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Date : 20210122


Dossier : A-274-18

Référence : 2021 CAF 10

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 2 décembre 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20210122


Dossier : A-274-18

Référence : 2021 CAF 10

CORAM :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

LA JUGE RIVOALEN

 

 

 

ENTRE :

BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LASKIN

I. Introduction

[1] Sous le régime canadien de la taxe sur les produits et services (TPS) et de la taxe de vente harmonisée (TVH), la fourniture de services financiers est exonérée. Le régime établi par la loi comporte une définition longue et complexe du terme « service financier », laquelle précise à la fois ce que l’expression vise et ce qu’elle ne vise pas. Les exclusions comprennent notamment « les services administratifs », sauf si le fournisseur est une « personne à risque », au sens de la définition donnée.

[2] La Banque Canadienne Impériale de Commerce (la CIBC), qui émet des cartes de crédit Visa, a demandé le remboursement de la taxe payée sur les frais que lui a facturés Visa pour la fourniture effectuée à son égard à titre de participante au système de paiement de Visa. La CIBC a demandé ce remboursement parce que, selon elle, elle a payé cette taxe par erreur, étant donné que la fourniture effectuée par Visa à son égard constituait une fourniture exonérée à titre de service financier. Le ministre du Revenu national a établi des cotisations dans lesquelles il a rejeté les demandes de remboursement. L’appel interjeté par la CIBC à la Cour canadienne de l’impôt a été rejeté (2018 CCI 109, motifs du juge en chef Rossiter). La Cour de l’impôt a conclu que la fourniture effectuée par Visa à l’égard de la CIBC n’était pas un service financier, mais un service administratif, et que Visa n’était pas une personne à risque.

[3] Dans le présent appel, la CIBC soutient que la Cour de l’impôt a commis des erreurs justifiant l’infirmation de la décision en concluant que Visa avait fourni à CIBC des services administratifs et que VISA n’était pas une personne à risque.

[4] J’accueillerais l’appel. Bien que je ne souscrive pas à la thèse de la CIBC selon laquelle la Cour de l’impôt a commis une erreur de droit dans son interprétation du terme « service administratif », j’estime qu’elle a commis une erreur justifiant l’infirmation de la décision en tirant des conclusions contradictoires et incompatibles quant à la nature et aux conséquences de la fourniture effectuée par Visa. Une fois l’erreur corrigée, il n’y a plus de fondement justifiant la conclusion selon laquelle la fourniture effectuée par Visa à l’égard de la CIBC était un service administratif. De même, il n’y a plus lieu d’examiner le moyen d’appel se rapportant à la définition du terme « personne à risque ».

II. La définition légale de « service financier »

[5] Notre Cour a déjà fait remarquer que l’exonération de TPS/TVH sur la fourniture de services financiers, motivée par la complexité inhérente à la taxation d’opérations financières, n’en a pas moins « engendré des problèmes de classification importants » (CIBC World Markets Inc. c. Canada, 2019 CAF 147, par. 36 à 38).

[6] La définition de « service financier » se trouve au paragraphe 123(1) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15. La disposition commence par une énumération de 15 types de services visés par le terme. On y trouve le paiement d’argent (alinéa a)), le fait de prendre des mesures en vue d’effectuer un paiement d’argent (alinéa l)) et tout service fourni au titre d’une convention portant sur le paiement de montants visés par une pièce justificative de carte de crédit ou de paiement (alinéa i)). Ensuite, après l’énoncé « La présente définition exclut », sont énumérées 13 catégories de services non visés par la définition, dont les « services visés par règlement », à l’alinéa t).

[7] Les parties de la définition qui sont les plus utiles dans le présent appel sont les suivantes :

service financier

financial service means

a) L’échange, le paiement, l’émission, la réception ou le transfert d’argent, réalisé au moyen d’échange de monnaie, d’opération de crédit ou de débit d’un compte ou autrement;

(a) the exchange, payment, issue, receipt or transfer of money, whether effected by the exchange of currency, by crediting or debiting accounts or otherwise,

[…]

[…]

i) un service rendu en conformité avec les modalités d’une convention portant sur le paiement de montants visés par une pièce justificative de carte de crédit ou de paiement;

(i) any service provided pursuant to the terms and conditions of any agreement relating to payments of amounts for which a credit card voucher or charge card voucher has been issued,

[…]

[…]

l) le fait de consentir à effectuer, ou de prendre les mesures en vue d’effectuer, un service qui, à la fois :

(l) the agreeing to provide, or the arranging for, a service that is

(i) est visé à l’un des alinéas a) à i),

(i) referred to in any of paragraphs (a) to (i),

[…]

[…]

La présente définition exclut :

but does not include

[…]

[…]

t) les services visés par règlement.

(t) a prescribed service;

[8] L’article 4 du Règlement sur les services financiers et les institutions financières (TPS/TVH), D.O.R.S./91-26, définit le terme « services visés par règlement » pour l’application de l’alinéa t) excluant certains services. Pour les besoins du présent appel, les services visés par règlement (donc des services ne constituant pas un « service financier ») comprennent « les services administratifs », sauf ceux fournis par une « personne à risque ». Le terme « service administratif » n’est pas défini. Le passage pertinent de l’article 4 est rédigé ainsi :

4 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

4 (1) In this section,

effet Argent, compte, pièce justificative de carte de crédit ou de paiement, ou effet financier.

instrument means money, an account, a credit card voucher, a charge card voucher or a financial instrument;

personne à risque Personne exposée à un risque financier du fait de la propriété, de l’acquisition ou de l’émission par la personne d’un effet à l’égard duquel un service mentionné au paragraphe (2) est offert, ou à cause d’une garantie, d’une acceptation ou d’une indemnité se rapportant à l’effet, à l’exclusion de la personne qui s’expose à un tel risque dans le cadre et du seul fait de l’autorisation d’une opération relative à l’effet ou de la fourniture d’un service de compensation ou de règlement relativement à l’effet.

