Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20210210


Dossiers : A-429-19 (dossier principal)

A-57-19

A-428-19

A-430-19

A-433-19

Référence : 2021 CAF 26

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

LE JUGE LEBLANC

 

 

Dossier : A-429-19

ENTRE :

HEILTSUK HORIZON MARITIME SERVICES LTD. et

HORIZON MARITIME SERVICES LTD.

demanderesses

et

ATLANTIC TOWING LIMITED et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

Dossier : A-57-19

ET ENTRE :

HEILTSUK HORIZON MARITIME SERVICES LTD.

et HORIZON MARITIME SERVICES LTD.

demanderesses

et

ATLANTIC TOWING LIMITED et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

Dossier : A-428-19

ET ENTRE :

ATLANTIC TOWING LIMITED

demanderesse

et

HEILTSUK HORIZON MARITIME SERVICES LTD.,

HORIZON MARITIME SERVICES LTD. et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

Dossier : A-430-19

ET ENTRE :

HEILTSUK HORIZON MARITIME SERVICES LTD. et

HORIZON MARITIME SERVICES LTD.

demanderesses

et

ATLANTIC TOWING LIMITED et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

Dossier : A-433-19

ET ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

HEILTSUK HORIZON MARITIME SERVICES LTD.,

HORIZON MARITIME SERVICES LTD. et

ATLANTIC TOWING LIMITED

défenderesses

Audience par vidéoconférence organisée par le greffe, les 2 et 3 décembre 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 février 2020.

VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

 


Date : 20210210


Dossiers : A-429-19 (dossier principal)

A-57-19

A-428-19

A-430-19

A-433-19

Référence : 2021 CAF 26

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

LE JUGE LEBLANC

 

 

Dossier : A-429-19

ENTRE :

HEILTSUK HORIZON MARITIME SERVICES LTD. et

HORIZON MARITIME SERVICES LTD.

demanderesses

et

ATLANTIC TOWING LIMITED et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

Dossier : A-57-19

ET ENTRE :

HEILTSUK HORIZON MARITIME SERVICES LTD.

et HORIZON MARITIME SERVICES LTD.

demanderesses

et

ATLANTIC TOWING LIMITED et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

Dossier : A-428-19

ET ENTRE :

ATLANTIC TOWING LIMITED

demanderesse

et

HEILTSUK HORIZON MARITIME SERVICES LTD.,

HORIZON MARITIME SERVICES LTD. et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

Dossier : A-430-19

ET ENTRE :

HEILTSUK HORIZON MARITIME SERVICES LTD. et

HORIZON MARITIME SERVICES LTD.

demanderesses

et

ATLANTIC TOWING LIMITED et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

Dossier : A-433-19

ET ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

HEILTSUK HORIZON MARITIME SERVICES LTD.,

HORIZON MARITIME SERVICES LTD. et

ATLANTIC TOWING LIMITED

défenderesses

VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DU JUGEMENT

Il s’agit d’une version publique des motifs confidentiels du jugement remis aux parties. Les deux versions sont identiques, car aucun renseignement confidentiel n’a été divulgué dans les motifs de jugement confidentiels.

LE JUGE LEBLANC

I. Introduction

[1] Notre Cour est saisie de plusieurs demandes de contrôle judiciaire – cinq au total – présentées en application de l’alinéa 28(1)e) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, relativement à trois décisions qui ont été rendues par le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal), la première le 2 janvier 2019 et les deux autres, le 18 octobre 2019. Dans ces décisions, le Tribunal a statué sur des plaintes déposées relativement au processus de passation de marchés publics portant le no F7017-160056/C, tenu en 2018 en vue de la fourniture de deux remorqueurs d’urgence pour appuyer les activités menées par la Garde côtière canadienne (GCC) le long du littoral de la Colombie-Britannique (l’appel d’offres).

[2] L’appel d’offres a été lancé par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC), au nom de la GCC, par voie d’une demande de propositions (la DP). Neuf (9) soumissions ont été reçues, notamment une présentée par Heiltsuk Horizon Services Limited/Horizon Maritime Services Ltd. (Heiltsuk Horizon), un partenariat entre la Première Nation Heiltsuk de la Colombie-Britannique et une entreprise maritime canadienne, et une autre par Atlantic Towing Limited (Atlantic). Atlantic s’est classée au premier rang parmi les soumissionnaires et a obtenu le contrat prévu dans l’appel d’offres, soit un contrat de trois ans d’une valeur de 67 millions de dollars. Heiltsuk Horizon s’est classée dernière.

[3] Heiltsuk Horizon, qui a déposé quatre plaintes auprès du Tribunal en lien avec l’appel d’offres, comme le permet la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985, ch. 47 (4e suppl.) (la Loi), allègue que les navires proposés dans la soumission d’Atlantic n’ont pas la puissance de traction ou de remorquage minimale requise pour satisfaire à l’exigence obligatoire no. 12 de la DP (le critère MR 12) et, donc, que la soumission d’Atlantic n’est pas conforme. Elle fait valoir que les décisions du Tribunal comportent des lacunes irrémédiables, puisque le Tribunal a recommandé, à chaque occasion, que toutes les soumissions soient réévaluées, malgré la non-conformité alléguée de la soumission d’Atlantic. Heiltsuk Horizon allègue que le seul résultat raisonnable dans ces circonstances était de déclarer la soumission d’Atlantic non conforme, d’exclure cette soumission de tout autre examen et de résilier le contrat adjugé à Atlantic. Heiltsuk Horizon fait en outre valoir qu’un nouveau contrat devrait lui être adjugé puisqu’elle est maintenant le seul soumissionnaire conforme. Heiltsuk Horizon conteste également le fait que le Tribunal a rejeté ses allégations selon lesquelles TPSGC a favorisé Atlantic durant le déroulement de l’appel d’offres.

[4] Pour sa part, Atlantic, avec le soutien du procureur général du Canada (le procureur général), conteste les deuxième et troisième décisions du Tribunal, lesquelles sont identiques sauf en ce qui concerne l’adjudication des dépens. Atlantic et le procureur général allèguent tous les deux que le Tribunal a outrepassé son pouvoir de surveillance des marchés publics fédéraux, en imposant, dans ces deux décisions, une interprétation du critère MR 12 qui ne trouve aucun fondement dans la DP et en modifiant ainsi de manière inadmissible les exigences obligatoires de la DP. Ils allèguent également que le Tribunal a de nouveau outrepassé sa compétence en omettant de faire preuve de déférence à l’égard de la réévaluation du critère MR 12 faite par les évaluateurs, en omettant de tenir dûment compte des étapes suivies par ces évaluateurs pour évaluer la conformité à ce critère, ainsi qu’en faisant une appréciation erronée des éléments de preuve pertinents. Les deux soutiennent en outre que Heiltsuk Horizon a exercé un recours abusif en omettant de divulguer au Tribunal, ainsi qu’à la Cour, des éléments de preuve sur la mise hors service et le démantèlement des navires qu’elle avait proposés dans sa soumission (les nouveaux éléments de preuve). Atlantic et le procureur général allèguent que ces nouveaux éléments de preuve auraient influencé l’issue des instances s’ils avaient été dûment communiqués au Tribunal.

[5] Les cinq demandes de contrôle judiciaire liées à cette affaire ont été instruites ensemble. La demande dans le dossier de la Cour A-57-19 porte sur la contestation, par Heiltsuk Horizon, de la première décision du Tribunal (la décision I). Les demandes dans les dossiers de la Cour A‑429-19 et A-430-19 concernent la contestation par Heiltsuk Horizon des deuxième et troisième décisions du Tribunal, lesquelles, comme nous l’avons mentionné, sont identiques; nous y ferons référence dans les présents motifs comme étant la décision II. Les deux autres demandes dans les dossiers de la Cour A-428-19 et A-433-19, qui ont été présentées par Atlantic et le procureur général, respectivement, contestent elles aussi la décision II.

[6] Pour les motifs énoncés ci-après, je propose que les demandes de Heiltsuk Horizon soient rejetées et que celles d’Atlantic et du procureur général soient accueillies. La présente série de motifs tranchera les cinq demandes et sera déposée dans chacun des dossiers précités de la Cour.

II. L’appel d’offres

[7] L’appel d’offres a été lancé en réponse au Plan de protection des océans du Canada, qui a été rendu public en novembre 2016 et dont le but était d’améliorer la sécurité maritime. En conformité avec ce plan, l’appel d’offres avait pour objectif d’accroître la capacité de la GCC de mener des opérations de sauvetage-remorquage de navires et de porte-conteneurs de gros tonnage le long de la côte ouest du Canada. L’appel d’offres a été précédé de deux demandes de renseignements (demandes nos. F7017-160056/A et F7017-160056/B) (demandes de renseignements A et B) qui avaient pour but de recueillir les commentaires de l’industrie et d’éventuels soumissionnaires sur (i) le profil et les caractéristiques des remorqueurs nécessaires pour accroître cette capacité et (ii) la version préliminaire des documents de l’appel d’offres. Les commentaires reçus par TPSGC relativement au premier point ont servi à définir les exigences fondamentales des navires recherchés.

[8] La DP a été publiée le 5 février 2018 à la suite de ces consultations; la date de clôture avait initialement été fixée au 20 mars 2018 (demande no. F7017-160056/C). La DP comporte 26 critères techniques obligatoires (exigences obligatoires) et 27 critères techniques cotés (exigences cotées).

[9] Le critère technique obligatoire en litige dans la présente instance – le critère MR 12 – exige que chacun des navires proposés par les soumissionnaires soit « doté d’une puissance de traction minimale continue d’au moins 120 tonnes [métriques] lorsque tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur (génératrices attelées, etc.) sont pris en compte ». Selon la méthode d’évaluation énoncée dans la DP, les soumissionnaires devaient, pour satisfaire à cette exigence, « fournir un certificat de conformité (vérifié de manière indépendante) ou des données sur les résultats du test de traction (réf. : circulaire 884 du MSC, section 11.1) de moins de 10 ans » (modification no. 008 de la DP, modification no. 34, dossier consolidé, vol. 2, onglet 20, pp. 01589 et 01590 (modification no. 008)).

[10] À la suite de la publication de la DP, TPSGC a tenu une conférence avec les soumissionnaires éventuels, afin de leur donner l’occasion de poser des questions au sujet de la DP – et de proposer des modifications à y apporter (affidavit confidentiel d’Henri Legros assermenté le 30 août 2019, dossier confidentiel de la Cour – dossier consolidé, vol. 3, onglet 142, p, 12835 et 12836, para. 15 (affidavit confidentiel d’août 2019 de M. Legros)). À la suite de cette conférence, quatorze modifications ont été apportées et la date de clôture des soumissions a été reportée au 13 avril 2018.

[11] L’une des modifications apportées à la DP portait sur la méthode d’évaluation du critère MR 12 (modification no. 008). Conformément à la modification no. 008, il était désormais possible pour les soumissionnaires d’établir leur conformité au critère MR 12 en présentant un certificat de puissance de traction ou, subsidiairement, des calculs précis sur la puissance de traction. Cela dépendait de l’âge du navire proposé (plus ou moins 10 ans) ainsi que de la possibilité de produire un certificat pour ce navire. La méthode d’évaluation modifiée est rédigée comme suit :

Le soumissionnaire doit fournir un certificat de conformité (vérifié de manière indépendante) et des données sur les résultats du test de traction (réf. : circulaire 884 du MSC, section 11.1) de moins de 10 ans qui démontrent que les navires sont dotés d’une puissance de traction minimale continue d’au moins 120 tonnes [métriques] lorsque tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur (génératrices attelées, etc.) sont pris en compte.

Selon « Noble Denton Marine Services – Certification for Towing Vessel Approvability (DNVGL-SE-0122) », édition de mars 2017, dans les cas où un certificat de puissance de traction qui remonte à moins de 10 ans ne peut être fourni, alors pour les remorqueurs de moins de 10 ans, la puissance de traction peut être estimée à 1 tonne [métrique]/100 BHP (certifié) des engins principaux, et pour les remorqueurs de plus de 10 ans, avec un certificat de puissance de traction de plus de 10 ans, la puissance de traction peut être acceptée comme supérieure à :

— la valeur certifiée réduite de 1 % par année d’âge depuis le test; ou

— 1 tonne [métrique] sur 100 BHP (certifié) des engins principaux réduit de 1 % par année d’âge supérieur à 10.

(Modification no. 008, dossier consolidé, vol. 2, onglet 20, pp. 01589 et 01590)

[12] Tous les soumissionnaires ont produit des certificats de puissance de traction vérifiés auprès d’une source indépendante à l’appui de leurs soumissions. Les certificats pour les navires proposés par Atlantic, soit l’Atlantic Eagle et l’Atlantic Raven, avaient été délivrés en 2013 par Det Norske Veritas (DNV), l’une des sept sociétés de classification autorisées par le gouvernement du Canada pour réaliser les inspections exigées par la loi à l’égard des navires commerciaux de gros tonnage. DNV réalise les essais de traction en conformité avec les lignes directrices acceptées par l’industrie et établies par l’Organisation maritime internationale. Toutes les soumissions présentées dans le cadre de l’appel d’offres ont été jugées conformes au critère MR 12.

[13] Le 24 mai 2018, TPSGC a déterminé qu’Atlantic s’était classée première parmi les soumissionnaires qui avaient déposé une soumission recevable. Comme l’exigeait l’article 4.5(a) de la DP (dans sa version modifiée par la modification no. 002), les navires proposés par Atlantic ont fait l’objet d’une évaluation de la conformité. Le but de cette évaluation est de permettre au Canada de vérifier si les navires proposés par le soumissionnaire s’étant classé au premier rang (en l’espèce, Atlantic) possèdent réellement les caractéristiques, les fonctions et les capacités décrites dans la DP ou la soumission, et s’ils satisfont ainsi aux exigences de l’appel d’offres.

[14] Heiltsuk Horizon a signifié une opposition écrite à TPSGC, après avoir appris qu’une évaluation de la conformité des navires proposés par Atlantic avait été faite. Dans son opposition, Heiltsuk Horizon faisait valoir que les navires proposés par Atlantic n’avaient pas la puissance de propulsion requise pour satisfaire au critère MR 12, à savoir une puissance de traction minimale de 120 tonnes [métriques]. Elle invoquait également une apparence de partialité de TPSGC en faveur de la soumission d’Atlantic.

[15] Le 9 août 2018, TPSGC a attribué le contrat pour la fourniture des remorqueurs d’urgence à Atlantic.

III. Première plainte déposée par Heiltsuk Horizon

[16] Heiltsuk Horizon a déposé auprès du Tribunal sa première plainte concernant l’appel d’offres quelques jours après que le contrat a été attribué à Atlantic (la première plainte). Elle y alléguait que, bien qu’il ait été certifié que les navires d’Atlantic avaient une puissance de traction supérieure à 120 tonnes [métriques], la puissance de traction réelle des navires était nettement inférieure lorsque tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur étaient pris en compte, comme l’exige le critère MR 12. Elle alléguait également que TPSGC avait fait preuve de partialité en menant des consultations en privé avec Atlantic bien avant que le Plan de protection des océans du Canada soit annoncé en novembre 2016 et en concevant l’appel d’offres de manière à favoriser Atlantic.

[17] Heiltsuk Horizon demandait au Tribunal, à titre de mesures de réparation, la résiliation du contrat d’Atlantic et l’attribution du contrat en sa faveur. Subsidiairement, elle demandait qu’une indemnité lui soit versée pour perte de profits ou d’occasion et que les frais qu’elle avait engagés pour la préparation de la soumission et le dépôt de la plainte lui soient remboursés.

[18] Le 23 août 2018, le Tribunal a accepté de faire enquête sur la première plainte. En réponse à cette plainte, TPSGC a déposé un rapport de l’institution fédérale (le premier RIF) dans lequel il alléguait que la plainte de Heiltsuk Horizon était sans fondement. TPSGC faisait plus précisément valoir qu’il était raisonnable pour les évaluateurs d’accepter les certificats de puissance de traction produits par Atlantic, puisque ces certificats avaient été vérifiés auprès d’une source indépendante, qu’ils dataient de moins de 10 ans et qu’ils indiquaient que les deux navires proposés avaient une puissance de traction bien supérieure à la puissance minimale prescrite par le critère MR 12. TPSGC faisait également valoir que l’utilisation de certificats de puissance de traction était une pratique courante dans l’industrie et que la procédure courante de vérification de la puissance de traction exigeait que [traduction] « toutes les pièces d’équipement auxiliaires, telles que les pompes, les génératrices et autres dispositifs entraînés par le ou les moteurs principaux ou l’arbre ou les arbres d’hélice dans les conditions normales de fonctionnement du navire » soient connectés durant l’essai et, donc, que tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur requis avaient été pris en compte (premier RIF, dossier consolidé, vol. 2, onglet 34, p. 01995, paras. 29 et 30).

[19] TPSGC alléguait également que les calculs de Heiltsuk Horizon, qui étaient censés démontrer que les navires proposés par Atlantic avaient en fait une puissance de traction bien inférieure à la puissance minimale prescrite dans le critère MR 12 lorsque tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur requis sont pris en compte, étaient fondés sur des hypothèses erronées.

[20] Enfin, TPSGC a réfuté les allégations voulant que le ministère ait eu des consultations en privé avec Atlantic, notant que les allégations de partialité formulées par Heiltsuk Horizon étaient fondées exclusivement sur un message non officiel qui avait été publié sur LinkedIn en août 2018 (message sur un média social). Ce message sur le média social avait été rédigé par un employé d’Atlantic qui félicitait l’équipe d’Atlantic pour le travail acharné mené pendant « plus de deux ans » dans le cadre de l’appel d’offres (premier RIF, dossier consolidé, p. 02001, paras. 50 et 51). Selon TPSGC, le message publié sur le média social faisait tout simplement référence au délai approximatif qui s’était écoulé entre la demande de renseignements A, publiée en novembre 2016, et l’attribution du contrat en août 2018. C’est la publication de la demande de renseignements A, qui a précédé l’appel d’offres, qui a marqué le début des consultations entre TPSGC et les membres de l’industrie, dont Heiltsuk Horizon et Atlantic.

