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Date : 20210119


Dossiers : A-295-18

A-296-18

A-297-18

Référence : 2021 CAF 5

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

 

 

RICHARD AARON BARKLEY, NORMAN CATLOS

et MIRIAM BARKLEY

 

 

appelants

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe le 20 octobre 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20210119


Dossiers : A-295-18

A-296-18

A-297-18

Référence : 2021 CAF 5

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

 

 

RICHARD AARON BARKLEY, NORMAN CATLOS

et MIRIAM BARKLEY

 

 

appelants

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1] La question examinée dans les présents appels est de savoir si les frais judiciaires payés par un particulier pour se défendre contre une action alléguant qu’il a reçu des sommes en trop incluses à titre de revenu tiré d’une charge ou d’un emploi sont déductibles en application de l’alinéa 8(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi).

[2] Les trois appels en l’espèce visent des jugements rendus par la Cour canadienne de l’impôt. Richard Barkley (l’époux de Miriam Barkley), Norman Catlos et Miriam Barkley ont chacun demandé une déduction pour frais judiciaires dans leurs déclarations de revenus pour 2013. Ils avaient déboursé ces frais pour se défendre dans une poursuite intentée contre eux par les deux frères de Norman Catlos et Miriam Barkley. En établissant la cotisation des appelants pour l’année d’imposition 2013, le ministre du Revenu national a refusé ces déductions pour frais judiciaires.

[3] Le juge de la Cour de l’impôt a rejeté les appels interjetés par les appelants (2018 CCI 177), les motifs exposés s’appliquant aux trois jugements. Les trois particuliers ont porté ces jugements en appel. Devant notre Cour, leurs appels ont été réunis. L’appel dans le dossier A-295-18 a été désigné comme étant l’appel principal. Les présents motifs s’appliquent aux trois appels. La version originale des présents motifs sera versée dans le dossier A-295-18, et une copie sera versée dans les deux autres dossiers de la Cour.

[4] Pour les motifs exposés ci-après, je rejetterais les appels, mais pour d’autres motifs que ceux qu’a fournis le juge de la Cour de l’impôt.

I. Les faits

[5] En avril 2004, Miriam Barkley a acquis le contrôle de Tatra Corporation après que son père lui a fait don de ses actions de Tatra. Les trois appelants sont tous des administrateurs de Tatra.

[6] En septembre 2011, Brian Catlos et Peter Catlos fils (qui sont les frères de Norman Catlos et de Miriam Barkley) ont déposé une demande de tutelle à l’égard de leur père devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Dans cette demande, Brian Catlos et Peter Catlos fils ont demandé l’annulation du transfert des actions de Tatra à Miriam Barkley en 2004. Une injonction provisoire a été obtenue interdisant à Miriam Barkley de faire quelque opération que ce soit à l’égard des actions en litige de Tatra, empêchant les appelants de vendre des éléments d’actif de Tatra et limitant la rémunération mensuelle versée par Tatra aux appelants à un montant d’au plus 10 000 $. Cette injonction provisoire a par la suite été annulée.

[7] En mars 2012, la Cour supérieure de l’Ontario a ordonné la tenue d’un procès sur la question de la validité du transfert d’actions et a aussi ordonné que Richard Barkley, l’époux de Miriam Barkley, soit ajouté comme défendeur. Une déclaration a été déposée en octobre 2012. Comme l’a fait observer le juge de la Cour de l’impôt, les mesures demandées dans cette déclaration comprenaient « la reddition de comptes et la récupération en equity de tous les salaires, primes, dividendes et autres montants versés par Tatra à chaque particulier (les appelants en l’espèce) depuis le transfert de 2004 ». Bien que la déclaration fasse mention de dividendes, rien n’indique que des dividendes ont été versés.

