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Date : 20210215


Dossier : A-347-19

Référence : 2021 CAF 29

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

 

 

LOBLAWS INC.

 

 

Appelante

 

 

et

 

 

COLUMBIA INSURANCE COMPANY, THE PAMPERED CHEF, LTD. ET PAMPERED CHEF – CANADA CORP.

 

 

intimées

 

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe le 15 février 2021.

Jugement prononcé à l’audience à Ottawa (Ontario), le 15 février 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE EN CHEF NOËL

 


Date : 20210215


Dossier : A-347-19

Référence : 2021 CAF 29

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

LOBLAWS INC.

Appelante

et

COLUMBIA INSURANCE COMPANY, THE PAMPERED CHEF, LTD. ET PAMPERED CHEF – CANADA CORP.

intimées

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 15 février 2021).

LE JUGE EN CHEF NOËL

[1] La Cour est saisie de l’appel d’une décision du juge Southcott (le juge de première instance), publiée sous la référence 2019 CF 961, ayant rejeté diverses prétentions avancées par Loblaws Inc. (Loblaw ou l’appelante) contre Columbia Insurance Company, The Pampered Chef, Ltd. et Pampered Chef – Canada Corp. (collectivement Pampered Chef ou les intimées) sous le régime de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T‑13 (la Loi).

[2] Loblaw et Pampered Chef utilisent toutes deux des marques de commerce abrégées composées des lettres « PC », en référence à la marque exclusive « President’s Choice », dans le cas de Loblaw (les marques PC), et à la dénomination sociale « Pampered Chef », dans le cas des intimées (les marques abrégées). Pampered Chef a adopté ses marques abrégées à l’issue d’un exercice réalisé en 2016 visant à se donner une nouvelle image. Selon le juge de première instance, les marques PC de Loblaw et les marques abrégées de Pampered Chef ont un certain degré de ressemblance, sont utilisées dans le commerce de produits semblables et les produits visent le même groupe de consommateurs.

[3] Toutefois, à son avis, la confusion est peu probable, et ce essentiellement pour deux raisons. En premier lieu, Pampered Chef vend ses produits directement à ses clients, et non pas dans des magasins au détail. Les consommateurs sauraient que Loblaw ne vend pas ses produits de cette manière. En second lieu, elle utilise ses marques abrégées de pair avec sa dénomination sociale « Pampered Chef » ou sa marque version longue comportant sa dénomination sociale, de sorte que les consommateurs sauraient reconnaître les produits de Pampered Chef à la vue de ses marques abrégées.

[4] Ainsi, le juge de première instance rejette la prétention de Loblaw selon laquelle il y avait un risque probable de confusion, car les consommateurs n’ayant jamais entendu parler de Pampered Chef pourraient être exposés à ses marques abrégées sans avoir vu antérieurement ou simultanément la dénomination sociale Pampered Chef ou la marque version longue. Il se peut qu’ils confondent alors pour un bref instant le produit avec un produit de Loblaw (l’argument relatif au détournement de clients). Selon le juge de première instance, en dépit de ce risque, la preuve dans son ensemble sur la façon dont Pampered Chef déploie ses marques milite en faveur de cette dernière dans l’analyse relative à la confusion (motifs, par. 137).

[5] Loblaw ne conteste pas les conclusions de fait tirées par le juge de première instance dans l’analyse. Elle soutient plutôt qu’il a commis quatre « erreurs de droit » et demande que nous infirmions sa conclusion quant à l’absence de risque de confusion au vu des faits de l’affaire.

[6] Nous examinerons les erreurs reprochées dans l’ordre où elles ont été soulevées.

I. Le juge de première instance a conclu à tort que le degré de ressemblance n’est pas particulièrement élevé

[7] Loblaw conteste la conclusion du juge de première instance selon laquelle le degré de ressemblance entre les deux marques concurrentes n’est pas particulièrement élevé. Selon elle, le juge de première instance aurait dû procéder à l’analyse en partant du principe, non pas que les marques ont « un certain degré de ressemblance », mais que le degré de ressemblance est élevé.

[8] À cet égard, Loblaw insiste sur la conclusion du juge de première instance, selon laquelle les marques concurrentes sont identiques en ce qui a trait à leur aspect sonore, et affirme que c’est suffisant pour établir l’existence d’un degré de ressemblance élevé. Le juge de première instance a rejeté à bon droit cette prétention. Comme l’expliquent les intimées, même si l’alinéa 6(5)e) de la Loi dispose que la ressemblance s’exprime « dans la présentation ou le son, ou dans les idées que [les marques] suggèrent » (non souligné dans l’original), il ressort clairement du contexte que le mot « ou » est conjonctif, car il est utilisé de pair avec le mot « notamment » (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., Markham, Lexis Nexis, 2014, p. 100 à 101).

[9] La Loi exige que le tribunal tienne compte de toutes les circonstances. Il serait inusité pour le juge de première instance de limiter son analyse au son des marques concurrentes, au détriment de leur présentation, particulièrement suivant sa conclusion que leur apparence est l’aspect le plus pertinent.

