Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20210219


Dossier : A-228-19

Référence : 2021 CAF 31

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

CHIRADEEP DUTTA GUPTA

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience par vidéoconférence organisée par le greffe, le 19 janvier 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 février 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20210219


Dossier : A-228-19

Référence : 2021 CAF 31

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

CHIRADEEP DUTTA GUPTA

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE BOIVIN

I. Introduction

[1] M. Chiradeep Dutta Gupta (l’appelant) interjette appel du jugement rendu le 14 mai 2019 par la Cour fédérale (la juge Walker) : 2019 CF 669. La juge de la Cour fédérale a accueilli la requête en jugement sommaire présentée par Sa Majesté La Reine (l’intimée) sous le régime de l’article 213 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et a rejeté en totalité l’action en dommages-intérêts de l’appelant au motif que la réclamation de l’appelant ne soulevait aucune véritable question litigieuse.

II. Faits

[2] Les faits essentiels de la présente affaire sont bien exposés par la juge de la Cour fédérale (décision, par. 6 à 22). Compte tenu de leur pertinence dans le contexte du présent appel, ces faits sont relatés ci-dessous.

[3] L’appelant est un citoyen de l’Inde et est résident permanent du Canada depuis décembre 2002.

[4] En avril 2010, la demande de citoyenneté canadienne de l’appelant a été approuvée par un juge de la citoyenneté. Par la suite, la date à laquelle il devait prêter son serment de citoyenneté a été fixée au 10 septembre 2010, à l’occasion d’une cérémonie.

[5] En juillet 2010, l’appelant est retourné aux États-Unis d’Amérique (États-Unis) pour s’occuper de ses affaires. Il a alors été arrêté et inculpé de fraude contre le régime d’assurance de soins médicaux.

[6] Le 7 septembre 2010, le Federal Bureau of Investigation (FBI) des États-Unis a communiqué avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) (alors Citoyenneté et Immigration Canada ou CIC) pour l’informer des chefs d’accusation portés contre l’appelant et de sa crainte que l’appelant se rende au Canada s’il était libéré sous caution et ne retourne pas aux États‑Unis pour y subir son procès.

[7] Le 9 septembre 2010, un tribunal des États-Unis a autorisé l’appelant à se rendre au Canada pour une seule journée, le 10 septembre 2010, afin d’assister à sa cérémonie de citoyenneté. Il convient de noter qu’à cette époque, la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, ne prévoyait aucune interdiction d’accorder la citoyenneté aux demandeurs qui avaient commis un crime à l’étranger. Quoi qu’il en soit, des fonctionnaires d’IRCC ont porté la situation de l’appelant à l’attention de Mme Maha Suleiman, l’agente de la citoyenneté qui était chargée du dossier de l’appelant.

[8] Le lendemain, le 10 septembre 2010, lors de la cérémonie de prestation du serment ou juste avant, l’appelant a été avisé par Mme Suleiman que son serment de citoyenneté était reporté jusqu’à ce que IRCC recueille de plus amples renseignements au sujet de sa résidence au Canada et des procédures criminelles intentées contre lui aux États‑Unis.

[9] Le 16 septembre 2010, l’appelant a écrit à IRCC pour indiquer que ses accusations criminelles seraient réglées rapidement et qu’il mettrait IRCC au courant du résultat de l’instance. Il a demandé que sa prestation du serment de citoyenneté soit reportée jusqu’à ce que les chefs d’accusation portés contre lui soient réglés. L’appelant a également fourni sa nouvelle adresse à Toronto.

[10] Le 18 octobre 2010, la Direction générale du règlement des cas d’IRCC a recommandé que le dossier de l’appelant soit renvoyé à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) pour un examen de la recevabilité de la demande en raison des accusations criminelles portées aux États‑Unis, et qu’une lettre soit envoyée à l’appelant pour l’informer des préoccupations d’IRCC quant à la question de sa résidence. En raison d’une restructuration des opérations d’IRCC, aucune mesure immédiate n’a été prise à l’égard du dossier de l’appelant. Six mois plus, tard, le 8 avril 2011, le dossier de l’appelant a été confié à une autre agente de la citoyenneté, Mme Livia Cardamone.