[21] Le 27 septembre 2018, Heiltsuk Horizon a présenté au Tribunal une requête demandant la production de documents, en alléguant que la documentation présentée par TPSGC avec le premier RIF comportait de « grandes lacunes » (lettre de Marc McLaren-Caux, avocat de Horizon Maritime Services, au Tribunal (27 septembre 2018), dossier consolidé, vol. 2, onglet 41, p. 02218). Le 11 octobre 2018, le Tribunal a accueilli en partie cette demande et a ordonné à TPSGC de produire, entre autres documents, la soumission intégrale d’Atlantic ainsi que les notes individuelles et collectives des évaluateurs concernant l’évaluation de cette soumission. Ces documents ont été remis à Heiltsuk Horizon le 17 octobre 2018.

[22] Une semaine plus tard, soit le 24 octobre 2018, Atlantic, qui s’était vu attribuer le statut d’intervenante par le Tribunal, a déposé une réponse à la première plainte. Cette réponse a été déposée avec les témoignages par affidavit de M. Gilles Gagnon, vice-président et directeur général d’Atlantic, et de M. Dan Vyselaar, directeur de la technologie et du développement chez Atlantic. Le témoignage de M. Gagnon portait essentiellement sur les essais de traction effectués sur les deux navires d’Atlantic, sur le protocole d’essai de DNV et sur les allégations de partialité formulées par Heiltsuk Horizon (voir la déclaration sous serment de Gilles Gagnon du 2 octobre 2018 (et pièces jointes), dossier consolidé, vol. 2, onglet 57, pp. 02310 à 02358). Le témoignage de M. Vyselaar portait sur les capacités des navires d’Atlantic et précisait que ces navires sont dotés de deux génératrices auxiliaires qui fonctionnent indépendamment des principaux moteurs de propulsion et qui fournissent des sources d’alimentation supplémentaires pour les navires (voir la déclaration sous serment de Dan Vyselaar du 26 novembre 2018 (et pièces jointes), dossier consolidé, vol. 2, onglet 57, pp. 02666 à 02728 (déclaration sous serment de M. Vyselaar)).

[23] Selon M. Vyselaar, il est donc [traduction] « tout à fait normal que ces navires fonctionnent sans les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur requis, car ils sont dotés d’autres capacités qui alimentent tous les dispositifs consommateurs d’énergie électrique pendant les conditions normales de fonctionnement du navire », ce qui signifie [traduction] « qu’il n’y a aucun dispositif consommateur d’énergie entraîné par moteur à déduire » que ce soit pour l’Atlantic Eagle ou l’Atlantic Raven (déclaration sous serment de M. Vyselaar, dossier consolidé, pp. 02667 à 02669, paras. 4 à 9). M. Vyselaar a ensuite contesté l’affirmation de Heiltsuk Horizon selon laquelle les certificats de puissance de traction fournis par Atlantic étaient lacunaires, en alléguant que cette affirmation était fondée sur deux hypothèses fondamentalement erronées : (i) que les génératrices attelées sont les seules sources de puissance électrique à bord des navires, ce qui en fait des dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur et (ii) que, selon le critère MR 12, la pleine puissance absolue doit être déployée simultanément sur toutes les capacités des navires (déclaration sous serment de M. Vyselaar, dossier consolidé, p. 02670, paras. 13 à 17).

[24] Heiltsuk Horizon a répondu au premier RIF et aux prétentions d’Atlantic le 13 novembre 2018. Pour appuyer sa réponse, Heiltsuk Horizon a déposé l’affidavit de M. Sean Leet, directeur général de Horizon Maritime Services Ltd. Dans sa déclaration sous serment, M. Leet indiquait que, selon lui, le critère MR 12 exige que les soumissionnaires démontrent [traduction] « une puissance de traction minimale effective qui tient compte des effets négatifs qu’ont les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur, notamment les génératrices attelées, sur la puissance de propulsion et la puissance de traction, lesquelles sont d’une importance capitale durant les opérations de remorquage d’urgence normales » (affidavit de Sean Leet du 13 novembre 2018, dossier consolidé, vol. 2, onglet 64, p. 02426, para. 4 (affidavit de M. Leet)) (souligné dans l’original). Il a conclu que les certificats de puissance de traction fournis par Atlantic ne satisfaisaient pas au critère MR 12, car rien sur ces certificats n’indiquait que [traduction] « l’appel de courant des génératrices attelées, nécessaire pour alimenter les treuils, les propulseurs et autres dispositifs fortement consommateurs d’énergie durant les opérations normales de remorquage d’urgence », avait été pris en compte (affidavit de M. Leet, dossier consolidé, p. 02429, para. 17). Si cela avait été fait, a-t-il ajouté, la puissance de propulsion réelle des moteurs des navires aurait été inférieure à la puissance totale des moteurs (affidavit de M. Leet, dossier consolidé, p. 02429, para. 18). M. Leet alléguait par ailleurs que ces lacunes dans les certificats d’Atlantic avaient été confirmées par DNV dans un courriel que DNV lui avait été envoyé le 8 novembre 2018.

[25] Le 26 novembre 2018, TPSGC et Atlantic ont déposé des observations supplémentaires, avec l’autorisation du Tribunal, sur la question de la conformité au critère MR 12. Ces observations ont été déposées avec le témoignage par affidavit de M. Henri Legros, un chef de projet de la GCC désigné à titre de « responsable technique » de l’appel d’offres. M. Legros a confirmé que le libellé du critère MR 12 avait été [traduction] « spécialement formulé de manière à ce que les soumissionnaires, qui possédaient un certificat vérifié par une source indépendante datant de moins de 10 ans pour leurs navires, n’aient pas à se soumettre à un nouvel essai de traction, lequel représentait une entreprise d’envergure et d’importantes dépenses, puis à présenter les résultats confirmant leur conformité à ce critère ». Le critère MR 12 exige des soumissionnaires qu’ils soumettent un certificat ou les résultats d’un essai de traction, mais pas les deux (affidavit confidentiel d’Henri Legros du 26 novembre 2018, dossier consolidé, vol. 2, onglet 71, p. 02610, para. 9 (affidavit confidentiel de novembre 2018 de M. Legros)).

[26] Heiltsuk Horizon a répondu à ces observations supplémentaires le lendemain, le 27 novembre 2018. Elle alléguait qu’Atlantic n’avait pu démontrer, au vu de sa soumission, que ses navires pouvaient exercer une puissance de traction continue de 120 tonnes métriques lorsque tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur requis durant les opérations de remorquage d’urgence sont pris en compte, comme l’exige le critère MR 12. Heiltsuk Horizon alléguait par ailleurs qu’Atlantic elle-même avait reconnu qu’aucun dispositif consommateur d’énergie entraîné par moteur n’avait été pris en compte lorsque DNV avait réalisé les essais de traction pour ses deux navires, ce qui était contraire au critère. Elle alléguait également qu’aucune soumission d’Atlantic ne faisait mention des génératrices auxiliaires à bord de chacun des navires proposés dans ses soumissions, et que le Tribunal ne devrait donc pas en tenir compte. Enfin, Heiltsuk Horizon a qualifié d’« absurde » le fait que TPSGC se fie aux organes d’évaluation pour déterminer la conformité au critère MR 12.

[27] Pour étayer sa réponse, Heiltsuk Horizon a présenté au Tribunal les affidavits de deux ingénieurs en chef, M. John Trainor et M. Dustin Boyd, ainsi que d’un capitaine au long cours, M. Adam Myers. Heiltsuk Horizon a présenté ces affidavits pour aider le Tribunal à déterminer si TPSGC avait commis une erreur en concluant que les certificats de puissance de traction fournis par Atlantic répondaient au critère MR 12 et si les éléments de preuve et observations présentés par TPSGC et Atlantic dans leur réponse à leur première plainte étaient « crédibles et/ou valides ». Les trois déposants étaient d’avis qu’il fallait répondre par la négative à ces deux questions.

IV. Décision I

[28] Le 2 janvier 2019, le Tribunal a jugé que la première plainte était en partie fondée (dossier du Tribunal no PR-2018-023). Il a recommandé que TPSGC réévalue la conformité au critère MR 12 pour toutes les soumissions reçues avant la date de clôture des soumissions. Le Tribunal a également recommandé qu’Atlantic demeure titulaire du contrat jusqu’à ce que la réévaluation soit terminée, mais que le contrat soit résilié si, au terme de la réévaluation, un soumissionnaire autre qu’Atlantic devait se classer au premier rang. Le contrat serait alors attribué à ce soumissionnaire s’étant classé au premier rang.

[29] Si Heiltsuk Horizon devenait le nouveau soumissionnaire s’étant classé premier au terme de la réévaluation, le Tribunal recommandait que TPSGC indemnise Heiltsuk Horizon pour tout profit qu’elle aurait réalisé entre le moment où le contrat a été attribué à Atlantic et la date d’attribution du nouveau contrat à Heiltsuk Horizon. Cependant, si, pour des raisons opérationnelles, TPSGC estimait être dans l’impossibilité de résilier le contrat attribué à Atlantic, Heiltsuk Horizon devrait alors être indemnisée pour la perte de profits (décision I, paras. 99 et 100).

[30] Le Tribunal a publié son exposé des motifs le 7 janvier 2019. Il a déterminé qu’il était déraisonnable pour TPSGC de conclure que la soumission d’Atlantic, à première vue, répondait au critère MR 12, essentiellement pour les deux raisons suivantes :

  1. De prime abord, aucun des certificats de puissance de traction fournis par Atlantic n’indiquait de déductions pour les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur, un fait qu’Atlantic n’a pas contesté, alléguant qu’il n’était pas nécessaire de faire de telles déductions car ses deux navires étaient dotés de génératrices auxiliaires;

  2. Un des évaluateurs a choisi d’adhérer à la position du reste de l’équipe d’évaluation, en « ten[ant] pour acquis » que la soumission d’Atlantic était conforme au critère MR 12 malgré le fait qu’à première vue, on ne constatait aucune indication explicite de conformité à la lecture des certificats (décision I, paras. 60 à 62; souligné dans l’original).

[31] Bien que le Tribunal ait reconnu qu’il devait s’en remettre à l’expertise de l’équipe d’évaluation « comme le requiert la norme du caractère raisonnable », il a conclu qu’« aucun élément de preuve ne permet d’affirmer que l’équipe d’évaluation a pris en considération la question soulevée dans la note manuscrite d’un des évaluateurs, c’est‑à-dire que la soumission d’[Atlantic], de prime abord, n’a pas tenu compte de l’exigence concernant les dispositifs consommateurs d’énergie ». Le Tribunal a ajouté que la formulation d’hypothèses durant un processus d’évaluation d’un marché public n’est « pas le moyen par lequel TPSGC peut prendre des décisions justifiées, transparentes et intelligibles ». De l’avis du Tribunal, TPSGC ne pouvait donc pas se fonder uniquement sur l’organisme de certification – en l’occurrence, DNV – pour déterminer quels dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur devaient être pris en compte dans l’évaluation de la conformité au critère MR 12. Le Tribunal a formulé cet avis parce que les essais de traction sur les navires d’Atlantic avaient été réalisés par DNV en 2013, soit bien avant l’appel d’offres. DNV n’avait pas – et ne pouvait pas avoir – de point de référence en ce qui concerne les exigences techniques de la DP de 2018 (décision I, paras. 64, 67 et 68; guillemets internes omis).

[32] Quant aux allégations de partialité formulées par Heiltsuk Horizon, le Tribunal a jugé qu’elles étaient sans fondement. Il a commencé par noter qu’en règle générale, il « présume de la bonne foi et de l’honnêteté aussi bien des soumissionnaires que des fonctionnaires chargés d’évaluer leur soumission » et que les allégations de partialité doivent être corroborées par des éléments de preuve. Le Tribunal a ensuite jugé que les éléments de preuve invoqués par Heiltsuk Horizon à l’appui de ses allégations de partialité – lesquels consistaient en un seul message affiché sur un média social et rédigé par un employé d’Atlantic – n’avaient pas la valeur probante requise, ni n’étaient suffisants pour étayer une telle allégation (décision I, paras. 74 à 76; guillemets internes omis). Le Tribunal n’était pas non plus convaincu que les éléments de preuve présentés par Heiltsuk Horizon corroboraient ses allégations selon lesquelles les modalités de la DP, notamment l’exigence relative à l’âge maximal des navires (critère MR 18), avaient été formulées de manière à favoriser la soumission d’Atlantic ou à exclure d’autres soumissions. L’exigence relative à l’âge maximal du navire avait été prolongée, passant de 15 ans dans la demande de renseignements B publiée en juillet 2017 à 20 ans dans la DP. Le Tribunal a accepté l’explication de TPSGC que cette modification avait été apportée pour accroître, et non réduire, la concurrence (décision I, paras. 77 et 78).

[33] Heiltsuk Horizon et Atlantic ont toutes les deux contesté la décision I. Heiltsuk Horizon allègue que le Tribunal a commis une erreur déterminante en recommandant que toutes les soumissions soient réévaluées, alors qu’il avait conclu que la soumission d’Atlantic était non conforme (dossier de la Cour A-57-19). Elle conteste également le rejet de ses allégations de partialité, alléguant que le Tribunal a manqué à son obligation d’équité procédurale en refusant d’ordonner la production de documents se rapportant à ces allégations.

[34] Heiltsuk Horizon a également pris des mesures initiales en vue d’obtenir une ordonnance provisoire enjoignant à TPSGC de procéder à la réévaluation recommandée par le Tribunal en attendant l’issue de sa demande de contrôle judiciaire. Heiltsuk Horizon n’a toutefois pas donné suite à cette demande.

[35] Pour sa part, Atlantic a contesté la décision I (dossier de la Cour A-55-19) en alléguant que le Tribunal avait fait du critère MR 12 une interprétation erronée et déraisonnable qui était incompatible avec l’interprétation que les évaluateurs et les soumissionnaires avaient faite de ce critère. Atlantic alléguait que le Tribunal aurait dû statuer sur la première plainte de Heiltsuk Horizon en la rejetant dans son intégralité.

[36] Atlantic a abandonné sa demande de contrôle judiciaire de la décision I en septembre 2019. Atlantic justifie cet abandon, dans la présente instance, du fait que toute question en litige découlant de la décision I est devenue théorique lorsque la réévaluation qui y était recommandée a été entreprise et terminée. Elle allègue, pour les mêmes motifs, que la contestation de la décision I par Heiltsuk Horizon est elle aussi théorique et qu’elle ne devrait donc pas être entendue par notre Cour.

V. La réévaluation et les plaintes en découlant

[37] Le 22 janvier 2019, TPSGC a informé le Tribunal de son intention de mettre en application la décision I dans toute la mesure du possible et de procéder à la réévaluation en conformité avec les recommandations du Tribunal ainsi qu’avec les modalités de la DP. Un plan d’évaluation des soumissions a été élaboré à cette fin et une équipe de réévaluation composée de cinq évaluateurs indépendants, totalisant entre eux 89 années d’expérience dans le secteur maritime, a été mise sur pied. Aucun de ces évaluateurs n’avait fait partie de la première équipe d’évaluation.

[38] Le 27 mai 2019, TPSGC a publié un rapport sur les résultats de la réévaluation (voir les résultats de la réévaluation des soumissions uniquement pour le critère MR 12, dossier confidentiel du Tribunal – dossier consolidé, vol. 3, onglet 139, pp. 12583 à 12596 (le rapport de réévaluation)). Dans ce rapport, TPSGC a conclu que toutes les soumissions, notamment celle d’Atlantic, étaient conformes au critère MR 12. Cela signifiait que le contrat avait été dûment attribué à Atlantic.

[39] Le rapport de réévaluation indique plus précisément que les membres de l’équipe de réévaluation devaient confirmer leur interprétation du mot « required » (requis) dans la version anglaise de la phrase « when all required engine driven consumers (shaft generators, etc.) are taken into account » (lorsque tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur (génératrices attelées, etc.) sont pris en compte). Les évaluateurs ont convenu que le terme « required » utilisé dans la version anglaise fait référence aux [TRADUCTION] « dispositifs consommateurs d’énergie requis pour faire fonctionner le navire de façon sécuritaire en mer et aux fins du test de traction conformément à la procédure de vérification de la puissance de traction de la société de classification » (rapport de réévaluation, dossier confidentiel du Tribunal – dossier consolidé, p. 12589).

[40] Le rapport de réévaluation précise également que les évaluateurs devaient déterminer comment, comme l’indiquaient les certificats de puissance de traction d’Atlantic, la puissance des moteurs pouvait être égale à la puissance de propulsion des moteurs, étant donné que, selon les procédures d’essai de DNV, les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur devaient être connectés pendant l’essai de traction. Les évaluateurs ont indiqué que [traduction] « les importants dispositifs consommateurs comme les génératrices attelées ne seraient pas requis durant l’essai de traction et que d’autres dispositifs, comme l’équipement de communication, les radars, les systèmes d’éclairage et les ventilateurs soufflants, ne consommeraient qu’une énergie minimale qui proviendrait des sources secondaires d’énergie. » Dans le cas des navires d’Atlantic, ils ont constaté que les spécifications de la soumission [traduction] « indiquaient la disponibilité de génératrices auxiliaires qui procureraient cette fonctionnalité » (rapport de réévaluation, dossier confidentiel du Tribunal – dossier consolidé, p. 12590).

[41] Les résultats de la réévaluation ont donné lieu à trois nouvelles plaintes de la part de Heiltsuk Horizon. Le 7 juin 2019, Heiltsuk Horizon a allégué que TPSGC avait fait une réévaluation déraisonnable de la conformité de la soumission d’Atlantic au critère MR 12, en faisant sciemment abstraction des conclusions formulées par le Tribunal dans la décision I, et qu’il avait donc essentiellement refait la même évaluation que celle que le Tribunal avait précédemment qualifiée de déraisonnable. Heiltsuk Horizon alléguait également que TPSGC avait nécessairement dû procéder à une modification inadmissible de la soumission pour pouvoir étayer sa conclusion voulant que la soumission d’Atlantic était toujours conforme au critère MR 12 (la deuxième plainte).

