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Date : 20201019


Dossier : A-311-19

Référence : 2020 CAF 172

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

INTERNATIONAL AIR TRANSPORT ASSOCIATION,

AIR TRANSPORTATION ASSOCIATION OF AMERICA

faisant affaire sous le nom de

AIRLINES FOR AMERICA, DEUTSCHE LUFTHANSA AG,

SOCIÉTÉ AIR FRANCE, S.A., BRITISH AIRWAYS PLC,

AIR CHINA LIMITED, ALL NIPPON AIRWAYS CO., LTD.,

CATHAY PACIFIC AIRWAYS LIMITED,

SWISS INTERNATIONAL AIRLINES LTD.,

QATAR AIRWAYS GROUP Q.C.S.C., AIR CANADA,

PORTER AIRLINES INC., AMERICAN AIRLINES INC.,

UNITED AIRLINES INC., DELTA AIR LINES INC.,

ALASKA AIRLINES INC., HAWAIIAN AIRLINES INC. et

JETBLUE AIRWAYS CORPORATION

 

appelantes

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

intimés

et

GÁBOR LUKÁCS

intervenant

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2020.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE MACTAVISH

 


Date : 20201019


Dossier : A-311-19

Référence : 2020 CAF 172

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

INTERNATIONAL AIR TRANSPORT ASSOCIATION,

AIR TRANSPORTATION ASSOCIATION OF AMERICA

faisant affaire sous le nom de

AIRLINES FOR AMERICA, DEUTSCHE LUFTHANSA AG,

SOCIÉTÉ AIR FRANCE, S.A., BRITISH AIRWAYS PLC,

AIR CHINA LIMITED, ALL NIPPON AIRWAYS CO., LTD.,

CATHAY PACIFIC AIRWAYS LIMITED,

SWISS INTERNATIONAL AIRLINES LTD.,

QATAR AIRWAYS GROUP Q.C.S.C., AIR CANADA,

PORTER AIRLINES INC., AMERICAN AIRLINES INC.,

UNITED AIRLINES INC., DELTA AIR LINES INC.,

ALASKA AIRLINES INC., HAWAIIAN AIRLINES INC. et

JETBLUE AIRWAYS CORPORATION

 

appelantes

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

intimés

et

GÁBOR LUKÁCS

intervenant

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE MACTAVISH

[1] Le procureur général du Canada sollicite une ordonnance radiant des parties de deux affidavits déposés par les appelantes à l’appui de leur contestation de la validité du Règlement sur la protection des passagers aériens, DORS/2019-150. Les appelantes soutiennent notamment que certaines parties du Règlement devraient être annulées parce qu’elles sont incompatibles avec la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, 1er octobre 2001, 2242 R.T.N.U. 309, entrée en vigueur le 4 novembre 2003 (la Convention de Montréal). Le Canada a ratifié la Convention de Montréal en 2002 et l’a incorporée au droit canadien par des modifications apportées à la Loi sur le transport aérien, L.R.C. 1985, ch. C-26.

[2] Le procureur général soutient que, dans la mesure où les témoins experts des appelantes se proposent d’exprimer leurs opinions sur l’interprétation à donner à la Convention de Montréal, cet élément de preuve n’est ni utile ni admissible. Selon le procureur général, l’interprétation qu’il convient de donner à la Convention de Montréal relève du droit international qui n’exige pas que la preuve en soit faite devant les tribunaux canadiens, mais qu’il s’agit plutôt d’une question que les juges peuvent prendre connaissance d’office.

[3] Le procureur général soutient également que l’interprétation de la Convention de Montréal est la question centrale en l’espèce. Par conséquent, la preuve d’expert des appelantes empiète sur le rôle de la Cour et porte sur la question même que la Cour devra trancher. Le procureur général fait également remarquer que les appelantes n’ont pas réussi à obtenir l’autorisation de la Cour pour déposer des éléments de preuve relatifs au droit international dans le présent appel.

I. Résumé des faits

[4] Le 23 mai 2018, le Parlement a adopté la Loi sur la modernisation des transports, L.C. 2018, ch. 10, qui modifiait la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, par l’ajout de l’article 86.11. Cette disposition permet à l’Office des transports du Canada de prendre des règlements, après consultation avec le ministre des Transports, afin d’établir les normes minimales à respecter quant au traitement des passagers et les indemnités minimales à verser aux passagers (dans certains cas) en cas de retard ou d’annulation de vols, de refus d’embarquement ou de perte ou d’endommagement des bagages.

