Date : 20201006
Dossiers : A-235-18
A-234-18
Référence : 2020 CAF 162
CORAM :
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LE JUGE PELLETIER
LE JUGE WEBB
LE JUGE NEAR
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ENTRE :
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SA MAJESTÉ LA REINE
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appelante
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et
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2078970 ONTARIO INC., en sa qualité d’associée désignée de LUX OPERATING LIMITED PARTNERSHIP, et
2078702 ONTARIO INC., en sa qualité d’associée désignée de LUX INVESTOR LIMITED PARTNERSHIP
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intimées
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Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe le 2 septembre 2020.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2020.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE WEBB
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE PELLETIER
LE JUGE NEAR
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Date : 20201006
Dossiers : A-235-18
A-234-18
Référence : 2020 CAF 162
CORAM :
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LE JUGE PELLETIER
LE JUGE WEBB
LE JUGE NEAR
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ENTRE :
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SA MAJESTÉ LA REINE
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appelante
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et
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2078970 ONTARIO INC., en sa qualité d’associée désignée de LUX OPERATING LIMITED PARTNERSHIP, et
2078702 ONTARIO INC., en sa qualité d’associée désignée de LUX INVESTOR LIMITED PARTNERSHIP
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intimées
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MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE WEBB
[1]
Les présents appels visent la réponse donnée par la Cour canadienne de l’impôt à une question posée en vertu de l’article 58 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a (les Règles de procédure générale). La question était la suivante :
Si le ministre a toujours conclu qu’une société de personnes n’existait pas, peut-il délivrer un avis de détermination valide à l’égard de cette prétendue société de personnes en application du paragraphe 152(1.4) de la Loi de l’impôt sur le revenu?
[2]
La question a été posée à la Cour canadienne de l’impôt à l’égard des appels interjetés par la société 2078970 Ontario Inc., en sa qualité d’associée désignée de Lux Operating Limited Partnership, et par la société 2078702 Ontario Inc., en sa qualité d’associée désignée de Lux Investor Limited Partnership.
[3]
Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a répondu à la question par la négative (2018 CCI 141), et la Couronne en a appelé auprès de notre Cour. Les appels ont été regroupés. Même si deux appels ont été interjetés, la Cour canadienne de l’impôt a rendu une seule ordonnance. Les deux appels portent sur la même question.
[4]
Pour les motifs exposés ci-après, j’accueillerais les appels et j’annulerais l’ordonnance de la Cour canadienne de l’impôt au motif que la réponse à la question posée ne n’est ni un oui catégorique ni un non catégorique. La validité de la détermination faite en application du paragraphe 152(1.4) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), et de l’avis de détermination qui s’ensuit, dépendra de la conclusion définitive que tirera la cour quant à l’existence de la prétendue société de personnes à l’époque pertinente.
I.
Les faits
[5]
Lux Operating Limited Partnership et Lux Investor Limited Partnership ont effectué diverses opérations et conclu diverses ententes qui se sont soldées par la répartition de pertes entre 58 investisseurs en 2006, en 2007 et en 2008.
[6]
Le 11 février 2010, le ministre du Revenu national (le ministre) a délivré un avis de détermination ou de nouvelle détermination de pertes à l’égard de la société de personnes Lux Operating Limited Partnership. Dans l’avis, le ministre refusait de reconnaître la perte nette de la société subie au Canada déclarée pour l’année 2006 et, par conséquent, établissait que cette perte était nulle pour cet exercice. Des avis similaires ont été délivrés le même jour pour les années 2007 et 2008, lesquels faisaient état du même refus de reconnaître les pertes déclarées pour ces années.
[7]
Le 25 février 2010, le ministre a délivré un avis de détermination ou de nouvelle détermination de pertes à l’égard de la société de personnes Lux Investor Limited Partnership. Dans cet avis, le ministre refusait de reconnaître la perte nette de la société subie au Canada déclarée pour l’exercice 2006 et, par conséquent, établissait que cette perte était nulle pour cette année. Des avis similaires ont été délivrés le même jour pour les années 2007 et 2008, lesquels faisaient état du même refus de reconnaître les pertes déclarées pour ces années.