[8] Bien que la poursuite ait en partie concerné l’allégation selon laquelle les salaires versés aux appelants étaient trop élevés, il ne s’agissait pas de la seule allégation. Dans l’attestation signée par la juge Rady de la Cour supérieure de l’Ontario, le 16 octobre 2012, le fond de l’affaire était résumé en ces termes :

[traduction]

[5] Le transfert des actions dans la société familiale (Tatra Corporation), de Peter père à Miriam en 2004, est au cœur du litige. Norman, Miriam et son époux Richard affirment qu’il s’agissait d’un don, ce que Brian et Peter fils contestent. Ils soutiennent que leur père n’était pas apte à conclure une telle opération à ce moment.

[9] Dans l’attestation ultérieure datée du 25 juillet 2014, la même juge a décrit l’objet de la poursuite de la manière suivante :

[traduction]

[8] […] la présente poursuite vise la validité d’un don entre vifs de Peter Catlos père à sa fille, Miriam Barkley, de toutes ses actions, sauf une, dans Tatra Corporation.

[10] Ces attestations indiquent que la poursuite portait sur le transfert des actions, et non sur la rémunération versée en trop.

[11] Les présents appels découlent de la déduction, demandée à l’égard de l’année d’imposition 2013, pour les frais judiciaires déboursés par les appelants pour se défendre contre les allégations formulées à leur endroit dans la poursuite décrite ci-dessus. En 2013, chacun des appelants a réclamé la déduction du plein montant de ces frais judiciaires dans le calcul de leurs revenus tirés d’une charge ou d’un emploi.

II. La décision de la Cour de l’impôt

[12] Le juge de la Cour de l’impôt semble avoir reconnu que l’alinéa 8(1)b) la Loi pourrait s’appliquer dans une situation où l’employeur ou l’ancien employeur aurait cherché à se faire rembourser une somme qu’il aurait déjà versée. Au paragraphe 21 de sa décision, le juge a fait observer ce qui suit :

J’ai décrit les faits de l’arrêt Fenwick [Fenwick c. Canada, 2008 CAF 370], qui ressemblent aux faits des présents appels. Premièrement, la juge Sharlow a fait observer au paragraphe 7 de ses motifs de jugement qu’elle était d’accord avec la juge Woods que le libellé de cette disposition « a une portée relativement restreinte ». Néanmoins, la juge de la C.A.F. a accepté pour les besoins de l’appel dont elle était saisie, sans se prononcer, la conclusion de la juge Woods que la disposition s’applique non seulement à l’égard d’un contribuable qui demande le paiement d’un traitement ou d’un salaire d’un employeur ou d’un ancien employeur, mais également lorsque l’employeur ou l’ancien employeur cherche à se faire rembourser ce revenu.

[13] Toutefois, au paragraphe 22, il a fait observer qu’en l’espèce, l’allégation selon laquelle les appelants avaient reçu des sommes en trop n’avait pas été faite par Tatra (la personne ayant versé ces sommes), mais plutôt par les deux frères de Norman Catlos et de Miriam Barkley :

Cela est maintenant quelque peu différent, puisque le libellé actuel ne comprend plus les mots « employeur ou ancien employeur ». Je ne suis pas prêt à dire que cette disposition signifie maintenant qu’une tierce partie à la relation de travail ou à la charge qui demande que l’appelant – comme ceux en l’espèce – rembourse le revenu tiré de la charge ou de l’emploi est maintenant visée par l’alinéa 8(1)b). Cela éloignerait toute la portée de l’alinéa 8(1)b) de la charge ou de l’emploi.

[14] Sa conclusion finale, au paragraphe 28, était la suivante :

Par conséquent, en me fondant sur l’arrêt Fenwick, et, malgré les observations valables de Me Thompson pour les appelants, je conclus que les frais judiciaires en cause excèdent le champ d’application de l’alinéa 8(1)b), qui « a une portée relativement restreinte » et ainsi ne s’applique pas aux réclamations d’une société qui demande de nombreux redressements fondés sur l’enrichissement sans cause et le non-respect des obligations fiduciaires.