person at risk, in respect of an instrument in relation to which a service referred to in subsection (2) is provided, means a person who is financially at risk by virtue of the acquisition, ownership or issuance by that person of the instrument or by virtue of a guarantee, an acceptance or an indemnity in respect of the instrument, but does not include a person who becomes so at risk in the course of, and only by virtue of, authorizing a transaction, or supplying a clearing or settlement service, in respect of the instrument.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), pour l’application de l’alinéa t) de la définition de service financier, au paragraphe 123(1) de la Loi, sont visés les services suivants, sauf ceux mentionnés à l’article 3 :

(2) Subject to subsection (3), the following services, other than a service described in section 3, are prescribed for the purposes of paragraph (t) of the definition financial service in subsection 123(1) of the Act:

[…]

[…]

b) les services administratifs, y compris ceux reliés au paiement ou au recouvrement de dividendes, d’intérêts, de capital, de créances, d’avantages ou d’autres montants, à l’exclusion des services ne portant que sur le paiement ou le recouvrement.

(b) any administrative service, including an administrative service in relation to the payment or receipt of dividends, interest, principal, claims, benefits or other amounts, other than solely the making of the payment or the taking of the receipt.

(3) Pour l’application de l’alinéa t) de la définition de service financier, au paragraphe 123(1) de la Loi, ne sont pas visés les services mentionnés au paragraphe (2) et fournis relativement à un effet par :

(3) A service referred to in subsection (2) is not a prescribed service for the purposes of paragraph (t) of the definition financial service in subsection 123(1) of the Act where the service is supplied with respect to an instrument by

a) la personne à risque;

(a) a person at risk,

[…].

[…].

[9] La principale question que devait trancher la Cour de l’impôt était savoir si la fourniture effectuée par Visa à l’égard de la CIBC constituait un « service financier » au sens de ce terme.

III. Les faits

[10] Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits partiel que la Cour de l’impôt a retenu dans ses motifs. Également, la CIBC a fait entendre deux témoins, et la Couronne en a fait entendre un seul. Le désaccord entre les parties ne concernait pas les faits eux-mêmes, mais plutôt leur qualification.

A. La CIBC et le système de paiement de Visa

[11] La CIBC est une banque dont le nom figure à l’annexe I de la Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46. Elle émet des cartes de crédit de la marque Visa à des consommateurs dans le cadre de son entreprise de services bancaires de détail.

[12] La CIBC a payé des frais à Visa Canada pour la fourniture en question. Les périodes visées par les cotisations dont la CIBC a fait appel devant la Cour de l’impôt vont de 2003 à 2013. Jusqu’à 2007, Visa exerçait ses activités au Canada sous la dénomination Visa Canada Association, une société sans capital social détenue par ses membres. La CIBC comptait parmi les membres-propriétaires. Depuis 2007, à la suite d’une restructuration, Visa exerce ses activités au Canada sous la dénomination Visa Canada Corporation, une filiale indirecte de Visa inc., constituée en société dans l’État du Delaware. Pour simplifier la lecture, j’appellerai « Visa » la société pertinente de Visa, sauf si des précisions sont requises.

[13] L’achat à Visa de la fourniture en cause autorisait la CIBC à participer au système de paiement de Visa. Ce système est composé de l’ensemble des instruments, procédures, règles et technologies au moyen desquels les renseignements et les fonds liés aux opérations sont acheminés entre les participants au système. Il permet notamment aux détenteurs de cartes de crédit Visa de faire des achats auprès des marchands participants grâce à un accès immédiat, au point de vente, au crédit que l’institution financière émettrice leur a consenti.

[14] La participation au système de paiement est régie par les règles de Visa, un ensemble de règlements, de règles de service, de guides et de directives que les participants sont contractuellement tenus de respecter. Les règles de Visa établissent les procédures du système de paiement ainsi que les critères de participation à celui-ci. Les règles sont établies par Visa. Cette dernière peut les modifier sans demander l’autorisation des participants, bien que, selon les éléments de preuve, les règles soient relativement stables. Visa contrôle régulièrement le respect des règles et, en cas de transgression, elle peut imposer des sanctions allant jusqu’à l’exclusion du système.

B. Le déroulement habituel d’une opération de paiement par Visa

[15] Les principaux participants à une opération habituelle de paiement au moyen d’une carte de crédit Visa et du système de paiement de Visa sont le détenteur de la carte, qui s’en sert pour payer des produits ou des services; le marchand, qui accepte la carte de crédit Visa pour le paiement; l’émetteur (en l’espèce, la CIBC) de la carte de crédit Visa, qui consent un crédit au détenteur; l’acquéreur, qui a conclu une entente avec le marchand au titre de laquelle celui-ci consent à accepter la carte de crédit Visa pour le paiement, ainsi que Visa elle-même, qui exploite le système de paiement.

[16] Lorsque le détenteur présente au marchand sa carte de crédit Visa pour faire un paiement, une demande d’autorisation est transmise par voie électronique du marchand à l’acquéreur, et presque simultanément de l’acquéreur à Visa, puis de Visa à l’émetteur. L’émetteur (ou, dans certains cas, un tiers à qui l’émetteur a confié la tâche d’autorisation) vérifie la limite de crédit disponible du titulaire et communique un message d’approbation ou de refus à Visa. Visa achemine presque simultanément le message à l’acquéreur, qui le transmet au marchand. La procédure d’autorisation prend au maximum 2 secondes, et Visa traite à peu près 65 000 opérations par seconde.