[42] Le 11 juin 2019, le Tribunal a accepté de faire enquête sur la deuxième plainte et, le 16 juillet 2019, TPSGC a présenté sa réponse à la plainte (le deuxième RIF). Dans son deuxième RIF, TPSGC a fait valoir que les allégations de Heiltsuk Horizon concernant les lacunes du processus de réévaluation étaient fondées sur une interprétation erronée des conclusions du Tribunal dans la décision I. Selon l’interprétation que Heiltsuk Horizon avait faite de la décision I, le Tribunal avait conclu que la soumission d’Atlantic n’était pas conforme au critère MR 12. Une telle interprétation empêchait Atlantic de se classer au premier rang au terme de la réévaluation. TPSGC alléguait, au contraire, que la principale préoccupation formulée par le Tribunal dans la décision I concernait la procédure; aucune conclusion de fond ne portait sur la conformité. De l’avis de TPSGC, le Tribunal était principalement préoccupé du fait que les évaluateurs s’étaient fondés sur une hypothèse formulée à partir des documents accompagnant la soumission d’Atlantic, plutôt que de déterminer eux-mêmes si les renseignements fournis appuyaient la conclusion de conformité (deuxième RIF, dossier consolidé, vol. 2, onglet 98, pp. 02975 et 02976, paras. 52 à 55).

[43] TPSGC a aussi contesté les allégations de Heiltsuk Horizon que le ministère avait modifié la soumission de manière inadmissible, en soulignant le fait que ni TPSGC ni la GCC ni l’équipe de réévaluation n’avaient demandé quelque renseignement ou document à Atlantic durant le processus de réévaluation. Atlantic n’avait pas non plus fourni de renseignements ou de documents aux fins de la réévaluation (deuxième RIF, dossier consolidé, p. 02977, paras. 61 et 62).

[44] Le deuxième RIF a été déposé avec le témoignage par affidavit de M. Legros, qui avait exercé le rôle de chef de l’équipe d’évaluation technique durant la réévaluation.

[45] Le 30 juillet 2019, Heiltsuk Horizon, en se fondant sur les renseignements communiqués dans le deuxième RIF et « par excès de prudence », a déposé sa troisième plainte. Elle alléguait cette fois que TPSGC avait non seulement omis de réévaluer correctement la conformité de la soumission d’Atlantic au critère MR 12 et la méthode d’évaluation appropriée, mais avait également omis d’évaluer correctement toutes les soumissions (la troisième plainte). Heiltsuk Horizon affirmait en outre que les évaluateurs, en se fondant sur les règles et les procédures des sociétés de classification pour les essais de traction, avaient pris des mesures qui équivalaient à une modification inadmissible de la soumission.

[46] Le Tribunal a accepté de faire enquête sur la troisième plainte. Le 3 septembre 2019, TPSGC a déposé sa réponse, dans laquelle il demandait au Tribunal de rejeter cette dernière plainte, car elle avait été présentée en dehors des délais prescrits, qu’elle était subsumée dans les allégations formulées dans la deuxième plainte et qu’elle était de ce fait redondante et sans fondement (le troisième RIF). Il soutenait que la réévaluation avait été menée selon une interprétation simple, raisonnable et fondée sur le bon sens du critère MR 12, et que cette interprétation commandait la déférence. De plus, TPSGC faisait valoir que l’interprétation proposée par Heiltsuk Horizon obligerait les évaluateurs à déterminer, à leur discrétion, quels dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur sont « requis » pour les manœuvres de remorquage d’urgence, ce qui irait à l’encontre de l’objectif même visant à permettre aux soumissionnaires de soumettre leurs certificats de puissance de traction pour établir leur conformité au critère MR 12 (troisième RIF, dossier confidentiel du Tribunal – dossier consolidé, vol. 3, onglet 142, pp. 12813, 12817 et 12820, paras. 24, 25, 39, 49 et 50).

[47] TPSGC alléguait également qu’il était raisonnable de permettre à l’équipe de réévaluation de se fonder sur les règles et les procédures internationalement reconnues des sociétés de classification en matière d’essais de traction, parce que les essais de traction sont réalisés en conformité avec ces règles et procédures, lesquelles sont incorporées dans les certificats par renvoi exprès ou par voie de conséquence nécessaire (troisième RIF, dossier confidentiel du Tribunal – dossier consolidé, pp. 12822 à 12824, paras. 58 et 59). On ne pouvait donc pas considérer cela comme une modification inadmissible des soumissions.

[48] Le 17 septembre 2019, Heiltsuk Horizon a déposé sa quatrième plainte relative à l’appel d’offres, « par excès de prudence ». Elle y alléguait que toutes les soumissions présentées en réponse à l’appel d’offres, à l’exception de la sienne, étaient non conformes au critère MR 12. Le Tribunal, estimant que cette dernière plainte soulevait essentiellement les mêmes faits et les mêmes questions que la troisième plainte, a toutefois refusé de faire enquête.

VI. Décision II

[49] Le Tribunal a statué sur les deuxième et troisième plaintes le 18 octobre 2019. Ces plaintes ont été instruites par une formation différente de celle qui avait statué sur la première plainte. Un exposé des motifs unique a été rendu dans les deux décisions (dossiers nos PR-2019-020 et PR-2019-025), le 1er novembre 2018.

[50] Le Tribunal a conclu que les deux plaintes étaient en partie fondées et il a recommandé qu’une deuxième réévaluation soit faite de toutes les soumissions pour en déterminer la conformité au critère MR 12. Il a plus précisément conclu que la réévaluation menée par TPSGC à la suite de la décision I avait été fondée sur une interprétation erronée du critère MR 12 et qu’elle demeurait donc déraisonnable. Le Tribunal a conclu qu’un « élément crucial » de la décision I était sa conclusion selon laquelle l’expression « dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur » dans le critère MR 12 s’entend des « dispositifs consommateurs d’énergie requis dans les conditions normales de fonctionnement des remorqueurs d’urgence » (décision II, para. 54, renvoyant à la décision I, para. 64; guillemets internes omis). Cette norme, estime le Tribunal, vise à s’assurer que les « les navires de remorquage d’urgence auront la puissance nécessaire pour remorquer un navire en détresse, de façon à veiller à la sécurité maritime et à protéger le littoral de la Colombie-Britannique » (décision II, para. 56).

[51] Le Tribunal a conclu que l’équipe de réévaluation avait fait abstraction de cette directive essentielle qu’il avait formulée dans la décision I, en interprétant l’expression « dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur » comme signifiant [TRADUCTION] « les dispositifs consommateurs d’énergie requis pour faire fonctionner le navire de façon sécuritaire en mer et aux fins du test de traction conformément à la procédure de vérification de la puissance de traction de la société de classification ». Selon le Tribunal, les évaluateurs se sont ainsi fondés, à tort, sur les certificats de conformité de la puissance de traction des navires, « sans examiner quels dispositifs consommateurs d’énergie sont requis pour mener les opérations de remorquage d’urgence et sans déduire leur consommation d’énergie de la puissance de traction certifiée » (décision II, para. 57; guillemets internes omis).

[52] Dans sa discussion sur la mesure corrective demandée, le Tribunal a mentionné l’allégation de Heiltsuk Horizon selon laquelle [TRADUCTION] « les renseignements [étaient] plus que suffisants pour conclure que toutes les soumissions ont été mal évaluées ». Cependant, le Tribunal a conclu que l’évaluation de la conformité de chaque soumission allait au-delà de son expertise et de son rôle et que cette tâche, compte tenu de sa nature hautement technique et factuelle, devait être laissée aux évaluateurs (décision II, paras. 66 à 68; guillemets internes omis).

[53] Le Tribunal a également déclaré qu’« il pourrait être impossible d’effectuer une réévaluation adéquate des réponses au critère MR 12 sans obtenir de renseignements supplémentaires auprès des soumissionnaires ». Le Tribunal a indiqué que, selon la DP, les évaluateurs sont autorisés [TRADUCTION] « à demander des précisions ou vérifier l’exactitude de certains renseignements ou de tous les renseignements fournis par les soumissionnaires relatifs à la demande de soumissions » et à [TRADUCTION] « vérifier tous les renseignements fournis par les soumissionnaires en faisant des recherches indépendantes, en utilisant des ressources du gouvernement ou en communiquant avec des tiers ». Il a ajouté qu’il autorisait expressément les évaluateurs « à demander des précisions et des renseignements supplémentaires aux soumissionnaires afin d’évaluer la conformité de leur réponse au critère MR 12 » (décision II, para. 69; guillemets internes omis).

[54] Le Tribunal a ensuite défini certains paramètres qui devraient guider la nouvelle évaluation :

[70] Par souci de clarté, dans le cadre de cette nouvelle réévaluation, les évaluateurs pourront s’appuyer sur les certificats de conformité de la puissance de traction comme point de départ, mais ils devront évaluer les déductions pour tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur requis pour mener les opérations de remorquage d’urgence. Cela signifie que les évaluateurs doivent utiliser leur expertise pour évaluer les soumissions afin de déterminer quels dispositifs consommateurs d’énergie sont entraînés par moteur, lesquels sont requis pour les opérations de remorquage d’urgence et à quoi correspond la déduction de la puissance de traction certifiée pour chacun de ces dispositifs. Ces facteurs doivent être évalués pour chaque navire, en tenant compte de la conception particulière de l’alimentation électrique de chacun et de l’utilisation faite par tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur, s’il y a lieu. Les évaluateurs doivent garantir qu’un navire disposerait d’une puissance de traction fonctionnelle d’au moins 120 tonnes métriques, et ce, même durant une opération de remorquage d’urgence alors qu’une partie de l’énergie du moteur pourrait être dirigée vers d’autres dispositifs.

[71] Qui plus est, les évaluateurs ne sont pas nécessairement tenus de prendre en compte chaque dispositif consommateur d’énergie qui pourrait éventuellement utiliser de l’énergie du moteur à un moment donné. Cependant, ils sont tenus d’utiliser leur expertise pour établir quels dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur d’un navire en particulier sont nécessaires dans les « ”conditions normales de fonctionnement” des remorqueurs d’urgence ». Cela signifie que les évaluateurs doivent expressément tenir compte des conditions qui seraient présentes en mer lors d’opérations normales de remorquage d’urgence dans la zone géographique où les navires patrouilleront. Le Tribunal laisse aux évaluateurs le soin d’établir quelles pourraient être ces conditions, mais il souligne la proposition de Heiltsuk Horizon de tenir notamment compte des contre-courants, des vents forts, des mers agitées ou des couloirs de navigation restreints ou achalandés, qui nécessiteraient l’utilisation continue et simultanée de treuils, de propulseurs, de systèmes de positionnement dynamiques ou d’autres pièces d’équipement auxiliaires. [Notes de bas de page omises; italiques dans l’original.]

[55] Heiltsuk Horizon et Atlantic contestent toutes les deux la décision II, de même que le procureur général. Tous prétendent, quoique pour des motifs différents, que la décision II est déraisonnable.

[56] Heiltsuk Horizon allègue que le Tribunal a commis les mêmes erreurs que dans la décision I et qu’il a également commis une erreur en autorisant tous les soumissionnaires à modifier leurs soumissions, puisqu’il leur a permis de fournir de nouveaux renseignements sur la conformité au critère MR 12, plus de deux ans après la clôture des soumissions. Elle demande que la décision II soit renvoyée au Tribunal et qu’elle soit réexaminée en regard des directives suivantes de notre Cour : que la soumission d’Atlantic soit exclue, qu’il soit mis fin au contrat attribué à Atlantic et que le reste des soumissions soient réévaluées en regard de leur conformité au critère MR 12 en fonction uniquement des renseignements fournis à la clôture des soumissions.

[57] Atlantic et le procureur général allèguent que la décision II devrait être annulée au motif que le Tribunal :

  1. a outrepassé son pouvoir de surveillance des marchés publics fédéraux en imposant une interprétation du critère MR 12 qui ne trouve aucun fondement dans la DP et en modifiant de ce fait une des exigences obligatoires de l’appel d’offres;

  2. a omis de faire preuve de déférence à l’égard des évaluateurs;

  3. a omis de tenir compte adéquatement des étapes suivies par les évaluateurs dans la réévaluation de la conformité des soumissions en regard du critère MR 12.

[58] Ainsi qu’il est indiqué au début des présents motifs, Atlantic et le procureur général demandent à notre Cour de rejeter les trois demandes de contrôle judiciaire de Heiltsuk Horizon pour le motif que Heiltsuk Horizon a fait preuve de recours abusif en omettant de divulguer des faits substantiels au Tribunal et à notre Cour. Ces faits substantiels sont énoncés dans les nouveaux éléments de preuve déposés par Atlantic et le procureur général dans la présente instance.

[59] En réponse aux observations écrites d’Atlantic et du procureur général, Heiltsuk Horizon affirme que, puisque ces parties n’ont pas contesté la décision I, elles sont empêchées par préclusion de faire valoir de nouveau la juste interprétation du critère MR 12 et de la méthode d’évaluation y afférente dans le contexte des demandes de contrôle judiciaire de la décision II.

VII. Questions en litige et norme de contrôle

[60] Au total, treize mémoires des faits et du droit ont été déposés dans la présente affaire, chacun proposant son propre énoncé des questions en litige. Je suis d’avis que les principales questions en litige peuvent se résumer comme suit :

  1. La contestation de la décision I par Heiltsuk Horizon est-elle devenue théorique ou, dans le cas contraire, la décision de redressement du Tribunal d’inclure la soumission d’Atlantic dans la réévaluation recommandée est-elle raisonnable?

  2. Si cette décision de redressement est raisonnable, notre Cour devrait-elle néanmoins modifier la décision I, du fait que le Tribunal a rejeté les allégations de partialité formulées par Heiltsuk Horizon et refusé d’ordonner la production des documents demandés en lien avec ces allégations?

  3. Si l’on présume que la contestation de la décision I par Heiltsuk Horizon échoue, la décision II est-elle raisonnable?

  4. Quel effet – s’il en est – la non-divulgation des faits révélés par les nouveaux éléments de preuve a-t-elle sur la présente instance?

[61] À l’exception de la question portant sur l’ordonnance de production de documents du Tribunal, que Heiltsuk Horizon qualifie de question d’équité procédurale, les parties conviennent que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Il est en effet bien établi que cette norme s’applique au contrôle des conclusions du Tribunal dans des affaires portant sur tout aspect du processus de passation de marchés publics (Kileel Developments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 163, [2020] A.C.F. no 967 (QL/Lexis), paras. 17 et 20).

[62] Personne ne conteste non plus le fait que la Cour suprême, dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4th) 1 (Vavilov), a clarifié la manière dont notre Cour doit mener l’examen selon la norme de la décision raisonnable en l’espèce. Notre Cour doit déterminer si le raisonnement du Tribunal, dans les décisions en litige, est intrinsèquement cohérent et s’il se justifie au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes (Vavilov, para. 101). Cela signifie notamment que la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard des conclusions tirées par le Tribunal, en raison du caractère spécialisé de ses fonctions dans ce domaine (Construction de Défense (1951) Limitée c. Zenix Engineering Ltd., 2008 CAF 109, 377 N.R. 47, para. 20; Saskatchewan Polytechnic Institute c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 16, [2015] A.C.F. no 45 (QL/Lexis) (Saskatchewan Polytechnic), para. 6). Cela signifie également que le rôle de notre Cour n’est pas de substituer son propre jugement à celui du Tribunal ou des évaluateurs (Saskatchewan Polytechnic, para. 6).

[63] Cela dit, la Cour peut intervenir si le raisonnement du Tribunal n’est pas intrinsèquement cohérent ou s’il est indéfendable au regard des faits et du droit. Une telle situation se produira, par exemple, lorsque le décideur s’est fondamentalement mépris sur l’élément de preuve qui lui a été présenté ou qu’il n’en a pas tenu compte (Vavilov, para. 126).

[64] Au sujet de la production de documents, le procureur général soutient qu’il ne s’agit pas d’une question d’équité procédurale commandant l’application de la norme de la décision correcte. Le procureur général allègue qu’il s’agit plutôt d’une question qui requiert l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Tribunal dans l’interprétation et l’application des lois et des règlements qui le régissent. Le texte législatif pertinent en l’espèce est énoncé dans les Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur, DORS/91-499 (les Règles du TCCE). On doit présumer que la norme de la décision raisonnable s’applique aux décisions discrétionnaires du Tribunal dans ce domaine.

[65] Pour les motifs énoncés ultérieurement, je conviens avec Heiltsuk Horizon qu’il s’agit d’une question d’équité procédurale qui commande un contrôle selon la norme de la décision correcte. Cela dit, la Cour doit tenir compte dans son analyse du pouvoir discrétionnaire du Tribunal quant au choix de la procédure. Je suis d’avis que la question des documents qu’une institution fédérale doit produire dans le contexte d’une enquête sur un marché public en est une de procédure qui relève du pouvoir discrétionnaire du Tribunal.

VIII. Le cadre réglementaire applicable

[66] Le pouvoir de surveillance du Tribunal en matière de marchés publics est défini aux articles 30.1 à 30.19 de la Loi ainsi que dans le Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, DORS/93-602 (le Règlement). Il peut être résumé comme suit :

  1. Conformément à l’article 30.11 de la Loi, tout fournisseur potentiel peut déposer une plainte auprès du Tribunal concernant « la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique », c’est-à-dire un contrat relatif à un marché de fournitures ou services qui a été accordé par une institution fédérale – ou qui pourrait l’être – ou un contrat qui est précisé par règlement.

  2. S’il conclut que la plainte satisfait aux critères énoncés au paragraphe 30.11(2) de la Loi, le Tribunal doit ensuite déterminer, comme l’exige l’article 30.13 de la Loi, s’il y a lieu ou non de faire enquête sur la plainte. S’il décide de mener une enquête, le Tribunal en informe le plaignant, l’institution fédérale concernée et les parties intéressées qui, tous, auront l’occasion de présenter leurs arguments. Le Tribunal peut aussi tenir une audience dans le cadre de son enquête, mais il n’est pas tenu de le faire. Il peut ordonner à l’institution fédérale de différer l’adjudication du contrat jusqu’à ce qu’il se soit prononcé sur la validité de la plainte.

  3. Conformément à l’article 30.14 de la Loi, l’enquête du Tribunal doit se limiter à l’objet de la plainte, et le Tribunal doit déterminer la validité de la plainte « en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique ou la catégorie dont il fait partie ». Le Tribunal doit également décider, en application de l’article 11 du Règlement, si le marché public en litige a été mené en conformité avec les exigences des accords commerciaux qui s’appliquent.

