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Date : 20210119


Dossier : A-118-18

Référence : 2021 CAF 6

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

JAMES S.A. MACDONALD

intimé

Appel jugé sur dossier sans comparution des parties.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LA JUGE GAUTHIER

 


Date : 20210119


Dossier : A-118-18

Référence : 2021 CAF 6

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

JAMES S.A. MACDONALD

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

[1] Le présent appel est porteur de leçons. Multiplier les procédures qui se chevauchent est fort risqué. Si ce risque n’est pas géré avec soin, le jugement rendu dans une affaire peut mettre fin à des questions soulevées dans une autre affaire.

[2] Parfois, une telle démarche peut aussi avoir des conséquences plus graves. Parfois, elle peut mettre terme immédiatement à l’autre affaire. C’est ce qui s’est produit en l’espèce. Par conséquent, je rejetterais le présent appel.

A. Le contexte

[3] En l’espèce, deux affaires se chevauchaient. Pour les besoins des présents motifs, je les appellerai « première affaire » et « deuxième affaire ». Ces deux affaires ont un élément en commun : elles portent sur la validité et le caractère approprié des dépens adjugés par la Cour canadienne de l’impôt dans les instances devant elle.

[4] Voici en quoi consistent ces deux affaires :

  • La première affaire. M. MacDonald a interjeté appel des cotisations d’impôt sur le revenu établies par le ministre à l’égard de certaines années d’imposition. Il a obtenu gain de cause devant la Cour canadienne de l’impôt : 2017 CCI 157. Des dépens calculés selon le barème habituel pour ce type d’instance lui ont été adjugés. La Couronne a interjeté appel de cette décision auprès de notre Cour (dossier A-281-17), et elle a obtenu gain de cause : 2018 CAF 128. Des dépens calculés selon le barème habituel lui ont été adjugés, notamment pour l’instance devant la Cour canadienne de l’impôt. M. MacDonald a interjeté appel auprès de la Cour suprême du Canada. Son appel a été rejeté avec dépens : 2020 CSC 6. La décision de notre Cour concernant les dépens adjugés pour l’instance devant la Cour canadienne de l’impôt a donc été maintenue.

  • La deuxième affaire. Cette affaire a débuté après que M. MacDonald a obtenu gain de cause dans la première affaire devant la Cour canadienne de l’impôt, mais avant que notre Cour n’entende l’appel de la Couronne. M. MacDonald a présenté une requête à la Cour canadienne de l’impôt afin que celle-ci modifie les dépens qu’elle avait adjugés. Il demandait que les dépens pour l’instance devant la Cour canadienne de l’impôt soient majorés en raison de l’offre de règlement qu’il avait présentée. La Cour canadienne de l’impôt a accueilli la requête de M. MacDonald et a modifié le jugement qu’elle avait rendu dans la première affaire : 2018 CCI 55. La Couronne interjette maintenant appel (dossier A-118-18). Elle demande que lui soient adjugés des dépens majorés pour l’instance devant la Cour canadienne de l’impôt, en raison de l’offre de règlement qu’elle a présentée mais qui avait été rejetée. Il s’agit de l’appel dont notre Cour est saisie en l’espèce.

B. Analyse

[5] L’appel de la Couronne doit être rejeté, pour les deux motifs suivants.

1) Le principe interdisant la remise en cause

[6] Dès que la Cour suprême a statué sur la première affaire, lorsqu’elle a rejeté l’appel de M. MacDonald, le principe de la chose jugée a commencé à s’appliquer. Selon ce principe, les mêmes parties ne peuvent pas remettre en cause dans une autre procédure un droit à une mesure de redressement qui a fait l’objet d’une décision définitive : Henderson v. Henderson (1843), 3 Hare 100, 67 E.R. 313 (Eng. V.-C.), p. 319; Farwell v. The Queen (1894), 22 S.C.R. 553, p. 558; Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248, 1974 CanLII 168. Comme l’indiquent clairement les avis d’appel, les jugements et les motifs du jugement de notre Cour et de la Cour suprême, la question du droit aux dépens pour l’instance devant la Cour canadienne de l’impôt a été soulevée et tranchée dans la première affaire. Cette question ne peut donc pas être remise en cause dans la deuxième affaire.