[17] Si l’opération d’achat est approuvée et conclue, le marchand transmet un relevé à l’acquéreur, habituellement dans un fichier transmis quotidiennement où sont regroupées toutes les opérations effectuées dans une journée. L’acquéreur envoie ce fichier à Visa, qui trie les relevés selon les émetteurs et les informe quotidiennement du montant du règlement net payable. Ce montant englobe les sommes portées au compte de carte de crédit Visa, dont sont déduits les frais d’interchange (payables par l’acquéreur à l’émetteur) et les rejets de débit (dont le montant correspond aux opérations annulées par l’émetteur, pour une fraude par exemple). L’émetteur verse ensuite le montant net à régler dans le compte de banque de règlement désigné par Visa (en l’espèce, un compte de banque chez la Banque Scotia). Visa utilise ensuite ce compte pour payer le montant de règlement dû à chaque acquéreur. Chaque acquéreur transfère à son tour à chacun de ses marchands le montant d’argent net qui lui est dû après déduction des frais exigibles. Finalement, l’émetteur inscrit au relevé mensuel de carte de crédit du détenteur les montants d’argent à payer ainsi que les montants d’intérêt s’y rapportant, le cas échéant.

[18] Si un acquéreur conteste un rejet de débit, le différend est réglé conformément aux règles et au processus de règlement des différends établis par Visa. Au besoin, Visa peut autoriser des opérations en cas d’indisponibilité temporaire du système de l’émetteur (ou du tiers chargé des autorisations). Les autorisations de remplacement sont assujetties aux paramètres que l’émetteur fournit à Visa.

C. Risques et indemnisation

[19] Sous le régime de ses règles, Visa s’expose à divers risques. Un de ces risques se rapporte au règlement. Visa indemnise ses clients lorsqu’ils règlent des sommes à perte en raison du manquement d’autres clients à leurs obligations de règlement quotidiennes. Visa peut indemniser un client pour ce motif même lorsqu’une opération n’est pas traitée par le système de Visa.

[20] Dans la déclaration annuelle (formulaire 10-K) qu’elle a soumise à la Securities and Exchange Commission des États-Unis pour l’année 2009 (dossier d’appel public, vol. III, onglet K4, p. 964), Visa explique que [traduction] « cette indemnisation l’expose à un risque de règlement en raison du décalage entre la date de l’opération de paiement et celle du paiement ultérieur. L’échéance et le montant de l’indemnisation sont illimités. » Visa ajoute que les manquements simultanés de différents clients ou les défaillances de fonctionnement des systèmes qui durent plus d’une journée peuvent lui occasionner des pertes considérables et avoir une incidence importante sur sa situation financière.

[21] Pour atténuer son exposition au risque de règlement, Visa a adopté une politique de risque de crédit qui établit des normes de crédit et des mesures de contrôle du risque. Notamment, Visa procède à des évaluations régulières des clients qui l’exposent à un risque important et prend diverses mesures correctives pouvant aller jusqu’au retrait du droit de participer au système.

[22] Selon les notes accompagnant ses états financiers de 2009, l’exposition maximale de Visa au risque de règlement était estimée à 41,8 milliards de dollars américains au 30 septembre 2009, dont 3,7 milliards étaient couverts par des garanties. À la même date, la juste valeur corrigée selon les probabilités de la garantie contre le risque de règlement était estimée à moins de 1 million de dollars américains. Selon les éléments de preuve produits devant la Cour de l’impôt, Visa Canada n’a jamais eu à verser d’indemnité liée au règlement, et Visa Inc. n’a pas subi de perte importante associée au risque de règlement au cours des dernières années.

[23] Visa est également exposée au risque souverain, au risque de change et au risque commercial. Le risque souverain est celui qui est lié aux opérations effectuées dans des pays dont la solvabilité des institutions financières est douteuse. Le risque de change découle du règlement des comptes dans de multiples devises et de l’obligation qui en découle de maintenir une très importante position de change partout dans le monde.

[24] Le risque commercial résulte de l’utilisation par les détenteurs de leur carte de crédit Visa pour faire un achat valide chez un marchand qui, devenu insolvable, n’est pas en mesure de livrer le produit ou le service acheté. Dans une telle situation, Visa indemnise les détenteurs de carte en ne débitant pas le compte de l’émetteur de la valeur du produit ou du service. Pour cette raison, le service de gestion des risques de Visa surveille de près les marchands en difficulté financière, consulte les acquéreurs et peut exiger que ceux-ci fournissent des garanties. Selon des éléments de preuve produits devant la Cour de l’impôt, les craintes concernant le risque commercial et l’obligation d’indemnisation associée ont été déterminantes dans la naissance de Visa et de sa concurrente, MasterCard : celles-ci proposent un système qui dégage les émetteurs individuels de la responsabilité de vérifier et de surveiller la solvabilité de marchands inconnus qui peuvent se trouver n’importe où sur la planète. Comme pour le risque de règlement, Visa offre une indemnisation associée au risque commercial même lorsque les opérations ne sont pas traitées par son système.

[25] Même si, suivant les règles de Visa, la responsabilité associée au risque de fraude incombe à l’émetteur ou à l’acquéreur, Visa assure un suivi continu des opérations frauduleuses et intervient au besoin. Les émetteurs et les acquéreurs doivent se plier aux exigences et aux mesures de contrôle antifraude de Visa.

D. Les avantages pour la CIBC

[26] La participation au réseau de paiement de Visa procure divers avantages à la CIBC en plus des indemnités et des mesures de contrôle mentionnées plus haut.

[27] L’avantage le plus évident a trait aux revenus que tire la CIBC de ses activités liées aux cartes de crédit Visa. Ces revenus proviennent de trois sources principales. Premièrement, elle touche un revenu net d’intérêts qui correspond à la différence entre l’intérêt qu’elle facture à ses clients qui ne paient pas le solde complet de leur compte mensuel et le coût de financement de ces créances. Deuxièmement, elle facture des frais d’interchange aux acquéreurs calculés selon un pourcentage des achats effectués avec les cartes de crédit Visa émises par la CIBC. Bien qu’elle ait adopté les tarifs d’interchange par défaut qui sont fixés par Visa, la CIBC pourrait, comme les autres émetteurs, négocier ses propres tarifs. Les frais annuels facturés aux détenteurs de cartes constituent la troisième source de revenus de la CIBC.