  4. À la conclusion de son enquête, le Tribunal doit formuler ses conclusions et recommandations. Si la plainte est jugée fondée, le Tribunal peut, en application du paragraphe 30.15(2) de la Loi, « recommander que soient prises des mesures correctives », notamment n’importe laquelle des mesures suivantes énumérées dans cette disposition :

  • a)un nouvel appel d’offres;

  • b)la réévaluation des soumissions présentées;

  • c)la résiliation du contrat spécifique;

  • d)l’attribution du contrat spécifique au plaignant;

  • e)le versement d’une indemnité, dont il précise le montant, au plaignant.

[67] Le paragraphe 30.15(3) de la Loi énumère les facteurs dont le Tribunal doit tenir compte pour recommander une mesure corrective appropriée. Cet article dispose :

30.15 […]

30.15

(3) Dans sa décision, le Tribunal tient compte de tous les facteurs qui interviennent dans le marché de fournitures ou services visé par le contrat spécifique, notamment des suivants :

(3) The Tribunal shall, in recommending an appropriate remedy under subsection (2), consider all the circumstances relevant to the procurement of the goods or services to which the designated contract relates, including

a) la gravité des irrégularités qu’il a constatées dans la procédure des marchés publics;

(a) the seriousness of any deficiency in the procurement process found by the Tribunal;

b) l’ampleur du préjudice causé au plaignant ou à tout autre intéressé;

(b) the degree to which the complainant and all other interested parties were prejudiced;

c) l’ampleur du préjudice causé à l’intégrité ou à l’efficacité du mécanisme d’adjudication;

(c) the degree to which the integrity and efficiency of the competitive procurement system was prejudiced;

d) la bonne foi des parties;

(d) whether the parties acted in good faith; and

e) le degré d’exécution du contrat.

(e) the extent to which the contract was performed.

[68] Selon l’article 30.18 de la Loi, après avoir reçu les recommandations du Tribunal, l’institution fédérale concernée « doit, sous réserve des règlements, les mettre en œuvre dans toute la mesure du possible » et rendre compte du progrès de leur mise en œuvre. L’institution fédérale n’est toutefois pas tenue de mettre en œuvre la recommandation dans son intégralité. Le cas échéant, elle doit en préciser les raisons.

[69] Comme notre Cour l’a précédemment conclu, quatre objectifs sous-tendent le régime de réglementation des marchés publics fédéraux. Ces objectifs, qui « doivent toujours se trouver à l’avant‑plan lorsque le Tribunal examine les faits, en évalue la portée, interprète sa loi habilitante, l’applique aux faits et statue sur la réparation » (Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193, [2011] 4 R.C.F. 203, para. 23 (Almon)), sont ainsi rédigés :

(1) Équité du processus de passation des marchés publics pour les concurrents. Un mécanisme équitable appliquant un ensemble de règles claires à tous les soumissionnaires accroît la confiance au système et la participation, maximisant ainsi les chances du gouvernement d’obtenir des biens et services de qualité répondant à ses besoins, au moindre coût pour les contribuables. Bref, l’équité permet que les contribuables en aient pour leur argent.

(2) Concurrence entre soumissionnaires. Lorsque les règles du jeu sont les mêmes pour tous les soumissionnaires et qu’il y a concurrence, il y a également plus de chances que le gouvernement obtienne des biens et services de qualité répondant à ses besoins, au moindre coût pour les contribuables. La concurrence aussi permet que les contribuables en aient pour leur argent.

(3) Efficacité. Ce but concerne directement l’obtention de biens et services de qualité au moindre coût ainsi que la nécessité que le système de passation de marchés soit pratique et opère sans délai indu et sans occasionner de dépenses inutiles.

(4) Intégrité. L’intégrité du mécanisme accroît la confiance et la participation, maximisant ainsi les chances du gouvernement d’obtenir des biens et services de qualité répondant à ses besoins, au moindre coût pour les contribuables. L’intégrité aussi permet que les contribuables en aient pour leur argent.

[70] Enfin, il est bien établi que le Tribunal doit faire preuve de retenue envers les évaluateurs. Comme l’a déclaré notre Cour, le rôle du Tribunal dans l’évaluation des propositions « est de décider si l’évaluation est étayée par une explication raisonnable, et non de se mettre à la place des évaluateurs et de réévaluer la proposition non retenue » (Saskatchewan Polytechnic, para. 7). Notre Cour a en outre clairement établi que la résiliation d’un contrat n’est pas une mesure corrective automatique, même lorsqu’un contrat a été adjugé, à tort, à un soumissionnaire non conforme (Seprotech Systems Inc. c. Peacock Inc., 2003 CAF 71, 300 N.R. 277, para. 43; Bergevin c. Canada (Agence canadienne de développement international), 2009 CAF 18, 385 N.R. 188, para. 29 (Bergevin)).

IX. Discussion

A. La contestation de la décision I par Heiltsuk Horizon est-elle devenue théorique ou, dans le cas contraire, la décision de redressement du Tribunal d’inclure la soumission d’Atlantic dans la réévaluation recommandée est-elle raisonnable?

1) Caractère théorique

[71] Atlantic s’oppose à la contestation de la décision I par Heiltsuk Horizon au motif que cette contestation est devenue théorique, puisque la réévaluation des soumissions en regard de leur conformité au critère MR 12 est terminée. Elle fait valoir que Heiltsuk Horizon n’a pris aucune mesure pour que la réévaluation soit suspendue; celle-ci a été complétée, a été contestée par Heiltsuk Horizon et a fait l’objet d’une décision du Tribunal.

[72] Atlantic soutient que chercher à faire annuler une décision qui a déjà été exécutée correspond à la définition même de théorique, puisqu’il n’existe plus de différend tangible devant être examiné par la Cour. Tout jugement rendu par notre Cour à l’égard de la décision I ne servirait donc aucune fin utile. Atlantic allègue que c’est précisément la raison pour laquelle elle a abandonné sa propre demande de contrôle judiciaire de cette décision.

[73] Atlantic soutient en outre qu’autoriser la poursuite de la contestation de la décision I par Heiltsuk Horizon constituerait un recours abusif, car cela permettrait à Heiltsuk Horizon de poursuivre de multiples instances sur les mêmes questions, ce qui augmenterait le risque de conclusions incohérentes.

[74] Pour déterminer s’il devrait refuser d’instruire une plainte en raison de son caractère théorique, le tribunal doit mener une analyse en deux temps (Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, 57 D.L.R. (4th) 231 (Borowski)). Dans un premier temps, il doit se demander si le différend concret et tangible – ou le substratum du litige – entre les parties a disparu. En d’autres termes, le tribunal doit déterminer s’il existe toujours un « litige actuel » entre les parties. S’il n’existe plus de « litige actuel » entre les parties, le tribunal doit alors procéder à la deuxième partie de son analyse. À cette étape, il incombe au tribunal de déterminer s’il devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire l’affaire même s’il n’existe plus de litige actuel entre les parties (Borowski, p. 353).

[75] En l’espèce, je ne crois pas que la contestation de la décision I par Heiltsuk Horizon a été rendue théorique du fait de l’achèvement de la première réévaluation. Plus précisément, je ne suis pas prêt à dire qu’un jugement de notre Cour sur le caractère raisonnable de cette décision ne servirait aucune fin utile. Heiltsuk Horizon allègue que la soumission d’Atlantic n’était pas conforme aux exigences du critère MR 12 et qu’elle a donc été incluse à tort dans la réévaluation recommandée par le Tribunal. C’est la thèse que Heiltsuk Horizon a fait valoir dans sa demande de contrôle judiciaire de la décision I et dans ses contestations subséquentes de la réévaluation.

[76] Si Heiltsuk Horizon devait avoir gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire de la décision I, cela aurait une incidence considérable sur l’issue des contestations de la décision II, car la soumission d’Atlantic serait alors exclue complètement du processus. Qui plus est, les contestations des deux décisions sont étroitement liées, car il est impossible de bien comprendre la décision II sans au préalable bien caractériser les conclusions du Tribunal relativement à la conformité au critère MR 12 dans la décision I. En bref, l’inclusion de la soumission d’Atlantic dans la réévaluation, qui découle de cette décision, était et continue d’être un point de controverse entre les parties. En d’autres termes, cette question demeure un élément très présent du substratum de ce contentieux à volets multiples et elle n’est pas annulée par la doctrine du caractère théorique.

[77] Quant au risque de conclusions incohérentes, je suis d’avis que ce risque ne se pose pas dans le présent contexte, puisque toutes les demandes de contrôle judiciaire portant sur l’appel d’offres ont été instruites ensemble, par la même formation.

2) La décision du Tribunal en matière de réparation

[78] Heiltsuk Horizon soutient que la soumission d’Atlantic aurait dû être disqualifiée et exclue de toute autre évaluation, car elle a été jugée non conforme au critère MR 12. Elle soutient en outre qu’il aurait fallu mettre fin au contrat attribué à Atlantic par TPSGC. En autorisant la réévaluation de la soumission d’Atlantic et en permettant que le contrat attribué à Atlantic soit maintenu jusqu’à la fin de la réévaluation, le Tribunal a de manière déraisonnable refusé d’exercer sa compétence et a de ce fait commis une erreur qui justifie l’intervention de notre Cour. Heiltsuk Horizon soutient plus précisément que la décision du Tribunal d’autoriser la réévaluation de la soumission d’Atlantic dans un tel contexte va à l’encontre de la décision rendue par notre Cour dans Bergevin, qui a conclu qu’une soumission non conforme ne devrait pas être soumise à une réévaluation.

[79] Atlantic et le procureur général soutiennent, au contraire, que la décision I du Tribunal portait uniquement sur le processus d’évaluation et que le Tribunal n’a formulé aucune conclusion quant à la conformité de la soumission d’Atlantic au critère MR 12. Je suis du même avis.

[80] Bien que la décision I traite de l’interprétation du critère MR 12, le Tribunal a expressément fondé la recommandation contestée sur une irrégularité relevée dans le processus d’évaluation. Le Tribunal a noté que les certificats de puissance de traction fournis par Atlantic ne comportaient pas, de prime abord, de déductions pour les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur. Cette conclusion était largement influencée par le fait qu’un évaluateur, dans une note manuscrite, a expressément présumé que « tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur avaient été pris en considération malgré le fait que cela n’était pas indiqué sur les certificats d’[Atlantic] » (décision I, paras. 60 et 61). Le Tribunal a insisté sur le fait que cet évaluateur avait choisi de « tenir pour acquis que la soumission d’[Atlantic] était conforme au critère MR 12 » malgré l’absence d’indication explicite de la conformité sur les certificats (décision I, para. 62; italiques dans l’original).

[81] Le Tribunal a mis en doute le fondement de cette hypothèse. Rien dans le dossier n’indique pourquoi cet évaluateur a présumé que tous les dispositifs consommateurs d’énergie avaient été pris en compte dans les certificats de puissance de traction. À titre d’exemple, l’évaluateur n’a pas indiqué s’il avait consulté les règles de DNV ou s’il s’était fondé sur sa propre expérience professionnelle pour formuler cette hypothèse. Le défaut de l’équipe d’évaluation d’examiner cette hypothèse semble être la principale raison pour laquelle le Tribunal a conclu que l’équipe d’évaluation ne s’est pas « appliquée » lors de son évaluation de la conformité de la soumission d’Atlantic au critère MR 12, bien que le Tribunal ait reconnu que l’expertise des évaluateurs commandait la retenue (décision I, para. 68).

[82] Comme l’a souligné le Tribunal dans son analyse de la mesure corrective :

[85] En l’espèce, les accords commerciaux ont été violés quand TPSGC a conclu de façon déraisonnable que la soumission d’[Atlantic] était conforme au critère MR 12. Comme indiqué ci-dessus, le Tribunal conclut que l’équipe d’évaluation [ne s’est pas appliquée à bien évaluer] si les certificats de conformité de la puissance de traction d’ATL démontraient que « tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur ont été pris en compte », particulièrement du fait qu’il n’était pas clair à prime abord, d’après les certificats ou la soumission d’ATL, que c’était le cas, tel que l’indique les notes d’un des membres de l’équipe d’évaluation. En bref, l’équipe d’évaluation a pris pour acquis, ou a supposé, que les certificats d’ATL démontraient la conformité des navires.

[86] Le Tribunal a examiné les définitions de dictionnaire du terme « application » (application) pour déterminer si l’équipe d’évaluation « s’est appliquée » (« applied themselves ») de façon raisonnable à bien évaluer la soumission d’ATL. Le dictionnaire Merriam-Webster définit le terme « application » de la façon suivante : « action de s’appliquer : [...] (c) apporter une attention soutenue [assiduous attention] à [...] » [traduction]. Le terme « assiduous » (assidu) est définit [sic] de la façon suivante : « qui a une application soutenue, qui manifeste de la constance, de l’application à une tâche [...] » [traduction]. Dans le contexte de l’espèce, l’équipe d’évaluation n’a fait rien de tel en supposant que « tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur avaient été pris en compte ».

[87] Comme indiqué ci-dessus, il était clairement énoncé dans la DP et dans la modification no 008 que, afin de satisfaire aux exigences du critère MR 12, les soumissionnaires devaient démontrer que la puissance de traction minimale continue de leurs navires était d’au moins 120 tonnes métriques lorsque tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur (génératrices attelées, etc.) étaient pris en compte. Dans l’application des méthodes d’évaluation énoncées pour le critère MR 12, il incombait aux évaluateurs de s’assurer que les exigences du critère MR 12 étaient respectées. Ce n’est pas le cas en l’espèce, étant donné que les évaluateurs n’ont pas tenu compte de l’intégralité des exigences énoncées au critère MR 12 au cours du processus d’évaluation. [Italiques dans l’original; je souligne.]

[83] Dans la mesure où la recommandation contestée repose sur la conclusion du Tribunal selon laquelle l’équipe d’évaluation ne s’est pas appliquée, son raisonnement et sa recommandation suivent une ligne d’analyse bien définie. Selon le Tribunal, le défaut de l’équipe d’évaluation de s’appliquer a fait en sorte qu’il était impossible de conclure que l’équipe a mis à profit son expertise pour déterminer si la soumission d’Atlantic répondait aux exigences du critère MR 12. En d’autres termes, en rendant la décision I, le Tribunal était principalement préoccupé par la procédure et non par la conformité des soumissions. C’est ce qui, à mon avis, explique le mieux comment le Tribunal en est arrivé à sa recommandation.

[84] Pour le Tribunal, l’hypothèse inexpliquée de l’équipe d’évaluation a entaché non seulement l’évaluation de la soumission d’Atlantic, mais peut-être aussi celle de toutes les autres soumissions présentées en réponse à l’appel d’offres. Cette hypothèse a eu des conséquences sur « l’intégrité et l’efficacité de la procédure de passation des marchés publics dans son ensemble » (décision I, para. 89).

[85] Au vu de cette conclusion, il était loisible au Tribunal de recommander une réévaluation de toutes les soumissions. Comme l’a souligné la Cour suprême dans Vavilov, « la cour de révision doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale » (Vavilov, para. 102). L’élément principal est que la recommandation contestée doit être corroborée par « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et être « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, para. 85). Je conclus que ces exigences ont été satisfaites.

[86] Ainsi qu’il a été indiqué précédemment, le Tribunal a bel et bien examiné, bien que d’une manière quelque peu limitée, l’interprétation du critère MR 12. Le Tribunal a indiqué que le critère MR 12 exigeait, au vu de l’exigence elle-même, « une démonstration de la puissance de traction minimale en tenant compte de tous les dispositifs consommateurs d’énergie pour un navire donné » (décision I, para. 64). En ce qui a trait au sens à donner au mot « required » (requis) dans la version anglaise du critère MR 12, le Tribunal s’est dit d’avis que les observations et éléments de preuve des parties témoignaient d’une « perception commune » selon laquelle ce terme s’entendait des dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur requis « dans les conditions normales de fonctionnement » des remorqueurs d’urgence (décision I, para. 64). Parallèlement, le Tribunal a admis que le critère MR 12 « ne spécifiait pas quels dispositifs consommateurs d’énergie devaient être pris en compte et déduits de l’évaluation de la puissance de traction » mais a ajouté que cela « n’a[vait] rien à voir » puisque tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur devaient, selon le critère MR 12, être pris en compte pour établir la puissance de traction minimale du navire (décision I, para. 64).

[87] Ces déclarations ne peuvent toutefois pas être examinées en dehors de leur contexte. Le Tribunal les a formulées tout en insistant sur l’importance, pour les évaluateurs, de s’assurer, et non pas de simplement présumer, que les certificats d’Atlantic indiquaient la puissance de traction des navires lorsque tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur étaient pris en compte. Comme ces certificats ont été obtenus avant la publication de la DP, le Tribunal a conclu qu’ils « n’ont pas nécessairement été délivrés à la suite de procédures d’essai de la conformité telles qu’énoncées au critère MR 12 » (décision I, para. 63). C’est dans ce contexte particulier que le Tribunal a rejeté l’affirmation de TPSGC selon laquelle on pouvait se fier aux organismes de certification pour déterminer quels dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur étaient requis pour évaluer la conformité au critère MR 12, car ces organismes « n’avaient pas (ou ne pouvaient avoir) de point de référence » (décision I, para. 64). De l’avis du Tribunal, ces circonstances ne permettaient pas aux évaluateurs de simplement présumer que tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur avaient été pris en compte. Davantage était attendu d’eux, puisqu’ils disposaient des points de référence indiqués dans la DP.

[88] Là encore, je suis d’avis que ces conclusions montrent que le Tribunal était préoccupé par la procédure d’évaluation, et non par la conformité de la soumission d’Atlantic en soi. Pas plus que le Tribunal n’était-il du reste préoccupé par le sens et la portée du critère MR 12. La déclaration du Tribunal, selon laquelle il aurait pu en arriver à une conclusion différente au sujet de la première plainte si les évaluateurs avaient été mieux en mesure de « faire le lien » entre la réponse d’Atlantic au critère MR 12, les certificats de puissance de traction présentés par Atlantic ainsi que les autres renseignements contenus dans la soumission d’Atlantic au sujet, plus précisément, des génératrices auxiliaires des navires proposés, témoigne de ce fait (décision I, para. 67). Cela indique que le Tribunal estimait ne pas être en mesure de rendre une décision au sujet de la conformité d’Atlantic au critère MR 12.