[11] Le 26 octobre 2012, l’appelant a été déclaré coupable de fraude contre le régime d’assurance de soins médicaux et de blanchiment d’argent aux États‑Unis.

[12] Le 7 juin 2013, Mme Cardamone a tenté de prendre contact avec l’appelant au sujet de l’issue de ses accusations criminelles.

[13] Quelques mois plus tard, le 24 janvier 2014, l’appelant a été condamné aux États‑Unis à une peine d’emprisonnement de dix ans et a reçu l’ordre de restituer 10 millions de dollars américains. L’appelant a été condamné à deux années additionnelles d’emprisonnement lorsque les autorités américaines l’ont arrêté alors qu’il tentait de monter à bord d’un vol en partance pour l’Inde. Il a commencé à purger sa peine d’emprisonnement le 4 février 2015.

[14] Au début de 2015, le Centre de traitement des données d’IRCC a effectué une révision de ses dossiers de citoyenneté en cours.

[15] Le 9 avril 2015, Mme Laura Miggiani, une agente de la citoyenneté, a communiqué avec l’ASFC pour l’informer qu’IRCC avait découvert que l’appelant avait été déclaré coupable et condamné à purger une peine d’emprisonnement de dix ans aux États‑Unis. Mme Miggiani a demandé si l’ASFC avait l’intention de prendre des mesures d’exécution contre l’appelant en raison de l’irrecevabilité de sa demande pour cause de criminalité. Le même jour, l’ASFC a informé IRCC qu’elle prévoyait prendre des mesures d’exécution et a demandé que la demande de citoyenneté de l’appelant soit mise en attente. De plus, Mme Cardamone a demandé à une collègue de prendre les dispositions nécessaires pour que l’appelant puisse prêter son serment de citoyenneté à l’occasion d’une cérémonie qui devait avoir lieu le 27 avril 2015 et qu’il devrait être réputé comme ayant abandonné sa demande s’il ne se présente pas à la cérémonie.

[16] Le 13 avril 2015 ou aux alentours de cette date, un avis de convocation a été envoyé à la dernière adresse de l’appelant connue au dossier, convoquant l’appelant à une cérémonie de citoyenneté le 27 avril 2015.

[17] Le 14 avril 2015, l’ASFC a avisé IRCC qu’aucune autre mesure ne pourrait être prise contre l’appelant avant sa libération de prison, et que son dossier serait signalé.

[18] L’appelant ne s’est pas présenté à la cérémonie de prestation du serment le 27 avril 2015. L’avis de convocation d’IRCC a été renvoyé à l’expéditeur le 5 mai 2015. Le 9 juin 2015, IRCC a envoyé à l’appelant une lettre d’abandon de la demande de citoyenneté. Cette lettre a elle aussi été retournée à son expéditeur.

[19] Le 5 août 2015, l’avocat de l’appelant a écrit à IRCC pour indiquer que celui‑ci avait omis de mettre à jour ses coordonnées. Il a demandé que le dossier de l’appelant soit rouvert et que sa cérémonie de citoyenneté soit fixée à une nouvelle date après sa remise en liberté. L’avocat a indiqué dans sa lettre que l’appelant n’avait pas pu se présenter à la cérémonie de prestation du serment pour des raisons indépendantes de sa volonté.

[20] Le 27 octobre 2015, le contenu du dossier de citoyenneté de l’appelant lui a été divulgué en réponse à une demande d’accès à l’information, y compris les courriels échangés entre les fonctionnaires d’IRCC et ceux de l’ASFC, qui constituaient le fondement de la demande de l’appelant devant la Cour fédérale.

