent être interprétées de façon restrictive puisqu’elles limitent le droit garanti par la Constitution de se joindre à un syndicat et d’être représenté par lui. La demanderesse soutient que le texte, le contexte et l’objet des dispositions pertinentes indiquent que le législateur avait prévu que toutes les exclusions liées aux relations de travail relèveraient de l’alinéa 59(1)c) ou h) de la LRTSPF, et qu’il n’était donc pas raisonnable d’interpréter l’alinéa 59(1)g) de la Loi comme incluant les obligations à l’égard des questions de relations de travail qui ne sont pas visées par les alinéas 59(1)c) ou h) de la LRTSPF. Selon elle, une telle interprétation élargirait de façon inacceptable la portée des exclusions liées aux relations de travail prévues dans la LRTSPF.
[6] Deuxièmement, la demanderesse affirme que l’arbitre a, dans une large mesure, fondé de manière déraisonnable sa décision sur le fait que le titulaire du poste LP-04 au CDIPRP était un avocat chevronné. La demanderesse mentionne que ce fait n’est pas pertinent aux fins de l’enquête que l’arbitre était chargé de mener, car, selon la jurisprudence de la CRTESPF, l’examen exigé vise les tâches requises pour le poste plutôt que les qualités du titulaire. Selon la demanderesse, s’il en était autrement, aucun avocat chevronné au sein du gouvernement ne pourrait se syndiquer, ce qui n’était manifestement pas l’intention du législateur lorsqu’il a élargi la portée des droits de négociation collective aux avocats du gouvernement fédéral en 2005.
[7] En toute déférence, je ne souscris à aucun de ces deux arguments.
[8] Du point de vue de l’interprétation, la demanderesse n’a invoqué aucune jurisprudence pour étayer son allégation selon laquelle l’alinéa 59(1)g) de la LRTSPF ne peut s’appliquer aux conflits d’intérêts existants ou potentiels découlant de la prestation de conseils, précisément le même genre de conseils fournis par le titulaire du poste LP-04 en l’espèce. En fait, à bien des égards, la présente affaire est semblable aux premières décisions de la CRTESPF (et des prédécesseurs de la Commission) où les titulaires étaient exclus parce qu’ils avaient fourni des conseils sur des sujets qui avaient des répercussions possibles semblables à celles en l’espèce (voir, par exemple, les décisions Vérificateur général du Canada c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1980] CRTESPF no 2, 1980 CarswellNat 1381; Canada (Conseil du Trésor) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1982] CRTESPF no 148, 1982 CarswellNat 1261; Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Office national du film du Canada, [1990] CRTESPF no 78, 1990 CarswellNat 2371; Conseil du Trésor (Ministère de la Défense nationale) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2000 CRTESPF no 85, 2000 CarswellNat 2836; Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2016 CRTESPF 80, 2016 CarswellNat 4817; Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2016 CRTESPF 84, 2016 CarswellNat 4958).
[9] En outre, le libellé de l’alinéa 59(1)g) de la LRTSPF n’est pas circonscrit, ce qui laisse à la CRTESPF une latitude considérable pour dégager le sens de cette disposition. Tel que souligné dans la décision Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2012 CRTESPF 46, 2012 CarswellNat 1341, au par. 70, la disposition « […] confère à la CRTFP un pouvoir discrétionnaire très large pour exclure un employé sur la base d’aspects de ses fonctions et de ses responsabilités […] »
.
[10] L’interprétation que l’arbitre a faite de l’alinéa 59(1)g) de la LRTSPF était donc raisonnable.
[11] En ce qui concerne le deuxième défaut allégué de la décision de l’arbitre, je ne suis pas d’accord pour dire que ce dernier a fondé sa décision en grande partie sur le fait que le titulaire du poste LP-04 était un avocat chevronné. Les commentaires formulés par l’arbitre aux paragraphes 42 et 43 de ses motifs auxquels la demanderesse renvoie doivent être interprétés dans leur contexte et tiennent compte des affirmations selon lesquelles l’employeur aurait pu s’assurer que toutes les discussions délicates liées aux relations de travail étaient tenues avec l’avocat le moins chevronné exclu au sein du CDIPRP. Dans les paragraphes contestés, l’arbitre a tout simplement expliqué pourquoi l’employeur était autorisé à exclure également un poste de niveau élevé au sein du CDIPRP.
[12] À de nombreuses reprises dans la décision, l’arbitre souligne les fonctions attribuées au titulaire du poste LP-04 qui ont donné lieu à un conflit d’intérêts, comme la prestation de conseils sur des questions de protection des renseignements personnels ou d’accès à l’information en lien avec le litige entre l’employeur et les agents négociateurs. Comme l’a souligné le défendeur, l’arbitre était saisi d’éléments de preuve qui indiquaient que ces fonctions avaient été exercées par le titulaire tant avant qu’après la réorganisation du CDIPRP, lorsque le titulaire n’était plus responsable de la gestion des subalternes (voir, par exemple, l’argument de l’employeur soumis à l’arbitre, résumant cet élément de preuve, aux p. 432 à 434 du dossier de la demanderesse).
[13] Par conséquent, l’arbitre n’a pas fondé de manière déraisonnable sa décision sur le fait que le titulaire du poste LP-04 au sein du CDIPRP possédait une vaste expérience.
[14] Je rejetterais donc la présente demande, avec dépens fixés à la somme forfaitaire convenue de 2 500 $ qui, à mon avis, est raisonnable.
« Mary J.L. Gleason »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
J.B. Laskin, j.c.a. »
« Je suis d’accord.
George R. Locke, j.c.a. »
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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A-147-20
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INTITULÉ :
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ASSOCIATION DES JURISTES DE JUSTICE c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 4 MAI 2021
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MOTIFS DU JUGEMENT :
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LA JUGE GLEASON
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE LASKIN
LE JUGE LOCKE
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DATE DES MOTIFS :
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LE 6 MAI 2021
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COMPARUTIONS :
Christopher Rootham
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POUR LA DEMANDERESSE
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Richard E. Fader
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nelligan O’Brien Payne s.r.l.
Avocats
Ottawa (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE
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Nathalie G. Drouin
Sous-procureure générale du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR
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