[8]
Les sociétés à dénomination numérique ont produit des avis d’opposition à ces avis de détermination, dans lesquels elles soutenaient qu’elles étaient les associées désignées des sociétés de personnes en cause et, après la confirmation des déterminations, elles ont déposé des avis d’appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt. Il ressort clairement des réponses du ministre aux avis d’appel modifiés qu’il mettait en doute l’existence de chacune des sociétés de personnes. Le premier paragraphe de la réponse du ministre à l’avis d’appel modifié déposé par 2078970 Ontario Inc. en sa qualité d’associée désignée de Lux Operating Limited Partnership est rédigé ainsi :
[traduction]
En ce qui concerne l’avis d’appel modifié dans son ensemble, il nie que Lux Operating Limited Partnership ait été une société de personnes dûment constituée en droit. Il affirme que toutes les opérations effectuées à l’égard d’Operating Partnership ne sont que censées avoir été effectuées à l’égard d’une société de personnes.
[9]
La même affirmation figure également dans le premier paragraphe de la réponse du ministre à l’avis d’appel modifié déposé par 2078702 Ontario Inc. en sa qualité d’associée désignée de Lux Investor Limited Partnership.
[10]
C’est cette affirmation qui est à l’origine de question posée en vertu de l’article 58 des Règles de procédure générale au sujet de la validité de la détermination dans le cas où le ministre conclut à l’inexistence d’une société de personnes.
II.
La décision de la Cour canadienne de l’impôt
[11]
Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a effectué une analyse textuelle, contextuelle et téléologique des dispositions de la Loi concernant les déterminations effectuées en application du paragraphe 152(1.4) de la Loi.
[12]
Au terme de cette analyse détaillée, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu notamment qu’il y avait de l’ambiguïté dans le libellé de ce paragraphe. Il a également conclu que les paragraphes 152(1.7) et (1.8) de la Loi étaient essentiels dans l’analyse contextuelle. Il fait observer que l’analyse contextuelle « appuie fortement l’interprétation du paragraphe 152(1.4) par les [sociétés à dénomination numérique] »
, et qu’il en est de même de l’analyse téléologique.
[13]
En conséquence, le juge de la Cour canadienne de l’impôt à répondu par la négative à la question posée.
III.
La question en litige et la norme de contrôle
[14]
En l’espèce, la question à trancher est celle de savoir si le juge de la Cour canadienne de l’impôt a répondu correctement à la question posée. Comme il s’agit d’une question d’interprétation des lois, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).
IV.
Discussion
[15]
Pour répondre à la question, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a essentiellement limité son analyse aux interprétations contradictoires proposées par les parties. La prémisse qui sous-tend son analyse est que la réponse à la question doit être soit oui, soit non. Le juge n’examine pas si la question était prématurée ni si, par conséquent, la réponse aurait pu être plus nuancée à ce stade de l’instance.
[16]
À mon avis, la question posée n’appelait en réponse ni un oui catégorique ni un non catégorique.
[17]
Même si la question est posée en termes génériques, la question ne peut pas être examinée dans le vide, sans qu’elle soit rattachée à l’appel (ou aux appels) lui ayant donné lieu. Le paragraphe 58(1) des Règles de procédure générale dispose ce qui suit :
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[18]
Par conséquent, toute question posée en vertu du paragraphe 58 des Règles de procédure générale doit être examinée en fonction du contexte des appels sous-jacents dont la Cour canadienne de l’impôt est saisie.
[19]
À ce jour, aucune cour ne s’est prononcée sur la validité des prétendues sociétés de personnes visées en l’espèce. Même si le ministre a conclu que ces prétendues sociétés de personnes n’étaient pas validement constituées, la question de leur validité fait partie de celles sur lesquelles la Cour canadienne de l’impôt doit rendre une décision, laquelle pourra donner lieu à d’autres droits d’appel. Le processus judiciaire peut conduire uniquement à l’une ou l’autre des issues suivantes : la cour qui se prononcera en dernière instance sur cette question conclura, à l’égard de chacune des prétendues sociétés de personnes, soit qu’elle était valide, soit qu’elle ne l’était pas.
[20]
La décision sur la validité de chaque prétendue société de personnes sera rendue à l’égard de l’année d’imposition 2006, la première qui soit pertinente en l’espèce. Si la cour conclut en définitive que l’une des prétendues sociétés de personnes n’était pas valide en 2006, il s’ensuivrait que, quelle que soit l’entente conclue entre celle-ci et les investisseurs concernés, leur partenariat ne pourrait être considéré comme étant une société de personnes constituée validement en droit. Par conséquent, il ne s’agirait pas d’une société de personnes au sens de la Loi (Backman c. Canada, 2001 CSC 10, au paragraphe 17).