[15] Il n’est pas établi clairement si un des motifs pour lesquels le juge de la Cour de l’impôt a rejeté les appels était le fait que la poursuite contre laquelle les appelants se défendaient n’avait pas été intentée par la personne qui avait payé les appelants (comme il en est question au paragraphe 22 de ses motifs). Le dernier paragraphe indique que le type ou la nature de la poursuite ainsi que son fondement ont rendu les frais judiciaires non déductibles, sans que le juge fasse mention de observations qu’il avait formulées au paragraphe 22.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[16] Les appelants soutiennent que les frais judiciaires se rapportaient entièrement à une action relative à une rémunération versée en trop. La Couronne fait valoir que les frais judiciaires ne se rapportaient pas entièrement à la rémunération versée en trop. Comme les appelants n’ont pas avancé de thèse subsidiaire selon laquelle une partie de ces frais pourrait raisonnablement être considérée comme se rapportant à cet aspect de la poursuite, cette question n’a pas été examinée par la Cour de l’impôt.

[17] La prémisse sous-jacente de la thèse des appelantes, voulant que les frais judiciaires en question soient déductibles, est que l’alinéa 8(1)b) de la Loi autorise le contribuable à déduire, dans le calcul de son revenu tiré d’une charge ou d’un emploi, un montant pour les frais judiciaires engagés pour se défendre contre une action alléguant qu’il a reçu des sommes en trop. La question de savoir si cet alinéa autorisait une telle déduction est une question de droit assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S 235). Si, lorsqu’on l’interprète correctement, cette disposition n’autorise pas cette déduction, les présents appels doivent être rejetés. L’analyse que j’effectue dans les présents motifs porte sur l’interprétation de cette disposition.

IV. Analyse

[18] Comme je l’ai mentionné plus haut, les présents appels découlent de la déduction de certains frais judiciaires demandée par les appelants dans le calcul de leur revenu tiré d’une charge ou d’un emploi. Les déductions dont peut se prévaloir le contribuable dans le calcul de son revenu tiré d’une charge ou d’un emploi se limitent à celles qui sont énoncées à l’article 8 de la Loi. Le paragraphe 8(2) de la Loi est rédigé ainsi :

(2) Seuls les montants prévus au présent article sont déductibles dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi.

(2) Except as permitted by this section, no deductions shall be made in computing a taxpayer’s income for a taxation year from an office or employment.

[19] Comme chacun des appelants a demandé la déduction des frais judiciaires en litige dans le calcul de son revenu tiré d’une charge ou d’un emploi, le droit de demander cette déduction doit être prévu à l’article 8. Dans les présents appels, la seule disposition pertinente de l’article 8 est l’alinéa 8(1)b) de la Loi :

8. (1) Sont déductibles dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant:

8. (1) In computing a taxpayer’s income for a taxation year from an office or employment, there may be deducted such of the following amounts as are wholly applicable to that source or such part of the following amounts as may reasonably be regarded as applicable thereto

[…]

[…]

b) les sommes payées par le contribuable au cours de l’année au titre des frais judiciaires ou extrajudiciaires qu’il a engagés pour recouvrer un montant qui lui est dû et qui, s’il le recevait, serait à inclure en vertu de la présente sous-section dans le calcul de son revenu, ou pour établir un droit à un tel montant;

(b) amounts paid by the taxpayer in the year as or on account of legal expenses incurred by the taxpayer to collect, or to establish a right to, an amount owed to the taxpayer that, if received by the taxpayer, would be required by this Subdivision to be included in computing the taxpayer’s income;

[20] Les frais judiciaires n’ont pas été engagés pour recouvrer une somme due aux appelants ni pour établir un droit à une telle somme qui n’a pas déjà été versée aux appelants. Les appelants font toutefois valoir que [traduction] « les frais judiciaires ont été déboursés pour établir leur droit à la rémunération que leur avait versée Tatra » (par. 38 du mémoire des faits et du droit des appelants). Comme je l’ai mentionné plus haut, la déclaration comportait des allégations selon lesquelles les appelants avaient reçu des sommes en trop de Tatra.