[7] En d’autres mots, l’appel dont notre Cour est présentement saisie – dans lequel on lui demande de rendre une décision sur la question des dépens pour l’instance devant la Cour canadienne de l’impôt – constitue une attaque indirecte inadmissible contre le jugement rendu sur cette question par la Cour suprême : R. c. Consolidated Maybrun Mines Ltd., [1998] 1 R.C.S. 706, 1998 CanLII 820; Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594, 1983 CanLII 35. La Cour suprême a rejeté l’appel interjeté contre le jugement de notre Cour et a ainsi confirmé ce jugement, ce qui comprend l’adjudication de dépens pour l’instance devant la Cour canadienne de l’impôt.

[8] Incidemment, personne n’a informé les formations de notre Cour ou de la Cour suprême chargées d’entendre les appels que la deuxième affaire était en instance. Comme je l’explique ci-après, si cela avait été fait, le problème auquel fait actuellement face la Couronne ne se serait probablement jamais posé.

2) En droit, l’ordonnance portée en appel n’existe plus

[9] La situation en l’espèce peut être analysée sous un autre angle. L’ordonnance de la Cour canadienne de l’impôt dans la deuxième affaire était entièrement subordonnée à l’ordonnance que celle-ci avait rendue dans la première affaire. Sa validité dépendait entièrement de celle de la première.

[10] Ce principe se dégage de la règle ayant rendu possible l’ordonnance dans la deuxième affaire : Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), D.O.R.S./90-688a, par. 147(7). Selon cette disposition, la Cour canadienne de l’impôt peut donner des directives à l’officier taxateur à l’égard d’une ordonnance d’adjudication de dépens qu’elle a déjà rendue ou elle peut reconsidérer cette ordonnance. Lorsque notre Cour a rendu son jugement accueillant l’appel de la Couronne et annulant le jugement de la Cour canadienne de l’impôt (y compris l’adjudication de dépens), tout le fondement de l’ordonnance rendue dans la deuxième affaire en application du paragraphe 147(7) s’est écroulé, de sorte que cette ordonnance n’avait plus aucun effet juridique.

[11] Ainsi, sur le plan juridique, le jugement de notre Cour a rendu nuls à la fois le jugement de la Cour canadienne de l’impôt (y compris l’adjudication des dépens) et l’ordonnance prononcée par la Cour canadienne de l’impôt en application du paragraphe 147(7).

[12] Pour qu’une partie puisse interjeter appel d’une ordonnance, cette ordonnance doit exister. Or, parce que l’ordonnance rendue en application du paragraphe 147(7) – c’est-à-dire l’ordonnance de la Cour canadienne de l’impôt dans la deuxième affaire – a été annulée, l’appel de cette ordonnance est de même frappé de nullité. Il n’y a donc plus d’appel dont notre Cour peut être saisie.

C. Autres indications

[13] Bien que ces explications suffisent pour justifier le rejet de l’appel de la Couronne, il convient, pour de futures affaires, d’expliquer plus en détail comment éviter ce type de résultat. Un bon point de départ consiste à examiner le droit régissant les ordonnances et les jugements ainsi que leurs effets.

[14] Le document qui a un effet juridique définitif et exécutoire est l’ordonnance ou le jugement formels rendus par la cour, et non les motifs de la cour : voir Rogerville c. Canada (Comité d’appel de la fonction publique), [1996] A.C.F. no 1002 (QL) (1re inst.), par. 7; Canadian Express Ltd. v. Blair (1991), 6 O.R. (3d) 212, 5 C.P.C. (3d) 161 (C. div. Ont.). Lorsqu’une ordonnance ou un jugement formels sont rendus, toutes les questions qui ont été soulevées dans l’instance ou qui auraient pu l’être sont tranchées de façon définitive : Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460, par. 18 et 19; Collins c. Canada, 2011 CAF 171, [2011] A.C.F. no 722 (QL), par. 12.

[15] Si un appel est interjeté, la cour d’appel peut modifier l’ordonnance ou le jugement. Par conséquent, l’ordonnance ou le jugement portés en appel ne sont donc pas définitifs pour l’application du principe de la chose jugée. Il est toutefois un aspect du caractère définitif qui demeure : la cour qui a rendu l’ordonnance ou le jugement ne peut réexaminer, suspendre, annuler ou modifier cette ordonnance ou ce jugement.

[16] Il s’agit là de la règle générale. Cependant, il existe des exceptions restreintes, qui sont souvent assorties d’un délai. Comme nous le verrons, il arrive parfois qu’une partie invoque ces exceptions pour atténuer le caractère définitif d’un jugement et, ce faisant, elle évite le type de résultat qui s’est produit en l’espèce.