[21] Le 28 juillet 2016, l’appelant a signifié et déposé une action en dommages‑intérêts contre l’intimée fondée sur des allégations de faute lourde, de complot et d’atteinte à ses droits fondamentaux par des représentants du ministre et de l’ASFC dans leur traitement de sa demande de citoyenneté canadienne entre 2010 et 2015 (dossier d’appel, déclaration, pp. 59 à 74). L’appelant cherchait à obtenir des dommages‑intérêts de 30 000 $ par année depuis 2010 ainsi que des dommages‑intérêts exemplaires de 50 000 $ pour la perte de ses droits de citoyenneté et la violation de ses droits fondamentaux. Après des interrogatoires préalables et des discussions en vue de parvenir à un règlement, l’appelant a déposé une demande de conférence préparatoire au procès, en juillet 2018. Peu après, l’intimée a informé la Cour fédérale et l’appelant qu’elle allait présenter une requête en jugement sommaire.

[22] Le 15 octobre 2018, l’intimée a donc déposé une requête en jugement sommaire aux motifs que (i) la demande de l’appelant était prescrite en application de la Loi de 2002 sur la prescription des actions (Ontario), L.O. 2002, chap. 24, annexe B, parce que la procédure avait été intentée plus de deux ans après la découverte des faits ayant donné naissance à la réclamation; (ii) l’action du demandeur ne soulevait aucune véritable question litigieuse.

[23] Le 14 mai 2019, la juge de la Cour fédérale a accueilli la requête en jugement sommaire et a rejeté en totalité l’action en dommages-intérêts de l’appelant au motif qu’il n’y avait aucune véritable question litigieuse relativement à la demande de l’appelant.

[24] Devant notre Cour, l’appelant interjette appel du jugement de la Cour fédérale. Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel avec dépens.

III. Décision de la juge de la Cour fédérale

[25] Comme je l’ai mentionné précédemment, la juge de la Cour fédérale a exposé les faits essentiels et a fait un bref examen du droit régissant les requêtes en jugement sommaire, selon les Règles des Cours fédérales. La juge de la Cour fédérale a également résumé les thèses des parties ainsi que les dispositions applicables de la Loi sur la citoyenneté, selon leur libellé de 2010 (Loi sur la citoyenneté de 2010). En examinant la demande de l’appelant, la juge de la Cour fédérale a fait remarquer que cette dernière reposait sur une allégation de faute lourde de la part de fonctionnaires d’IRCC et de l’ASFC qui auraient comploté avec les fonctionnaires des États‑Unis en vue de refuser la citoyenneté à l’appelant. Elle a également souligné que la déclaration de l’appelant ne faisait mention d’aucun délit civil particulier susceptible d’action. La juge de la Cour fédérale a donc déterminé qu’il s’agissait d’une réclamation fondée sur une faute dans l’exercice d’une charge publique commise par des fonctionnaires nommés d’IRCC et de l’ASFC parce qu’elle reposait sur une allégation de faute lourde de la part de ces fonctionnaires. La juge de la Cour fédérale s’est également penchée sur le délit civil de complot, étant donné que l’appelant reprenait dans tous ses documents écrits le thème de la machination de longue durée contre lui.

[26] Après avoir attentivement examiné les éléments de preuve, la juge de la Cour fédérale a conclu que l’appelant n’avait pas fait la preuve des délits civils de faute dans l’exercice d’une charge publique ou de complot de la part de fonctionnaires d’IRCC et de l’ASFC, et que les éléments de preuve produits ne corroboraient pas ses allégations. Par conséquent, la juge de la Cour fédérale a conclu qu’il n’existait pas de véritable question litigieuse puisque l’appelant n’avait pas établi les faits pertinents sur lesquels reposaient ses allégations de faute et de complot. La juge de la Cour fédérale a de plus conclu que l’appelant n’avait soulevé aucune question sérieuse de crédibilité dans les éléments de preuve produits par l’intimée qui nécessiterait la tenue d’un procès.