[89] Bref, je suis d’accord avec le procureur général que la contestation par Heiltsuk Horizon de la décision I est fondée sur une interprétation erronée de la décision du Tribunal. En d’autres termes, elle est fondée sur l’hypothèse erronée que le Tribunal a conclu que la soumission d’Atlantic n’était pas conforme au critère MR 12.

[90] Comme l’a souligné le procureur général, il existe une différence fondamentale entre une conclusion établissant le caractère déraisonnable d’une évaluation technique et une conclusion de non-conformité. Une conclusion établissant le caractère déraisonnable d’une évaluation technique signifie que les renseignements fournis par un soumissionnaire n’ont pas été examinés de manière raisonnable, cela laissant entrevoir la possibilité qu’une bonne évaluation, fondée sur les mêmes renseignements, pourrait donner ouverture à une conclusion de conformité. Un tel scénario est expressément envisagé à l’alinéa 30.15(2)b) de la Loi, qui autorise le Tribunal à recommander la réévaluation des soumissions présentées.

[91] En revanche, une conclusion de non-conformité signifie que les renseignements fournis par le soumissionnaire n’étaient pas suffisants pour établir la conformité et qu’une réévaluation ne pourrait donner un résultat différent. En pareilles circonstances, le Tribunal peut, en application des alinéas 30.15(2)c), d) ou e) de la Loi, recommander la résiliation du contrat spécifique, son attribution au plaignant ou le versement, au plaignant, d’une indemnité dont le Tribunal déterminera la somme.

[92] En l’espèce, le Tribunal a reconnu dans la recommandation contestée que la réévaluation donnait à l’équipe d’évaluation l’occasion d’évaluer de nouveau les soumissions sans formuler d’hypothèses non fondées, et que cela pouvait mener à une conclusion de conformité. Comme je l’ai indiqué précédemment, cette conclusion était justifiée au regard des faits et du droit.

[93] J’estime que la décision rendue par notre Cour dans Bergevin n’influe pas sur cette conclusion et qu’elle n’est d’aucune utilité pour Heiltsuk Horizon dans l’affaire en instance. Bergevin portait sur l’application d’une disposition d’une demande de proposition sommaire (la disposition) qui visait à offrir des garanties relativement aux conflits d’intérêts et à l’équité du processus de passation des marchés publics. Cette disposition visait à éviter qu’un soumissionnaire puisse bénéficier d’un avantage indu du fait de sa participation antérieure à la phase de mise en œuvre du projet. Cette disposition interdisait plus précisément à ces soumissionnaires de participer à la demande de propositions. Il s’agissait de la situation dans laquelle se trouvait le soumissionnaire s’étant classé au premier rang.

[94] La question en litige dans Bergevin concernait la recommandation du Tribunal voulant que toutes les propositions, notamment celle du soumissionnaire s’étant classé au premier rang, soient réévaluées. La Cour, notant que cette disposition « visait, entre autres, précisément une situation comme celle qui s’est produite en l’instance » (Bergevin, para. 21), a conclu que la proposition du soumissionnaire s’étant classé au premier rang, étant irrecevable, « aurait dû être écartée dès le départ de sorte qu’elle n’aurait pas pu [...] être soumise à la réévaluation » (Bergevin, para. 34). Elle a conclu que la mesure de réparation la plus équitable « serait de retourner le dossier au Tribunal pour qu’il propose un remède approprié pour le demandeur qui tient compte du fait que la proposition [du soumissionnaire classé au premier rang] était irrecevable, des résultats obtenus par le demandeur lors de la réévaluation des propositions et de l’opportunité ou non de résilier le contrat [du soumissionnaire classé au premier rang] compte tenu de l’avancement des travaux » (Bergevin, para. 36).

[95] Je conviens avec le procureur général que Bergevin est une affaire distincte. En l’espèce, l’admissibilité initiale d’Atlantic à l’appel d’offres n’a jamais été mise en doute. Aucune question ne se pose non plus quant au pouvoir du Tribunal de recommander la réévaluation d’une soumission jugée non conforme, puisque le Tribunal n’a formulé aucune conclusion en ce sens.

[96] Pour tous ces motifs, je suis d’avis que rien, d’après un examen fondé sur la norme de la décision raisonnable, ne justifierait que notre Cour modifie la mesure corrective choisie par le Tribunal dans la décision I.

B. Notre Cour devrait-elle modifier la décision I, du fait que le Tribunal a rejeté les allégations de partialité formulées par Heiltsuk Horizon et refusé d’ordonner la production des documents demandés en lien avec ces allégations?

[97] Ainsi qu’il a été indiqué précédemment, les allégations de partialité formulées par Heiltsuk Horizon reposent sur un message rédigé par un employé d’Atlantic, qui a été publié sur un média social vers le 11 août 2018, ainsi que sur une modification qui a été apportée au critère MR 18 de manière à porter de 15 à 20 ans l’exigence relative à l’âge maximal du navire. Dans le cadre de l’enquête relative à la première plainte, Heiltsuk Horizon, alléguant que la communication de documents par TPSGC dans le cadre du premier RIF ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 103 des Règles du TCCE, a présenté une demande de production de documents au Tribunal. Cette demande a été présentée aux termes de l’article 23.1 des Règles du TCCE, qui dispose qu’une partie à une instance devant le Tribunal « peut présenter une demande au Tribunal afin qu’il rende une décision ou une ordonnance relativement à toute question soulevée au cours d’une procédure ».

[98] La demande de production de documents présentée par Heiltsuk Horizon, en lien avec ses allégations de partialité, prévoyait ce qui suit :

[traduction]

4. La correspondance, les mémoires et autres documents énonçant le besoin en remorqueurs d’urgence du gouvernement du Canada, qui a mené à la première annonce publique de ce besoin, le 7 novembre 2016;

5. La correspondance, les mémoires et autres documents portant sur le choix initial du gouvernement du Canada en ce qui a trait au critère MR 18, à savoir que les navires n’aient pas plus de 15 ans à la clôture des soumissions, et les commentaires des intervenants selon lesquels l’âge maximal devrait être porté à 20 ans;

6. La correspondance, les mémoires et autres documents concernant l’allégation formulée au paragraphe 17 du RIF, à savoir [traduction] : « Toutes les questions et tous les commentaires reçus durant la période de soumission l’ont été de manière anonyme, de sorte que la GCC ignorait l’origine des questions et qu’elle a évalué tous les commentaires sans connaître l’identité de leur auteur »;

7. La correspondance, les mémoires et autres documents rendant compte des discussions du gouvernement du Canada et de sa décision de modifier le critère MR 18 afin d’augmenter l’âge maximal des navires de 15 à 20 ans, notamment les discussions et la décision de ne pas attribuer de poids ou de points à l’âge du navire;

8. La correspondance, les mémoires et autres documents échangés entre le soumissionnaire retenu et le gouvernement du Canada au sujet du présent appel d’offres ou des exigences de cet appel d’offres en général, avant et après l’annonce officielle faite le 7 novembre 2016 relativement aux besoins prévus.

[99] Le 11 octobre 2018, le Tribunal a refusé de communiquer l’intégralité des documents demandés au titre des points 4, 7 et 8 et une partie de ceux demandés au titre du point 5, pour le motif que ces documents n’étaient ni nécessaires ni pertinents, que leur portée était trop vaste en ce qui a trait au point 8 ou qu’ils n’aideraient pas à déterminer si les motifs de la première plainte étaient fondés. Quant aux documents demandés au point 6, le Tribunal en a ordonné la production intégrale (voir la lettre du membre présidant aux avocats inscrits au dossier [11 octobre 2018], dossier consolidé, vol. 2, onglet 54, pp. 02273 à 02275).

[100] Heiltsuk Horizon soutient que le Tribunal a commis une erreur et a manqué à son obligation d’équité procédurale en lui refusant l’accès à ces documents, car ceux-ci étaient pertinents pour examiner ses allégations de partialité et qu’ils devaient donc être communiqués selon l’alinéa 103(1)b) des Règles du TCCE qui dispose que le rapport de l’institution fédérale doit comprendre « les autres documents pertinents ».

[101] Heiltsuk Horizon soutient en outre que cet aspect de la décision du Tribunal va à l’encontre de la procédure établie pour les enquêtes sur les marchés publics. Bien qu’il suffise de démontrer dans une « mesure raisonnable » qu’il y a eu manquement pour ouvrir une enquête sur un marché public, les enquêtes sur les marchés publics sont en soi des procédures de recherche des faits. Les renseignements communiqués dans un rapport de l’institution fédérale peuvent donc fournir d’autres éléments probants susceptibles de corroborer les motifs soulevés dans une plainte.

[102] Enfin, Heiltsuk Horizon fait valoir que, si le Tribunal estimait que sa demande de production de documents était trop vaste ou démesurée, il aurait pu facilement accorder une communication plus restreinte, comme il l’avait fait pour certains éléments de sa demande.

[103] Le procureur général conteste l’affirmation de Heiltsuk Horizon selon laquelle ce volet de sa contestation de la décision I soulève des questions d’équité procédurale. Le procureur général soutient plus précisément que les conclusions du Tribunal au sujet des allégations de partialité formulées par Heiltsuk Horizon ont été rendues après que le Tribunal a examiné la nature de ces allégations en regard de la nature et de la portée de la communication de documents demandée par Heiltsuk Horizon. Sur ce point, le procureur général souligne le fait que Heiltsuk Horizon a eu maintes occasions de présenter des observations et des réponses sur cette question.

[104] Le procureur général soutient qu’il s’agit plutôt d’une affaire où le tribunal administratif doit interpréter sa loi habilitante ou une loi qui est étroitement liée à son mandat. En l’espèce, le Tribunal devait interpréter les Règles du TCCE. Le procureur général soutient en outre que les décisions rejetant des demandes de production de documents ont un caractère discrétionnaire et qu’elles commandent la déférence. Dans un tel contexte, il est présumé que la norme de contrôle qui s’applique à l’examen de cet aspect de la décision I est celle de la décision raisonnable.

[105] Le paragraphe 103(1) des Règles du TCCE est rédigé comme suit :

Rapport de l’institution fédérale

Government Institution Report

103 (1) Sous réserve du paragraphe 107(5), l’institution fédérale dépose auprès du Tribunal, au plus tard vingt-cinq jours après le premier jour ouvrable suivant la réception de la copie de la plainte visée à l’article 100, un rapport comprenant une copie des documents suivants :

103 (1) Subject to subrule 107(5), the government institution must, not later than 25 days after the first working

day following the receipt of a copy of the complaint referred to in rule 100, file with the Tribunal a report containing a copy of

a) l’appel d’offres, y compris le devis ou les parties de celui-ci qui se rapportent à la plainte;

(a) the solicitation, including the specifications or portions of it that are relevant to the complaint;

b) les autres documents pertinents;

(b) all other documents that are relevant to the complaint;

c) un énoncé renfermant les conclusions, les mesures et les recommandations de l’institution fédérale ainsi qu’une réponse à chaque allégation contenue dans la plainte;

(c) a statement that sets out all findings, actions and recommendations of the government institution and that responds fully to all allegations that are contained in the complaint; and

d) tout autre élément de preuve ou renseignement qui peut s’avérer nécessaire au règlement de la plainte.

(d) any additional evidence or information that may be necessary to resolve the complaint.

[106] Le Tribunal a toujours soutenu que le gouvernement a « un devoir important de transparence » eu égard à la présentation de la preuve documentaire (décisions Valcom Consulting Group Inc., dossier no PR-2016-056 du TCCE, para. 42, et Pomerleau Inc., dossier no PR-2014-048 du TCCE, para. 27). Cependant, le Tribunal a également conclu qu’il « a le pouvoir discrétionnaire de décider si une demande de divulgation de renseignements ou de documents particuliers présentée par une partie est justifiée dans le contexte d’une enquête » (décision Vireo Network Inc., dossier du TCCE no PR-2013-037, para. 58 (décision Vireo)). À titre d’exemple, les allégations spéculatives et non fondées de mauvaise foi ou de partialité ne constituent généralement pas un fondement qui permette à la partie plaignante d’avoir accès à des documents qui sont en la possession de l’institution fédérale, pas plus que ne l’est une demande de divulgation se voulant un moyen « ”d’aller à la pêche” [...] afin de trouver d’autres motifs de plainte » (décision Vireo, para. 58; voir aussi les décisions Chamber of Shipping of British Columbia, dossier no PR‑2009-069 du TCCE, para. 15, Enterasys Networks of Canada Ltd., dossiers nos PR-2010-004 à PR-2010-006 du TCCE, para. 70, et EDS Canada Ltd. (Re), dossier no PR-2002-069 du TCCE, p. 10).

[107] Il est acquis en matière jurisprudentielle que les décisions de décideurs administratifs qui soulèvent des questions d’équité procédurale ne commandent aucune déférence (voir, par exemple, Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, para. 43, et Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121, para. 36 (Chemin de fer CP)). Comme notre Cour l’a déclaré dans Chemin de fer CP, « cet exercice de révision est [traduction] “particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte”, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » (Chemin de fer CP, para. 54). Il ne peut donc pas être contesté que la norme de contrôle qui s’applique à l’examen du rejet, par le Tribunal, des allégations de partialité de Heiltsuk Horizon est celle de la décision correcte.

[108] En l’espèce, toutefois, nous nous intéressons davantage à la validité de l’ordonnance de communication du Tribunal. Selon Heiltsuk Horizon, le rejet partiel de sa demande de communication l’a empêchée de bien formuler et présenter ses allégations de partialité. Ce type d’ordonnance s’apparente aux décisions rendues par des décideurs administratifs appelés à se prononcer sur leur propre procédure, « notamment quant aux aspects qui relèvent de l’équité procédurale » comme la communication de renseignements. En l’absence de dispositions législatives contraires, les décideurs administratifs « jouissent d’un large pouvoir discrétionnaire » pour rendre de telles décisions. « Le contexte et les circonstances » dicteront l’étendue de ce pouvoir discrétionnaire et détermineront également s’il y a eu manquement à l’équité procédurale (Ré:Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, [2015] 2 R.C.F. 170, para. 37). Comme la Cour suprême du Canada l’a établi dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4th) 193, le contenu de la notion d’équité procédurale est fortement tributaire du contexte particulier d’une affaire donnée (para. 21, invoquant Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, p. 682, 69 D.L.R. (4th) 489).

[109] Par conséquent, bien que la norme de la décision correcte s’applique à l’examen des décisions concernant la procédure, son application dans une affaire particulière doit être corroborée par l’existence et la portée du pouvoir discrétionnaire du décideur administratif quant au choix de la procédure.

[110] En l’espèce, je ne vois aucun motif justifiant l’intervention de notre Cour à l’égard de l’ordonnance de communication du Tribunal.

[111] Bien que des allégations de manquement à l’équité procédurale ou de crainte raisonnable de partialité puissent justifier la communication de documents supplémentaires, elles ne permettent pas « à une personne de se livrer à une recherche à l’aveuglette dans l’espoir de trouver des documents permettant d’établir le bien-fondé de la demande » (Humane Society of Canada Foundation c. Canada (Revenu national), 2018 CAF 66, 2018 D.T.C. 5043, para. 8). Une recherche à l’aveuglette a été définie par notre Cour comme « une recherche dans laquelle se lance une partie ne disposant d’aucun élément et tentant désespérément de s’accrocher à quelque chose » (Imperial Manufacturing Group Inc. c. Decor Grates Incorporated, 2015 CAF 100, 472 N.R. 109, para. 38).

[112] Je conclus que la demande de production de documents présentée par Heiltsuk Horizon en rapport avec les points 4, 5, 7 et 8 se voulait une tentative « de se livrer à une recherche à l’aveuglette dans l’espoir de trouver des documents permettant d’établir le bien-fondé de la demande ». Lorsque cette demande a été formulée, la modification apportée au critère MR 18 ne constituait plus l’élément central de la première plainte; le procureur général et Atlantic avaient alors déjà convaincu le Tribunal que la modification ne révélait aucun motif pouvant justifier une allégation de partialité. La demande de communication de Heiltsuk Horizon concernant le critère MR 18 ne représentait guère plus qu’une tentative de découvrir des éléments de preuve qui pourraient servir à établir une allégation par ailleurs non fondée. Le Tribunal a eu raison de la rejeter.

[113] En ce qui concerne la demande de production de documents ayant fait suite au message publié sur un média social, je conclus également qu’il relevait tout à fait du pouvoir discrétionnaire du Tribunal de déterminer la procédure à utiliser pour rejeter cette demande. Cette décision était en outre appropriée, compte tenu du contexte, de la nature et du contenu de la communication. Comme l’a souligné le Tribunal, le message affiché sur le média social fait référence au délai d’environ deux ans qui s’est écoulé entre la publication de la demande de renseignements A en novembre 2016 et l’attribution du contrat en août 2018 (décision I, para. 76). Tout comme l’allégation formulée à l’égard de la modification apportée au critère MR 18, le point 8 de la demande de production de documents de Heiltsuk Horizon se voulait une autre tentative de découvrir des éléments de preuve qui pourraient servir à établir une allégation par ailleurs non fondée. J’estime qu’il était là aussi justifié pour le Tribunal de rejeter cette demande.

[114] Bien qu’il ne soit pas absolument nécessaire de statuer sur le bien-fondé des conclusions du Tribunal au sujet des allégations de partialité en soi, je suis d’avis que le Tribunal a fourni des justifications convaincantes pour rejeter ces allégations. Comme il l’explique aux paragraphes 76 à 78 de la décision I :

[76] En ce qui concerne le message affiché sur le site du média social par l’employé d’ATL, le Tribunal est d’avis qu’il ne comporte rien de compromettant. De tels messages sont destinés au public en général et ne sont pas formulés de façon très précise. En l’espèce, le Tribunal estime que le message fait tout simplement référence, d’une manière générale, au délai d’approximativement deux ans entre la demande de renseignements A et l’adjudication du contrat. Comme TPSGC le fait remarquer dans le RIF, toutes les consultations avec les entreprises, y compris Heiltsuk Horizon et ATL, ont débuté avec la demande de renseignements A le 17 novembre 2016. Il n’y a tout simplement aucune preuve au dossier qui pourrait laisser entrevoir autre chose. De plus, le Tribunal ne considère pas qu’un unique message affiché sur le site d’un média social constitue un élément de preuve suffisant, ou qu’il ait la valeur probante requise, pour conforter une conclusion comme celle que demande Heiltsuk Horizon.

