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Date : 20190424


Dossier : A-373-18

Référence : 2019 CAF 64

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

HELMUT OBERLANDER

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 24 avril 2019.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY


Date : 20190424

Dossier : A-373-18

Référence : 2019 CAF 64

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

HELMUT OBERLANDER

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE RENNIE

[1] Le procureur général s’oppose au dépôt d’un avis d’appel par Helmut Oberlander, au motif qu’aucune question grave de portée générale n’a été certifiée comme l’exige l’alinéa 22.2d) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, et qu’aucune erreur relevant des exceptions reconnues à l’exigence relative à l’existence d’une question certifiée n’a été commise. Il demande que l’avis d’appel soit retiré du dossier de la Cour, conformément à l’article 74 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).

[2] L’article 74 des Règles autorise la Cour à retirer un document qui présente un vice de fond fatal, notamment une question liée à la compétence : Rock-St Laurent c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 192, par. 20 à 29. Dans le contexte de l’immigration, il est bien établi que l’article 74 des Règles confère à notre Cour le pouvoir discrétionnaire lui permettant de retirer un avis d’appel du dossier en l’absence de question certifiée et lorsqu’aucune exception reconnue, notamment le refus d’exercer sa compétence ou la partialité, n’est établie : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2018 CAF 132, par. 7, 10 et 11; Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 144 [Mahjoub].

[3] L’avis d’appel en cause découle d’une décision rendue par la Cour fédérale le 27 septembre 2018 (2018 CF 947, sous la plume du juge Phelan), qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Oberlander à l’encontre de la décision du gouverneur en conseil de révoquer sa citoyenneté canadienne. Dès le début de l’audience relative au contrôle judiciaire, M. Oberlander, l’appelant, a présenté une requête demandant que le juge Phelan se récuse pour le motif que sa participation à l’examen de la demande de contrôle judiciaire donnait ouverture à une crainte raisonnable de partialité. Le juge Phelan a rejeté la requête (2018 CF 488).

[4] Après avoir exposé les motifs de son jugement et rejeté la demande de contrôle judiciaire, le juge Phelan a invité les parties à lui faire part de leurs observations quant à l’existence de questions à certifier. Bien que neuf questions aient été soulevées, le juge a conclu qu’aucune ne répondait aux critères de certification établis par notre Cour dans l’arrêt Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, aux paragraphes 15 et 16.

[5] L’appelant fonde les allégations de partialité qu’il a formulées dans l’avis d’appel sur le fait qu’en 2008, dans une instance sur la révocation de sa citoyenneté qui a été annulée et recommencée, le juge Phelan avait tiré une conclusion de fait suivant laquelle l’appelant avait contribué à des crimes de guerre ou à des crimes contre l’humanité. L’appelant affirme que, lorsque l’affaire a été portée devant le juge Phelan en 2018, ce dernier en est arrivé à la même conclusion. L’appelant soutient que c’est [traduction] « l’apparence que le juge a préjugé cette question [...] et non sa simple participation » qui donne ouverture à l’existence d’une allégation crédible de partialité.

[6] L’appelant ne fait pas valoir une partialité réelle de la part du juge (paragraphe 9 de l’avis d’appel de l’appelant). Il invoque plutôt une partialité possible qui ressortit du jugement antérieur que le juge a rendu à son encontre. La concession quant à l’absence d’allégation de partialité réelle peut signifier l’une des trois choses suivantes : qu’il n’est pas nécessaire d’établir l’existence de la partialité réelle parce que la crainte raisonnable de partialité peut être considérée comme un critère de remplacement; qu’il peut y avoir partialité inconsciente, même lorsque le juge agit de bonne foi; ou que la présence ou l’absence de partialité réelle n’est pas la question pertinente : Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2003 CSC 45, par. 63, [2003] 2 R.C.S. 259 [Wewaykum].