[17] Dans le système des Cours fédérales, ces exceptions sont énoncées dans les Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106 (les Règles) :

  • Article 397 des Règles : pouvoir de réexaminer les ordonnances ou les jugements pour tenir compte de toute erreur, de toute omission ou de tout oubli. Ce pouvoir est beaucoup plus restreint qu’il n’y paraît. Au titre de cette disposition, la cour ne peut réexaminer une affaire et infirmer la décision qu’elle a rendue : Bell Helicopters Textron Canada Limitée c. Eurocopter, 2013 CAF 261, [2013] A.C.F. no 1283 (QL). Les parties ne peuvent se prévaloir de ce recours que pendant les dix jours suivant le prononcé du jugement, et seul le juge ou seuls deux des trois juges de la formation ayant rendu l’ordonnance ou le jugement peuvent intervenir : Règles, par. 397(1); Loi sur les Cours fédérales, art. 45.

  • Article 398 des Règles : pouvoir de surseoir à l’exécution d’une ordonnance ou d’un jugement de la cour.

  • Article 399 des Règles : pouvoir d’annuler ou de modifier une ordonnance ou un jugement de la cour. Les ordonnances ex parte peuvent faire l’objet d’un examen ultérieur si toutes les parties concernées comparaissent devant la cour. Hormis dans ces circonstances, ce recours ne peut presque jamais être exercé. Pour que ce recours soit disponible, il faut démontrer l’existence de questions qui touchent le fondement même de l’ordonnance ou du jugement, comme la fraude, des vices de procédure de grande importance ou des questions importantes qui n’auraient pas pu être communiquées plus tôt.

  • Article 403 des Règles : pouvoir de donner des directives supplémentaires au sujet du contenu d’une adjudication de dépens dans une ordonnance ou un jugement. Ce pouvoir peut être exercé dans les trente jours suivant le prononcé du jugement et il ne peut l’être que par le juge ou les juges qui ont participé à l’ordonnance ou au jugement.

[18] L’article 105 des Règles fournit un autre outil essentiel pour la gestion d’instances multiples, en autorisant que des instances multiples soient réunies ou instruites conjointement. Dans de tels cas, chaque instance demeure séparée et un jugement distinct est rendu pour chacune. Mais comme la cour examine toutes les questions en litige et rend les jugements en même temps, aucune question n’est mise de côté ou interdite en raison du caractère définitif des jugements ou du principe interdisant la remise en cause.

[19] Enfin, il arrive à l’occasion que des instances multiples soient gérées de manière informelle, lorsque la cour qui instruit la première instance est informée de l’existence d’instances connexes. Le cas échéant, la cour peut rédiger son ordonnance ou son jugement de manière à ce que les parties aient toujours la possibilité de faire trancher les questions soulevées dans l’autre instance. Ou la cour peut, de sa propre initiative, réunir les instances ou les instruire conjointement : Coote c. Lawyers’ Professional Indemnity Company, 2013 CAF 143, par. 6; Bande indienne de Montana c. Canada, 1999 CanLII 8209 (C.F. 1re inst.).

[20] Les outils suivants auraient pu être utilisés en l’espèce :

  • Réunir les instances ou les instruire conjointement. L’adjudication, par la Cour canadienne de l’impôt, de dépens majorés dans la deuxième affaire a eu lieu avant que notre Cour entende l’appel dans la première affaire. Les parties auraient pu demander par voie de requête que notre Cour réunisse les appels interjetés par la Couronne auprès de notre Cour dans la deuxième affaire (c’est-à-dire le présent appel) et dans la première affaire. Ou elles auraient pu demander que les deux affaires soient instruites conjointement, afin que notre Cour puisse veiller à ce qu’il y ait cohérence entre les deux.

  • Informer notre Cour des offres de règlement. Lorsque les parties ont présenté devant notre Cour leurs observations lors de l’appel dans la première affaire, elles auraient pu informer notre Cour de l’existence d’offres de règlement (mais non de leur contenu) susceptibles d’influencer les dépens adjugés dans les instances devant la Cour canadienne de l’impôt et devant notre Cour et demander la possibilité de soumettre ultérieurement des observations sur les dépens. Si elles l’avaient fait, notre Cour aurait tranché la question des dépens dans la deuxième affaire, en même temps que toutes les questions soulevées dans la première affaire.

  • Présenter des observations sur les dépens après le prononcé du jugement. Dans les trente jours suivant le prononcé du jugement de notre Cour dans la première affaire, les parties auraient pu se prévaloir de l’article 403 des Règles pour présenter des observations supplémentaires sur les dépens. Subsidiairement, dans les dix jours suivant le prononcé du jugement de notre Cour dans la première affaire, elles auraient pu se prévaloir de l’article 397 de ces mêmes Règles pour soulever une question qui avait été omise, c’est-à-dire déterminer si l’adjudication de dépens majorés était appropriée eu égard aux offres de règlement.