[77] En ce qui a trait au critère MR 18, dans le cas de plaintes similaires concernant des allégations de critères techniques empreints de parti pris, le Tribunal a affirmé que l’acheteur public est en droit de définir ses besoins opérationnels légitimes et de les indiqués [sic] dans les exigences techniques de l’appel d’offres, en autant que celles-ci soient raisonnables, c’est-à-dire qu’elles ne soient pas impossibles à satisfaire. De plus, il incombe à la plaignante de présenter des éléments de preuve convaincants selon lesquels l’appel d’offres a été formulé, par exemple en ce qui concerne les exigences techniques ou les spécifications, dans l’intention de favoriser ou d’exclure un ou des fournisseurs en particulier ou de façon à avoir cet effet. En l’espèce, Heiltsuk Horizon ne s’est pas acquittée de cette obligation.

[78] Heiltsuk Horizon n’a présenté au Tribunal aucun élément de preuve indiquant que la DP avait été formulée de façon à ce qu’il soit raisonnable de croire qu’elle favorisait la soumission d’ATL ou excluait d’autres fournisseurs potentiels. TPSGC admet avoir reçu des recommandations d’ATL et d’un autre soumissionnaire potentiel en ce qui a trait à l’âge des navires. Sur la base de ces recommandations et de la documentation existante, il a décidé d’allonger l’âge maximum des navires exigé dans le critère MR 18 de 15 ans dans la demande de renseignements B à 20 ans dans la DP, donnant lieu à une concurrence accrue au lieu de la diminuer. La preuve indique que trois des neuf soumissions proposaient des navires de plus de 15 ans. [Notes de bas de page omises.]

[115] Eu égard à ce qui précède, le Tribunal a conclu, à juste titre, qu’il n’existait aucune crainte raisonnable de partialité.

[116] Je conviens que le message affiché sur le média social n’établit pas, en soi, un fondement factuel suffisant pour corroborer l’allégation de Heiltsuk Horizon que TPSGC a eu des consultations antérieures ou en privé avec Atlantic au sujet de l’appel d’offres. Cette allégation, réfutée de manière convaincante par TPSGC et Atlantic, est tout simplement non fondée.

[117] Relativement à l’allégation de Heiltsuk Horizon voulant que la modification du critère MR 18 ait indûment favorisé Atlantic, le Tribunal a conclu, à juste titre, qu’elle était sans fondement. Outre Atlantic, un autre soumissionnaire éventuel avait recommandé que l’âge maximal des navires soit augmenté. Il était donc loisible au Tribunal, d’après le dossier qui lui avait été présenté, de conclure que cette modification avait été apportée pour accroître, et non réduire, la concurrence. Cette conclusion est justifiée par le fait que non seulement Atlantic, mais également deux autres soumissionnaires, ont proposé des navires ayant plus de 15 ans.

[118] Je conclus que la décision de TPSGC d’augmenter l’âge maximal des navires était conforme à l’un des quatre objectifs qui sous-tendent le régime de réglementation des marchés publics fédéraux, qui est de garantir la concurrence entre les soumissionnaires.

[119] Par conséquent, je ne vois aucune raison de modifier les conclusions du Tribunal relativement aux allégations de partialité de Heiltsuk Horizon, notamment son ordonnance de communication qui a précédé ces conclusions.

[120] Pour tous ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire de Heiltsuk Horizon dans le dossier A-57-19.

[121] Il s’agit maintenant d’examiner le caractère raisonnable de la décision II.

C. La décision II est-elle raisonnable?

1) Les thèses des parties

[122] Toutes les parties contestent le caractère raisonnable de la décision II. Heiltsuk Horizon allègue que le Tribunal a commis la même erreur que pour la décision I, en autorisant la réévaluation de la soumission d’Atlantic malgré l’abondance d’éléments de preuve dans le dossier indiquant que cette soumission était non conforme. Elle prétend en outre que la décision II devrait être annulée parce que le Tribunal, en recommandant une nouvelle réévaluation, a explicitement permis aux soumissionnaires de modifier leur soumission en les autorisant à fournir, plus de deux ans après la clôture des soumissions, de nouveaux renseignements sur la conformité au critère MR 12.

[123] Pour leur part, Atlantic et le procureur général allèguent que notre Cour devrait intervenir et modifier la décision II, car le Tribunal a outrepassé sa compétence en matière de surveillance des marchés publics fédéraux en imposant une interprétation du critère MR 12 qui ne trouve aucun fondement dans la DP. Ils soutiennent également que le Tribunal a, de manière déraisonnable, omis de faire preuve de retenue à l’égard des évaluateurs et de tenir dûment compte des étapes qu’ils ont suivies durant la réévaluation de la conformité des soumissionnaires au critère MR 12.

[124] Heiltsuk Horizon s’oppose à la contestation de la décision II par Atlantic et le procureur général. Elle allègue que notre Cour ne devrait pas modifier la conclusion du Tribunal selon laquelle la réévaluation menée par la nouvelle équipe d’évaluateurs était déraisonnable. Elle appuie son alléguation sur le fait que la nouvelle équipe d’évaluation n’a pas tenu compte du libellé du critère MR 12, ainsi qu’il avait été interprété dans la décision I, et qu’elle a donc commis la même erreur que l’équipe précédente. La nouvelle équipe a, plus précisément, présumé que « tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur » avaient réellement été pris en compte durant l’évaluation de la puissance de traction minimale des navires d’Atlantic, et ce, même si, de prime abord, les certificats de puissance de traction de ces navires indiquaient le contraire. Heiltsuk Horizon allègue en outre que, puisqu’Atlantic et le procureur général n’ont pas contesté la décision I, ils sont empêchés par préclusion d’invoquer de nouveau la juste interprétation du critère MR 12 et la méthode d’évaluation y afférente.

2) Le Tribunal a fait une interprétation déraisonnable du critère MR 12

[125] Pour les motifs qui suivent, je conviens avec Atlantic et le procureur général que la décision II est déraisonnable. Je juge plus précisément que le Tribunal a mal interprété le critère MR 12 et la méthode d’évaluation qui y correspond, et qu’il a de ce fait modifié de manière inadmissible les modalités de la DP. Le Tribunal a ensuite entrepris d’évaluer le caractère raisonnable de la réévaluation en regard de cette interprétation erronée. Ce faisant, le Tribunal n’a pas tenu compte des étapes suivies par les évaluateurs lors de la réévaluation de la conformité des soumissions en regard du critère MR 12. Je suis d’avis que tous ces facteurs minent de manière irrémédiable la conclusion du Tribunal selon laquelle la réévaluation de la conformité des soumissions au critère MR 12 était déraisonnable.

[126] Comme il fut mentionné précédemment, le Tribunal a recommandé dans la décision I une réévaluation de toutes les soumissions. Il a formulé cette recommandation en tenant compte du fait que l’équipe d’évaluation avait présumé, à tort, que les certificats de puissance de traction d’Atlantic démontraient la conformité au critère MR 12. Comme ces certificats ont été délivrés avant la publication de la DP et qu’ils n’indiquaient pas, de prime abord, que les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur avaient été pris en compte, le Tribunal a conclu qu’on ne pouvait présumer de la conformité avec cette exigence, car la formulation d’hypothèses n’est pas un bon moyen d’évaluer la conformité dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché public. Par conséquent, le Tribunal a conclu qu’il incombait à l’équipe d’évaluation d’examiner « consciencieusement [...] si les certificats de conformité de la puissance de traction d’[Atlantic] démontraient que tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur ont été pris en compte » (décision I, para. 85; guillemets internes omis).

[127] La décision I portait essentiellement sur la manière dont la soumission d’Atlantic – et toutes les autres soumissions d’ailleurs – avaient été évaluées. La réévaluation avait été recommandée pour veiller à ce que la conformité des soumissions au critère MR 12 soit évaluée sans la formulation d’hypothèses erronées.

[128] Je suis d’avis que c’est tout ce que l’on peut déduire ou inférer de la décision I au sujet du critère MR 12. Cependant, la décision II a été rendue par une formation différente, qui a fait une interprétation beaucoup plus large du critère MR 12 et de sa méthode d’évaluation, en étirant à l’excès le libellé de cette exigence et en ne tenant pas compte de son contexte d’adoption. Ce faisant, le Tribunal a ouvert la voie aux contestations de cette décision par Atlantic et le procureur général.

[129] Le Tribunal a plus précisément introduit la notion de puissance de traction « fonctionnelle » qui devait être mesurée en regard de plusieurs critères qui ne figuraient pas dans le libellé du critère MR 12. Il a également réduit le rôle des certificats de conformité de la puissance de traction à celui d’un simple « point de départ ». En conséquence, le Tribunal a déformé le critère MR 12 à un point tel que, comme le fait valoir à juste titre le procureur général, ce critère ressemble peu à celui qui a été publié dans la DP.

[130] Il pourrait être utile d’examiner de nouveau les directives du Tribunal quant à la manière dont le critère MR 12 devait, selon lui, être évalué :

[70] Par souci de clarté, dans le cadre de cette nouvelle réévaluation, les évaluateurs pourront s’appuyer sur les certificats de conformité de la puissance de traction comme point de départ, mais ils devront évaluer les déductions pour tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur requis pour mener les opérations de remorquage d’urgence. Cela signifie que les évaluateurs doivent utiliser leur expertise pour évaluer les soumissions afin de déterminer quels dispositifs consommateurs d’énergie sont entraînés par moteur, lesquels sont requis pour les opérations de remorquage d’urgence et à quoi correspond la déduction de la puissance de traction certifiée pour chacun de ces dispositifs. Ces facteurs doivent être évalués pour chaque navire, en tenant compte de la conception particulière de l’alimentation électrique de chacun et de l’utilisation faite par tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur, s’il y a lieu. Les évaluateurs doivent garantir qu’un navire disposerait d’une puissance de traction fonctionnelle d’au moins 120 tonnes métriques, et ce, même durant une opération de remorquage d’urgence alors qu’une partie de l’énergie du moteur pourrait être dirigée vers d’autres dispositifs.

[71] Qui plus est, les évaluateurs ne sont pas nécessairement tenus de prendre en compte chaque dispositif consommateur d’énergie qui pourrait éventuellement utiliser de l’énergie du moteur à un moment donné. Cependant, ils sont tenus d’utiliser leur expertise pour établir quels dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur d’un navire en particulier sont nécessaires dans les « ”conditions normales de fonctionnement” des remorqueurs d’urgence ». Cela signifie que les évaluateurs doivent expressément tenir compte des conditions qui seraient présentes en mer lors d’opérations normales de remorquage d’urgence dans la zone géographique où les navires patrouilleront. Le Tribunal laisse aux évaluateurs le soin d’établir quelles pourraient être ces conditions, mais il souligne la proposition de Heiltsuk Horizon de tenir notamment compte des contre-courants, des vents forts, des mers agitées ou des couloirs de navigation restreints ou achalandés, qui nécessiteraient l’utilisation continue et simultanée de treuils, de propulseurs, de systèmes de positionnement dynamiques ou d’autres pièces d’équipement auxiliaires. [Notes de bas de page omises; italiques dans l’original.]

[131] Il ne fait aucun doute que le Tribunal a adopté une interprétation du critère MR 12 qui va bien au-delà de ce que prévoient son libellé et sa méthode d’évaluation, et bien au-delà de toute interprétation raisonnable de la décision I. Cette interprétation témoigne, à mon avis, d’une grave erreur d’interprétation du rôle de cette exigence dans la DP.

[132] Il est important de noter que le critère MR 12 n’est qu’une exigence obligatoire parmi d’autres visant à évaluer la capacité des navires proposés dans les soumissions. Parmi les autres exigences obligatoires de la DP, mentionnons celles portant sur la vitesse du navire; sur sa capacité de récupération du pétrole; sur la charge et la portée de la grue de bord; ainsi que sur l’autonomie du navire dans des conditions de fonctionnement continu en mer. Comme l’a souligné le responsable technique de l’appel d’offres, M. Legros, l’exigence relative à la démonstration de la conformité au critère MR 12 n’avait pas pour but d’occasionner des coûts élevés pour les soumissionnaires (affidavit confidentiel d’août 2019 de M. Legros, dossier confidentiel du Tribunal – dossier consolidé, p. 12833, para. 6). L’évaluation de la conformité de la puissance de traction a pour but de mesurer la capacité d’un navire de remorquer un navire en détresse (affidavit de novembre 2018 de M. Legros, dossier consolidé, p. 02609, para. 5). Cette capacité est mesurée dans des conditions optimales afin d’obtenir le meilleur résultat possible (p. ex. strictes limites de vent, mer calme et températures glaciales de l’eau) (affidavit de John Trainor du 27 novembre 2018, dossier consolidé, vol. 2, onglet 73, p. 02749, para. 23). L’essai de traction n’a pas pour but de fournir une évaluation fonctionnelle de la capacité de remorquage du navire dans des conditions difficiles particulières et dans un lieu géographique précis, comme le laissait entendre le Tribunal (décision II, paras. 70 et 71). Le Tribunal a fait une interprétation erronée en associant la puissance de traction à une mesure de la capacité du navire de manœuvrer dans de véritables situations d’urgence.

[133] Comme semblent l’indiquer les éléments de preuve au dossier, la GCC a mené une étude et reçu de nombreux commentaires de l’industrie pour l’aider à déterminer une puissance de traction de base pour les remorqueurs d’urgence recherchés. Elle a fixé une [traduction] « exigence objective, selon laquelle le navire devait pouvoir maintenir en position un porte-conteneurs de 11 000 EVP (équivalents vingt pieds), dans des conditions correspondant au niveau 9 de l’échelle de Beaufort (vagues de 8 m, vents de 47 kt) » (modification no 001 de la demande de renseignements A, dossier consolidé, vol. 2, onglet 20, p. 00393). En établissant sa propre liste de facteurs dont les évaluateurs devaient tenir compte pour déterminer la conformité au critère MR 12, le Tribunal n’a nullement tenu compte de ces renseignements généraux sur la manière dont la GCC en était arrivée à exiger une puissance de traction de 120 tonnes métriques.

[134] Une fois de plus, selon les éléments de preuve, la méthode d’évaluation du critère MR 12 a été rédigée de manière à ce que les soumissionnaires qui fournissent des certificats n’aient pas à fournir également les résultats d’essais de traction (affidavit confidentiel de novembre 2018 de M. Legros, dossier consolidé, p. 02610, para. 9). Dans la décision II, en exigeant la présentation de données supplémentaires sur la puissance de traction, en plus des certificats attestant de la puissance de traction, le Tribunal a fait du critère MR 12 une interprétation qui va à l’encontre de cette méthode d’évaluation. Qui plus est, le dossier indique qu’il n’existe aucun règlement international sur le calcul de la réduction de la puissance de traction, et qu’il n’existe que les lignes directrices d’une organisation selon lesquelles la réduction de la puissance de traction s’applique [traduction] « à la fonction de manutention d’ancres d’un navire [ravitailleur-remorqueur-manipulateur d’ancres] et non à sa fonction de remorquage » (affidavit confidentiel de novembre 2018 de M. Legros, dossier consolidé, p. 02611, para. 13).

[135] En exigeant que les évaluateurs appliquent toutes sortes de réductions aux mesures établies par les certificats de puissance de traction – une exigence qui n’avait pas été envisagée dans la décision I –, le Tribunal a fait une interprétation fausse et déraisonnable du rôle de ces certificats dans la DP. Je suis d’avis que le Tribunal a essentiellement exigé des évaluateurs qu’ils créent de nouvelles normes pour la mesure de la puissance de traction, sans que cela ne soit corroboré par les pratiques de l’industrie. Ce qui pose encore plus problème, c’est que, comme nous l’avons mentionné précédemment, ces normes ne figurent pas dans la DP ni ne peuvent en être déduites, compte tenu du contexte d’adoption du critère MR 12. Je conviens avec Atlantic et le procureur général qu’exiger de TPSGC qu’il prenne en considération de tels critères non divulgués et imprévus minerait l’intégrité et l’efficacité du régime concurrentiel de passation des marchés publics.

[136] En d’autres termes, les instructions données par le Tribunal aux évaluateurs dans la décision II, de considérer les certificats de conformité de la puissance de traction « comme point de départ » et de tenir compte des « conditions qui seraient présentes en mer lors d’opérations normales de remorquage d’urgence dans la zone géographique où les navires patrouilleront » (décision II, paras. 70 et 71; italiques dans l’original), s’écartent considérablement du libellé précis de la DP. De telles conditions supplémentaires sont inutiles lorsque l’objectif du critère MR 12 dans la DP est bien compris.

[137] Comme l’a souligné l’avocat d’Atlantic durant les plaidoiries, les exigences obligatoires de la DP sont évaluées selon une notation réussite/échec. L’exigence relative à la puissance de traction, définie au critère MR 12, avait pour but d’établir un point de référence. Je conviens avec l’avocat que le Tribunal a renversé la logique du critère MR 12 en indiquant que les mesures de la puissance de traction indiquées sur les certificats devraient uniquement être considérées comme des « points de départ » qui devraient être réduits en tenant compte de facteurs tels que les conditions météorologiques (décision II, para. 70).

[138] Ici encore, les termes utilisés dans la DP et le contexte de son adoption indiquent plutôt une interprétation à l’opposé. Le dossier indique clairement que la GCC a d’abord tenu compte des types de conditions dans lesquelles les navires auraient à fonctionner et, à la lumière des commentaires reçus de l’industrie, a établi une puissance de traction minimale obligatoire de 120 tonnes métriques. Cela est représenté notamment dans la demande de renseignements A (voir, par exemple, la modification no 001 à la demande de renseignements A, dossier consolidé, pp. 00389 à 00435). En d’autres termes, il n’y a tout simplement rien qui justifie l’interprétation que le Tribunal a faite du critère MR 12 dans la décision II.

[139] Il me semble que le Tribunal a conclu que les exigences énoncées dans le critère MR 12 étaient quelque peu déficientes. Il s’est donc senti obligé de fournir les détails manquants en se fondant sur sa propre notion de ce que devait être un essai de traction plus rigoureux, et en exigeant des évaluateurs qu’ils évaluent les déductions à apporter pour les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur en fonction de facteurs tels que l’état de la mer et la géolocalisation.