[27] En ce qui concerne les observations de l’appelant relatives à sa réclamation pour dommages‑intérêts, la juge de la Cour fédérale a conclu qu’à la lumière de la thèse de l’appelant, ces allégations étaient « difficiles à suivre » et n’étaient pas « corroborées par la preuve » (décision, par. 100 à 110 et 117). La juge de la Cour fédérale a également conclu que les arguments de l’appelant concernant la Charte ne soulevaient « aucun argument viable » et qu’il n’avait pas réussi à prouver les éléments constitutifs des droits garantis par la Charte (décision, par. 111 à 116). La juge de la Cour fédérale n’a pas examiné la question du délai de prescription applicable, étant « [d’]avis [qu’]il s’agit d’un cas évident qui justifierait le prononcé d’un jugement sommaire [...] » (décision, par. 46). Par conséquent, la juge de la Cour fédérale a accueilli la requête en jugement sommaire et a rejeté en totalité l’action de l’appelant.

IV. Questions en litige

  1. La juge de la Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’existait aucune véritable question litigieuse?

  2. La juge de la Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en appliquant l’article 17 de la Loi sur la citoyenneté de 2010?

V. Norme de contrôle

[28] La décision de la Cour fédérale est susceptible de révision selon les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Les conclusions de droit sont assujetties à la norme de la décision correcte alors que c’est la norme de l’erreur manifeste et dominante qui s’applique aux conclusions de fait et aux conclusions mixtes de fait et de droit.

VI. Discussion

A. La juge de la Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’existait aucune véritable question litigieuse?

[29] Pour aussi banal qu’il puisse sembler, il est bon de rappeler qu’en application des Règles des Cours fédérales, une requête en jugement sommaire ne sera accueillie que si la Cour conclut que la déclaration ne fait ressortir aucune véritable question litigieuse. Ainsi, dans les circonstances, devant la Cour fédérale, il incombait à l’appelant d’établir, au moyen d’éléments de preuve précis, que les allégations qu’il formulait dans ses actes de procédures soulevaient une véritable question litigieuse. Dans l’arrêt Manitoba c. Canada, 2015 CAF 57, 470 N.R. 187, notre Cour a précisé qu’il « n’existe pas de véritable question litigieuse » si la demande est dénuée de fondement juridique ou si le juge dispose de « la preuve nécessaire pour trancher justement et équitablement le litige » (par. 15). Comme l’a mentionné la juge de la Cour fédérale dans la présente affaire, « la partie intimée doit présenter ses meilleurs arguments [...] » dans le contexte d’une requête en jugement sommaire (décision, par. 40). Après avoir examiné les éléments de preuve, la juge de la Cour fédérale a conclu que l’appelant n’avait pas établi les faits pertinents sur lesquels reposaient ses allégations, ce qui explique l’absence d’une véritable question litigieuse (décision, par. 69 à 99).

[30] Devant notre Cour, l’appelant conteste les conclusions tirées par la juge de la Cour fédérale et soutient essentiellement qu’elle a tiré des conclusions quant à la crédibilité et qu’il s’agit là d’une erreur [traduction] « inadmissible, s’étant mise à la place du juge du procès ». Pour appuyer cette prétention, l’appelant attire l’attention sur plusieurs paragraphes de la décision de la juge de la Cour fédérale. Toutefois, ce faisant, l’appelant confond les conclusions de fait ou d’absence d’éléments de preuve tirées par la juge de la Cour fédérale avec son appréciation de la crédibilité.

[31] Par exemple, au paragraphe 10, dans son résumé des faits, la juge de la Cour fédérale fait référence au désaccord des parties quant à savoir si l’appelant a été expulsé de la cérémonie de prestation du serment alors que la cérémonie commençait ou s’il a été abordé en privé juste avant la cérémonie. L’appelant soutient que la juge de la Cour fédérale a commis une erreur à cet égard parce qu’elle s’est prononcée sur un fait contesté et, ce faisant, elle s’est mise à la place du juge du procès. Que l’appelant ait été expulsé de la cérémonie de prestation du serment alors que la cérémonie commençait ou qu’il ait été abordé en privé avant la cérémonie, il reste que cette expulsion est un fait établi. Aussi, la juge de la Cour fédérale a fait remarquer à juste titre que l’appelant n’avait présenté aucun élément de preuve pour appuyer sa réclamation de dommages-intérêts découlant de son expulsion de la cérémonie. Plus précisément, dans une lettre adressée à IRCC, il n’a pas mentionné avoir éprouvé un sentiment d’humiliation et du stress découlant de son expulsion de la cérémonie du serment (décision, par. 104 à 106). Il s’ensuit que rien ne justifie la prétention de l’appelant selon laquelle la juge de la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que la question de son expulsion de la cérémonie de prestation du serment n’était pas un fait contesté et, par conséquent, ne soulevait aucune véritable question litigieuse.