[21] La question de droit qui doit être examinée est celle de savoir si les frais judiciaires déboursés par un dirigeant ou un employé pour se défendre contre une action alléguant que cette personne a touché des sommes en trop sont déductibles. Puisque, pour l’application de la Loi, les dirigeants sont des employés (par. 248(1) de la Loi), par souci de commodité, le terme « employé » sera utilisé dans les présents motifs.

[22] L’interprétation des dispositions de la Loi doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, par. 10).

[23] Pour soutenir que le libellé de l’alinéa 8(1)b) de la Loi autorise la déduction des frais judiciaires déboursés pour se défendre contre une action alléguant qu’un employé a reçu des sommes en trop, les appelants se fondent principalement sur la décision de la Cour de l’impôt Chagnon c. La Reine, 2011 CCI 268, [2011] A.C.I. no 210 (QL). Dans cette décision, le juge de la Cour de l’impôt s’est appuyé sur des remarques incidentes de la Cour de l’impôt formulées dans la décision Fenwick c. La Reine, 2008 CCI 243, [2008] A.C.I. no 185 (QL). Dans la décision Chagnon, le juge de la Cour de l’impôt a affirmé ce qui suit :

[15] Je souscris aux remarques incidentes de la juge Woods dans Fenwick selon lesquelles l’alinéa 8(1)b) peut, voire doit, être interprété comme comprenant les frais judiciaires engagés par un employé afin de conserver un salaire lui ayant déjà été versé dans un cas où cet employé fait l’objet d’une action en justice visant à recouvrer le montant de ce salaire. Dans un tel cas, la question porte toujours sur le droit légal de l’employé à ce salaire, et l’employé cherche à établir ce droit.

[24] L’employé qui se défend contre une action intentée par son employeur alléguant qu’il a reçu une rémunération en trop cherche à établir qu’il avait le droit de recevoir la somme qui lui a été versée. Le droit en cause n’est cependant pas le droit à une somme qui, au moment du litige, est due à l’employé. Il s’agit plutôt du droit de recevoir la somme qui a déjà été versée. Une fois que la somme a été versée, l’employeur n’est plus débiteur de cette somme envers l’employé. Si l’action contre l’employé est accueillie, ce dernier devra une somme à l’employeur.

[25] Les remarques incidentes faites dans la décision Fenwick auxquelles la Cour de l’impôt faisait référence sont les suivantes :

[22] Je ferai d’abord des remarques au sujet du mot « dû » figurant à l’alinéa 8(1)b). L’intimée affirme que l’emploi de ce mot donne à entendre que le législateur songeait à des litiges concernant la rémunération non versée. Si cette interprétation est exacte, cela porterait un coup fatal à l’appel parce que la poursuite engagée par Hemispheres n’a rien à avoir avec la rémunération non versée.

[...]

[25] L’interprétation restreinte du mot « dû » proposée par l’intimée me préoccupe parce qu’il est difficile de voir pourquoi le législateur voudrait faire une distinction selon que la rémunération a été payée ou qu’elle ne l’a pas été. Dans ce contexte, il semble plus sensé d’interpréter le mot « dû » comme étant l’équivalent du mot « gagné ».

[26] Toutefois, je n’ai pas à tirer de conclusion sur ce point parce que, à mon avis, les frais que l’appelant a engagés ne peuvent pas être déduits, et ce, pour d’autres raisons.