[5] Le Règlement sur la protection des passagers aériens pris par l’Office a par la suite été approuvé par le gouverneur en conseil conformément au paragraphe 36(1) de la Loi sur les transports au Canada. Le Règlement prévoit notamment ce qui suit :

a) les renseignements que les transporteurs doivent fournir aux passagers en ce qui concerne le traitement des passagers, les indemnités minimales que les transporteurs doivent verser aux passagers et les recours dont les passagers disposent;

b) les normes minimales relatives au traitement des passagers que doit respecter le transporteur lorsque le retard, l’annulation ou le refus d’embarquement lui est attribuable;

c) les indemnités minimales que le transporteur doit verser aux passagers pour les inconvénients qu’ils ont subis, lorsque le retard, l’annulation ou le refus d’embarquement lui est attribuable, mais n’est pas nécessaire par souci de sécurité;

d) les indemnités minimales à verser par le transporteur aux passagers en cas de perte ou d’endommagement de bagages.

[6] Les appelantes ont demandé à la Cour l’autorisation de contester la légalité du Règlement, l’invitant à déterminer si certaines dispositions du Règlement sont compatibles avec le régime de responsabilité exclusive régissant le transport aérien international établi par la Convention de Montréal. La Cour a par la suite accordé aux appelantes l’autorisation d’interjeter appel.

[7] Dans leur avis d’appel, les appelantes affirment que certaines dispositions du Règlement contreviennent à la Convention de Montréal. Elles soutiennent également que le Règlement outrepasse le pouvoir de réglementation que le Parlement a conféré à l’Office, et qu’il est par conséquent invalide, nul et sans effet.

[8] Plus précisément, les appelantes font valoir qu’en réglementant les retards et les annulations de vols, les refus d’embarquement et la perte ou l’endommagement des bagages, le Règlement va à l’encontre de la Convention de Montréal. Selon les appelantes, le Règlement prévoit des dommages-intérêts non compensatoires interdits par la Convention, excède les limites de responsabilité prévues dans la Convention et ne tient pas compte de l’exclusion de responsabilité contenue dans la Convention.

[9] Le procureur général a par la suite présenté une requête demandant l’autorisation de présenter une preuve d’expert sur le droit étranger, comme nouvel élément de preuve en appel. Le procureur général cherchait à produire des éléments de preuve sur le droit étranger pour établir que le Règlement sur les droits des passagers aériens est semblable ou analogue à la législation de nombreux autres États parties à la Convention de Montréal. Le procureur général a soutenu que cet élément de preuve portait sur les questions soulevées dans le présent appel, parce que la pratique suivie par les États, y compris leur législation interne et leurs décisions judiciaires, est un moyen reconnu servant à interpréter un traité comme la Convention de Montréal. La requête du procureur général a été accueillie, et une date a été fixée pour que les parties déposent leurs rapports d’expert sur cette question.

[10] Les appelantes ont par la suite informé le procureur général qu’en plus de produire des éléments de preuve sur le droit étranger, elles avaient aussi l’intention de présenter des éléments de preuve abordant la question de la mesure dans laquelle les lois des autres États parties à la Convention de Montréal étaient conformes aux dispositions de la Convention. Elles ont par la suite déposé les affidavits de MM. Pablo Mendes de Leon et Paul Stephen Dempsey, tous deux décrits comme étant des experts du droit et des politiques en matière d’aviation. En plus de se prononcer sur des questions de droit étranger, la preuve de MM. de Leon et Dempsey traite de la question de savoir si les lois de l’Union européenne et des États-Unis en matière de protection des passagers aériens peuvent être invoquées comme étant la pratique suivie par les États, utile pour l’interprétation de la Convention de Montréal.

[11] Le procureur général soutient que la preuve d’expert fournie par les appelantes est inadmissible dans la mesure où elle vise à donner des avis juridiques sur l’interprétation qu’il convient de donner à la Convention de Montréal. Cela met en cause des questions de droit international. Contrairement au droit étranger, les questions de droit international sont des questions de droit et non de fait, qui n’exigent pas que la preuve en soi faite, mais qu’il s’agit plutôt de questions que les juges canadiens peuvent prendre connaissance d’office. Par conséquent, le critère de nécessité de l’arrêt Mohan n’a pas été satisfait : R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, 114 D.L.R. (4th) 419, aux paragraphes 17 et 25 à 29.