[21]
Selon moi, la question posée en vertu de l’article 58 des Règles de procédure générale était prématurée puisqu’il est impossible d’établir la validité des déterminations faites au titre du paragraphe 152(1.4) de la Loi tant qu’il n’a pas jugé si les prétendues sociétés de personnes ont été validement constituées. Comme je l’ai observé plus haut, de deux choses l’une : soit les prétendues sociétés de personnes étaient valides, soit elles ne l’étaient pas. Il faut prendre en considération les conséquences de cette conclusion définitive quant à la validité des sociétés de personnes pour tirer une conclusion sur la prématurité de la question. Par souci de commodité, il sera présumé que la même décision sera rendue relativement à la validité des deux prétendues sociétés de personnes. Il va sans dire que, dans chaque cas, il reviendra à la Cour canadienne de l’impôt, sous réserve de tout appel, de trancher la question de la validité de la société de personnes.
A.
Il est conclu en définitive que les prétendues sociétés de personnes ne sont pas valides
[22]
La Couronne fait valoir en l’espèce que, si la cour de dernière instance souscrit à la thèse du ministre selon laquelle les prétendues sociétés de personnes n’ont pas été validement constituées, les déterminations relatives à chacune resteraient valides. Je ne suis pas d’accord avec la Couronne sur ce point.
[23]
La Couronne a manifestement mis en doute la validité des sociétés de personnes dans les actes de procédure déposés auprès de la Cour canadienne de l’impôt. Par conséquent, la question préliminaire que la Cour canadienne de l’impôt devra examiner dans les appels est celle de la validité des prétendues sociétés de personnes. Si la Cour canadienne de l’impôt devait conclure que les prétendues sociétés de personnes n’étaient pas validement constituées, cette conclusion sera tirée à l’égard de l’année 2006. Cette année étant la première pour laquelle des pertes ont été déclarées, il s’agit de la première année pertinente dans l’appel devant la Cour canadienne de l’impôt.
[24]
Si cette conclusion n’est pas portée en appel ou si la cour entendant en dernière instance l’appel sur cette question conclut également que les sociétés de personnes n’existaient pas, la conclusion définitive serait qu’il n’y avait pas de sociétés de personnes en 2006. Dès lors, s’il n’y avait pas de sociétés de personnes en 2006, il ne saurait exister de détermination valide établie à leur égard en vertu du paragraphe 152(1.4) de la Loi.
[25]
Le paragraphe 152(1.4) de la Loi est rédigé ainsi :
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[26]
Il est expressément écrit dans cette disposition que le « ministre peut déterminer le revenu ou la perte d’une société de personnes pour un exercice »
. Ces déterminations sont celles qui sont en litige en l’espèce. Les déterminations en litige établissaient que les pertes nettes de la société subies au Canada pour chaque année d’imposition étaient nulles. Bien que la Couronne ait également invoqué le passage restant du paragraphe et le droit du ministre de déterminer :
[…] toute déduction ou tout autre montant, ou toute autre question, se rapportant à [la société de personnes] pour l’exercice qui est à prendre en compte dans le calcul, pour une année d’imposition, du revenu, du revenu imposable ou du revenu imposable gagné au Canada d’un de ses associés, de l’impôt ou d’un autre montant payable par celui-ci, d’un montant qui lui est remboursable ou d’un montant réputé avoir été payé, ou payé en trop, par lui, en vertu de la présente partie[,]
aucune détermination de la sorte n’a été faite en l’espèce. La Couronne fait valoir que le ministre, en vertu de ce paragraphe, aurait pu déterminer que les prétendues sociétés de personnes n’avaient pas été validement constituées. Toutefois, les seules déterminations faites en l’espèce sont celles qui figurent dans les avis de détermination inclus dans le dossier. Ces déterminations établissent que les pertes déclarées ne sont pas reconnues. Même si l’un de leurs fondements était que les prétendues sociétés de personnes n’étaient pas validement constituées, les déterminations en cause indiquaient seulement que les pertes nettes subies par la société au Canada étaient nulles.