[26] En rejetant l’appel interjeté devant elle dans l’arrêt Fenwick c. Canada, 2008 CAF 370, [2009] A.C.F. no 1655 (QL), notre Cour a formulé les observations suivantes :

[8] La question de savoir si l’alinéa 8(1)b) s’applique aussi aux frais judiciaires ou extrajudiciaires engagés par une personne poursuivie par un employeur ou un ancien employeur qui sollicite le remboursement d’un salaire ou de traitements payés en trop n’a pas encore été tranchée. Aux fins du présent appel, je présumerai, sans statuer sur la question, que l’alinéa 8(1)b) pourrait s’appliquer dans ces circonstances. Toutefois, la juge Woods a conclu, et je souscris à son point de vue, que l’alinéa 8(1)b) n’a pas pour objet de permettre la déduction de frais judiciaires ou extrajudiciaires afférents à un litige dans lequel des dommages-intérêts sont réclamés par suite de différends autres que ceux qui ont trait aux conditions d’emploi, du seul fait que le droit du défendeur à une rémunération donnée constitue un élément de la demande.

[27] Pour pouvoir interpréter l’alinéa 8(1)b) de la Loi de façon à ce qu’y soient visés les frais judiciaires déboursés dans une action lorsque la rémunération a déjà été versée, il fallait « interpréter le mot “dû” comme étant l’équivalent du mot “gagné” ». Il est toutefois loin d’être clair que cette interprétation était l’intention du législateur. Le rôle de notre Cour est de déterminer l’interprétation que le législateur avait l’intention de donner à cette disposition.

[28] Quoi qu’il en soit, ces décisions ont été rendues sur le fondement d’un libellé de l’alinéa 8(1)b) de la Loi différent de celui qui s’applique aux présents appels. En 2013, l’alinéa 8(1)b) de la Loi a été modifié (Loi de 2012 apportant des modifications techniques concernant l’impôt et les taxes, L.C. 2013, ch. 34, par. 172(1)). La modification s’appliquait aux paiements effectués en 2001 et par la suite (par. 172(4)). Toutefois, comme ces jugements ont été rendus en 2008 et en 2011, ces affaires ont été tranchées avant l’adoption des modifications.

[29] La version antérieure de l’alinéa 8(1)b) de la Loi que les Cours devaient appliquer dans les affaires Fenwick et Chagnon était rédigée ainsi :

8. (1) Sont déductibles dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :

8. (1) In computing a taxpayer’s income for a taxation year from an office or employment, there may be deducted such of the following amounts as are wholly applicable to that source or such part of the following amounts as may reasonably be regarded as applicable thereto

[…]

[…]

b) les sommes payées par le contribuable au cours de l’année au titre des frais judiciaires ou extrajudiciaires qu’il a engagés pour recouvrer le traitement ou salaire qui lui est dû par son employeur ou ancien employeur ou pour établir un droit à ceux-ci;

(b) amounts paid by the taxpayer in the year as or on account of legal expenses incurred by the taxpayer to collect or establish a right to salary or wages owed to the taxpayer by the employer or former employer of the taxpayer;

[30] Il est important de comparer le libellé actuel au libellé antérieur qui a été pris en compte dans la décision Chagnon et l’arrêt Fenwick. La déduction permise en vertu de chacune des dispositions vise les sommes payées par le contribuable :

Libellé antérieur

Libellé actuel

[...] au titre des frais judiciaires ou extrajudiciaires qu’il a engagés pour recouvrer le traitement ou salaire qui lui est dû par son employeur ou ancien employeur ou pour établir un droit à ceux-ci;

[...] au titre des frais judiciaires ou extrajudiciaires qu’il a engagés pour recouvrer un montant qui lui est dû et qui, s’il le recevait, serait à inclure en application de la présente sous-section dans le calcul de son revenu, ou pour établir un droit à un tel montant;

[31] À mon avis, le changement dans le libellé est important. Le libellé révisé indique clairement que la seule déduction permise est la déduction des frais judiciaires engagés relativement aux sommes qui n’ont pas encore été reçues par le contribuable. Les deux dispositions renvoient au montant qui lui est dû. Selon l’arrêt Fenwick et la décision Chagnon, il y avait ambiguïté quant à savoir si les frais judiciaires engagés pour établir un droit au traitement ou au salaire dû au contribuable pouvaient inclure les frais engagés pour se défendre contre une action alléguant que le contribuable avait reçu des sommes en trop. La question de savoir si une telle ambiguïté existait dans la version antérieure est maintenant théorique.