D. Réponse à la Couronne

[21] J’aimerais me prononcer sur certaines observations de la Couronne.

[22] La Couronne soutient que la question des dépens majorés n’a pas été examinée dans l’appel de la première affaire devant notre Cour et qu’elle peut par conséquent demander des dépens majorés. Cet argument fait abstraction du fait que le principe interdisant la remise en cause s’applique non seulement aux questions qui ont été soulevées, mais également à celles qui aurait pu l’être : Erschbamer v. Wallster, 2013 BCCA 76, 41 B.C.L.R. (5th) 160, par. 12; Henderson v. Henderson (1843), 3 Hare 100, 67 E.R. 313 (Eng. V.-C.), p. 319; Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2002 CAF 210, par. 26; Raincoast Conservation Foundation c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 224, [2003] 1 C.F. 242, par. 24. Sinon, les litiges ne finiraient jamais – les parties reviendraient continuellement devant la cour pour faire valoir des arguments qui n’avaient pas été invoqués plus tôt. Notre système judiciaire, qui privilégie le caractère définitif des décisions et la certitude, ne fonctionne pas de cette manière.

[23] La Couronne soutient que les « dépens » et les « dépens majorés » sont deux questions distinctes. Je ne sais pas vraiment en quoi cela influe sur la question dont nous sommes saisis. Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas de questions distinctes. Lorsqu’un tribunal adjuge des dépens, il est entendu qu’il tranche la question du droit aux dépens pleinement et définitivement, sous réserve uniquement des exceptions restreintes discutées plus haut, prévues par les Règles.

[24] La Couronne soutient également que le principe de la chose jugée ne devrait pas s’appliquer parce que le mémoire des faits et du droit présenté à notre Cour lors de l’appel de la première affaire avait été déposé avant que la Cour canadienne de l’impôt ne rende son ordonnance d’adjudication des dépens dans la deuxième affaire. Cet argument doit lui aussi être rejeté. Ainsi qu’il a été mentionné plus haut, la Couronne disposait de plusieurs recours, mais elle ne s’est prévalue d’aucun. Avant ou pendant l’audience, elle aurait pu demander l’autorisation de présenter des observations écrites sur la question des dépens majorés. Elle aurait pu demander des dépens majorés à l’audience sur l’appel ou, comme je l’ai expliqué plus haut, dans les trente jours subséquents. La Couronne n’en a rien fait.

[25] La Couronne souligne que notre Cour a suspendu le présent appel dans la deuxième affaire, avec le consentement des parties, en attendant que la première affaire soit tranchée. Elle fait valoir que notre Cour a en quelque sorte admis – ou l’a recommandé ou l’a approuvé – que l’appel était d’une certaine manière protégé contre le principe de la chose jugée. Il n’en est rien. Les parties ont demandé une suspension de l’appel dans la deuxième affaire, et le rôle de la Cour n’est pas de les avertir des risques associés à cette démarche ni de s’enquérir de leur stratégie. Les parties doivent veiller à leurs propres intérêts.

[26] Quant aux mécanismes prévus à l’article 403 des Règles, il est maintenant trop tard pour que la Couronne s’en prévale. Elle n’a pas présenté de requête en vertu de cet article. Elle n’a pas non plus demandé de prorogation de délai en vertu de l’article 8 des Règles. Et, même si elle l’avait fait, la prorogation de délai ne lui aurait pas été accordée : Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 263 (C.A.F.), et Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204, [2012] A.C.F. no 880 (QL). Les articles 397 et 403 des Règles prévoient de courts délais, soit dix jours dans le cas du premier et trente jours dans le cas du second. Le temps qui s’est écoulé – c’est-à-dire au moins 31 mois – dépasse, et de loin, les délais prescrits. Même si la Couronne pouvait surmonter cet obstacle de taille, notre Cour n’accorderait pas de prorogation de délai. Rien n’empêchait la Couronne de soulever la question des dépens majorés lorsque notre Cour ou la Cour suprême ont été dûment saisies de l’affaire. Qui plus est, la Cour suprême a ratifié le jugement de notre Cour, y compris sa décision concernant les dépens.

[27] La Couronne demande une mesure au titre de l’article 397 des Règles. Encore une fois, une prorogation de délai doit être obtenue à cette fin. Cependant, je ne l’accorderais pas pour les motifs énoncés ci-dessus.