[28] En plus d’être une source de revenus, le système de paiement de Visa est avantageux pour la CIBC parce que les marchands peuvent avoir confiance qu’ils seront payés pour les achats de produits ou de services portés à un compte de carte de crédit Visa. Sans cette confiance, les marchands n’accepteraient pas les cartes de crédit Visa, et les clients de la CIBC ne pourraient pas les utiliser pour payer des produits et des services. En outre, les règles de Visa prévoient un mécanisme de rejet de débit qui dégage la CIBC de la nécessité de financer les achats de biens et de services qui ne sont pas livrés par les marchands.

[29] La CIBC et d’autres émetteurs tirent également des avantages de la marque Visa parce qu’elle inspire la confiance des détenteurs, qui en reconnaissent l’utilité étant donné qu’elle peut être utilisée partout dans le monde.

[30] Dans son analyse sur l’application des dispositions incluant certains services énoncées dans la définition du terme « services financiers », le juge de la Cour de l’impôt décrit ainsi la nature des services fournis par Visa à la CIBC (par. 92 et 95 de ses motifs) :

Les services fournis par Visa sont liés aux services financiers fournis par la CIBC, en ce sens qu’ils forment une partie essentielle de la capacité de la CIBC à offrir à ses clients des services fondés sur les cartes de crédit, puisque Visa s’assure que les marchands sont payés après qu’un client de la CIBC a utilisé une carte de crédit Visa pour acheter des produits et des services. […]

[…] Visa permet à la CIBC d’offrir de nouveaux produits financiers à ses membres. Plus précisément, elle avantage la CIBC et ses clients en prenant les mesures visant à ce qu’un réseau de paiement soit en place, lequel permet aux clients de la CIBC d’acheter des produits et des services partout dans le monde, sans que la CIBC ait à s’entendre avec chaque marchand individuellement pour l’établissement des modalités de paiement. Si la CIBC était forcée de mettre en œuvre un tel réseau de paiement de sa propre initiative, même si cela est possible sur le plan technique, ledit réseau serait, à coup sûr, beaucoup moins largement accepté que celui offert par Visa.

[31] Toutefois, plus loin dans ses motifs (par. 116), quand il examine si les services sont exclus de la définition de service financier en raison de leur nature administrative, le juge de la Cour de l’impôt affirme que, « à son niveau le plus élémentaire, l’avantage que Visa procurait à la CIBC consistait en des réductions de coûts et de la simplification logistique ». Je reviens plus loin dans les présents motifs sur l’importance de ces deux descriptions passablement différentes du rôle que jouent les services dans les activités de la CIBC.

IV. Les motifs du juge de la Cour de l’impôt

A. La qualification de la fourniture

[32] Devant la Cour de l’impôt, les parties ont convenu, et le juge a retenu cette qualification, que la fourniture de Visa était une fourniture mixte unique composée de plusieurs éléments distincts, mais indissociables. Se fondant sur les indications de notre Cour, le juge de la Cour de l’impôt s’est ensuite attaché (à partir du paragraphe 56 de ses motifs) à isoler les éléments prédominants de cette fourniture unique, les seuls qui doivent être pris en compte pour l’application des inclusions et des exclusions prévues dans la définition de « service financier » (Global Cash Access (Canada) Inc. c. Canada, 2013 CAF 269, par. 25 et 26, 37 et 38; Great-West, Compagnie d’assurance-vie c. Canada, 2016 CAF 316 [Great-West CAF], par. 43 et 46 à 48).

[33] Pour isoler les éléments déterminants, le juge de la Cour de l’impôt a tenu compte à la fois de la perspective de la CIBC, qui achète la fourniture, et du résultat final de cette fourniture. Il a décrit la fourniture (par. 73 et 75) comme étant « la facilitation des opérations entre la CIBC, ses clients, les acquéreurs des marchands et les marchands participants » ou « l’offre d’une plateforme de paiement et la facilitation des paiements au moyen de cette plateforme ».

B. Inclusion dans la définition de « service financier »

[34] Le juge de la Cour de l’impôt s’est ensuite penché sur les passages prévoyant des inclusions dans la définition du terme « service financier » au paragraphe 123(1) (citée au paragraphe 7 plus haut). Le juge a conclu que les services fournis par Visa, suivant la qualification qu’il leur avait donnée, étaient visés par trois des alinéas prévoyant les inclusions, à savoir une combinaison de l’alinéa a) (« [l]’échange, le paiement, l’émission, la réception ou le transfert d’argent, réalisé au moyen d’échange de monnaie, d’opération de crédit ou de débit d’un compte ou autrement »), de l’alinéa l) (« le fait de consentir à effectuer, ou de prendre les mesures en vue d’effectuer, un service qui, à la fois : […] est visé à l’un des alinéas a) à i) »), et de l’alinéa i) (« un service rendu en conformité avec les modalités d’une convention portant sur le paiement de montants visés par une pièce justificative de carte de crédit ou de paiement »).

[35] Après avoir conclu que les services sont visés par une combinaison des alinéas a) et l), le juge a décrit le rôle que jouent les services de Visa dans les activités de la CIBC de la manière citée plus haut au paragraphe 30 : ils forment « une partie essentielle de la capacité de la CIBC à offrir à ses clients des services fondés sur les cartes de crédit » et permettent « à la CIBC d’offrir de nouveaux produits financiers à ses membres ».

[36] La conclusion voulant que les dispositions incluant des services aux alinéas a), l) et i) s’appliquent à la fourniture en cause n’est pas remise en cause dans le présent appel.

C. Exclusion de la définition parce que la fourniture est un « service administratif »

[37] Le juge de la Cour de l’impôt a ensuite examiné, bien qu’il ait conclu que la fourniture était visée par trois alinéas prévoyant l’inclusion dans la définition de « service financier », si la fourniture effectuée par Visa à la CIBC pouvait néanmoins être exclue de la définition. Le juge de la Cour de l’impôt n’a pas souscrit à la thèse de la Couronne selon laquelle la fourniture était visée par quatre alinéas établissant son exclusion. Il a toutefois jugé que Visa fournissait un « service administratif » au sens de l’alinéa 4(2)b) du Règlement (cité plus haut au paragraphe 8). Par conséquent, sous réserve de la disposition d’exception s’appliquant à la « personne à risque », la fourniture était exclue de la définition de « service financier » en raison de l’alinéa t).

