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Date : 20210223


Dossier : A-163-20

Référence : 2021 CAF 33

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

appelant

et

JAMIE J. GREGORY

intimé

Audience par vidéoconférence organisée par le greffe, le 22 février 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 février 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20210223


Dossier : A-163-20

Référence : 2021 CAF 33

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

appelant

et

JAMIE J. GREGORY

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LOCKE

[1] Il s’agit d’un appel interjeté par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à l’encontre d’une décision rendue par le juge Bell de la Cour fédérale (2020 CF 667). La Cour fédérale a converti la demande présentée par l’intimé en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, en une demande de contrôle judiciaire aux termes de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, et a rejeté la requête de l’appelant visant à faire radier l’avis de demande de l’intimé, Jamie J. Gregory (la demande).

[2] La demande de l’intimé concerne le défaut de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de lui fournir une vidéo qu’il a demandée. En raison de l’absence de réponse communiquée en temps opportun, l’intimé a déposé une plainte auprès du commissaire à la protection de la vie privée, qui a lancé une enquête au terme de laquelle il a produit un rapport indiquant que la plainte était bien fondée : la GRC avait omis de répondre à la demande de l’intimé dans le délai de 30 jours prescrit à l’article 14 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et n’avait pas prorogé ce délai comme le prévoit l’article 15. L’intimé a introduit sa demande après avoir reçu ce rapport. Il demandait notamment que lui soit fournie une vidéo de 2006.

[3] Peu après l’introduction de la demande, la GRC a répondu à la demande initiale de l’intimé au sujet de la vidéo. Dans sa réponse, la GRC a refusé de communiquer les renseignements demandés, en partie pour les raisons suivantes :

[traduction]

[…] Veuillez prendre note du fait qu’un examen des documents qui ont été localisés révèle que tous les renseignements que vous demandez sont admissibles à l’exception prévue au sous-alinéa 22(1)a)(i) de la Loi [sur la protection des renseignements personnels] […].

[4] Le sous-alinéa 22(1)a)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels autorise la GRC à refuser la communication de renseignements « qui ont été obtenus ou préparés par une institution fédérale, ou par une subdivision d’une institution, qui constitue un organisme d’enquête déterminé par règlement, au cours d’enquêtes licites ayant trait : […] à la détection, la prévention et la répression du crime ». L’appelant a présenté sa requête en radiation peu après que la GRC a envoyé sa réponse.

[5] Devant notre Cour, l’appelant fait essentiellement valoir que la demande de communication de la vidéo est prématurée, car le commissaire à la protection de la vie privée n’a pas étudié, et on ne lui a pas demandé d’étudier, la demande d’exception présentée par la GRC en application du sous-alinéa 22(1)a)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. L’appelant affirme que la demande est donc dénuée de toute chance de succès.

[6] L’intimé n’a pas participé au présent appel, mais il a indiqué qu’il accepte la décision de la Cour fédérale.

[7] Il est acquis en matière jurisprudentielle que la décision d’accueillir ou de rejeter une requête en radiation relève du pouvoir discrétionnaire d’un juge. Les normes de contrôle qui s’appliquent sont donc celles indiquées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235 : Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, par. 72. En conséquence, les conclusions de droit sont assujetties à la norme de la décision correcte, alors que c’est la norme de l’erreur manifeste et dominante qui s’applique aux conclusions de fait et aux conclusions de fait et de droit.

[8] Personne ne conteste le fait que l’une des conditions préalables à la présentation d’une demande à la Cour fédérale au titre de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels est que le requérant (l’intimé en l’espèce) doit avoir reçu un rapport du commissaire à la protection de la vie privée concernant sa demande. En l’espèce, il s’agit de déterminer si le rapport du commissaire à la protection de la vie privée est suffisant, puisqu’il ne traite pas de l’exception revendiquée par la GRC.

[9] La Cour fédérale a tenté de tenir compte de plusieurs décisions de la Cour d’appel fédérale et de la Cour fédérale indiquant qu’il est essentiel d’avoir un rapport du commissaire à la protection de la vie privée traitant de l’exception précise qui est revendiquée. La Cour fédérale a écarté les précédents de la Cour d’appel fédérale auxquels elle a renvoyé (p. ex. Statham c. Société Radio-Canada, 2010 CAF 315, [2012] 2 R.C.F. 421; Whitty c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 30, 460 N.R. 372) et a exprimé son désaccord avec certaines décisions antérieures de la Cour fédérale (Sheldon c. Canada (Santé), 2015 CF 1385; Cumming c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2020 CF 271).

[10] Je ne suis pas d’accord avec la Cour fédérale, à la fois en ce qui concerne les précédents qu’elle a écartés ou rejetés. Cependant, comme l’intimé attend une conclusion depuis un certain temps déjà, il ne convient pas d’expliquer en long et en large les comment et les pourquoi, ni d’énumérer les erreurs de fait dans la décision de la Cour fédérale. Il est également inutile d’étudier ces questions en détail, étant donné ma conclusion quant au caractère prématuré de la demande.