[32] De même, le paragraphe 77 de la décision de la juge de la Cour fédérale constitue une simple description du contenu d’un courriel, plus précisément, la question de savoir si le courriel contenait une directive visant à empêcher l’appelant de prêter serment. Au paragraphe 83, la juge de la Cour fédérale se penche sur l’argument de l’appelant qui remet en question la crédibilité de Mme Suleiman, argument selon lequel cette dernière n’avait reçu aucune consigne des fonctionnaires d’IRCC dans le cadre du traitement de son dossier. À la lumière des éléments de preuve dont elle disposait, la juge de la Cour fédérale a conclu que les renseignements fournis à Mme Suleiman à ce sujet n’étaient que des avis. Dans le même sens, l’appelant soutient que la décision de Mme Cardamone de demander que la cérémonie de prestation du serment à son intention soit fixée pour le 27 avril 2015, sachant qu’il était incarcéré aux États-Unis à ce moment-là, équivalait à une faute. La juge de la Cour fédérale a reconnu que la décision de Mme Cardamone était mal éclairée, mais que sa conduite n’était pas délibérément illégitime (décision, par. 91). Il était loisible à l’appelant de contester la décision de Mme Cardamone en déposant une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. L’appelant ne s’est toutefois pas prévalu de ce recours.

[33] Il ressort de la décision de la juge de la Cour fédérale que les allégations de l’appelant ne sont pas étayées par le dossier de preuve. Par exemple, la juge a fait remarquer que l’appelant n’avait produit aucun élément de preuve pour appuyer ses allégations de complot relativement à la décision de Mme Cardamone de fixer la cérémonie de prestation du serment au moment où l’appelant était incarcéré (décision, par. 91 et 92). De plus, malgré le fait que l’appelant était en désaccord avec la preuve par affidavit de Mme Cardamone, la Cour a conclu que l’appelant n’avait présenté aucun élément de preuve contredisant cet affidavit. Par conséquent, plusieurs conclusions tirées par la juge de la Cour fédérale découlaient directement du fait que l’appelant n’avait pas présenté d’éléments de preuve pour appuyer ses prétentions. Ainsi, en se fondant sur le dossier de la preuve qui lui a été présenté, la juge de la Cour fédérale a correctement appliqué les principes qui régissent les jugements sommaires, et elle n’a commis aucune erreur susceptible de révision en concluant à l’absence de véritables questions litigieuses dans les circonstances.

B. La juge de la Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en appliquant l’article 17 de la Loi sur la citoyenneté de 2010?

[34] L’appelant soutient que la juge de la Cour fédérale a commis une erreur de droit en se fondant sur l’article 17 de la Loi sur la citoyenneté de 2010 plutôt que sur le paragraphe 22(1), soit la disposition autorisant le ministre à empêcher qu’une personne prête le serment de citoyenneté. Plus précisément, l’appelant fait valoir que, puisque sa demande de citoyenneté avait été approuvée par un juge de la citoyenneté, le ministre lui avait donc accordé la citoyenneté et la cérémonie de prestation du serment ne pouvait être empêchée, selon l’article 17 de la Loi sur la citoyenneté de 2010. Autrement dit, selon l’appelant, lorsqu’un juge de la citoyenneté accorde la citoyenneté, le serment devient une simple formalité du fait que la citoyenneté canadienne a déjà été accordée.