[38] Le juge de la Cour de l’impôt est arrivé à cette conclusion en se fondant en grande partie sur la décision de la Cour de l’impôt Great-West, compagnie d’assurance vie c. La Reine, 2015 CCI 225 [Great-West CCI], confirmée par notre Cour (Great-West CAF). Je me permets une brève digression afin d’exposer les éléments pertinents de la décision Great-West CCI et de l’arrêt Great-West CAF pour les besoins du présent appel.

[39] La question à trancher dans la décision Great-West CCI était de savoir si la fourniture que Great-West avait obtenue d’Emergis Inc. était un service financier exonéré. Great-West offre des régimes d’assurance-maladie collectifs à des employeurs. Elle avait conclu des ententes avec Emergis selon lesquelles cette dernière allait recevoir et régler les réclamations de prestations prévues par ces régimes, en plus de pourvoir au paiement en temps réel, aux points de vente en pharmacie, des prestations d’assurance-médicaments auxquelles les employés avaient droit. Les employés pouvaient donc obtenir leurs médicaments d’ordonnance à la pharmacie sans avoir à débourser d’argent pour la partie financée par leur régime d’avantages sociaux.

[40] Emergis traitait la plupart de ces opérations par voie électronique. Aux termes des ententes signées avec Emergis, les pharmacies préparaient les ordonnances et recevaient ensuite le paiement. Une fois les ordonnances préparées, Emergis réglait le paiement avec les fonds de Great-West. Emergis n’avait aucun pouvoir discrétionnaire relativement au règlement des réclamations. Elle devait les régler conformément aux modalités des régimes d’avantages sociaux et aux normes de l’industrie. Le traitement des réclamations par Emergis évitait à Great-West de devoir régler les réclamations individuelles des employés par chèque; elle faisait un seul paiement quotidien à Emergis. Ce paiement englobait les frais facturés par Emergis pour chaque opération liée à un médicament.

[41] Dans la décision Great-West CCI, la Cour de l’impôt a conclu que la fourniture de services effectuée par Emergis à l’égard de Great-West constituait une fourniture mixte unique dont la nature essentielle était le paiement aux employés des prestations prévues à leur régime. Cette fourniture était donc visée par l’alinéa f.1) de la définition de « service financier », qui prévoit qu’est inclus « le paiement […] d’un montant en règlement total ou partiel d’une réclamation découlant d’une police d’assurance ». Toutefois, pour deux motifs, énoncés aux paragraphes 108 et 109, la Cour de l’impôt a conclu que les services constituant les éléments prédominants de la fourniture devaient être considérés comme étant un « service administratif » au sens de l’alinéa 4(2)b) du Règlement. D’une part, Emergis fournissait des services ne comportant aucune prise de décision indépendante de sa part. D’autre part, les services étaient, « essentiellement, de nature administrative », dans la mesure où ils simplifiaient la procédure de paiement des prestations et en réduisaient le coût, mais ne modifiaient pas la substance du service fourni.

[42] La décision Great-West CCI a été portée en appel devant notre Cour (Great-West CAF) au motif que l’exclusion prévue à l’alinéa 4(2)b) du Règlement des « services administratifs » n’avait pas pour objet de limiter, et ne pouvait pas limiter, la portée d’une disposition d’inclusion très précise de la définition légale du terme « service financier ». Notre Cour n’a pas retenu cette thèse, mais a plutôt conclu (par. 40) qu’il était conforme à l’interprétation textuelle, contextuelle et téléologique des dispositions que de considérer la fourniture visée à l’alinéa 4(2)b) du Règlement comme étant exclue de l’alinéa f.1) de la définition du terme « service financier ».

[43] Notre Cour a également examiné si la Cour de l’impôt avait appliqué correctement le principe énoncé dans l’arrêt Global Cash selon lequel les inclusions ou les exclusions de la définition devaient être établies en fonction des éléments prédominants de la fourniture. Elle a conclu (par. 44 et 51) que la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur à cet égard puisque celle-ci n’avait pas tenu compte d’éléments non prédominants dans son analyse des inclusions et des exclusions. Notre Cour n’a pas proposé de définition du terme « service administratif » ni adopté de définition en particulier de ce terme.

[44] En ce qui concerne le présent appel, le juge de la Cour de l’impôt a conclu (par. 120) qu’en fin de compte, les différences entre les services de Visa en l’espèce et ceux d’Emergis dont il est question dans la décision Great-West CCI sont « purement fonction de l’échelle, et non du fond ». Il a fait observer (par. 116) que, « à son niveau le plus élémentaire, l’avantage que Visa procurait à la CIBC consistait en des réductions de coûts et de la simplification logistique. Comme dans la décision [Great-West CCI], ces deux éléments sont de nature fondamentalement administrative. » Le juge de la Cour de l’impôt a également conclu (par. 117) qu’à l’instar du système administré par Emergis, le réseau de Visa fonctionne « avec un minimum de prise de décisions ». Il a ajouté (par. 119) que, même si Visa, à l’inverse d’Emergis, établit et met à jour les règles régissant son système de paiement, elles semblent « en pratique, assez figées ».

D. L’exception visant la « personne à risque »

[45] Plus loin dans ses motifs, le juge de la Cour de l’impôt a rejeté, après l’avoir examinée, la thèse subsidiaire de la CIBC selon laquelle, même si la fourniture de Visa était correctement caractérisée comme étant un « service administratif », il ne s’agissait pas d’un service visé par règlement exclu par l’alinéa t) de la définition de « service financier » puisque Visa devait être considérée comme une « personne à risque » au sens du paragraphe 4(1) du Règlement.