[32] L’ajout des mots « s’il le recevait, serait à inclure en application de la présente sous-section dans le calcul de son revenu » écarte tout doute sur la question de savoir si la disposition visait uniquement la rémunération non versée. En associant les expressions « s’il le recevait » et « serait à inclure […] dans le calcul de son revenu », les seules sommes pertinentes sont celles qui n’ont pas encore été reçues, mais si ces sommes sont reçues ultérieurement, elles devraient alors être incluses dans le revenu. Si l’expression « s’il le recevait » visait à inclure les sommes ayant déjà été reçues, en plus d’indiquer que le montant « serait » à inclure dans le revenu, la disposition indiquerait aussi qu’il « devait être inclus dans le revenu ».

[33] Dans l’arrêt 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, 1999 CanLII 639, la Cour suprême du Canada a formulé les observations suivantes :

[50] Notre Cour a approuvé en plusieurs occasions l’énoncé de Driedger sur le principe moderne de l’interprétation des lois : [traduction] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ». Voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au par. 21. La règle est la même pour les lois fiscales : Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, à la p. 578.

[51] Toutefois, notre Cour a aussi souvent fait preuve de circonspection dans l’emploi de moyens d’interprétation des lois permettant de s’écarter d’un libellé clair et non ambigu. Dans Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S., aux pp. 326 et 327, notre Cour dit :

Même si les tribunaux doivent examiner un article de la Loi de l’impôt sur le revenu à la lumière des autres dispositions de la Loi et de son objet, et qu’ils doivent analyser une opération donnée en fonction de la réalité économique et commerciale, ces techniques ne sauraient altérer le résultat lorsque les termes de la Loi sont clairs et nets et que l’effet juridique et pratique de l’opération est incontesté.

Dans leur examen de cette décision, P. W. Hogg et J. E. Magee, tout en reconnaissant, avec justesse, qu’il faut toujours prendre en considération le contexte et l’objectif de la disposition, mentionnent que [traduction] « [l]a Loi de l’impôt sur le revenu serait empreinte d’une incertitude intolérable si le libellé clair d’une disposition détaillée de la Loi était nuancé par des exceptions qui n’y sont pas exprimées, provenant de la conception qu’un tribunal a de l’objet de la disposition » : Principles of Canadian Income Tax Law (2e éd. 1997), aux pp. 475 et 476. Il ne s’agit pas là de l’approbation d’une approche littérale à l’interprétation législative, mais de la reconnaissance que, dans l’application des principes d’interprétation de la Loi, il faut porter attention au fait qu’elle est une des lois les plus détaillées, complexes et exhaustives de notre législation, et que les tribunaux devraient être réticents à adopter, sous le couvert d’interprétation législative, des notions de politique ou de principe qui ne sont pas exprimées.

[34] Comme la Cour suprême du Canada l’a fait observer, lorsqu’ils interprètent la Loi, les tribunaux ne peuvent pas remplacer un libellé clair par leur propre conception de la politique administrative pouvant ou devant s’appliquer. Par conséquent, même si un tribunal est d’avis que la disposition devrait s’appliquer dans les cas où la rémunération a déjà été versée au même titre que dans ceux où elle n’a pas encore été versée, le choix de limiter la déduction des frais judiciaires au deuxième cas de figure relève du législateur et, selon moi, il a fait ce choix.