[7] Comme la partialité réelle n’est pas invoquée, le critère à satisfaire consiste à déterminer si les circonstances donnent ouverture à une crainte raisonnable de partialité : Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, p. 394, 1976 CanLII 2. Ce critère est bien connu. Il s’agit de déterminer si une personne raisonnable, sensée et bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, en viendrait à la conclusion que le juge Phelan, consciemment ou inconsciemment, a été incapable de statuer sur l’affaire d’une manière juste et impartiale. L’argument de l’appelant se résume à l’affirmation que, bien que le juge Phelan ait pu agir de bonne foi et ne se soit pas consciemment fondé sur des idées préconçues au sujet des éléments de preuve, en toute objectivité, il n’était pas en mesure de statuer sur l’affaire de manière impartiale.

[8] L’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Wewaykum (par. 59) constitue le point de départ pour l’examen des questions soulevées dans la présente instance :

[...] « [l]’impartialité est la qualité fondamentale des juges et l’attribut central de la fonction judiciaire » (Conseil canadien de la magistrature, Principes de déontologie judiciaire (1998), p. 30). Elle est la clé de notre processus judiciaire et son existence doit être présumée. [...] cette présomption d’impartialité a une importance considérable, et le droit ne devrait pas imprudemment évoquer la possibilité de partialité du juge, dont l’autorité dépend de cette présomption. Par conséquent, bien que l’impartialité judiciaire soit une exigence stricte, c’est à la partie qui plaide l’inhabilité qu’incombe le fardeau d’établir que les circonstances permettent de conclure que le juge doit être récusé.

[9] Il incombe à l’appelant d’établir qu’il existe « une réelle probabilité de partialité » : Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, par. 25 et 26, [2015] 2 R.C.S. 282; Cojocaru c. British Columbia Women’s Hospital and Health Centre, 2013 CSC 30, par. 16 et 22, [2013] 2 R.C.S. 357; Sittampalam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 625, par. 32 et 33. L’allégation de partialité doint également être défendable ou « crédible » : Mahjoub, par. 19.

[10] Le simple fait qu’un juge a participé à une décision antérieure et a rendu une conclusion défavorable à une partie ne donne pas ouverture, en soi, à une crainte raisonnable de partialité : Collins c. Canada, 2011 CAF 123, par. 3 et 4 [Collins]; Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 2000 CanLII 15800 (CAF), par. 7 et 8; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Jaballah, 2006 CF 180, par. 27 et 28. Rien dans la jurisprudence n’appuie la proposition voulant que le seul fait pour un juge d’avoir précédemment rendu une décision défavorable constitue un fondement objectif permettant d’étayer une crainte raisonnable de partialité. Il arrive souvent que des juges soient appelés à réexaminer leurs décisions antérieures, y compris des décisions de fait ou des décisions de fait et de droit. Pour que l’argument soit retenu, des éléments liés au déroulement de l’instance doivent être en cause.

[11] L’enquête visant à déterminer s’il existe une réelle probabilité de partialité dépend intrinsèquement du contexte et des faits propres à l’affaire : Wewaykum, par. 77. En l’espèce, l’argument de partialité doit être examiné au regard de quatre critères contextuels. Ils permettent de conclure que l’allégation ne satisfait pas au critère à remplir, c’est-à-dire que l’allégation est défendable ou crédible.

[12] Le premier critère qui éclaire le point de vue de la personne raisonnable est le temps qui s’est écoulé : Wewaykum, par. 85 à 87, renvoyant à Locabail (U.K.) v. Bayfield Properties Ltd., [2000] Q.B. 451 (C.A. Angl.), p. 480 et Panton v. Minister of Finance, [2001] 5 L.R.C. 132, [2001] UKPC 33, par. 16. Comme je le mentionne plus haut, dix ans séparent les deux décisions du juge Phelan.

[13] Deuxièmement, le critère juridique qui a régi l’examen de ces deux décisions diffère. Dans l’arrêt Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678, la Cour suprême a modifié le critère servant à établir la complicité à des crimes de guerre ou à des crimes contre l’humanité, d’une participation ou complicité indirecte à une complicité fondée sur une contribution volontaire, consciente et significative. Le contrôle judiciaire exercé par le juge Phelan en 2018 est donc basé sur un critère juridique différent de celui qui a régi l’instance en 2008.