[10] En outre, il était loisible au juge de première instance de conclure que le dessin qui s’insère entre les deux lettres des marques abrégées de Pampered Chef — la cuillère —, réduisait la ressemblance entre les deux marques concurrentes. L’argument de Loblaw, à savoir que la cuillère n’est pas distinctive, car elle ne renvoie pas à une source de commerce différente, est mal fondé. Comme l’exige la Cour suprême, le juge de première instance est appelé à examiner la marque globalement ainsi que ses caractéristiques « dominante[s] » et « l[es] plus frappante[s] » (Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, [2011] 2 R.C.S. 387 [Masterpiece], par. 92; voir également Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772 [Mattel], par. 76).

[11] Enfin, la conclusion du juge de première instance selon laquelle ces marques on « un certain degré de ressemblance » n’a pas faussé le reste de l’analyse, comme le prétend Loblaw. L’arrêt Masterpiece de la Cour suprême indique clairement que tous les facteurs énoncés à l’alinéa 6(5) et les circonstances doivent être examinés et mis en balance, à moins que les marques ne se ressemblent pas (Masterpiece, par. 49). En l’espèce, le juge de première instance était d’avis que « le degré de ressemblance entre les marques [. . .] justifient [sic] la prise en compte des autres facteurs » (motifs, par. 155).

II. Le juge de première instance a mal appliqué le facteur de la « nature du commerce »

[12] Loblaw affirme que le juge de première instance a circonscrit à tort son analyse de la « nature du commerce » aux voies de commercialisation, sans égard au fait que les deux parties ciblent le même groupe de consommateurs.

[13] Nous sommes d’accord avec Loblaw pour dire que l’examen des clientèles pertinentes ressortit en général à l’analyse de la « nature du commerce ». Ce facteur tient compte à la fois des voies de commercialisation des biens et services et des marchés de consommateurs ciblés par les parties (Venngo Inc. c. Concierge Connection Inc. (Perkopolis), 2017 CAF 96 [Venngo], par. 60; Pink Panther Beauty Corp. c. United Artists Corp., [1998] 3 C.F. 534 (C.A.F.), par. 30 à 33, 1998 CanLII 9052; Mattel, par. 86).

[14] Toutefois, le juge de première instance a examiné les clientèles respectives des parties dans son analyse du facteur relatif au « genre de produits, services ou entreprises » et a conclu essentiellement à leur similitude (motifs, par. 91). Signalons qu’il ressort de son analyse relative à la confusion que « la similarité [. . .] de la clientèle des parties » favorise Loblaw (motifs, par. 155).

[15] En ne répétant pas cette observation dans son analyse de la « nature du commerce », le juge n’a pas commis d’erreur; ce qui importe, c’est qu’il y était attentif (Venngo, par. 52).

III. Le juge de première instance a conclu à mauvais droit que l’absence de preuve de confusion réelle était un indice très probant de la probabilité de confusion

[16] Aux termes de l’arrêt Mattel, « une conclusion défavorable peut [. . .] être tirée de l’absence d’une telle preuve [de confusion réelle] dans le cas où elle pourrait facilement être obtenue si l’allégation de probabilité de confusion était justifiée » (en italiques dans l’original) (Mattel, par. 55).

[17] Selon Loblaw, le juge de première instance a fait erreur en tirant une conclusion défavorable alors qu’aucune preuve ne pouvait être facilement obtenue. Elle signale que les marques concurrentes coexistent depuis peu (deux à trois ans). Renvoyant à son argument sur le détournement de clients, elle souligne que les nouveaux clients qui ne connaissent pas Pampered Chef ne seraient pas dans l’erreur longtemps. Ils sauraient probablement, une fois l’achat conclu, qu’ils se sont procurés un produit Pampered Chef. Loblaw affirme que c’est pourquoi il n’y a pas de preuve de plaintes de clients confus (mémoire de l’appelante, par. 90 à 91).

[18] Le juge de première instance a rejeté cette prétention, la qualifiant de « largement hypothétique ». À son avis, on peut difficilement croire que pareil scénario ne donnerait pas lieu à des plaintes de clients confus, tout particulièrement étant donné que Pampered Chef a traité quelque 95 000 commandes depuis l’adoption des nouvelles marques (motifs, par. 153; voir aussi les par. 111 et 150). Sans oublier que Loblaw peut compter sur une équipe solide de service à la clientèle et sur un programme rigoureux consacré à ses marques de commerce et qu’elle exerce une surveillance active pour détecter les marques contrefaites (motifs, par. 151).

[19] Loblaw invoque la décision de la Cour fédérale intitulée Black & Decker Corporation c. Piranha Abrasives Inc., 2015 CF 185 [Black & Decker], dans laquelle cette cour refuse de tirer une conclusion défavorable, et ce même si les marques concurrentes ont coexisté sur le marché pendant quatre ans, près de deux fois plus longtemps qu’en l’espèce. Selon Loblaw, une période de deux à trois ans est donc trop courte.