[27]
La Couronne soutient en outre que les mots « le jour où la déclaration est produite »
figurant à l’alinéa 152(1.4)b) de la Loi permettent au ministre de faire une détermination valide du revenu ou de la perte d’une prétendue société de personnes si une déclaration de renseignements est produite (conformément à l’alinéa a)), même si la cour conclut ultérieurement qu’il n’existait pas de société de personnes valide. Or, ce paragraphe ne fait que prescrire le délai dans lequel le ministre doit faire la détermination en application du paragraphe 152(1.4) de la Loi. Il demeure que le ministre peut seulement déterminer « le revenu ou la perte d’une société de personnes pour un exercice »
[non souligné dans l’original]. S’il est établi qu’aucune société de personnes n’existait en l’espèce, le ministre ne peut déterminer le revenu ou la perte du partenariat, quelle qu’en soit la nature, entre les sociétés à dénomination numérique et les investisseurs.
[28]
À l’appui de cette conclusion selon laquelle il ne peut y avoir de détermination valide à l’égard d’une société de personnes que si cette dernière était validement constituée, il convient de prendre en considération les droits d’appel établis au paragraphe 165(1.15) de la Loi :
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[29]
Ce paragraphe dispose que la seule personne autorisée à faire une opposition concernant le montant déterminé est l’associé de la société de personnes qui est, selon le cas, désigné à cette fin dans la déclaration de renseignements ou expressément autorisé par la société de personnes à agir ainsi. S’il n’existait pas de sociétés de personnes en 2006, les avis d’opposition déposés peu après la remise des avis de détermination en 2010 n’ont pas été déposés par les sociétés à désignation numérique en leur qualité d’associées d’une société de personnes. Les sociétés à dénomination numérique pouvaient être les associées d’une société de personnes seulement si cette dernière existait à cette époque. Conséquemment, il n’existerait pas d’avis d’opposition valide et, de ce fait, pas d’appel validement interjeté devant la Cour canadienne de l’impôt.
[30]
Comme il a été dit plus haut, la Couronne fait valoir que la détermination demeurerait valide même si une cour concluait en dernière instance que les sociétés de personnes n’existaient pas. Ainsi, de l’avis de la Couronne, le paragraphe 152(1.7) de la Loi continuerait de s’appliquer. Ce paragraphe est rédigé ainsi :
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[31]
Le paragraphe 152(1.7) de la Loi dispose que, « sous réserve des droits d’opposition et d’appel de l’associé de la société de personnes visé au paragraphe 165(1.15) relativement au montant déterminé »
, la détermination lie le ministre ainsi que les associés de la société de personnes. Selon la Couronne, il s’ensuivrait que, puisque la détermination demeurerait valide même si la société de personnes n’a jamais existé, chaque personne désignée comme étant associée de la prétendue société de personnes dans la déclaration de renseignements serait liée par la détermination.
[32]
Comme je l’ai fait observer plus haut, les déterminations qui ont été faites en l’espèce établissent que les pertes nettes de la société subies au Canada étaient nulles. Si la Couronne a raison d’affirmer que ces déterminations lient chacune des personnes désignées à titre d’associées dans la déclaration de renseignements même s’il est conclu en dernière instance que la société de personnes n’a jamais existé, ces personnes ne pourraient pas interjeter appel de la détermination établissant que les pertes étaient nulles. Il en est ainsi parce que la détermination est contraignante, sous réserve uniquement « des droits d’opposition et d’appel de l’associé de la société de personnes visé au paragraphe 165(1.15) relativement au montant déterminé »
. Si la société de personnes n’a jamais existé, il ne peut y avoir d’associé au sens du paragraphe 165(1.15) de la Loi ni, par la force des choses, de droit d’appel. À l’audience concernant les appels, quand on a fait valoir qu’il n’existerait pas de droit d’appel dans les circonstances, la Couronne a répondu simplement que ce devait être l’intention du législateur. Je ne suis pas d’accord.
[33]
Si les prétendues sociétés de personnes n’existaient pas en 2006, alors il ne peut y avoir de détermination valide de leur revenu ou de leur perte. Par conséquent, il ne serait pas satisfait à la condition nécessaire pour que s’applique le paragraphe 152(1.7) de la Loi « lorsque le ministre détermine un montant en application du paragraphe (1.4) ou détermine un montant de nouveau relativement à une société de personnes »
[non souligné dans l’original].