[14] Le troisième critère est la nature de l’instance. L’instance à la Cour fédérale consistait en un contrôle judiciaire d’une décision du gouverneur en conseil. La Cour fédérale devait exercer un rôle de surveillance et n’agissait pas en qualité de juge des faits.

[15] La dernière observation contextuelle concerne le fait que l’appelant n’a pas soulevé la partialité à titre de question à certifier par la Cour fédérale, même s’il disposait des motifs et de la décision du juge au sujet à la fois de la requête en récusation et du contrôle judiciaire de la révocation de sa citoyenneté. La partialité n’a été invoquée que dans l’avis d’appel. Ce fait a une incidence sur la solidité de l’allégation et nous amène à nous demander si l’appelant s’est acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir l’existence d’« une réelle probabilité de partialité » en se fondant sur des éléments de preuve crédibles ou défendables.

[16] Il existe une forte présomption que les juges se conformeront au serment qu’ils ont solennellement prononcé d’administrer la justice en toute impartialité. Cette présomption ne peut être facilement réfutée, en particulier si la décision antérieure en question, sur laquelle est fondée l’allégation de partialité, a été rendue dix ans auparavant, selon un régime légal différent et dans un dossier différent. On peut difficilement faire valoir que des juges ou des tribunaux se déclareraient partiaux du seul fait qu’ils sont appelés à examiner et à trancher de nouveau une affaire sur laquelle ils se sont déjà prononcés. Les juges sont présumés capables de se réorienter quant au droit en fonction des directives des cours d’appel, en écartant des éléments de preuve qui leur ont été préalablement présentés, notamment au cours d’un voir dire, et en examinant à nouveau les éléments de preuve et les arguments en tenant compte de l’évolution du droit. Compte tenu de l’importance de l’impartialité pour le système judiciaire, les cours doivent toujours être conscientes de la possibilité de partialité. Cependant, admettre l’hypothèse qu’une conclusion de fait défavorable rendue antérieurement à l’encontre de la même partie constitue à elle seule un fondement établissant la partialité aurait de graves répercussions sur l’administration de la justice.

[17] L’appelant prétend en outre qu’une erreur de compétence a été commise, car la décision du gouverneur en conseil a été examinée au regard de la norme de la décision raisonnable. Rien dans la jurisprudence ne permet d’étayer l’argument voulant que le choix de la norme de contrôle donne ouverture à une erreur de compétence. Le choix de la mauvaise norme de contrôle constitue une erreur de droit, qui n’appartient toutefois pas à la catégorie restreinte des erreurs de compétence définies par la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31. Pas plus que l’allégation de partialité de la part du gouverneur en conseil ne relève-t-elle de l’exception prévue en cas de partialité. C’est la conduite du juge de la Cour fédérale qui importe.

[18] L’appelant affirme en outre que l’interdiction d’interjeter appel en l’absence d’une question certifiée, qui est prévue à l’alinéa 22.2d) de la Loi sur la citoyenneté, contrevient aux articles 6 et 7 de la Charte. Cette affirmation ne soulève pas non plus de question justifiant le dépôt d’un avis d’appel. Des contestations comparables ont été écartées sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) (voir la LIPR, al. 74d); Mahjoub, par. 24).

[19] Par conséquent, j’ordonnerais le retrait de l’avis d’appel du dossier de la Cour, conformément à l’article 74 des Règles, ainsi que la fermeture du dossier.

« Donald J. Rennie »

« Je suis d’accord.

Richard Boivin, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

A-373-18

INTITULÉ :

HELMUT OBERLANDER c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :

Le 24 avril 2019

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Ronald Poulton

Barbara Jackman

Pour l’appelant

Angela Marinos

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Poulton Law Office

Toronto (Ontario)

Jackman, Nazami & Associates

Toronto (Ontario)

Pour l’appelant

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

Pour l’intimé

 

 

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