[35] La thèse de l’appelant est erronée. Premièrement, l’alinéa 3(1)c) de la Loi sur la citoyenneté dispose que, pour devenir citoyen canadien, tant l’attribution de la citoyenneté que le serment de citoyenneté sont requis :

3 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne :

3 (1) Subject to this Act, a person is a citizen if

[…]

c) ayant obtenu la citoyenneté — par attribution ou acquisition — sous le régime des articles 5 ou 11 et ayant, si elle était âgée d’au moins quatorze ans, prêté le serment de citoyenneté;

(c) the person has been granted or acquired citizenship pursuant to section 5 or 11 and, in the case of a person who is fourteen years of age or over on the day that he is granted citizenship, he has taken the oath of citizenship;

[36] Deuxièmement, en l’espèce, l’appelant n’a pas été empêché de prêter serment. La cérémonie de prestation du serment a plutôt été reportée. Contrairement à la thèse de l’appelant, le ministre n’avait aucune obligation de lui faire prêter serment immédiatement après la décision du juge de la citoyenneté à propos de sa demande de citoyenneté (Magalong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 966, par. 41, [2014] A.C.F. no 1024). En fait, le ministre conserve son pouvoir discrétionnaire résiduel de reporter la prestation du serment si un motif raisonnable le justifie. En l’espèce, le ministre avait un motif de croire que l’appelant ait pu avoir fait une fausse déclaration au sujet de sa résidence au Canada au cours de la période pertinente visant à déterminer la résidence aux termes de la Loi sur la citoyenneté (Khalil c. Canada (Secrétaire d’État) (C.A.), [1999] 4 C.F. 661, 176 D.L.R. (4th) 191, par. 14). Par conséquent, le ministre a reporté la prestation du serment jusqu’à ce que de plus amples renseignements soient recueillis en ce qui a trait à l’incertitude entourant l’obligation de résidence imposée à l’appelant en application de la Loi sur la citoyenneté.

[37] L’appelant reproche également à la juge de la Cour fédérale de s’être lancée dans une analyse de l’article 17 de la Loi sur la citoyenneté de 2010. L’appelant s’est toutefois lui-même reporté à cet article dans sa déclaration :

[traduction]

83. Les représentants de la défenderesse ont menti au demandeur en déclarant que son dossier devait être révisé au motif indiqué à ce moment : il n’y a pas la moindre preuve qu’une enquête, même un examen du dossier, a été tenue pendant la période de référence, conformément à l’article 17 de la Loi sur la citoyenneté de 2010, ainsi libellé :

17 S’il estime ne pas avoir tous les renseignements nécessaires pour lui permettre d’établir si le demandeur remplit les conditions prévues par la présente loi et ses règlements, le ministre peut suspendre la procédure d’examen de la demande pendant la période nécessaire – qui ne peut dépasser six mois suivant la date de la suspension – pour obtenir les renseignements qui manquent.

[38] Quoi qu’il en soit et en supposant, sans le décider, que la juge de la Cour fédérale a commis une erreur en appliquant l’article 17 de la Loi sur la citoyenneté de 2010 dans le contexte de l’espèce, il n’est pas nécessaire d’examiner l’argument de l’appelant sur cette question pour trancher l’appel. En fait, ayant conclu que la juge de la Cour fédérale n’avait commis aucune erreur en concluant qu’aucun élément de preuve n’étayait les allégations de l’appelant relatives aux questions sous-jacentes à la requête en jugement sommaire, l’article 17 de la Loi sur la citoyenneté de 2010 n’a aucune incidence sur l’issue de la présente affaire.

VII. Conclusion

[39] Pour tous ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

« Richard Boivin »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

George R. Locke, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-228-19

 

INTITULÉ :

CHIRADEEP DUTTA GUPTA c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ORGANISÉE PAR LE GREFFE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 janvier 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 février 2021

 

COMPARUTIONS :

Jeremiah Eastman

 

Pour l’appelant

 

Evan Liosis

 

Pour l’intimée

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Eastman Law Office Professional Corporation

Brampton (Ontario)

 

Pour l’appelant

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimée

 

 

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