[140] Cela est toutefois hautement problématique. Comme l’a souligné notre Cour dans Almon, la compétence du Tribunal se limite à examiner « si le gouvernement a adhéré aux besoins, critères et méthodes d’évaluation déclarés et, globalement, l’intégrité et l’efficacité du mécanisme d’adjudication » (Almon, para. 22; guillemets internes omis). Le rôle du Tribunal n’est pas de réécrire les critères ou les méthodes d’évaluation des marchés publics. Il était donc déraisonnable pour le Tribunal de combler ce qu’il a vraisemblablement perçu comme des lacunes dans les critères de l’appel d’offres. L’application de critères occultes et non déclarés rend la procédure de passation des marchés publics opaque et inéquitable. Cela va à l’encontre des objectifs du régime de réglementation qui prévoit notamment l’application d’un « ensemble de règles claires à tous les soumissionnaires » (Almon, para. 23). Il serait également déraisonnable et injuste de s’attendre à ce que les soumissionnaires qui participent au marché public anticipent des critères implicites.

[141] Qui plus est, il semble que le Tribunal savait qu’une telle interprétation du critère MR 12 pourrait poser problème, puisqu’il a déclaré qu’« il pourrait être impossible d’effectuer une réévaluation adéquate des réponses au critère MR 12 sans obtenir de renseignements supplémentaires auprès des soumissionnaires » (décision II, para. 69). Il s’agit, à mon avis, d’une autre preuve indiquant que le Tribunal a, de façon inadmissible, réécrit le critère MR 12 et sa méthode d’évaluation.

[142] Bref, je conviens avec Atlantic et le procureur général que le Tribunal a outrepassé son pouvoir de surveillance de la procédure de passation des marchés publics fédéraux en imposant une interprétation du critère MR 12 qui ne trouve aucun fondement dans la DP.

3) Atlantic et le procureur général ne sont pas empêchés par préclusion de contester l’interprétation faite par le Tribunal du critère MR 12.

[143] Heiltsuk Horizon affirme que, dans la décision II, le Tribunal a confirmé l’interprétation qu’il avait faite du critère MR 12 dans la décision I. Elle allègue donc qu’Atlantic et le procureur général sont empêchés par préclusion de contester cette interprétation, puisqu’ils n’ont pas demandé de contrôle judiciaire de la décision I.

[144] En toute déférence, Heiltsuk Horizon attribue un sens trop large à la décision I. Cette décision n’a pas introduit la notion de puissance de traction « fonctionnelle » ou « effective » dont la mesure nécessiterait la prise en compte de plusieurs facteurs ne figurant pas dans le libellé du critère MR 12. La principale préoccupation du Tribunal dans cette décision concernait la manière dont les évaluateurs avaient évalué la conformité au critère MR 12. Dans cette décision, le Tribunal était préoccupé du fait qu’un des évaluateurs avait présumé que tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur avaient été pris en compte pour déterminer la puissance de traction des navires d’Atlantic. Le Tribunal a jugé que cette présomption posait problème, car les certificats de puissance de traction d’Atlantic avaient été délivrés avant la publication de la DP et qu’ils n’indiquaient pas, de prime abord, comment ces dispositifs consommateurs d’énergie avaient été pris en compte.

[145] De plus, dans la décision I, le Tribunal n’a pas écarté la possibilité qu’une réévaluation adéquate – qui serait menée sans se fonder sur des hypothèses inappropriées – puisse confirmer la conformité de la soumission d’Atlantic au critère MR 12. Le Tribunal savait, d’après les éléments de preuve de M. Vyselaar, que les certificats d’Atlantic auraient pu être suffisants, car il n’y avait « aucun des “dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur” qui devait être déduit étant donné que les deux navires d’[Atlantic] sont munis de génératrices auxiliaires qui alimentent les autres dispositifs consommateurs d’énergie pendant les conditions normales de fonctionnement » (décision I, para. 58). Si Atlantic avait fourni des renseignements démontrant comment les génératrices auxiliaires avaient été prises en compte pour établir la conformité de ses navires au critère MR 12, le Tribunal a indiqué qu’il aurait pu en arriver à une conclusion différente au sujet de la plainte de Heiltsuk Horizon (décision I, paras. 66 et 67). Ces renseignements n’auraient toutefois pas été suffisants pour satisfaire aux critères énoncés par le Tribunal dans la décision II. Il existe donc une contradiction directe entre les décisions I et II.

[146] Il est acquis en matière jurisprudentielle que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique lorsque les conditions préalables suivantes sont réunies : (i) la même question a été décidée; (ii) la décision judiciaire invoquée créant la préclusion était définitive et (iii) les parties dans la décision judiciaire, ou leurs ayants droit, sont les mêmes que les parties engagées dans l’instance où la préclusion est soulevée (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460, para. 25 (Danyluk)). Cependant, ces règles ne doivent pas être appliquées machinalement; l’élément le plus important à prendre en compte pour déterminer si la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique « est d’établir l’équilibre entre l’intérêt public qui consiste à assurer le caractère définitif des litiges et l’autre intérêt public qui est d’assurer que, dans une affaire donnée, justice soit rendue » (Danyluk, para. 33). Par conséquent, même si les trois conditions préalables précitées sont réunies, le tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire et refuser d’appliquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée (Danyluk, paras. 33 et 62).

[147] En l’espèce, le contentieux entre les parties porte sur la question visant à savoir si la première condition préalable énoncée dans Danyluk est satisfaite. La Cour suprême a adopté une approche rigoureuse pour déterminer si la même question a été tranchée dans une décision antérieure aux fins de l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Comme l’a souligné brièvement le juge en chef Dickson dans Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248, p. 255, 47 D.L.R. (3d) 544, « [l]a question qui est censée donner lieu à la fin de non-recevoir doit avoir été “fondamentale à la décision à laquelle on est arrivé” dans l’affaire antérieure » et « [i]l ne suffira pas que la question ait été soulevée de façon annexe ou incidente dans l’affaire antérieure ou qu’elle doive être inférée du jugement par raisonnement ». Dans Danyluk, le juge Binnie a interprété cela comme signifiant que « la préclusion vise les faits substantiels, les conclusions de droit ou les conclusions mixtes de fait et de droit (« les questions ») à l’égard desquels on a nécessairement statué (même si on ne l’a pas fait de façon explicite) dans le cadre de l’instance antérieure » (Danyluk, para. 24).

[148] Ainsi que nous l’avons mentionné précédemment, les déclarations du Tribunal sur le critère MR 12 dans la décision I peuvent, au mieux, être considérées comme des conclusions accessoires ou incidentes. Elles définissent le contexte dans le cadre duquel le Tribunal a conclu que l’hypothèse de l’équipe d’évaluation posait problème; elles ne tiennent pas directement compte des raisons pour lesquelles le Tribunal a recommandé la mesure corrective qu’il a proposée, car les irrégularités dans la procédure d’évaluation étaient suffisantes en soi pour justifier une réévaluation. L’élément important à retenir ici, c’est que le Tribunal ne s’est pas fondé sur son interprétation du critère MR 12 pour formuler sa recommandation, pas plus qu’il n’était tenu de le faire.

[149] Par conséquent, la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne fait pas obstacle à la contestation, par Atlantic et le procureur général, de l’interprétation du critère MR 12 dans la décision II du Tribunal.

[150] J’en serais venu à la même conclusion, même si j’avais accepté l’affirmation de Heiltsuk Horizon que l’interprétation du critère MR 12 dans la décision II repose d’une certaine manière sur les conclusions formulées par le Tribunal dans la décision I et que les trois conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont satisfaites. Comme je l’ai indiqué précédemment, les tribunaux ont le pouvoir discrétionnaire de statuer sur des questions qui autrement seraient exclues par l’application de cette doctrine. Le facteur le plus important à prendre en compte dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire est le risque d’injustice, eu égard à l’ensemble des circonstances (Danyluk, para. 80).

[151] J’estime que la totalité des circonstances en cause en l’espèce milite contre l’application de la doctrine de préclusion découlant d’une question déjà tranchée, car je ne vois aucun risque d’injustice dans le fait d’examiner entièrement et comme il se doit l’interprétation du critère MR 12. J’en viens à cette conclusion essentiellement pour deux raisons. Premièrement, toutes les parties ont débattu à fond de la question de l’interprétation du critère MR 12 dans les observations écrites et orales qu’elles ont présentées à notre Cour. Deuxièmement, la détermination de l’interprétation correcte du critère MR 12 ne serait pas incompatible avec les objectifs préconisés par la Cour suprême dans Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 R.C.S. 422 (para. 36), selon lesquels on doit assurer le caractère définitif des instances et éviter leur remise en cause. Comme les demandes de contrôle judiciaire des deux décisions contestées ont été instruites ensemble, il s’agit de la première – et de la seule – fois où notre Cour a été saisie de la question de l’interprétation du critère MR 12. Par conséquent, en ce qui concerne tout au moins notre Cour, il ne s’agit pas véritablement pour les parties d’une remise en litige de l’interprétation de cette exigence obligatoire.

[152] Je suis d’avis qu’il est dans l’intérêt de la justice de clore cette question. Je suis de cet avis en raison de la multiplicité des instances générées jusqu’à maintenant par la présente affaire et de la possibilité que le Tribunal et notre Cour soient saisis d’autres instances, si les soumissions devaient être évaluées une troisième fois comme l’a recommandé le Tribunal dans la décision II.

[153] Par conséquent, si j’acceptais l’allégation de Heiltsuk Horizon, selon laquelle la décision I établit les fondements du volet de la décision II du Tribunal portant que les certificats de puissance de traction sont des points de départ auxquels devraient s’ajouter des critères non précisés et des déductions pour les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur, afin de mesurer la puissance de traction « fonctionnelle » et « effective » des navires, je conclurais que la décision I est déraisonnable. J’en arriverais à cette conclusion de la même manière que j’ai conclu que la décision II est déraisonnable.

[154] J’en arriverais également à cette conclusion si, pour les motifs énoncés précédemment, j’acceptais – ce qui n’est pas le cas – que le Tribunal, en déclarant qu’on ne pouvait pas se fier aux organismes de certification pour déterminer quels dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur devaient être pris en compte pour déterminer la conformité au critère MR 12 parce que ces organismes n’avaient pas (ou ne pouvaient avoir) de point de référence, voulait dire que les certificats de conformité de la puissance de traction délivrés par ces organismes devaient être considérés comme des « points de départ » et que les évaluateurs devaient évaluer la conformité au critère MR 12 en appliquant toutes sortes de déductions aux chiffres indiqués sur les certificats, en se fondant sur des facteurs non précisés. Une telle interprétation de la décision I serait d’autant plus problématique que la méthode d’évaluation du critère MR 12 prévoit clairement que la conformité avec cette exigence peut être établie au moyen d’un certificat de puissance de traction qui a été vérifié de manière indépendante et qui date de moins de 10 ans. Cela signifie que la conformité pourrait être dûment établie par la présentation d’un certificat délivré avant la publication de la DP et qu’un tel certificat aurait nécessairement été préparé sans référence aucune à la DP. Les modalités de la DP n’établissent tout simplement pas deux catégories de certificats : ceux délivrés après la date de la DP, avec un point de référence à utiliser, et ceux délivrés avant la date de la DP et sans point de référence.

[155] Cela dit, comme je l’ai indiqué précédemment, je ne suis pas d’accord avec la manière dont Heiltsuk Horizon a qualifié la décision I, et je conclus que la première condition préalable énoncée dans Danyluk n’a pas été satisfaite. En d’autres termes, le fait que la décision I n’a pas été contestée par Atlantic ou le procureur général n’empêche pas la Cour d’examiner le caractère raisonnable de l’interprétation que le Tribunal a faite du critère MR 12 dans la décision II.

4) Les conclusions du Tribunal au sujet de la réévaluation sont entachées d’une erreur déterminante

[156] En raison de sa mauvaise interprétation du critère MR 12 et de la méthode d’évaluation qui y correspond, le Tribunal n’a pas apprécié adéquatement les étapes suivies par les évaluateurs lors de la réévaluation de la conformité au critère MR 12. Cela, en retour, a fait en sorte que le Tribunal n’a pas accordé dûment crédit à l’expertise de l’équipe d’évaluation.

[157] Comme le démontre la preuve, l’équipe de réévaluation a, de façon directe et de manière adéquate, abordé les irrégularités dans la procédure que le Tribunal a identifiées dans la décision I. En sa qualité de responsable technique de l’appel d’offres, M. Legros a demandé à l’équipe de réévaluation, qui était composée d’experts indépendants qui cumulaient entre eux 89 années d’expérience dans l’industrie, de confirmer l’interprétation qu’elle faisait des points en litige suivants soulevés dans la décision I relativement à la soumission d’Atlantic : (i) les certificats de puissance de traction fournis pour établir la conformité au critère MR 12 ont-ils tenu compte des dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur requis; et (ii) comment la puissance des moteurs pouvait-elle être égale à la puissance de propulsion des moteurs (affidavit confidentiel de M. Henri Legros du 16 juillet 2019, dossier confidentiel du Tribunal – dossier consolidé, vol. 3, onglet 139, pp. 12562 et 12563, paras. 25 et 26 [affidavit confidentiel de juillet 2019 de M. Legros]).

[158] Relativement à la première question, les discussions visant à établir un consensus se résument comme suit dans le rapport de réévaluation :

[traduction]

Les évaluateurs ont noté ce qui suit dans leurs premiers commentaires – Les certificats de puissance de traction ont été délivrés par Det Norske Veritas (DNV), une société de classification reconnue, en 2013 (il y a moins de 10 ans) et font état d’une puissance de traction de 158 tonnes [métriques] pour l’Atlantic Eagle et de 162 tonnes pour l’Atlantic Raven. Il a été mentionné que certaines conditions de la circulaire 884 du MSC n’avaient pas été satisfaites. Il a également été mentionné que, durant les évaluations individuelles, des évaluateurs ont demandé que leur soient communiquées les procédures utilisées par DNV pour les essais de traction mentionnés à la page 2 des certificats de DNV joints à la soumission. Les procédures utilisées par DNV, que l’on peut trouver sur Internet et qui sont indiquées à l’annexe E des présentes, ont confirmé que [traduction] « toutes les pièces d’équipement auxiliaires, telles que les pompes, les génératrices et autre équipement entraînés par le ou les moteurs principaux ou l’arbre ou les arbres d’hélice dans les conditions normales de fonctionnement du navire, doivent être connectés durant l’essai ». Les évaluateurs ont également indiqué que les doubles astérisques (**) sur le certificat de DNV signifient que [traduction] « la puissance de propulsion des moteurs est la somme de la puissance effective des moteurs entraînant les hélices (sont déduits des moteurs à combustion pour la propulsion mécanique la prise de force, les moteurs électriques du propulseur, les moteurs électriques entraînant le réducteur de vitesse, etc. » Ils ont aussi mentionné que les évaluateurs de la société de classification auraient indiqué, sur le certificat, toute dérogation par rapport à la procédure d’essai et que les essais sur le navire n’auraient été réalisés que dans des conditions sécuritaires de fonctionnement.

Les discussions consensuelles ont d’abord porté sur le fait que les certificats fournis par DNV ne traitaient pas des exigences de la circulaire 884 du MSC. Le chef de l’équipe d’évaluation technique a précisé que les exigences de la circulaire 884 du MSC ne s’appliquaient qu’aux données sur les essais de traction réalisés en l’absence d’un certificat (vérifié de façon indépendante). Comme un certificat a été produit dans le cas de la soumission d’Atlantic Towing, il n’était pas nécessaire d’appliquer les conditions énoncées dans la circulaire 884 du MSC. C’est ce qui explique que certains commentaires formulés par les évaluateurs durant leur évaluation individuelle renvoient aux règles de la circulaire 884 du MSC, et qu’il a été établi durant les discussions que ces commentaires n’étaient pas nécessaires. Il convient de préciser que cette question a été soulevée pour toutes les soumissions.

Le chef de l’équipe d’évaluation technique a ensuite demandé aux évaluateurs de confirmer le sens qu’il fallait donner, à leur avis, au mot « required » dans le libellé de la version anglaise de l’exigence obligatoire « [...] when all required engine driven consumers (shaft generators, etc) are taken into account » (lorsque tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur [génératrices attelées, etc.] sont pris en compte). En se fondant sur leurs connaissances et leur expertise, les évaluateurs en sont arrivés à un consensus sur le sens du mot « required », lequel faisait référence aux dispositifs consommateurs d’énergie requis pour faire fonctionner le navire de façon sécuritaire en mer et aux fins du test de traction conformément à la procédure de vérification de la puissance de traction de la société de classification.

Dans ce contexte, tous les évaluateurs ont confirmé que la soumission d’Atlantic Towing répondait au critère MR 12.

(Rapport de réévaluation, dossier confidentiel du Tribunal – dossier consolidé, pp. 12589 et 12590)

[159] Relativement à la deuxième question, les discussions consensuelles se résument comme suit :

[traduction]

Le chef de l’équipe d’évaluation technique a ensuite demandé aux évaluateurs d’expliquer comment, à leur avis, la puissance des moteurs pouvait être égale à la puissance de propulsion des moteurs, comme l’indiquait le certificat, étant donné que les dispositifs consommateurs d’énergie étaient connectés durant l’essai. Les évaluateurs ont indiqué que les importants dispositifs consommateurs comme les génératrices attelées ne seraient pas mis à contribution durant l’essai de traction et que d’autres dispositifs, comme l’équipement de communication, les radars, les systèmes d’éclairage et les ventilateurs soufflants, ne consommeraient qu’une énergie minimale qui proviendrait des sources secondaires d’énergie. Dans la présente affaire, les spécifications des navires proposés dans la soumission d’Atlantic Towing mentionnaient la présence de génératrices auxiliaires qui fourniraient cette alimentation. Il a également été noté que la puissance de traction se mesure à l’aide d’un instrument (le dynamomètre) fixé entre l’œil du câble de remorquage et le bollard, ce qui donne une lecture continue de la puissance de traction effective. La puissance de traction n’est pas calculée en fonction de la puissance de propulsion indiquée des moteurs. Le chef de l’équipe d’évaluation technique nous a ensuite proposé d’obtenir plus de renseignements auprès de DNV sur les essais de traction précis qui ont été réalisés sur les navires d’Atlantic Towing.