[20] Or, il n’existe aucune période prédéterminée de coexistence des marques concurrentes avant qu’une conclusion défavorable puisse être tirée. Dans l’affaire Black & Decker, la Cour fédérale estime, « [a]u vu des faits de la présente affaire », que la preuve ne peut être facilement obtenue. La période de coexistence des marques concurrentes ne constitue qu’un seul des facteurs étayant sa conclusion (Black & Decker, par. 79).

[21] Certes, un laps de temps mesurable doit s’écouler avant qu’une conclusion défavorable puisse être tirée, mais sa durée doit être mesurée à l’aune des circonstances particulières de chaque affaire. Il convient de signaler que, à l’époque de l’adoption des nouvelles marques en 2016, Pampered Chef s’était déjà implantée dans le marché canadien, ce qui explique le haut volume de ventes qu’elle a générées au cours des deux ou trois premières années de coexistence des marques concurrentes.

[22] Le juge de première instance emploie les mots « très probant », qui semblent forts. Or, il lui était néanmoins loisible de conclure que, s’il y avait eu une probabilité de confusion — comme le soutient Loblaw —, l’intensité de l’exposition des consommateurs canadiens aux marques concurrentes au cours de cette période initiale aurait révélé des indices de confusion réelle (motifs, par. 154).

IV. Le juge de première instance a mal mis en balance les facteurs énumérés au paragraphe 6(5)

[23] Selon Loblaw, le juge de première instance a accordé trop d’importance dans l’exercice de mise en balance aux différences entre les voies de commercialisation respectives des parties.

[24] Elle affirme que le juge de première instance a fait erreur en invoquant la décision Alticor Inc. c. Nutravite Pharmaceuticals Inc., 2004 CF 235, [Alticor], conf. par 2005 CAF 269, au soutien de sa conclusion selon laquelle les voies de commercialisation distinctes des parties jouent un rôle important dans l’analyse relative à la confusion. Loblaw soutient que cette décision ne s’applique pas en l’espèce en raison des faits particuliers qui la sous-tendent.

[25] Le juge de première instance reconnaît les facteurs qui distinguent l’affaire Alticor de l’espèce. Il est d’avis que, malgré l’existence de ces distinctions, l’analyse des voies de commercialisation figurant dans la décision Alticor trouve application et est déterminante, car les parties dans cette affaire vendent leurs produits par des voies distinctes, une différence fondamentale qui n’aurait pas échappé aux consommateurs (motifs, par. 104 à 108).

[26] Toutefois, Loblaw souligne à nouveau son argument fondé sur le détournement de la clientèle et fait valoir que les consommateurs envisagés par cet argument [traduction] « ne sauraient rien de Pampered Chef » ou des moyens par lesquels elle commercialise ses produits (mémoire de l’appelante, par. 103). Elle suggère ainsi que le juge de première instance, en fondant sa décision sur l’affaire Alticor, dans la mesure où il l’a fait, s’est fourvoyé.

[27] Nous ne croyons pas que c’est le cas.

[28] Le juge de première instance comprend que l’argument de Loblaw sur le détournement de sa clientèle repose sur le postulat que des consommateurs ne connaîtraient pas Pampered Chef la première fois qu’ils seraient exposés à ses marques abrégées (motifs, par. 134 à 135). Toutefois, il fait observer que la possibilité de consommateurs exposés pour la première fois aux marques abrégées de Pampered Chef sans indices contextuels « constitue néanmoins seulement l’une des composantes des circonstances générales entourant la façon dont le consommateur peut voir les marques abrégées » (motifs, par. 136). Il rejette cette possibilité au motif que les marques abrégées de Pampered Chef sont utilisées de concert avec sa marque version longue ou sa dénomination sociale, de sorte qu’il n’y a guère de risque de confusion pour les consommateurs (motifs, par. 137). Nous n’estimons pas qu’il a fait erreur à cet égard.

[29] L’appel sera rejeté avec dépens.

« Marc Noël »

Juge en chef

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-347-19

APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR L’HONORABLE RICHARD F. SOUTHCOTT DATÉ DU 22 JUILLET 2019, DOSSIER NO T-548-18.

INTITULÉ :

LOBLAWS INC. c. COLUMBIA INSURANCE COMPANY, THE PAMPERED CHEF, LTD. ET PAMPERED CHEFCANADA CORP.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 février 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE :

LE JUGE EN CHEF NOËL

COMPARUTIONS

Sheila Block

Andrew Bernstein

Emily Sherkey

Stefan Case

 

pour l’appelante

LOBLAWS INC.

 

Steven Garland

Mark Evans

Graham Hood

Noelle Engle-Hardy

pour les intimées

COLUMBIA INSURANCE COMPANY, THE PAMPERED CHEF, LTD. ET PAMPERED CHEF – CANADA CORP.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Torys LLP

Toronto (Ontario)

 

pour l’appelante,

LOBLAWS INC.

 

Smart & Biggar LLP

Toronto (Ontario)

 

pour les intimées,

COLUMBIA INSURANCE COMPANY, THE PAMPERED CHEF, LTD. ET PAMPERED CHEF – CANADA CORP.

 

 

 

 

 

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