[46] Dans son explication des motifs pour lesquels il a rejeté la thèse selon laquelle Visa est une « personne à risque », le juge de la Cour de l’impôt a fait observer (par. 130) que « la définition d’une personne à risque indique qu’une personne fournissant un service de compensation ou de règlement n’est pas une personne à risque, ce qui décrit bien le service fourni par Visa ». Il n’a pas renvoyé à la partie de la définition (que je souligne par souci de commodité) excluant « la personne qui s’expose à un tel risque dans le cadre et du seul fait de l’autorisation d’une opération relative à l’effet ou de la fourniture d’un service de compensation ou de règlement relative à l’effet ».

[47] Le juge de la Cour de l’impôt a également trouvé appui à sa conclusion (par. 131) dans « le fait qu’il n’apparaît pas que Visa était exposée à un risque financier en raison des services qu’elle fournissait, du moins pas dans la mesure nécessaire pour répondre à la définition de la personne à risque ». Il a passé en revue les différents types de risque dont il avait été question dans la preuve et a affirmé (par. 134) que le risque assumé par Visa Canada avant la restructuration de 2007 était « presque inexistant » puisque responsabilité incombait plutôt à Visa International et aux institutions financières émettrices durant cette période. Se fondant sur les renseignements figurant dans le formulaire 10-K (par. 20 ci-dessus), le juge a souligné (par. 135) qu’après la restructuration, Visa elle-même semblait estimer que sa propre exposition au risque corrigée selon les probabilités était « très faible ». Il a ajouté (par. 136) que, d’après un communiqué de presse publié par le ministère des Finances, l’exclusion relative à la « personne à risque ne visait pas les risques très peu susceptibles de se produire ». Il a jugé (par. 137) « purement hypothétiques » les risques pour Visa Canada et il a conclu qu’ils étaient « insuffisants pour que cette dernière soit considérée comme une personne à risque ».

V. Les erreurs alléguées et la norme de contrôle

[48] La CIBC soutient que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur dans son interprétation du terme « service administratif » figurant à l’alinéa 4(2)b) du Règlement ou, subsidiairement, dans son application de ce terme à la fourniture effectuée par Visa à l’égard de la CIBC. La CIBC fait valoir en outre que, même si le juge de la Cour de l’impôt a conclu à juste titre que Visa lui fournissait un service administratif, il a commis une erreur dans son interprétation de la définition de « personne à risque » figurant au paragraphe 4(1) du Règlement.

[49] Les questions d’interprétation des lois soulevées par la CIBC sont des questions de droit, lesquelles sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. La question de l’application appropriée du terme « service administratif » concerne une conclusion mixte de fait et de droit. À moins qu’il n’existe une question de droit isolable, cette conclusion est susceptible de contrôle selon la norme commandant un degré élevé de retenue de l’erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33).

VI. Discussion

A. Le juge de la Cour de l’impôt a-t-il commis une erreur dans son interprétation ou son application du terme « service administratif »?

[50] La CIBC soutient que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en n’interprétant pas le terme « service administratif » employé à l’alinéa 4(2)b) du Règlement comme faisant référence à des services de bureau ou de soutien. Elle fonde cet argument sur l’arrêt de notre Cour Banque Royale du Canada c. Canada, 2007 CAF 72, autorisation de pourvoi refusée, 2007 CanLII 39159 (C.S.C.), sur la décision Great-West CCI, ainsi que sur d’autres décisions de la Cour de l’impôt portant sur les alinéas concernant les services inclus dans la définition du terme « service financier ». La CIBC soutient également que le sens qu’elle propose est compatible avec l’esprit de la loi et la réalité commerciale.

[51] Subsidiairement, la CIBC soutient que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur manifeste et dominante dans son application du terme « service administratif », et plus précisément en concluant que la nature de la fourniture effectuée par Visa n’était pas différente de celle de la fourniture effectuée par Emergis qui est en cause dans la décision Great-West CCI.

[52] En réponse, la Couronne soutient que le juge de la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur d’interprétation et que le véritable grief de la CIBC a trait aux conclusions du juge de la Cour de l’impôt sur des questions mixtes de fait et de droit, à l’égard desquelles notre Cour doit faire preuve de retenue. La Couronne souscrit à la décision du juge de la Cour de l’impôt, et plus particulièrement à sa conclusion selon laquelle les services en cause ici et ceux dont il est question dans l’affaire Great-West CCI diffèrent uniquement par leur échelle et non par leur nature. La Couronne fait valoir qu’au nom des principes de l’uniformité, de la prévisibilité et de l’équité, tous les services électroniques fournis aux institutions financières doivent être traités de la même façon. Elle soutient également que les services qui sont des « services administratifs » ne sont pas forcément sans importance.

[53] À mon avis, le juge de la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur dans son interprétation du terme « service administratif ». Il n’a pas tenté d’en donner une définition exhaustive. Les deux facteurs sur lesquels le juge s’est en fin de compte fondé pour établir que la fourniture effectuée par Visa constituait des « services administratifs » – d’une part, la prise de décision minimale et, d’autre part, le rôle joué par les services dans les activités de la partie qui en bénéficiait – ne peuvent pas être considérés comme étant inutiles pour établir si les services étaient des « services administratifs » au sens de l’alinéa 4(2)b) du Règlement.

[54] Cependant, je souscris à la thèse subsidiaire de la CIBC selon laquelle le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’il a examiné si le terme « service administratif » visait la fourniture effectuée par Visa à la CIBC.

[55] Une erreur est manifeste lorsqu’elle relève de l’évidence, et elle est dominante lorsqu’elle a influencé la décision (Hydro-Québec c. Matta, 2020 CSC 37, par. 33). Une forme reconnue d’erreur manifeste est le fait de tirer des conclusions contradictoires et incompatibles (Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, par. 62; AFD Petroleum Ltd. c. Frac Shack Inc., 2018 CAF 140, par. 41 à 46).