[35] Le libellé indique clairement que la déduction ne peut être accordée qu’à l’égard des frais judiciaires déboursés pour recouvrer un montant qui, si le contribuable le recevait, serait à inclure dans le revenu ou pour établir un droit à un tel montant. Elle ne s’applique pas aux frais judiciaires engagés pour permettre au contribuable de conserver des sommes qui ont déjà été versées.

[36] Le contexte et l’objet ne modifient pas le résultat. Dans le contexte des déductions autorisées dans le calcul du revenu tiré d’une charge ou d’un emploi, comme je l’ai mentionné au paragraphe 18 ci-dessus, seules les déductions limitées prévues à l’article 8 sont permises. Le législateur a choisi de limiter les déductions dont les employés peuvent se prévaloir. Aucun élément du contexte n’indique que le législateur ait voulu que la déduction pour frais judiciaires prévue à l’alinéa 8(1)b) de la Loi soit plus libérale que ce qu’indique le libellé.

[37] Les versions antérieures de cette disposition sont pertinentes lorsqu’il s’agit d’en déterminer l’objet. Pour tous les paiements faits au titre de frais judiciaires avant 1990, la déduction autorisée à l’alinéa 8(1)b) de la Loi était limitée à ce qui suit :

les sommes payées par le contribuable dans l’année à titre de frais judiciaires ou extrajudiciaires engagés par lui en recouvrement du traitement ou salaire qui lui est dû par son employeur ou son ancien employeur

amounts paid by the taxpayer in the year as or on account of legal expenses incurred by him in collecting salary or wages owed to him by his employer or former employer

[38] Il ne fait aucun doute qu’avant 1990, aucune déduction n’était autorisée au titre des frais judiciaires payés par un employé pour se défendre contre une action alléguant qu’il avait reçu des sommes en trop.

[39] En 1990 (Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu et d’autres lois connexes, L.C. 1990, ch. 39, art. 2), cet alinéa a été modifié pour qu’y soient visés les frais judiciaires engagés pour établir un droit au traitement ou au salaire dû au contribuable. Le libellé révisé, tel qu’il a été adopté en 1990, est reproduit au paragraphe 29 ci-dessus. Dans les notes techniques publiées en 1989, l’explication fournie quant à la modification était la suivante :

Notes techniques de juin 1989 : L’alinéa 8(1)b) prévoit une déduction au titre des frais judiciaires ou extrajudiciaires engagés en recouvrement d’un traitement ou salaire. Cet alinéa subit une modification qui le rend conforme à la formulation du nouvel alinéa 60o.1) (qui permet de déduire les frais judiciaires ou extrajudiciaires engagés en recouvrement d’allocations de retraite et de prestations de pension), de façon que les frais judiciaires ou extrajudiciaires déductibles comprennent les frais engagés pour établir un droit à un traitement ou salaire dû au contribuable. Les sommes accordées ou remboursées au titre de ces frais doivent être incluses dans le revenu en vertu du nouvel alinéa 6(1)j).

[40] Il n’y a rien dans ces notes techniques qui indique que la version modifiée visait à élargir la déduction prévue pour qu’y soient visés les frais judiciaires payés en défense contre une action en recouvrement d’un traitement ou d’un salaire versé en trop. L’affirmation selon laquelle l’alinéa a été modifié pour le rendre conforme au libellé du nouvel alinéa 60(o.1) « qui permet de déduire les frais judiciaires ou extrajudiciaires engagés en recouvrement d’allocations de retraite et de prestations de pension » étaye la conclusion voulant que l’objet de la disposition n’ait été que de permettre la déduction des frais judiciaires engagés à l’égard de sommes qui n’avaient pas encore été versées. Avant de recouvrer une rémunération impayée, il se peut bien qu’il soit nécessaire que l’employé établisse d’abord qu’il a droit à celle-ci. Il n’y a toutefois rien dans les notes techniques qui indique que la disposition avait été modifiée afin d’élargir la catégorie des frais judiciaires déductibles pour qu’y soient inclus ceux payés par l’employé pour se défendre contre une action alléguant qu’il a reçu des sommes en trop.