[12] Le procureur général fait également remarquer que les appelantes n’ont pas réussi à obtenir l’autorisation de la Cour pour déposer ces éléments de preuve. En outre, le procureur général soutient que l’interprétation qu’il convient de donner à la Convention de Montréal, dans la mesure où elle traite de la responsabilité du transport aérien pour les dommages en cas de décès, de blessures, de retards subis par les passagers ainsi que de la destruction, de la perte, du retard des bagages ou des bagages endommagés, est « l’élément central » du présent appel. À ce titre, les experts des appelantes se proposent d’exprimer leurs opinions sur la question fondamentale, empiétant ainsi sur le rôle de la formation qui sera saisie de l’appel.

II. Discussion

[13] La question à trancher est donc celle de savoir si des parties des affidavits de MM. Dempsey et de Leon devraient être radiées à cette étape préliminaire, ou si l’appréciation de l’admissibilité des éléments de preuve contestés devrait revenir à la formation qui sera saisie de l’appel.

[14] Il est bien établi en droit que les questions de droit étranger sont traitées comme des questions de fait, et qu’elles exigent donc la présentation d’une preuve d’experts dûment qualifiés. Le droit semble cependant quelque peu incertain lorsqu’il s’agit de la nécessité de recourir à une preuve d’expert au moment de traiter de questions de droit international.

[15] La Cour a formulé des commentaires sur le recours aux témoins experts pour prouver des questions de droit international dans l’arrêt Turp c. Canada (Affaires étrangères), 2018 CAF 133, [2019] 1 R.C.F. 198. La Cour a déclaré qu’elle était d’avis qu’il n’était pas nécessaire que les parties produisent des rapports d’expert pour prouver le droit international puisque le droit international est une question que les juges canadiens peuvent prendre connaissance d’office : voir l’arrêt Turp, aux paragraphes 82 à 89. Voir également les jugements cités dans l’arrêt Turp : The Ship “North” v. The King, [1906] 37 R.C.S. 385, 26 C.L.T. 380; Jose Pereira E Hijos, S.A. c. Canada (Procureur général), [1997] 2 CF 84, (1996), 126 FTR 167 (C.F. 1re instance); Lord Advocate’s Reference No. 1, [2001] ScotHC 15 (BAILII), [2001] S.L.T. 507.

[16] Toutefois, la Cour a clairement mentionné que les commentaires qu’elle a formulés dans l’arrêt Turp constituaient des remarques incidentes, puisque les parties n’avaient pas soulevé la question de la preuve, et que ses commentaires ne devraient donc pas être interprétés comme étant une décision définitive sur la question.

[17] La Cour fédérale a également tiré une conclusion similaire à celle de l’arrêt Turp en ce qui concerne la nécessité de recourir à une preuve d’expert lorsque des questions de droit international sont soulevées : Pan American World Airways Inc. c. La Reine et autre, 1979 CanLII 2790, 96 D.L.R. (3d) 267, aux pages 274 et 275 (confirmé sans commentaires sur cette question 1980 CanLII 2610 (CAF), [1981] 2 RCS 565 (CSC)).

[18] En fait, dans une série d’articles, Gib van Ert fait valoir de façon convaincante que, contrairement aux questions de droit étranger (qui sont toujours traitées comme des questions de fait), les questions de droit international public sont des questions de droit qui n’exigent donc pas que la preuve en soi faite : Gib van Ert, « Recent Federal Court Decisions on Expert Evidence of International Law » (31 décembre 2018), blogue en ligne : Gib van Ert <https://gibvanert.com/2018/12/31/recent-federal-courts-decisions-on-expert-evidence-of-international-law/#more-153>; « The Reception of International Law in Canada: Three Ways We Might Go Wrong », (2018) in Centre for International Governance Innovation in Canada in International Law at 150 and Beyond, Paper No. 2; « The Admissibility of International Legal Evidence » (2005) 84 R. du B. can.