[34]
Parce que la conclusion définitive selon laquelle les prétendues sociétés de personnes n’ont pas existé serait tirée par l’une des cours nommées au paragraphe 152(1.8) de la Loi, cette disposition permettrait au ministre d’établir une nouvelle cotisation à l’égard des personnes visées. Le paragraphe 152(1.8) de la Loi dispose ce qui suit :
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[35]
À l’audience concernant le présent appel, la Couronne a soutenu que ce paragraphe ne s’appliquerait pas si, à la suite de l’appel interjeté en l’espèce, la Cour canadienne de l’impôt (ou toute autre cour se prononçant à un moment ultérieur) établissait que la société de personnes n’a jamais existé. Selon la Couronne, ce paragraphe s’appliquerait seulement si la Cour canadienne de l’impôt, notre Cour ou la Cour suprême du Canada tirait cette conclusion dans une procédure distincte intentée à un moment ultérieur à l’égard d’un exercice distinct. Je ne vois rien dans le libellé du paragraphe 152(1.8) de la Loi qui mènerait à ce résultat. En l’espèce, les sociétés à dénomination numérique ont affirmé que les 58 investisseurs étaient les associés d’une société de personnes et le ministre a fait une détermination en application du paragraphe 152(1.4) de la Loi. Si l’une des cours nommées dans ce paragraphe conclut en dernière instance que les sociétés de personnes n’ont pas existé, le sens ordinaire du paragraphe 152(1.8) montre clairement que le ministre pourrait établir une nouvelle cotisation à l’égard de tout contribuable pour toute année d’imposition, sous réserve des restrictions précisées aux alinéas a), b) et c). Vraisemblablement, ces nouvelles cotisations refuseraient les déductions demandées pour les pertes déclarées par chacun des investisseurs, et chacun d’eux aurait alors le droit de s’opposer à cette cotisation et d’interjeter appel, sous réserve des restrictions applicables à ces droits d’appel par suite des décisions sur certaines questions rendues par la cour ayant conclu à l’inexistence des sociétés de personnes.
[36]
Pour ces motifs, j’estime que la réponse à la question posée en vertu de l’article 58 des Règles de procédure générale ne peut pas être un oui catégorique.
B.
Il est conclu en définitive que les prétendues sociétés de personnes ont été validement constituées
[37]
Si la Cour canadienne de l’impôt devait conclure que les sociétés de personnes ont été validement constituées, et si cette conclusion n’est pas portée en appel ou est confirmée en appel, il ne semble pas y avoir de raison pour laquelle les déterminations ne seraient pas valides, sous réserve du droit de la Cour canadienne de l’impôt (ou de toute autre cour en appel) d’examiner le bien-fondé des déterminations et de déterminer si les pertes étaient nulles ou d’un autre montant.
[38]
Comme il a été mentionné plus haut, seuls ont le droit de faire appel d’une détermination les associés désignés ou autorisés de la société de personnes. Lorsque la validité de la société de personnes en tant que telle est en cause, la Cour canadienne de l’impôt, ou toute autre cour se prononçant subséquemment, peut commencer par trancher cette question avant de déterminer si l’avis d’opposition était valide.
[39]
Cette situation ressemble à celle qui fait l’objet de la décision Antle c. La Reine, 2009 CCI 465, où une cotisation avait été établie à l’égard d’une fiducie dont l’existence était mise en cause. La fiducie a pu interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt et, même si son appel devant cette cour a été annulé, la fiducie a également pu interjeter appel auprès de notre Cour (2010 CAF 280). Dans chaque cas, la première question examinée a été celle de l’existence de la fiducie.
[40]
De manière semblable en l’espèce, la Cour canadienne de l’impôt, ou toute autre cour se prononçant subséquemment, devrait d’abord trancher la question de l’existence des sociétés de personnes. S’il est conclu que les sociétés de personnes existaient en 2006, alors la cour pourra se pencher sur la question du montant de la perte subie par chaque société de personnes à l’égard de chaque année d’imposition pour l’application de la Loi.
[41]
Je suis d’accord avec le juge de la Cour canadienne de l’impôt que l’objet du paragraphe 152(1.4) de la Loi et des paragraphes connexes est de permettre au ministre de déterminer un montant à l’égard des sociétés de personnes. Toutefois, il semblerait qu’en répondant par un non catégorique à la question posée en vertu de l’article 58 des Règles de procédure générale, le juge a agi de manière contraire à cet objet.