[56] En l’espèce, comme je l’ai déjà indiqué, le juge de la Cour de l’impôt a décrit de deux manières passablement différentes la nature des services fournis par Visa et leur rôle dans les activités de la CIBC. D’une part, il a conclu (par. 92 et 95 de ses motifs) que les services de Visa « forment une partie essentielle de la capacité de la CIBC à offrir à ses clients des services fondés sur les cartes de crédit » et qu’ils permettent « aux clients de la CIBC d’acheter des produits et des services partout dans le monde, sans que la CIBC ait à s’entendre avec chaque marchand individuellement pour l’établissement des modalités de paiement ». Il a ajouté que, « [s]i la CIBC était forcée de mettre en œuvre un tel réseau de paiement de sa propre initiative, même si cela est possible sur le plan technique, ledit réseau serait, à coup sûr, beaucoup moins largement accepté que celui offert par Visa ».

[57] D’autre part, après avoir conclu (par. 116) que les services fournis par Visa étaient, comme ceux dont il était question dans l’affaire Great-West CCI, « de nature fondamentalement administrative », le juge de la Cour de l’impôt a affirmé que, « à son niveau le plus élémentaire, l’avantage que Visa procurait à la CIBC consistait en des réductions de coûts et de la simplification logistique ».

[58] À mon sens, ces conclusions sont incompatibles : elles constituent donc une erreur manifeste. De plus, cette erreur manifeste est dominante : la conclusion selon laquelle « l’avantage que Visa procurait à la CIBC consistait en des réductions de coûts et de la simplification logistique » a joué un rôle clé dans le raisonnement ayant amené le juge de la Cour de l’impôt à juger que la fourniture de Visa était composée de services administratifs.

[59] Deux solutions s’offrent notre Cour : soit elle renvoie l’affaire à la Cour de l’impôt afin qu’elle éclaircisse cette contradiction, soit elle décide de l’éclaircir elle-même si elle estime que l’intérêt de la justice le justifie et que c’est faisable du point de vue pratique (Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, al. 52c); Canwell Enviro-Industries Ltd. c. Baker Petrolite Corp., 2002 CAF 158, par. 81 à 83; Canada c. Piot, 2019 CAF 53, par. 115). Compte tenu de la nature limitée et précise des éléments de preuve relatifs à l’application du terme « service administratif », je suis d’avis que notre Cour ferait bon usage des ressources et agirait dans l’intérêt de la justice en tranchant elle-même la question. C’est ce que je propose de faire.

[60] Parmi les témoignages pertinents se trouve celui de M. Steven Webster, un vice-président de la CIBC ayant de l’expérience avec différents aspects des activités liées aux cartes de crédit. Il a notamment fait les déclarations suivantes concernant le rôle de Visa dans les activités de la CIBC associées aux cartes de crédit (dossier d’appel public, vol. II, onglet H1, p. 141, transcription, p. 37, lignes 8 à 15; p. 149, transcription, p. 71, lignes 1 à 4 et 12 à 23) :

[traduction]

Q. Essentiellement, en quoi consiste le rôle de Visa dans les activités de la CIBC liées aux cartes de crédit?

R. Visa joue un rôle central dans nos activités liées aux cartes de crédit. Essentiellement, le système de Visa permet à notre entreprise d’exister parce qu’il permet à nos clients d’acheter des produits et des services chez des marchands en facilitant le transfert de fonds entre les comptes des clients et ceux des marchands.

[…]

Q. La CIBC pourrait-elle établir seule un système de paiement comparable à celui de Visa?

R. Oui, ce serait possible sur le plan théorique, mais ce serait très, très difficile.

[…]

Q. Pouvez-vous nous dire pourquoi?

R. Nous n’avons pas l’envergure mondiale nécessaire pour établir un système qui permettrait aux clients d’utiliser leur carte partout dans le monde. Nous pourrions peut-être réussir à en établir un au Canada, mais il n’aurait pas grand intérêt. Nous n’avons tout simplement pas l’assise mondiale qui nous permettrait d’établir un système qui pourrait être utilisé partout dans le monde.

Q. D’accord.

R. Même au Canada, je pense que ce serait extrêmement difficile. Nous n’avons pas les relations nécessaires.

[61] M. Paul Vessey a aussi présenté un témoignage pertinent en raison de sa vaste expérience notamment à titre de chef des activités liées aux cartes de crédit de la CIBC, de titulaire de postes dont les fonctions étaient liées aux cartes de crédit pour la Banque TD et American Express, ainsi que de membre et président du conseil d’administration de Visa Canada. Voici ses déclarations concernant le rôle de l’indemnisation offerte par Visa (dossier d’appel public, vol. II, onglet H3, p. 188, transcription, p. 148, ligne 17 à p. 149, ligne 8) :

[traduction]

Q. D’accord. Quelle est l’importance de l’indemnisation pour le bon fonctionnement de l’ensemble du réseau de paiement de Visa ou de ses services de paiement?

R. Elle est absolument essentielle. Sans cette indemnisation, les banques canadiennes, ou n’importe quelle banque, devraient enquêter sur le profil de risque de marchands parfaitement inconnus, qui peuvent se trouver à l’autre bout du monde. Comme je l’ai déjà mentionné... J’ai utilisé l’exemple des transporteurs aériens et des risques qu’ils présentent. Je pourrais donner l’exemple d’un petit transporteur aérien du Kazakhstan auprès de qui un détenteur de carte Visa en vacances veut acheter un billet d’avion pour l’Europe. Il faut payer pour cet achat. Sans la garantie Visa, je ne pourrais pas savoir si j’aurais en fin de compte à verser des fonds pour cette opération. J’aurais l’impression qu’il serait nécessaire de prendre en charge le risque que représente chaque marchand participant au réseau. C’est impossible. J’irais même jusqu’à dire que l’indemnisation garantie par Visa et par sa concurrente MasterCard et le besoin qu’ont les banques de cette indemnisation sont ce qui a permis à ces entreprises d’exister.

[62] Ce témoignage n’a pas été remis en cause en contre-interrogatoire.