(Rapport de réévaluation, dossier confidentiel du Tribunal – dossier consolidé, p. 12590)

[160] Les passages précités du rapport de réévaluation viennent corroborer l’évaluation faite par M. Legros, en réponse à la troisième plainte, sur la manière dont la réévaluation a été menée :

[traduction]

Je confirme, comme je l’ai fait précédemment, que toutes les soumissions ont fait l’objet d’une évaluation minutieuse et diligente quant à leur conformité au critère MR 12 et qu’une évaluation raisonnable a été faite des certificats produits par DNV, à la suite d’essais menés par DNV selon les règles établies par DNV conformément à celles [de l’Organisation maritime internationale] qui exigent que tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur, utilisés durant le fonctionnement normal du navire, soient connectés durant l’essai.

(Affidavit confidentiel d’août 2019 de M. Legros, dossier confidentiel du Tribunal – dossier consolidé, p. 12840, para. 28)

[161] Dans ce même affidavit, M. Legros a mentionné que les paragraphes A504 et A505 des règles de DNV, qui sont incorporés par renvoi notamment dans les certificats de conformité de la puissance de traction d’Atlantic, confirment que tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur ont été pris en compte durant les essais de traction (affidavit confidentiel d’août 2019 de M. Legros, dossier confidentiel du Tribunal – dossier consolidé, pp. 12838, et 12841, paras. 22 et 30).

[162] Je suis d’avis que les éléments de preuve montrent que l’équipe de réévaluation a directement tenu compte de l’hypothèse problématique qui constituait l’essentiel des préoccupations du Tribunal dans la décision I. En ce qui concerne la soumission d’Atlantic, chaque évaluateur a présenté des commentaires écrits suffisants, à la fois durant son évaluation individuelle et durant les discussions consensuelles sur le processus de réévaluation (voir le troisième RIF, annexe A – mémoires, dossier confidentiel du Tribunal – dossier consolidé, vol. 3, onglet 143, pp. 13106 à 13150). De plus, les notes des évaluateurs corroborent la description que M. Legros a faite du processus de réévaluation, et le dossier montre que les membres de l’équipe ont consulté les règles pertinentes de DNV et ont évalué la conformité de la soumission d’Atlantic au critère MR 12 en se fondant sur leur compréhension experte de ces règles (voir l’affidavit confidentiel de juillet 2019 de M. Legros, dossier confidentiel du Tribunal – dossier consolidé, pp. 12559 à 12561, paras. 14 à 21).

[163] Le Tribunal a reconnu qu’il n’a pas l’expertise requise pour évaluer la conformité au critère MR 12 et qu’il « examine la procédure de passation des marchés publics selon la norme de la décision raisonnable, en accordant crédit à l’expertise des évaluateurs et en ne formulant des recommandations que lorsqu’une décision est déraisonnable » (décision II, para. 47). Cependant, en substituant sa propre interprétation du critère MR 12 à celle des évaluateurs, le Tribunal n’a pas respecté ce principe. Comme je l’ai mentionné précédemment, l’équipe de réévaluation en est arrivée à un consensus et a interprété l’expression « dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur » conformément à l’interprétation qu’en font les sociétés de classification comme DNV. De fait, le libellé de la méthode d’évaluation du critère MR 12 montre que ce critère est inspiré des normes de l’industrie. Je ne crois tout simplement pas que les évaluateurs aient omis de mettre leur expertise et expérience à contribution ou qu’ils aient fait abstraction du libellé du critère MR 12.

5) Les allégations de Heiltsuk Horizon concernant les lacunes en matière de renseignements et les cas de non-conformité sont sans fondement.

[164] L’allégation de Heiltsuk Horizon, selon laquelle la nouvelle équipe d’évaluateurs a relevé [traduction] « un large éventail de renseignements manquants ou de cas de non-conformité manifeste », mais n’en a pas tenu compte, n’est pas fondée.

[165] Heiltsuk Horizon reproche plus précisément aux évaluateurs d’avoir vraisemblablement présumé que les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur avaient été pris en compte dans les certificats de conformité de la puissance de traction produits avec les soumissions, et ce, malgré des mentions sans équivoque sur les certificats indiquant que les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur n’avaient pas été connectés, ou pris en compte, durant les essais. Elle allègue que, bien que les évaluateurs aient noté que des renseignements étaient manquants dans la plupart des soumissions, ils ont accepté de faire abstraction de ces lacunes pour le seul motif que les règles d’évaluation des sociétés de classification prévoyaient que tous les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur devaient être pris en compte durant les essais de traction et qu’aucune dérogation à cette règle n’avait été indiquée sur aucun des certificats.

[166] La thèse de Heiltsuk Horizon repose essentiellement sur l’hypothèse voulant que les certificats de puissance de traction ne suffisent, à eux seuls, à établir la conformité au critère MR 12 que si le navire proposé, comme celui de Heiltsuk Horizon, ne comporte pas de dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur tels que des génératrices attelées. Lorsque de tels dispositifs consommateurs d’énergie sont présents, les certificats doivent alors, selon Heiltsuk Horizon, démontrer explicitement que tous ces dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur ont été pris en compte durant les essais de traction. Si l’on suit ce raisonnement de Heiltsuk Horizon, la nouvelle équipe d’évaluateurs aurait dû exclure toutes les soumissions, sauf la sienne.

[167] Cette allégation ne peut toutefois pas être retenue pour plusieurs raisons.

[168] Premièrement, il n’y a rien sur les certificats qui permette d’appuyer l’allégation que les sociétés de classification n’ont pas suivi leurs règles durant la conduite des essais de traction. Les principaux éléments de preuve invoqués par Heiltsuk Horizon à l’appui de cette allégation portent sur la soumission d’Atlantic. Heiltsuk Horizon fait valoir que, si les règles de DNV avaient été suivies, les chiffres sur la puissance de propulsion indiqués sur les certificats d’Atlantic auraient été nettement inférieurs à la puissance totale indiquée pour les moteurs des navires proposés fonctionnant en régime continu maximal. Cet argument ne tient toutefois pas compte de la présence des génératrices auxiliaires sur les navires d’Atlantic. C’est la présence de ces génératrices qui explique, comme nous l’avons vu, pourquoi la puissance de propulsion des moteurs indiquée sur les certificats d’Atlantic est égale à la puissance des moteurs durant les essais de traction.

[169] Deuxièmement, rien n’indique que les évaluateurs ne sont pas parvenus à un consensus sur l’interprétation du critère MR 12 ou qu’ils ont formulé des hypothèses erronées relativement à la soumission d’Atlantic. Il est clairement indiqué dans le rapport de réévaluation que les évaluateurs se sont entendus sur le sens à donner au terme « required » utilisé dans la version anglaise, ce terme signifiant les [TRADUCTION] « dispositifs consommateurs d’énergie requis pour faire fonctionner le navire de façon sécuritaire en mer et aux fins du test de traction conformément à la procédure de vérification de la puissance de traction de la société de classification » (rapport de réévaluation, dossier confidentiel du Tribunal – dossier consolidé, pp. 12589 et 12590). Cette interprétation est représentée dans la presque totalité des notes individuelles des évaluateurs provenant des discussions sur l’établissement d’un consensus. Dans ces notes, les évaluateurs disaient être convaincus que les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur avaient été pris en compte, comme l’exigent les règles des sociétés de classification.

[170] Heiltsuk Horizon fonde ses allégations de « lacunes en matière d’information » sur les questions que les évaluateurs ont soulevé durant l’étape des évaluations individuelles dans le cadre de la réévaluation des différentes soumissions. Il convient de mentionner que ces questions ont été soulevées avant le début des discussions visant à parvenir à un consensus. Ces discussions ont permis d’apporter [traduction] « les précisions nécessaires pour s’assurer que tous les évaluateurs adoptent une approche similaire et ont une compréhension commune des exigences à évaluer » (rapport de réévaluation, dossier confidentiel du Tribunal – dossier consolidé, pp. 12589 et 12590).

[171] En ce qui concerne la soumission d’Atlantic plus précisément, la règle A505(5) de DNV prévoit que [traduction] : « Toutes les pièces d’équipement auxiliaires, telles que les pompes, les génératrices et autres appareils entraînés par le ou les moteurs principaux ou l’arbre ou les arbres d’hélice dans les conditions normales de fonctionnement du navire devraient être connectés durant l’essai » (non souligné dans l’original). Cette disposition est identique à l’article 5 de l’annexe A de la circulaire 884 du MSC de l’Organisation maritime internationale (OMI). Le libellé clair de la règle A505(5) mine, du moins dans le cas de la soumission d’Atlantic, l’affirmation de Heiltsuk Horizon selon laquelle le critère MR 12 exige [traduction] « que les certificats démontrent, à première vue, que les génératrices attelées des navires concernés et tout autre dispositif consommateur d’énergie entraîné par moteur requis pour les opérations de remorquage d’urgence étaient engagés durant les essais » (mémoire des faits et du droit de Heiltsuk Horizon dans le dossier A-429-19, para. 101; non souligné dans l’original). En l’absence d’éléments indiquant que le terme « engagé » a un sens plus large que « connecté », rien ne permet de corroborer l’allégation voulant que les certificats de la puissance de traction délivrés par DNV doivent indiquer explicitement que les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur étaient « engagés » durant l’essai.

[172] Rien, sur les certificats d’Atlantic, n’indique que les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur n’étaient pas connectés lorsque DNV a effectué les essais de traction sur les navires. Si les dispositifs consommateurs d’énergie entraînés par moteur n’avaient pas été connectés durant les essais de traction, une note à cet effet aurait été indiquée sur les certificats, car la procédure d’essai énoncée dans la règle A505 [traduction] « doit être respectée et que toute dérogation possible doit être notée sur le certificat de conformité de la puissance de traction ». Les évaluateurs n’ont relevé aucune dérogation de cette nature.

[173] Je conclus donc que les évaluateurs, contrairement à ce qu’affirme Heiltsuk Horizon, sont parvenus à un consensus relativement au critère MR 12 et n’ont formulé aucune hypothèse inadéquate lors de la réévaluation de la conformité de la soumission d’Atlantic avec cette exigence obligatoire.

6) Conclusion

[174] Pour tous ces motifs, je conclus que le Tribunal a commis une erreur susceptible de révision, tant dans son interprétation du critère MR 12 et de la méthode d’évaluation qui y correspond, que dans sa conclusion voulant que la réévaluation menée par la nouvelle équipe d’évaluateurs était déraisonnable.

[175] Eu égard à cette conclusion, il n’y a pas lieu d’évaluer le caractère raisonnable de la recommandation du Tribunal de procéder à une autre réévaluation de toutes les soumissions. Dans le même ordre d’idées, il est inutile d’examiner si le Tribunal, en formulant cette recommandation, a permis aux soumissionnaires de modifier leur soumission.

D. Quel effet – s’il en est – la non-divulgation des faits révélés par les nouveaux éléments de preuve a-t-elle sur la présente instance?

[176] Les nouveaux éléments de preuve révèlent qu’un des navires proposés par Heiltsuk Horizon dans sa soumission a été mis hors service et démantelé avant la réévaluation recommandée dans la décision I et que l’autre l’a été avant que le Tribunal rende la décision II. Atlantic allègue que ces faits et le contexte dans lequel ils s’inscrivent remettent en cause, non seulement la capacité de Heiltsuk Horizon de remplir le contrat qu’elle cherche à obtenir, mais aussi sa capacité de présenter une soumission dès le départ.

[177] Atlantic demande donc à la Cour de rejeter les trois demandes de contrôle judiciaire de Heiltsuk Horizon, que ce soit parce que les faits mis en lumière par les nouveaux éléments de preuve la privent de sa qualité de soumissionner ou parce que le défaut de divulguer ces faits au Tribunal, et à la Cour, équivaut à un recours abusif qui justifie le rejet de ces demandes.

[178] Compte tenu des conclusions que j’ai formulées quant au bien-fondé des cinq demandes de contrôle judiciaire dans la présente affaire, il n’est pas nécessaire, à mon avis, de déterminer si notre Cour, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devrait rejeter les demandes de contrôle judiciaire de Heiltsuk Horizon pour ces motifs.

[179] Cela dit, Atlantic demande que lui soient adjugés des dépens procureur-client, car Heiltsuk Horizon a manqué de franchise en ne divulguant pas les faits révélés par les nouveaux éléments de preuve. Elle allègue que Heiltsuk Horizon n’a pris aucune mesure, après que ces faits ont été révélés, pour corriger le dossier ou pour reconnaître autrement son acte répréhensible allégué ou pour y remédier. Atlantic souligne le fait que Heiltsuk Horizon a eu l’occasion de le faire durant les instances devant notre Cour, comme l’indique l’ordonnance de gestion d’instance rendue le 21 juillet 2020.

[180] Atlantic fait valoir que la dissimulation, par une partie à une instance, d’éléments de preuve substantiels pour son propre bénéfice constitue une inconduite répréhensible, scandaleuse et outrageante qui justifie l’adjudication de dépens procureur-client. Heiltsuk Horizon répond que les nouveaux éléments de preuve sont totalement hors propos et qu’ils ne peuvent donc pas influer sur la présente instance. Elle allègue que, malgré la mise hors service des navires qu’elle avait proposés, elle est demeurée, durant toute la période pertinente, en mesure de livrer deux navires présentant des caractéristiques répondant aux exigences de la DP, et était disposée à le faire, et qu’elle l’est encore aujourd’hui. Selon Heiltsuk Horizon, cela est tout à fait conforme aux modalités et conditions de la DP qui, selon ce qu’elle affirme, autorise la substitution de navires.

[181] Je note que le procureur général demande lui aussi que lui soient payés ses dépens dans les présentes instances, sans toutefois demander l’adjudication de dépens procureur-client.

[182] Le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 confère à la Cour « le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer ». En règle générale, les dépens suivent l’issue de l’affaire et sont accordés à la partie qui a gain de cause. Rien, en l’espèce, ne justifie que l’on déroge à cette règle générale. D’autre part, des dépens sur une base avocat-client ne sont que rarement adjugés, par exemple lorsqu’une partie a eu une « conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante » (Québec (Procureur général) c. Lacombe, 2010 CSC 38, [2010] 2 R.C.S. 453, para. 67, invoquant Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, p. 134, 108 D.L.R. (4th) 193).

[183] Seule la conduite de Heiltsuk Horizon devant notre Cour est pertinente pour évaluer la conduite contestée; en d’autres mots, les affirmations d’Atlantic concernant la conduite de Heiltsuk Horizon devant le Tribunal ne sont pas pertinentes (voir Canada (Procureur général) c. Bri-Chem Supply Ltd., 2016 CAF 257, 409 D.L.R. (4th) 751, para. 64).

[184] Même si Heiltsuk Horizon aurait pu faire preuve d’une plus grande franchise envers notre Cour au sujet des questions soulevées par les nouveaux éléments de preuve, je ne crois pas que sa conduite puisse être qualifiée de « répréhensible, scandaleuse ou outrageante ». Heiltsuk Horizon a expliqué à l’audience qu’elle avait fait le choix stratégique de ne pas présenter de contre-preuve relativement aux nouveaux éléments de preuve, car elle avait cru comprendre que la DP autorisait la substitution de navires.

[185] Il n’y a pas lieu, en l’espèce, de déterminer si cette vue est corroborée par les modalités de la DP, étant donné que mes conclusions sur le bien-fondé des cinq demandes de contrôle judiciaire scellent le sort des quatre plaintes déposées par Heiltsuk Horizon auprès du Tribunal relativement à l’appel d’offres.

[186] Bref, je ne vois aucune raison d’accorder à Atlantic des dépens procureur-client.

E. Règlement proposé

[187] Je rejetterais les demandes de contrôle judiciaire de Heiltsuk Horizon dans les dossiers A-57-19, A-429-19 et A-430-19 et j’accueillerais les demandes de contrôle judiciaire d’Atlantic et du procureur général dans les dossiers A-428-19 et A-433-19, respectivement. Par conséquent, j’annulerais les décisions rendues par le Tribunal le 18 octobre 2019 dans les dossiers PR-2019-020 et PR-2019-025, et je renverrais l’affaire au Tribunal afin qu’il statue sur les deuxième et troisième plaintes en conformité avec les présents motifs.

[188] Les dépens sont accordés à Atlantic et au procureur général dans le dossier A-57-19. Les dépens sont également accordés à Atlantic et au procureur général dans les dossiers A-428-19, A-429-19, A-430-19 et A-433-19, les dossiers A-429-19 et A-430-19 étant traités comme un dossier unique.

« René LeBlanc »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

M. Nadon, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

Wyman W. Webb, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossiers :

A-429-19 (dossier principal), A-57-19, A-428-19, A-430-19 et 433-19

 

DOSSIER :

A-429-19

 

 

INTITULÉ :

HEILTSUK HORIZON MARITIME SERVICES LTD. c. ATLANTIC TOWING LIMITED et autre

 

 

ET DOSSIER :

A-57-19

 

 

INTITULÉ :

HEILTSUK HORIZON MARITIME SERVICES LTD. et al. c. ATLANTIC TOWING LIMITED et autre.

 

 

ET DOSSIER :

A-428-19

 

 

INTITULÉ :

ATLANTIC TOWING LIMITED c. HEILTSUK HORIZON MARITIME SERVICES LTD. et autres

 

 

ET DOSSIER :

A-430-19

 

 

INTITULÉ :

HEILTSUK HORIZON MARITIME SERVICES LTD. c. ATLANTIC TOWING LIMITED et autre

 

 

ET DOSSIER :

A-433-19

 

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. HEILTSUK HORIZON MARITIME SERVICES LTD. et autres.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 2 et 3 décembre 2020

 

VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :

Le 10 février 2021

 

COMPARUTIONS :

Frank Metcalf

Seamus Ryder

Gerald H. Stobo

Marc McLaren-Caux

 

Pour Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd. et Horizon Maritime Services Ltd.

 

Elizabeth Richards

Jean-Pierre Hachey

Brendan Morrison

 

Pour le PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Paul R. Steep

Julie K. Parla

Robert Glasgow

Ljiljana Stanic

Pour Atlantic Towing Limited

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Metcalf & Company

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Cassidy Levy Kent

Ottawa (Ontario)

Pour Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd. et Horizon Maritime Services Ltd.

 

Lenczner Slaght Royce Smith Griffin LLP

Toronto (Ontario)

Pour le PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA/TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX CANADA

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour Atlantic Towing Limited

 

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