[19] Cela étant dit, Gib van Ert reconnaît que les tribunaux canadiens n’ont pas été constants dans leur façon d’analyser la preuve relative aux questions de droit international : Gib van Ert, « Three Ways We Might Go Wrong », précité, à la page 6. Il cite des exemples d’approches contraires, y compris dans la décision Bouzari v. Iran, [2002] OJ no 1624, [2002] O.T.C. 297 (C.S.J. Ont.), confirmé par 71 O.R. (3d) 675 (C.A. Ont.) et la décision Amaratunga v. Northwest Atlantic Fisheries Organization, 2011 NSCA 73, [2011] N.S.J no 453. Je remarque que la Cour fédérale a également formulé des commentaires sur les incertitudes du droit sur ce point dans la décision Boily c. Canada, 2017 CF 1021, [2017] ACF no 1275, aux paragraphes 25 et 27 à 31.

[20] Les appelantes ont également mentionné des cas dans lesquels une opinion contraire avait été retenue sur la question de la preuve, y compris dans la décision Holding Tusculum b.v. c. S.A. Louis Dreyfus & Cie, 2006 QCCS 2827, [2006] J.Q. no 4878. Dans cette décision, la Cour supérieure du Québec a rejeté une requête en radiation des rapports d’expert sur la question du droit international de l’arbitrage qui soulevait des arguments semblables à ceux avancés en l’espèce : aux paragraphes 4, 9 et 10. Les éléments de preuve contestés ont par la suite été invoqués par la Cour dans sa décision sur le fond : Holding Tusculum, b.v. c. Louis Dreyfus, s.a.s. (SA Louis Dreyfus & Cie), 2008 QCCS 5904, [2008] J.Q. no 15012.

[21] Il y a eu en outre plusieurs décisions dans lesquelles la preuve d’expert sur le droit international (y compris le sens des obligations découlant des traités) a été acceptée, apparemment sans opposition : voir, par exemple, la décision Tracy v. Iranian Ministry of Information and Security, 2016 ONSC 3759, [2016] O.J. no 3042 (CSJ Ont.), confirmée par 2017 ONCA 549; autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée [2017] C.S.C.R. no 359.

[22] De même, dans la décision Najafi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), la preuve de deux experts en droit international sur la légalité du recours à la force en droit international a été produite devant la Cour fédérale, apparemment sans opposition. Cette preuve a guidé tant l’analyse de la Cour fédérale que celle de notre Cour, en appel : 2013 CF 876, confirmée par 2014 CAF 262; autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée [2015] C.S.C.R. no 2.

[23] La décision Saskatchewan v. Saskatchewan Federation of Labour, 2012 SKQB 62, en donne un autre exemple. Dans ce jugement, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a reçu une preuve d’expert sur les obligations du Canada découlant de traités internationaux en matière de relations de travail et du droit de grève : aux paragraphes 100 et 102. La décision a finalement été portée en appel devant la Cour suprême du Canada. Dans les motifs qu’elle a rédigés au nom de la majorité, la juge Abella a fait référence à la preuve d’expert sur le droit international produite par la Saskatchewan Union of Nurses, bien qu’elle n’ait fait aucun commentaire sur l’admissibilité de la preuve d’expert sur cette question : 2015 CSC 4, au paragraphe 65.

[24] Les appelantes font en fait remarquer que le procureur général a lui-même produit une preuve d’expert sur des questions de droit international dans de nombreux litiges : voir la jurisprudence mentionnée aux paragraphes 55 et 56 du mémoire des faits et du droit des appelantes.

[25] Le procureur général souligne que notre Cour s’est montrée disposée à radier un élément de preuve inadmissible au début de l’instance : Canada (Bureau de régie interne) c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 43, [2017] ACF no 255 [arrêt Boulerice]. Bien que, dans l’arrêt Boulerice, la Cour ait conclu qu’il était préférable de régler la question de l’admissibilité au début de l’instance, cette conclusion était fondée sur le fait que l’élément de preuve en question était « si manifestement inacceptable [...] qu’il [fallait] l’écarter au plus tôt ». De surcroît, la Cour était convaincue qu’il n’y avait « absolument aucune raison de le laisser au dossier, puisque son inadmissibilité apparaît avec une évidence telle qu’on peut se prononcer définitivement sur le fond à son égard sans avoir besoin d’un dossier complet » (au paragraphe 30).

[26] Ce qui ressort de cet examen de la jurisprudence est que la question de la preuve soulevée dans la requête en radiation du procureur général, en l’espèce, n’est pas aussi évidente que ce qu’il prétend. Cela laisse entendre qu’il est préférable que les questions d’admissibilité et de nécessité ayant trait aux dépositions des témoins experts des appelantes soient tranchées par la formation saisie de l’appel.