[28] Enfin, même si l’un ou l’autre des arguments examinés plus haut était retenu, un problème insurmontable persiste : l’ordonnance portée en appel dans la deuxième affaire – c’est-à-dire l’ordonnance faisant l’objet du présent appel devant notre Cour – n’existe plus.

E. Autres questions en litige

[29] En l’espèce, notre Cour a porté elle-même à l’attention des parties la question de savoir si elle devait refuser d’examiner des questions qu’elle avait déjà tranchées. À juste titre, la Couronne ne s’y est pas opposée. Notre Cour peut intervenir pour promouvoir, mettre en application et défendre certaines valeurs prisées par notre système judiciaire, notamment l’efficacité, l’économie judiciaire et le caractère définitif des décisions : Règles, art. 3; Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87; voir aussi Mazhero c. Fox, 2014 CAF 219, par. 4, Fabrikant c. Canada, 2018 CAF 171, par. 3, et bon nombre d’affaires semblables portant sur le pouvoir entier de la Cour de réglementer et de régir ses affaires.

[30] Il est vrai que les questions relatives au principe de la chose jugée et au caractère définitif des décisions sont habituellement invoquées par une partie et, de fait, certaines lois peuvent exiger qu’elles soient invoquées par les parties si ces dernières veulent les faire valoir en défense : Cooper v. Molsons Bank (1896), 26 S.C.R. 611, p. 620; BriDawn Holdings Inc. v. Wabana (Town), 2019 NLSC 106, par. 75. Mais ces précédents ne précisent pas si la cour elle-même peut soulever ces questions dans une situation comme celle en l’espèce. Elle le peut.

[31] La Couronne, à juste titre, n’a pas fait valoir que l’« équité » est une exception au principe du caractère définitif des jugements qui s’applique en l’espèce. En effet, il ne s’agit pas d’une exception. Si c’était le cas, des parties déboutées tenteraient de faire examiner de nouveau le litige, puis feraient une nouvelle tentative, et le feraient peut-être encore et encore.

[32] L’équité est un principe pertinent qui s’applique à d’autres principes interdisant la remise en cause, notamment la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et le recours abusif. Si une partie à une instance qui a donné lieu à un jugement définitif se retrouve ultérieurement partie à un litige dans une affaire différente mettant en cause des parties différentes, il pourrait lui être interdit de remettre en cause une question qui a été soulevée et tranchée dans l’instance antérieure. En pareille situation, les considérations relatives à l’équité reconnues dans la jurisprudence entrent en jeu : Danyluk, précité; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77. Il ne s’agit toutefois pas en l’espèce d’une question de préclusion découlant d’une question déjà tranchée ni de recours abusif. Et même si c’était le cas, je ne souscrirais pas aux arguments relatifs à l’équité en l’espèce, pour les motifs exposés plus haut.

F. Post-scriptum

[33] À la demande des parties, le présent appel a été instruit et tranché sans que soit tenue d’audience. Notre Cour s’est fondée sur les mémoires des faits et du droit des parties. Comme ces mémoires ne faisaient pas mention du principe de la chose jugée ni des conséquences juridiques du jugement rendu par notre Cour dans la première affaire, notre Cour a porté ces questions à l’attention des parties et les a invitées à présenter d’autres observations écrites. Les deux parties ont présenté des observations écrites supplémentaires et notre Cour les a examinées.

[34] Ni l’une ni l’autre des parties n’a fait valoir dans ses observations que l’appel dans la première affaire avait décidé de l’issue du présent appel. C’est toutefois le cas, pour les motifs exposés ci-dessus.

G. Dispositif proposé

[35] Je rejetterais l’appel. Je n’estime pas nécessaire de rendre une ordonnance précise au sujet de l’ordonnance d’adjudication des dépens rendue par la Cour canadienne de l’impôt dans la deuxième affaire. Ainsi qu’il est expliqué aux paragraphes 9 à 12 plus haut, cette ordonnance a été annulée par le jugement prononcé par notre Cour dans la première affaire.

[36] Durant la première affaire, les deux parties auraient dû informer notre Cour de la deuxième affaire. Par conséquent, je n’adjugerais pas de dépens.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

M. Nadon, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-118-18

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE c. JAMES S.A. MACDONALD

 

APPEL D’UNE ORDONNANCE DE MADAME LA JUGE LAFLEUR DATÉE DU 16 MARS 2018, DOSSIER NO 2013-4032(IT)G

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 JANVIER 2021

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Suzanie Chua

 

Pour l’appelante

 

Matthew Milne-Smith

Chenyang Li

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour l’appelante

 

Davies Ward Phillips & Vineberg S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour l’intimé

 

 

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