[41] Lorsque cet alinéa a été modifié de nouveau en 2013 (pour prendre le libellé actuel reproduit au paragraphe 19 ci-dessus), les notes techniques indiquaient ce qui suit :

Notes techniques du 24 octobre 2012 (partie 5) : L’alinéa 8(1)b) de la Loi permet de déduire les sommes payées par un contribuable en vue de recouvrer le traitement ou le salaire qui lui est dû par son employeur ou ancien employeur ou d’établir son droit à ce traitement ou salaire.

Certains ont exprimé la crainte que, dans le cas où un montant n’est pas dû au contribuable directement par l’employeur, les frais judiciaires engagés par le contribuable ne soient pas déductibles en vertu de l’alinéa 8(1)b), même si le montant, une fois reçu, est imposable à titre de revenu d’emploi. Ce serait le cas notamment des frais judiciaires engagés par un contribuable en vue de recouvrer des prestations d’assurance prévues par une police d’assurance-maladie ou d’assurance-accidents offerte par l’intermédiaire d’un employeur.

L’alinéa 8(1)b) est modifié, pour ce qui est des sommes payées après 2000, de façon qu’il soit permis de déduire un montant au titre des frais judiciaires engagés par un contribuable en vue de recouvrer un montant qui, s’il était reçu, serait inclus dans le calcul du revenu d’emploi du contribuable.

[Non souligné dans l’original.]

[42] Une fois de plus, il question de versements à faire à l’employé, et non de frais déboursés pour conserver des sommes déjà reçues. Le recours au conditionnel dans l’expression « s’il le recevait » figurant dans l’alinéa modifié plutôt qu’à l’expression affirmative « une fois reçu » pourrait vraisemblablement viser une situation où un particulier n’a pas réussi à établir un tel droit à la rémunération impayée ou à recouvrer le montant d’argent dû. La rémunération doit être reçue pour que la somme puisse être incluse dans le revenu tiré d’une charge ou d’un emploi (article 5 de la Loi). Par conséquent, puisqu’il est fait référence à un montant que le contribuable, « s’il le recevait », devrait inclure dans son revenu, les frais judiciaires engagés dans les tentatives infructueuses d’établir un droit à la rémunération impayée ou de recouvrer cette rémunération seraient sans doute déductibles, même si la rémunération impayée n’est pas incluse dans le revenu.

V. Conclusion

[43] Par conséquent, je suis d’avis que l’alinéa 8(1)b) de la Loi n’autorise pas l’employé à demander une déduction au titre des frais judiciaires engagés pour se défendre contre une action liée à une somme qu’il a déjà reçue. Les frais judiciaires engagés par les appelants, même la portion pouvant raisonnablement être considérée comme s’appliquant à l’action alléguant que les appelants ont été payés en trop, ne sont pas déductibles au titre de l’alinéa 8(1)b) de la Loi. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres arguments invoqués dans les présents appels.

[44] Je rejetterais les appels. Comme les appels ont été réunis dans un seul dossier d’appel, lequel comporte un seul mémoire des faits et du droit, un seul recueil conjoint de jurisprudence et une seule série d’observations orales, j’accorderais à la Couronne un seul mémoire de dépens.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPELS DE JUGEMENTS DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT

DATÉS DU 28 AOÛT 2018, RÉFÉRENCE NO 2018 CCI 177

DOSSIERS :

A-295-18, A-296-18 ET A-297-18

 

INTITULÉ :

RICHARD AARON BARKLEY ET AL. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 octobre 2020

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

DATE DES MOTIFS :

Le 19 janvier 2021

COMPARUTIONS :

Sean C. Flaherty

Pour les appelants

Jack Warren

Pour l’intimée

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

McKenzie Lake Lawyers LLP

London (Ontario)

Pour les appelants

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimée

 

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