[42]
Étant donné que le juge de la Cour canadienne de l’impôt a répondu non à cette question, il s’ensuit que les déterminations en cause ne seraient pas valides si aucune autre cour ne se prononçait sur la validité des sociétés de personnes. Si les déterminations ne sont pas valides, il ne peut y avoir d’avis d’appel valide en l’espèce puisque ces appels sont censés découler de ces déterminations. Par conséquent, si on présume qu’aucun des investisseurs n’a déjà fait l’objet d’une nouvelle cotisation et que chacun fait maintenant l’objet d’une nouvelle cotisation dans laquelle est refusée la déduction demandée au titre de pertes (sous réserve des restrictions du droit d’établir une nouvelle cotisation après l’échéance de la période normale de nouvelle cotisation), chacun des 58 investisseurs devrait interjeter son propre appel et soulever la question de la validité des sociétés de personnes. Cela donnerait lieu à 58 appels soulevant la question de la validité des sociétés de personnes.
[43]
Il serait plus efficace et plus conforme à l’objet des dispositions que la question de l’existence des sociétés de personnes soit tranchée à l’égard des appels sous-jacents en l’espèce. Le résultat serait qu’il y aurait un seul appel par société de personnes, plutôt qu’une multitude de procédures, portant sur la question de la validité de chaque société de personnes.
[44]
Il s’ensuit que la réponse à la question posée en vertu de l’article 58 des Règles de procédure générale ne peut pas être un non catégorique. Il ne peut pas être répondu tout de suite à la question de la validité des déterminations, car il faut d’abord que la Cour canadienne de l’impôt, notre Cour ou la Cour suprême du Canada statue sur la validité des sociétés de personnes.
[45]
Par conséquent, la réponse à la question posée en vertu de l’article 58 des Règles n’est pas un non catégorique.
V.
Conclusion
[46]
La réponse à la question telle qu’elle a été énoncée par les parties n’est ni un oui catégorique ni un non catégorique. La question n’aurait pas dû être posée en vertu de l’article 58 des Règles de procédure générale, car elle était prématurée. Avant d’établir si les déterminations effectuées en application du paragraphe 152(1.4) de la Loi étaient valides, il faut trancher la question fondamentale de l’existence des sociétés de personnes. C’est cette question que les parties devraient soulever devant la Cour canadienne de l’impôt. Une fois que la question de la validité des sociétés de personnes aura été tranchée, il sera possible d’établir si les déterminations étaient invalides (ce qui serait le cas si les sociétés de personnes n’ont pas existé) ou si elles ont été validement établies (ce qui serait le cas si les sociétés de personnes ont été validement constituées). Dans ce dernier cas, la cour examinera alors si les déterminations du ministre selon lesquelles les pertes étaient nulles étaient justes.
[47]
J’accueillerais donc les appels sans dépens et j’annulerais l’ordonnance rendue par la Cour canadienne de l’impôt. Rendant l’ordonnance que la Cour canadienne de l’impôt aurait dû rendre, je répondrais que la question est prématurée et ne peut être tranchée de façon définitive pour le moment.
« Wyman W. Webb »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
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J.D. Denis Pelletier j.c.a. »
|
« Je suis d’accord.
|
D. G. Near j.c.a. »
|
Traduction certifiée conforme
Elisabeth Ross, jurilinguiste
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
APPEL D’UNE ORDONNANCE DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DATÉE DU 11 JUILLET 2018, NUMÉRO DE RÉFÉRENCE 2018 CCI 141
(NUMÉROS DE DOSSIER 2012-3093(IT)G ET 2012-3094(IT)G)
DOSSIERS :
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A-235-18 et A-234-18
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INTITULÉ :
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SA MAJESTÉ LA REINE c. 2078970 ONTARIO INC. et al.
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Audience tenue par vidéoconférence ORGANISÉE par le greffe
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 2 septembre 2020
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MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE WEBB
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE PELLETIER
LE JUGE NEAR
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DATE DES MOTIFS :
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Le 6 octobre 2020
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COMPARUTIONS :
Michael Taylor
Raj Grewal
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Pour l’appelante
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David R. Davies
Florence Sauvé
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Pour les intimées
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nathalie G. Drouin
Sous-procureure générale du Canada
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Pour l’appelante
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Thorteinssons LLP
Vancouver (Colombie-Britannique)
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Pour les intimées
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