[27] À cet égard, ma conclusion est étayée par le fait que la présente affaire est encore à ses tout débuts. Les parties n’ont pas encore déposé leurs mémoires des faits et du droit, de sorte que les questions soulevées par l’appel n’ont pas encore été développées. Les questions d’admissibilité et le caractère essentiel des éléments de preuve contestés de la question fondamentale ou des questions en l’espèce seront mieux tranchés une fois que ces questions seront cristallisées.

[28] Une autre question est soulevée relativement au témoignage de M. Dempsey, et nécessite des commentaires.

[29] L’appelante, International Air Transport Association, a demandé à M. Dempsey de donner son avis sur des questions de droit américain ayant trait aux droits des passagers aériens. En donnant son opinion sur ces questions, M. Dempsey a fait remarquer que les États-Unis sont de compétence [TRADUCTION] « moniste », de sorte que, contrairement au système [TRADUCTION] « dualiste » canadien, pour autant que les traités internationaux sont concernés, il n’est pas nécessaire d’adopter des lois nationales pour mettre en œuvre des traités internationaux afin de les incorporer au droit américain. Selon M. Dempsey, des instruments telle que la Convention de Montréal sont [TRADUCTION] « automatiquement exécutoires » et sont essentiellement réputés faire partie du droit américain. La différence entre le droit canadien et le droit international est donc artificielle dans le contexte américain, et une opinion sur l’interprétation qu’il convient de donner aux traités internationaux, y compris la Convention de Montréal, constitue une opinion sur le droit américain.

[30] Même si je retenais la position du procureur général sur l’inadmissibilité générale de la preuve d’expert portant sur la question du droit international, à ce stade, il n’est pas évident que les parties contestées du témoignage de M. Dempsey seraient en fait inadmissibles. Cela laisse aussi entendre que, pour que le témoignage de M. Dempsey soit admissible, il est préférable que les questions soient tranchées par la formation chargée d’entendre le présent appel sur le fond, parce qu’elle sera en meilleure position pour comprendre l’utilisation que les appelantes souhaitent faire du témoignage de M. Dempsey, et pour trancher les questions de son admissibilité et de sa nécessité.

[31] Bien que je reconnaisse que ma décision de renvoyer la question de la preuve à la formation qui entendra l’affaire puisse entraîner certains retards – le procureur général pouvant souhaiter déposer des éléments de preuve en réponse au témoignage des experts des appelantes – je conclus qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice d’intervenir à ce stade précoce. Je ne suis pas non plus convaincue que le bon déroulement de l’audition de l’appel sera compromis si les éléments de preuve contestés ne sont pas immédiatement radiés.

[32] Le fait que la formation qui entendra l’affaire soit exposée aux éléments de preuve qui pourraient être jugés inadmissibles ou soit influencée par de tels éléments de preuve importe peu. Comme notre Cour l’a fait remarquer dans l’arrêt Boulerice, les juges sont habitués à ne pas tenir compte des éléments de preuve qui sont finalement exclus du dossier : voir le paragraphe 15 des présents motifs.

[33] Enfin, même si la formation chargée d’entendre l’appel devait conclure que les éléments de preuve contestés sont inadmissibles, en réalité, la substance de cette preuve pourrait très bien se retrouver devant la Cour, sous forme d’argument juridique. En fait, le procureur général reconnaît dans sa réponse que la substance de l’opinion de l’expert sur les questions de droit international pourrait être soumise à la Cour dans le mémoire des faits et du droit des appelantes, ce qui atténue davantage les préjudices pouvant être causés au procureur général en raison du fait que les éléments de preuve contestés sont restés dans le dossier à ce stade.

III. Conclusion

[34] La requête du procureur général est donc rejetée, avec dépens à déterminer par la formation saisie de l’appel.

« Anne L. Mactavish »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-311-19

 

INTITULÉ :

INTERNATIONAL AIR TRANSPORT ASSOCIATION, ET AUTRES c. OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et GÁBOR LUKÁCS

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 octobre 2020

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Pierre Bienvenu

Andres C. Garin

Virginie Blanchette-Séguin

Clay Hunter

 

Pour les appelantes

 

Bernard Letarte

Benoît de Champlain

Lindy Rouillard-Labbé

Pour les intimés

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

Paterson, MacDougall LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour les appelantes

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour les intimés

 

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