[63] Compte tenu de ces témoignages et des éléments de preuve concernant le fonctionnement du système de paiement de Visa, je conclurais, à l’instar du juge de la Cour de l’impôt aux paragraphes 92 et 95 de ses motifs, que les services de Visa « forment une partie essentielle de la capacité de la CIBC à offrir à ses clients des services fondés sur les cartes de crédit », qui permettent « aux clients de la CIBC d’acheter des produits et des services partout dans le monde, sans que la CIBC ait à s’entendre avec chaque marchand individuellement pour l’établissement des modalités de paiement », et que « [s]i la CIBC était forcée de mettre en œuvre un tel réseau de paiement de sa propre initiative, même si cela est possible sur le plan technique, ledit réseau serait, à coup sûr, beaucoup moins largement accepté que celui offert par Visa ». J’ajouterais que les services de Visa évitent à la CIBC et à d’autres émetteurs d’avoir à enquêter sur le profil de risque et la solvabilité des marchands qui acceptent des cartes de crédit pour le paiement de produits et de services. Néanmoins, on méconnaît la réalité quand on réduit l’avantage que procurent à la CIBC les services de Visa à de simples « réductions de coûts et [à une] simplification logistique », et qu’on en vient à la conclusion que ces services sont « de nature fondamentalement administrative ».

[64] À mon sens, on ne peut pas non plus affirmer que le réseau de paiement de Visa et celui d’Emergis dans l’affaire Great-West CCI diffèrent seulement par l’échelle et non par le fond. Dans la décision Great-West CCI, la Cour de l’impôt a pu conclure que la fourniture effectuée par Emergis ne modifiait pas la substance du service fourni. Comme le montrent les témoignages cités plus haut, ce n’est clairement pas le cas en l’espèce.

[65] Étant donné ces conclusions, tout ce qui reste pour étayer la conclusion du juge de la Cour de l’impôt quant à la nature « administrative » des services est le fait que le réseau de Visa fonctionne « avec un minimum de prise de décisions », comme c’était le cas du système exploité par Emergis. À mon avis, ce facteur à lui seul ne suffit pas du tout à fonder la conclusion selon laquelle Visa fournissait un « service administratif », d’autant plus que cette dernière établit elle-même les règles du réseau de paiement et conserve le pouvoir de prendre des décisions quant à leur application.

[66] Dans ses observations orales, la Couronne a soutenu que ce serait une erreur de conclure que la fourniture de Visa modifiait de manière réelle la nature des activités de la CIBC. La Couronne a avancé que le système ne faisait qu’offrir à la CIBC, qui est présente depuis longtemps dans le domaine du crédit à la consommation, un autre moyen de prêter de l’argent à ses clients. Pour la Couronne, [traduction] « un prêt est un prêt », et il ne change pas de nature du fait que le crédit soit obtenu au moyen d’une carte de crédit ou d’une ligne de crédit.

[67] Je rejetterais cet argument. Affirmer qu’il n’y a pas de différence entre une ligne de crédit et une carte de crédit, c’est faire abstraction des caractéristiques fondamentales de la carte de crédit, soit qu’il s’agit d’une méthode de paiement largement répandue qui permet d’obtenir du crédit de manière quasi instantanée pour acheter des produits et des services à un point de vente.

[68] Comme je l’ai mentionné plus haut, la Couronne a aussi insisté sur la nécessité d’adhérer aux principes de l’uniformité, de l’équité et de la prévisibilité pour déterminer ce qui constitue un « service financier ». En l’espèce, ces principes essentiels, selon la Couronne, commandent que notre Cour rende une décision identique à la décision Great-West CCI. De toute évidence, je ne peux m’inscrire en faux contre le principe voulant que des affaires semblables aient des issues semblables. Cependant, pour les motifs que j’ai tenté d’exposer, je ne crois pas que la présente affaire et l’affaire Great-West CCI soient semblables.

[69] Mes conclusions vont forcément à l’encontre de celles du juge de la Cour de l’impôt selon lesquelles la fourniture effectuée par Visa à l’égard de la CIBC était visée par l’alinéa 4(2)b) du Règlement et, par conséquent, n’était pas un « service financier » du fait de l’alinéa t) de la définition de ce terme. Comme il a été mentionné plus haut, les conclusions du juge de la Cour de l’impôt selon lesquelles la fourniture est visée par les dispositions d’inclusion prévues aux alinéas a), i) et l) ne sont pas attaquées devant notre Cour. Il s’ensuit, à mon avis, que les inclusions ont été prouvées, mais qu’aucune exclusion ne l’a été. La fourniture effectuée par Visa à la CIBC constituait par conséquent un « service financier ».

B. Le juge de la Cour de l’impôt a-t-il commis une erreur dans son interprétation du terme « personne à risque »?

[70] Sous le régime établi par le Règlement, la question de savoir si Visa était une « personne à risque » se serait posée seulement s’il avait été établi que la fourniture de Visa était un « service administratif ». J’ai conclu qu’il n’a pas été démontré que la fourniture était un « service administratif ». Cette conclusion est également suffisante pour trancher l’appel. Je laisserais la tâche d’interpréter le terme « personne à risque » à un juge saisi d’une affaire où cette interprétation aurait une conséquence réelle.

VII. Dispositif proposé

[71] J’accueillerais l’appel avec dépens devant notre Cour et la Cour de l’impôt, j’annulerais le jugement de la Cour de l’impôt et, rendant la décision que celle-ci aurait dû rendre, je renverrais les cotisations au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations conformément aux présents motifs.

« J.B. Laskin »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Judith Woods, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

 

A-274-18

 

INTITULÉ :

BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 décembre 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LES JUGES WOODS ET RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 janvier 2021

 

COMPARUTIONS :

Al Meghji

Al-Nawaz Nanji

Pour l’appelante

 

Marilyn Vardy

Darren Prevost

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler, Hoskin & Harcourt, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelante

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimée

 

 

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