[11] Je suis d’avis que la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante en se fondant sur sa conclusion selon laquelle le rapport du commissaire à la protection de la vie privée ne traitait pas uniquement de la présomption de refus dû au temps qui s’était écoulé, pour établir sa compétence (décision de la Cour fédérale, par. 17, 18 et 34). Rien dans le rapport ou la correspondance du commissaire à la protection de la vie privée n’indique cela. Il n’était tout simplement pas loisible à la Cour fédérale d’en arriver à cette conclusion.

[12] Il convient de rappeler que la décision de notre Cour dans l’arrêt Blank c. Canada (Justice), 2016 CAF 189, portait sur la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, et non sur la Loi sur la protection de la vie privée, bien que les principes qui y soient énoncés s’appliquent aux deux lois : Edw. Leahy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 227, 47 Admin. L.R. (5th) 1, par. 68. Dans l’arrêt Blank, notre Cour a insisté sur le fait qu’un examen soit réalisé au préalable par le commissaire à l’information (ou le commissaire à la protection de la vie privée, en l’espèce), avant que la Cour fédérale puisse statuer sur une exception :

[30] Il ressort clairement de la jurisprudence que la décision de la Cour fédérale sur l’application d’une exception ou d’une exclusion prévue à la Loi est subordonnée au dépôt d’une plainte auprès du commissaire et d’un rapport de celui-ci (voir Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (ministre de la Défense nationale), [1999] A.C.F. no 522, par. 27; Statham c. Société Radio-Canada, 2010 CAF 315, [2012] 2 R.C.F. 421, par. 55). Comme mon collègue le juge Stratas le mentionne dans l’arrêt Whitty c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 30, au paragraphe 8, cette exigence est la reformulation légale du principe de common law selon lequel, à moins de circonstances exceptionnelles, il faut avoir épuisé tous les autres recours possibles avant de présenter une demande de contrôle judiciaire.

[31] [...] L’examen indépendant des plaintes par le commissaire constitue la pierre angulaire du régime mis en place par le législateur, et la Cour fédérale est en droit de bénéficier de l’expertise et des connaissances considérables de cet agent du Parlement avant de se pencher sur l’application des exceptions et le caviardage de documents par une institution publique. Je souscris à l’avis du juge selon lequel l’appelant ne pouvait unilatéralement faire fi de cette exigence et s’adresser directement aux tribunaux.

[32] Il n’est pas permis de faire valoir que l’intimé a contrevenu à son devoir d’agir de bonne foi parce qu’il a omis de répondre complètement et en temps utile à la demande de l’appelant et que les annexes auraient dû être joints [sic] à la demande d’accès à l’information initiale déposée par l’appelant. [...] Il ressort clairement de l’article 41 de la Loi que la Cour fédérale ne peut réviser la décision de refuser la communication des renseignements personnels que si le commissaire a fait enquête à cet égard. Par conséquent, le juge a conclu à bon droit qu’il n’avait pas compétence pour réviser les documents communiqués après la publication du rapport du commissaire.

[13] Il doit donc y avoir production d’un rapport du commissaire à la protection de la vie privée sur la validité de l’exception demandée par la GRC, avant que la Cour fédérale puisse ordonner la communication de la vidéo en question. Selon les faits présentés en l’espèce, il n’existe aucun rapport sur lequel la Cour fédérale peut exercer sa compétence pour juger du bien-fondé du refus. Par conséquent, je conviens avec l’appelant que la demande est en fait prématurée, et l’avis de demande doit être rejeté.

[14] L’intimé sera certainement extrêmement déçu de ce résultat. Selon la Loi sur la protection de la vie privée, le délai nominal prévu pour la communication des renseignements est de 30 jours. En l’espèce, l’intimé demande la communication de renseignements depuis maintenant plus de deux ans, sans avoir obtenu le moindre résultat si ce n’est une exception revendiquée par la GRC, qui n’a pas été examinée. De plus, aucune raison n’a été fournie pour justifier le retard en l’espèce. Cela dit, la Loi sur la protection de la vie privée ne fixe aucun délai pour la présentation d’une nouvelle plainte auprès du commissaire à la protection de la vie privée, concernant l’exception demandée par la GRC au titre de l’article 22 de cette Loi. L’intimé peut donc toujours recourir à cette option. Lorsque le commissaire à la protection de la vie privée aura produit un rapport sur une telle plainte, l’intimé pourra reprendre ses démarches en vue d’obtenir réparation devant la Cour fédérale, en présumant qu’il ne l’aura pas déjà obtenue du commissaire.

[15] Pour les motifs précités, j’accueillerais l’appel, sans dépens. J’annulerais le jugement de la Cour fédérale et j’accueillerais la requête de l’appelant visant à radier l’avis de demande, là encore sans dépens.

« George R. Locke »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

Richard Boivin, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-163-20

 

INTITULÉ :

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c. JAMIE J. GREGORY

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 février 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 février 2021

 

COMPARUTIONS :

Bernard Letarte

Marieke Bouchard

 

Pour l’appelant

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’appelant

 

 

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